Loi de police, arbitrage, pratiques restrictives de concurrence et pratiques anticoncurrentielles : un ordre public international à la carte.

Paris, 29 octobre 2024, n° 23/02368

SG Distribution France et autres c./ Sostrene Grenes Import.

 

1. Faits.

Après quelques années de développement commercial en franchise sur la France, la société danoise Sostrene (ci-après « Sostrene ») décide en 2018 d’y ouvrir ses propres succursales et de modifier par divers avenants les contrats de ses franchisés français (la Société SG Distribution France et ses filiales, ci-après « SGDF »).

Ces derniers contestent.

Sostrene résilie alors ces contrats avec un préavis de deux ans.

SGDF conteste cette fois-ci les résiliations et, conformément à la clause compromissoire contenue dans les contrats, Sostrene engage début 2021 une procédure d’arbitrage.

En août 2022, le Tribunal arbitral danois désigné retient la validité des résiliations.

En décembre 2022, le délégué du président du Tribunal judiciaire de Paris rend une ordonnance d’exequatur des chefs de la sentence.

SGDF en interjette appel, dans l’objectif de voir la sentence arbitrale inexécutable.

L’ex franchisé prétend qu’une telle exécution, au vu de certaines pratiques dénoncées par les anciens franchisés et sur lesquelles nous passerons, contreviendrait « à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles au titre des articles 101 du TFUE et des articles L. 420-1 et 442-6 I 2° (devenu L 442-1 I 2°) du code de commerce qui font partie de l’ordre public international ».

Il est fait valoir que « les lois de police françaises issues du droit de la concurrence et qui véhiculent des intérêts jugés cruciaux par l’ordre juridique français font partie de l’ordre public international ».

La Cour d’appel de Paris, en sa chambre commerciale internationale, confirme l’ordonnance.

 

2. Problème.

Notre attention se portera sur le moyen de la violation, en l’espèce prétendue, de la règlementation économique tirée des articles L. 442-6 I 2° ancien du Code de commerce, 101 du TFUE et L.420-1 et 420-2 du Code commerce, au regard du moyen de contrariété à l’ordre public international.

 

2. Solutions et observations.

L’on sait que pour les sentences arbitrales rendues à l’étranger, l’article 1525 CPC dispose qu’un recours en annulation est ouvert lorsque la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international (par renvoi à l’article 1520 du même Code relatif au recours en annulation pour les sentences rendues en France).

1°. A titre de solution générale et soulignant qu’il ne s’agit pas dans ce type de contentieux de remettre en cause l’appréciation des premiers juges sur l’affaire en elle-même, la Cour rappelle le caractère circonscrit de son pouvoir à savoir que :

« Il résulte de la combinaison des articles 1520, 5°, et 1525, alinéa 4, du code de procédure civile que l’exequatur n’est refusé que lorsque la solution donnée au litige, et non le raisonnement suivi par les arbitres, heurte concrètement et de manière caractérisée l’ordre public international.

Le contrôle du juge de la violation de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international, qui s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.» (pt. 63 et 64).

Au plan pratique, les justiciables doivent donc retenir que la Cour d’appel veille à ce que le recours contre l’ordonnance d’exequatur ne soit pas un moyen détourné de recours contre la sentence elle-même.

De même, il leur faudra démontrer « concrètement et de manière caractérisée », la violation de l’ordre public international.

Invoquer de manière abstraite le caractère impératif du droit des pratiques restrictives de concurrence ou de celui des pratiques anticoncurrentielles ne suffira pas.

 

2°. Puis vient la solution au cas particulier de la prétendue violation de l’ordre public international et qui s’opposerait à ce que la sentence soit exécutée en France.

– Sur le déséquilibre significatif.

Pour le moins expéditive, la Cour estime :

« Si les dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce constituent une loi de police interne, leur violation ne peut en tant que telle être considérée comme portant atteinte à la conception française de l’ordre public international, la cour relevant qu’en l’espèce, l’invocation de ces dispositions par les appelantes s’inscrit dans une logique de protection de leurs intérêts privés. Le moyen ne saurait dès lors prospérer sur ce fondement » (pt. 65 et 66).

Bien que la qualification de loi de police soit ici retenue, voilà de quoi doucher les espoirs des justiciables attraits dans des procédures d’arbitrage international à raison de clauses compromissoires dont ils n’ont pas suffisamment initialement mesuré la portée ou peut-être pas pu en négocier les termes, voire son retrait dans le contrat projeté.

Ainsi, à l’occasion du contentieux de l’exequatur, motif pris de la violation de certaines règles de pratiques restrictives de concurrence (PRC), les justiciables découvriront-ils que la voie ultime de la violation de l’ordre public international leur sera fermée.

La solution ici donnée peut questionner lorsque la Cour, ne visant pas l’ordre public (sous-entendu « interne »), retient la notion de loi de police.

Cette qualification évoque pourtant un caractère impérieux pour ce qui est des intérêts à défendre, en contemplation par exemple du droit international conventionnel de source européenne (art. 9, règl. « Rome I »).

Le caractère « interne » de la loi concernée, pourtant expressément reconnue « de police », la situerait alors dans un type de lois, normalement impérieuse, mais dont la violation ne porterait pas atteinte à la conception française de l’ordre public international.

Imaginons donc que, selon cette approche et la conception que se fait alors le juge des lois de police et de l’ordre public international, il existerait des lois de police « interne » – de seconde zone – et des lois de police « autres », les « vraies » pourrions-nous dire (d’esprit « externe » par opposition à « interne » ? « d’ordre international » etc. ? mais simple praticien que nous sommes, nous ne savons. Pour des réflexions plus approfondies, voir Chronique d’arbitrage : l’éviction du déséquilibre significatif de l’ordre public international, J. Jourdan-Marques, Dalloz Actualité, 20 décembre 2024, non publié à la date de notre commentaire à la Lettre de la Distribution du mois de décembre 2024 et dont nous reprenons ici le contenu).

Un tel arrangement ne nous satisfait pas vraiment, sauf à ce que ces lois de police « interne » ne soient au bout du compte « que » des lois d’ordre public.

Pour mémoire et bien que s’agissant de solutions rendues en dehors de procédures arbitrales ou initiées par le Ministre, signalons un arrêt (Com. 3 mars 2009, n° 07-16.527, publié) qui, évoquant la loi « NRE », certes à propos de l’article L. 441-6 du Code de commerce, retient « (…) les dispositions de la loi du 15 mai 2001 modifiant l’article L. 441-6 du code de commerce, qui répondent à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses, sont applicables, dès la date d’entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours » (rappr. CAA Paris, 9e Ch., 13 décembre 2024, n° 22PA04574, à propos de l’article L. 441-3 du Code de commerce, retenant la qualification de loi de police).

Par la suite, la Cour d’appel de Paris a elle-même rappelé que les dispositions de l’article L. 442-6, qui énumèrent des comportements civilement sanctionnés, répondent à des « considérations d’ordre public particulièrement impérieuses », soulignant à l’occasion le caractère « « quasi-répressif », dont relève manifestement l’article L. 442-6 du code de commerce » (Paris, 5-4, 9 janv. 2019, n° 18/09522).

Puis vint l’arrêt remarqué (Com., 8 juill. 2020, n° 17-31.536, publié, Lettre distrib. 09/2020, obs. F. Leclerc), cette fois-ci dans le cadre d’une affaire initiée par le Ministre, jugeant que l’article L. 442-6, I, 2° contenait des « dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d’une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s’avèrent donc indispensables pour l’organisation économique et sociale de la France ».

Sur cet arrêt et à l’occasion d’une publication récente questionnant plus largement la portée de la Loi Egalim 3 dans les relations internationales, deux auteurs (P. Vanni et A.C. Martin, BRDA, 22-2024, n° 12) rappellent, s’agissant du dispositif de sanction du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, que la Cour de cassation a retenu le caractère de loi de police, nuancée par la suite par la Cour d’appel de Paris, qui considère que le dispositif « ne peut être qualifié de loi de police, sauf lorsque, en vertu des prérogatives que l’article L. 442-4 du Code de commerce leur réserve, le ministère public, le ministre chargé de l’économie ou le président de l’Autorité de la concurrence caractérisent une pratique commerciale restrictive déterminée susceptible de porter atteinte à l’ordre public économique de l’État qu’il leur appartient de défendre » (Paris, 20 janv. 2023, n° 22/13154).

Selon ces auteurs, ces solutions semblent ouvrir la voie d’une qualification en tant que loi de police à deux vitesses, selon que le Ministre de l’économie est, ou non, à l’origine de l’action en cause.

Pour autant, en l’espèce ici rapportée, l’absence du Ministre dans la procédure ne conduit pas la Cour à exclure la qualification de loi de police, bien qu’« interne », tout en dégradant la force d’une telle loi puisque sa violation « ne peut en tant que telle être considérée comme portant atteinte à la conception française de l’ordre public international », et que « l’invocation de ces dispositions par les appelantes s’inscrit dans une logique de protection de leurs intérêts privés ».

A la première nuance évoquée ci-dessus, devrait-on alors songer à rajouter une deuxième, tirée de la poursuite de la protection d’intérêts privés, d’ailleurs probablement confondue avec la première du fait que l’action n’a pas ici été menée par le Ministre pour la défense de l’ordre public économique (rappr. en matière de rupture brutale de relation commerciale établie, Paris, 2 juill. 2024, n° 21/17912, Lettre distrib. 09/2024, obs. C. Mouly-Guillemaud, écartant la qualification de loi de police, contrairement à l’arrêt ici rapporté) ?

– Sur les pratiques anticoncurrentielles, la solution nous apparaît moins confuse.

La Cour rappelle que « La CJUE a dit pour droit que l’article 101 du TFUE, anciennement article 81 du TCE, constituait « une disposition fondamentale indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à la Communauté et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur » et qu’il peut être considéré comme « une disposition d’ordre public au sens de la convention de New York du 10 juin 1958 » et qu’il appartient aux juridictions nationales appelées à se prononcer sur la validité d’une sentence arbitrale d’en faire application (Eco Swiss C-126/97) »» (pt. 67).

Et la Cour de préciser qu’elle est en droit de « (…) de procéder à un examen du litige à l’aune de ces textes dont la violation alléguée relève de l’ordre public international français, à charge toutefois pour la partie qui l’allègue d’établir l’existence d’indices graves, précis et concordants susceptibles de caractériser une violation de l’ordre public international » (pt. 72), ce qui ne sera pas le cas en l’espèce.

 

3°. Un peu de recul sur ces deux solutions, aboutissant à deux issues différentes, suggère deux observations.

En premier lieu, bien que relevant de l’ordre public, la qualification en loi de police française des règles de l’ancien article L. 442-6 I du Code de commerce (L. 442-1 I et II nouv.) en matière de pratiques restrictives n’est pas une évidence.

A tout le moins, cette qualification semble fonction de la pratique dénoncée et/ou de celui qui la dénonce.

Dans un litige international, les règles issues de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles semblent plus audibles – en dehors ou dans le cadre d’une procédurale arbitrale – et notamment dans ce dernier cas, au stade du contentieux de la reconnaissance ou l’exécution de la sentence.

En deuxième lieu, ce traitement « à la carte » fait par les juges du « petit » droit de la concurrence, par rapport à celui réservé au « grand » droit peut sembler illogique, si ce n’est injuste.

Mais peut-être faut-il voir dans cette approche discriminatoire une réaction à une spécificité règlementaire française en manque pour l’heure d’universalisme, outre les effets non recherchés d’une certaine volatilité parfois, même dans les solutions rendues par les juges lorsqu’il s’agit d’appliquer ces textes dans les contentieux interne.

Le carrousel législatif n’est pas non plus en reste.

L’on en veut pour témoignage récent le nouvel article L. 444-1 A du Code de commerce, qui en substance, vise à affirmer, en certaines matières, le caractère incontournable de la loi française et des juges français dans les relations internationales portant sur des produits ou services commercialisés en France (P. Vanni et A.-C. Martin, préc.), mais qui s’empresse aussitôt, ce que l’on peut entendre, d’en réserver l’application au respect du droit de l’UE et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l’arbitrage.

Le tout sans compter le rythme effréné des changements règlementaires, pour des textes parfois impératifs et cruciaux selon qui les invoque ou qui, d’une loi sur l’autre, peuvent ne plus l’être, et autres règlementations de circonstances ou limitées dans le temps ou mesures expérimentales.

Doit-on alors s’émouvoir de l’accueil parfois réservé des juges à ces règlementations qui donnent le tournis, lorsqu’il s’agit de statuer dans un litige international.

Ironie du sort et tenant ce dernier arrêt, ces textes peuvent s’avérer moins contraignants ou pénalisants dans les relations internationales mais dont les effets peuvent se déployer en France, que ce qu’ils le sont dans les relations proprement internes. Cherchez l’erreur !

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de décembre 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Rabais de fidélité dans l’affaire Intel : suite et fin mais néanmoins clair-obscur au plan pratique.

Commission c./ Intel Corporation

Pour l’arrêt : CJUE, 24 octobre 2024, aff. C-240/22 P / Pour le résumé : CURIA – Documents

 

1. Faits.

C’est un vieux feuilleton qui touche à sa fin.

L’on se souvient de la sanction d’Intel pour deux types de comportements adoptés à l’égard de ses partenaires commerciaux.

D’une part, des rabais consentis à différents équipementiers (Dell, Lenovo, HP, etc.) à la condition qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de certains de ses produits « CPU x86 » (« Central Proccessing Units » d’architecture 86) et, d’autre part des paiements d’Intel à un distributeur européen d’appareils microélectroniques (Media Saturn) à condition que ce dernier vende exclusivement des ordinateurs équipés des produits précités.

Ces rabais et paiements auraient assuré la fidélité des quatre équipementiers et de Media-Saturn et ainsi sensiblement réduit la capacité des concurrents (dont AMD) d’Intel à se livrer à une concurrence fondée sur les mérites de leurs CPU x86 (cf. un rappel des faits jusqu’au premier arrêt de la CJUE dans cette affaire, à savoir CJUE, 6 sept. 2017, aff. C-413/14, Intel c/ Commission, Lettre distrib. 10/2017, obs. N. Eréséo).

Concluant à l’existence d’un abus de position dominante, la Commission avait en effet, dès 2009, sanctionné Intel à hauteur de 1,06 milliard d’euros (déc. C(2009) 3726, 13 mai 2009, – aff. COMP/C‑3/37.990).

A l’occasion de son recours devant le Tribunal de Première Instance, Intel avait notamment contesté la répartition de la charge et le niveau de preuve requis pour qualifier d’abusifs les rabais et les paiements accordés en contrepartie d’un approvisionnement exclusif (TPIUE, 12 juin 2014, Intel c/ Commission, aff. T-286/09).

Sur pourvoi d’Intel, la CJUE avait examiné les moyens de la requérante et notamment celui faisant valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’examinant pas les rabais litigieux au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes.

La Cour énonçait alors que dans le cas où l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, la Commission était non seulement tenue d’analyser, d’une part, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et, d’autre part, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais qu’elle également tenue d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces (cf. N. Eréséo, préc.).

L’arrêt « initial » du Tribunal fut ainsi annulé par la CJUE dans un arrêt du 6 septembre 2017 et l’affaire renvoyée devant ce même Tribunal.

Ce dernier, dans un nouvel arrêt (26 janv. 2022, aff. T-286/09) et à partir des enseignements de la CJUE notamment au sujet de la mise en œuvre du test « AEC » (As Efficient Competitor) par la Commission au regard des équipementiers, identifiait des erreurs de cette dernière dans l’application de ce test et annulait partiellement la décision de Commission, en ce qu’elle avait qualifié les rabais contestés de pratiques d’abus de position dominante (art. 102 TFUE).

C’était alors au tour de la Commission de former un pourvoi contre ce deuxième arrêt du Tribunal, en faisant valoir des erreurs dans l’examen du test AEC par le Tribunal.

La Cour de Justice rejette le pourvoi contre l’arrêt précité et tranche définitivement ce litige opposant la Commission à Intel.

 

2. Problèmes et solutions.

Il était en l’espèce question de déterminer si Intel, par ses pratiques, avait abusé de sa position dominante sur le marché mondial des microprocesseurs en mettant en œuvre une stratégie d’ensemble visant à exclure du marché son principal concurrent.

La Cour valide l’analyse suivie par le Tribunal pour juger la capacité d’éviction des rabais d’exclusivité contestés insuffisamment démontrée et, partant, annuler le constat d’infraction sur ce point, à l’occasion de sa décision de 2009.

Elle apporte à cette occasion des précisions sur la portée du contrôle de légalité incombant au Tribunal lorsqu’il est appelé à se prononcer sur une telle analyse des effets anticoncurrentiels potentiels de telles pratiques, ainsi que sur la mise en œuvre du test « as efficient competitor test ».

 

3. Analyse.

Nous ne rentrerons pas dans le détail à propos de cette pratique « d’abus d’éviction » par un opérateur en position dominante (M.A. Frison-Roche et J.C. Roda, Droit de la concurrence, Dalloz, 2e éd, n°583. Rappr. projet de lignes directrices sur les pratiques d’éviction abusives dans le cadre de la consultation publique lancée le 1er août dernier et qui vient de s’achever fin octobre. https://competition-policy.ec.europa.eu/public-consultations/2024-article-102-guidelines_en?prefLang=fr ; sur la réponse à cette consultation par l’Association des Avocats Pratiquant le Droit de la Concurrence en date du 31.10.2024), qu’il est ici question d’identifier moyennant la mise en œuvre du test du concurrent aussi efficace.

Pour les non-initiés, contentons-nous d’énoncer sommairement de quoi l’on parle.

Et pour cela, rien de mieux que la reprise ci-après du contenu d’une des littératures d’accès aisée sur le sujet.

Il s’agit d’un test, surtout employé en matière d’abus de position dominante et issu de l’approche « plus économique ». Le test n’a rien de très juridique ; c’est un test de coûts qui nécessite généralement l’expertise d’économistes. Il vise à vérifier si les pratiques mise en œuvre par une entreprise dominante conduisent des concurrents aussi efficaces, à pratiquer des prix inférieurs à leurs coûts évitables moyens ou à leurs coûts marginaux moyens de long terme (M.A. Frison-Roche et J.C. Roda, préc., n°595).

La Cour, dans l’arrêt rapporté, indique que ce test repose sur une comparaison entre la « part disputable » (ce qui désigne, en l’occurrence, la part du marché que les clients d’Intel étaient disposés et en mesure de reporter leur approvisionnement sur un autre fournisseur, nécessairement limitée compte tenu, notamment, de la nature du produit ainsi que de l’image de marque et du profil d’Intel.

De cette qualité de partenaire commercial incontournable résultait le pouvoir d’Intel d’utiliser la part non disputable comme un levier pour réduire le prix sur la part disputable du marché) et la « part requise » (ce qui désigne, en l’occurrence, la part des besoins du client qu’un concurrent aussi efficace que l’entreprise dominante doit décrocher afin qu’il puisse accéder au marché sans subir de pertes).

Autrement présenté, le test AEC effectué dans la décision part du principe qu’un concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, qui cherche à décrocher la part disputable des commandes jusque-là satisfaites par une entreprise dominante, doit offrir une « compensation » au client, pour le rabais d’exclusivité qu’il perdrait s’il achetait une part moindre que celle définie par la condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité.

Le test a alors pour finalité de déterminer si le concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, qui subit les mêmes coûts que celle-ci, peut toujours couvrir ses coûts dans ce cas.

Le test AEC, tel qu’appliqué en l’espèce, établissait ainsi le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû offrir ses CPU x86 afin de compenser un OEM pour la perte d’un quelconque paiement d’exclusivité octroyé par Intel (cf. arrêt, points 152 et s.).

Ces subtilités rappelées et avec lesquelles le juriste doit faire pour conseiller son interlocuteur, il nous appartient dans ces colonnes de délivrer le « point de vue pratique ».

A vrai dire, il nous vient à l’esprit le « Saint-Jérôme écrivant » du maître Caravage, tant visuellement que sur le fond, et dont il est parfois dit qu’il s’agit d’une œuvre inachevée.

Pour son côté « clair » et comme signalé en 2017 à l’occasion du premier arrêt de la CJUE sur ces rabais de fidélité d’Intel, la Cour de justice consacre l’approche par les effets (Lettre distrib. 10/2017, préc.) validant, en l’occurrence, l’analyse suivie par le Tribunal pour juger la capacité d’éviction des rabais contestés, qui doit être démontrée (rappr. Paris, 4 avr. 2006, n° 2005/14057, sur recours de la décision 05-D-32 du Conseil de la Concurrence, Lettre distrib. 06/2006, obs. N. Eréséo).

Mais la scène a aussi son côté « obscur » car, pour citer d’autres maîtres plus contemporains dans la matière qui nous occupe ici (M.A. Frison-Roche et J.C. Roda, préc., n°595), le test est d’abord complexe à manier, ce dont témoigne au demeurant la présente affaire, et sa fiabilité est mise en doute.

De plus, si le test est utile pour résoudre les cas qui se présentent aux autorités de concurrence, il doit surtout servir à l’entreprise en position dominante pour évaluer son comportement, et savoir quand elle risque d’enfreindre la loi.

Et là, c’est selon nous déjà plus compliqué au plan pratique, au point que les acteurs dominants les plus prudents ne semblent pas s’impatienter à l’idée de voir « testées » par une autorité de concurrence leurs réductions dans l’hypothèse où elles pourraient être litigieuses.

Ces derniers préfèrent alors éviter de s’engager sur le terrain de l’analyse et, ce faisant, se gardent de prévoir des rabais de ce type alors qu’ils le pourraient peut-être, mais à un risque qu’ils n’ont envie de courir, ce qui peut s’entendre lorsque l’on connaît l’ampleur des sanctions.

Voilà en tout cas un sujet qui interpelle alors que s’engagent les négociations commerciales pour 2025.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de novembre 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Pénalités logistiques et obligation de leur « remontée » à la DGCCRF – « Saison 2 » : J-60.

Pour rappel, la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs (Loi Descrozaille ou Egalim 3) a institué une obligation de « remontée » d’informations à la DGCCRF sur les pénalités logistiques, jusqu’alors inexistante.

C’est la deuxième année d’application de ce dispositif.

Comme l’an passé, fournisseurs et distributeurs devront cette année s’y conformer avant le 31 décembre prochain (cf. art. L. 441-19 du Code de commerce).

Cette obligation s’inscrit dans le cadre de l’objectif des pouvoirs publics d’amélioration de certaines pratiques sur la question.

Le fait de ne pas se conformer à cette obligation est passible d’une amende administrative dont le montant peut atteindre 500.000 euros pour les personnes morales.

 

1. La remontée coté distributeurs.

Ces derniers doivent communiquer à la DGCCRF, au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qu’ils ont infligées à leurs fournisseurs au cours des douze derniers mois ainsi que les montants effectivement perçus. Ils détaillent ces montants pour chacun des mois.

Les pénalités « infligées » doivent s’entendre celles comme correspondant aux factures de pénalités émises mais non encore recouvrées.

Les montants « effectivement perçus » correspondent aux pénalités recouvrées par le distributeur.

 

2. La remontée côté fournisseurs.

Ces derniers doivent communiquer à la DGCCRF, au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qui leur ont été infligées par leurs distributeurs au cours des douze derniers mois ainsi que ceux effectivement versés.

Les pénalités logistiques « infligées » doivent s’entendre comme celles correspondant aux factures de pénalités reçues mais non encore réglées.

Les montants « effectivement versés » correspondent aux pénalités réglées par le fournisseur.

Ces données doivent être détaillées mois par mois et enseigne par enseigne.

Sur ce sujet et plus généralement sur celui des pénalités logistiques, la DGCCRF a mis en ligne un FAQ qu’elle actualise régulièrement.

La dernière actualisation figure dans la version de ce FAQ du 3 novembre 2023.

Elle précise l’adresse électronique à laquelle les informations doivent être « remontées ».

Qu’il s’agisse des fournisseurs ou des distributeurs, ces informations doivent être adressées sur la messagerie du bureau 3C « Commerce et relations commerciales » de la DGCCRF : remontees-penalites-logistiques@dgccrf.finances.gouv.fr.

A quelques jours près, le compte à rebours « J-60 » est lancé, alors qu’il est tout de même peu probable que cette remontée soit l’ultime tâche des entreprises au soir de la Saint-Sylvestre.

Dès lors, rien n’empêche de commencer à s’emparer du sujet afin de ne pas être pris de court.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

A rappr.  : Pénalités logistiques plafonnées à 2% : l’intention du législateur à l’appui du cantonnement de l’assiette du plafond.

Avantage sans contrepartie : vers un nouveau tour de piste quant au domaine d’application ?

CA Paris, 3 juillet 2024, n° 22/14428

EARL Couvoir de Haute Chalosse c./  SAS Gourmaud Sélection

 

1. Faits.

L’EARL Couvoir de Haute Chalosse (ci-après « CHC »), ayant pour activité l’accouvage de canetons à destination de la filière foie gras et la SAS Gourmaud Sélection (ci-après « Gourmaud » ou « le sélectionneur ») ont entretenu des relations commerciales à compter de l’année 2000, la seconde fournissant à la première des canards reproducteurs.

Les relations ont cessé à l’initiative de Gourmaud qui, tout en invoquant des manquements contractuels de son partenaire dont la baisse des commandes auprès d’elle, a rompu le contrat de distribution la liant à CHC avec un préavis de 6 mois, comme stipulé au contrat.

Imputant à Gourmaud un abus de position dominante et de dépendance économique ainsi qu’une rupture brutale de leurs relations commerciales établies (les manquements invoqués n’étant pas suffisamment graves selon CHC), sur le fondement des articles 1240 du code civil, L. 420-2, L. 481-1 et L 442-6 I 5° ancien du code de commerce et 102 du TFUE, CHC a saisi le Tribunal de commerce de Rennes.

Elle sollicitait, à titre principal, la poursuite des relations commerciales et, subsidiairement, l’indemnisation de ses préjudices. Déboutée de l’intégralité de ses demandes, CHC a interjeté appel.

La Cour d’appel de Paris rend un arrêt en tout point confirmatif.

 

2. Problèmes et solutions.

L’arrêt aborde des problématiques de nature procédurale (intervention du commissaire à l’exécution du plan dans la procédure de sauvegarde de CHC, périmètre de l’appel avec abandon des demandes au titre de la rupture fautive) et, au fond, celles de la rupture brutale (art. L. 442-6 I 5°), de l’abus de position dominante (seul étant évoqué en appel l’article L. 420-2) et de l’avantage sans contrepartie (art. L. 442-1, I 1°).

Sans renoncer à formuler quelques remarques sur ces différents sujets de fond, c’est sur le dernier d’entre eux que portera notre réflexion à propos de la solution donnée par l’arrêt aux termes duquel « ce texte (…) n’a effectivement pas pour objet de permettre un contrôle judiciaire de la fixation des prix et de la stricte adéquation entre un prix de cession et la valeur du bien qui est en l’objet ».

 

3. Observations.

– Sur la rupture brutale.

L’appelant se voyait reproché un dénigrement à raison d’une diffusion d’un tract auprès des acteurs de la filière et un manquement contractuel consistant en des pratiques dites de « mues » prolongeant le cycle d’exploitation des canards aux fins de reproduction, de nature à avoir des conséquences sur la réputation de la qualité génétique de ces mêmes animaux initialement livrés par le sélectionneur, outre des gains manqués pour ce dernier à raison d’une diminution du volumes des commandes et de la pratique de prix de vente des canards non adapté à un cycle de production prolongé.

Seule la pratique de « mue » sera considérée comme caractérisant une faute grave justifiant la rupture sans préavis, même si la Cour devait constater l’octroi du préavis contractuel de 6 mois, nonobstant cette pratique contractuellement interdite.

A la faveur d’une solution très pédagogique à raison des multiples rappels formulés sur les conditions d’application de l’article L. 442-6 I 5°, la Cour rappelle que « la faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l’ampleur de l’inexécution et de la nature l’obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie », bien que « l’octroi d’un préavis ne prive pas per se l’auteur de la rupture de la faculté d’invoquer postérieurement une faute grave la fondant (en ce sens, Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, revenant sur Com., 10 février 2015, n° 13-26.414) ».

– Sur l’abus de position dominante et sur l’abus de dépendance économique.

Le premier se traduisait selon l’appelante, par une rupture des relations commerciales établies et un refus de vente consécutif à la notification de la rupture.

Il ne sera pas reconnu dans l’arrêt, dont on renvoie aux motifs, à commencer par celui de la justification de la rupture à raison de la faute grave relevée ou de la continuité des livraisons durant le préavis.

L’abus de dépendance économique ne le sera pas davantage moyennant un raisonnement similaire.

Pour ces deux formes d’abus, les rappels généraux de la jurisprudence sont appréciables et invitent à garder à l’esprit le standard élevé des exigences techniques, au plan probatoire notamment, lors des contentieux indemnitaires pour pratiques anticoncurrentielles, en l’espèce de « stand-alone ».

– Sur l’avantage sans contrepartie.

L’arrêt se penche sur l’application éventuelle de l’article L. 442-I 1° du Code de commerce à ce qui, pour la Cour d’appel, constituait « une cession globale intégrant, outre la reprise du personnel, les parts sociales évaluées à l’euro symbolique mais également le couvoir au prix de 400.000 euros dont le caractère « vil », en réalité dérisoire ou manifestement disproportionné, n’est pas établi », l’appelant ayant stigmatisé la proposition de rachat à 1 euro de son couvoir telle que formulée non par Gourmaud, mais par une société de son groupe d’appartenance.

Nous formulerons trois brèves remarques.

D’abord et cela semble être une première, la solution est ratione temporis, rendue sur le fondement du nouvel article L. 442-I I 1° issu de l’ordonnance du 24 avril 2029, les négociations étant intervenues en juin 2019.

Ensuite, ratione personae, l’article précité n’avait pas lieu de s’appliquer à la SAS Gourmaud Sélection, étrangère aux négociations menées par d’autres sociétés du groupe auquel elle appartenait (« il est constant que la SAS Gourmaud Sélection, dont la personnalité juridique est distincte de celles des sociétés qui constituent le groupe auquel elle appartient, est étrangère aux négociations menées en juin 2019, ce que reconnaît la SAS CHC dans ses écritures (page 6 : « Ces pourparlers engagés avec la société ORVIA COUVOIR DE LA MESANGERE ont échoué ») ».

Exit la prise en compte de la notion de groupe ou d’entreprise (à comp. au plan des pratiques anticoncurrentielles).

Enfin, ratione materiae, la Cour juge que la règle n’a « pas pour objet de permettre un contrôle judiciaire de la fixation des prix et de la stricte adéquation entre un prix de cession et la valeur du bien qui est en l’objet ».

Cette solution rappelle, alors que ne s’étaient écoulés que quelques mois après que la Cour de cassation ait clairement statué dans le sens d’une interprétation large du domaine matériel de ladite règle (Com., 11 janv. 2023, n° 21-11163, Lettre distrib. 02/2023 et RLC 4399, n° 125, Mars 2023, p. 31 et s., nos obs ; Paris, 6 sept. 2023, n° 21/19954, Lettre distrib. 11/2023), celle d’un précédent arrêt de la même Cour d’appel à propos de l’ancien article L. 442-6 I 1° (Paris, 11 mai 2023, n° 20/04967, Lettre distrib. 10/2023).

L’arrêt ici commenté rappelle que « l’application de ce texte exige seulement que soit constatée l’obtention d’un avantage quelconque (ou sa tentative) ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage qui peut être tarifaire (en ce sens, Com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163). L’appréciation de l’absence de contrepartie ou de sa disproportion manifeste suppose une analyse essentiellement objective et quantitative et s’opère généralement terme à terme [rappr. Paris, 10 mai 2023, n° 21/04967, Lettre distrib., 06/2023] sans égard pour l’existence d’une soumission ».

Mais la Cour pose la limite : pas de contrôle du prix en tant que tel.

Pour autant, le dispositif ne conduit il pas indirectement, par la volonté de la loi, à un contrôle induit par la simple application de la règle ?

D’aucuns salueront cette solution.

D’autres se pourlècheront à l’idée de voir rejaillir le débat en considérant que tout dépend du sens que l’on veut donner à la notion d’« avantage » (qui plus est « quelconque » aux termes de l’ancien article L. 442-6 I 2°), pour la détermination du périmètre du dispositif.

Après tout, le fait pour une partie de se trouver désavantagée dans le cadre d’une transaction ne revient-il pas, pour l’autre à se voir en contrepoint avantagée (comp. Paris, 25 oct. 2023, n° 21/11927, Lettre distrib. 12/2023 ou RLC 4575, n° 134, Janvier 2024, p. 18 et s., nos obs).

On se souvient que dans sa version antérieure, ce texte spécial permettait un contrôle de la réalité ou de la valorisation d’un service, tel un service de coopération commerciale (rappr. Avis CEPC 23-07, Lettre distrib. 10/2023, à propos d’un service d’abonnement pour la fourniture de solutions informatiques et rappelant que la définition de la pratique prohibée n’a pas été modifiée, de sorte que la conclusion est exactement la même que sous l’empire du nouvel article L. 442-1, I, 1°).

Les débats sur le domaine matériel du contrôle de l’abus sur le fondement de la prohibition de l’avantage sans contrepartie ne sont peut-être pas encore clos. Alors, vers un nouveau tour de piste ?

Il appartient aux plaideurs d’en décider.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Négociation commerciale : sur l’éventualité d’angles morts en matière de déséquilibre significatif.

Trib. Com. Paris, 26 juin 2024, n° 2023001302

Min. Eco. c./ Galec.

 

I. Faits.

Reprochant au Galec, à l’occasion de rendez-vous « de performance économique » auxquels avaient été convoqués courant 2017 (après le 1er mars) un certain nombre de ses fournisseurs, d’avoir sollicité le cas échéant sous peine de mesures de rétorsion, des remises ou ristournes destinées à préserver ou à accroitre ce que la centrale nommait la « performance économique » des produits du fournisseur, le Ministre assigne cette centrale au motif que cette pratique caractériserait un mécanisme de compensation de marge sans contrepartie.

Etaient en cause 34 avenants (avenant « AVEN » pour les remises déduites sur facture ; avenants « ARC » pour les ristournes réglées par avoir) tenant lieu de conditions particulières de vente au contrat cadre initial, pour la mise en place d’actions de soutien et de dynamisation des ventes de produits, que le Ministre considérait inexistantes, vagues et imprécises et n’allant pas au-delà de ce qui était prévu au titre du référencement dont le service précité relevait (jug., p. 5), ce que contestait le Galec (jug., p. 7 et 8).

La demande était au principal fondée sur le 2° de l’ancien article L. 442-6 I 2° du Code de commerce (tentative de soumission ou soumission à un déséquilibre significatif) et, à titre subsidiaire, sur le 1° (obtention ou tentative d’obtention d’un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu).

Des demandes étaient aussi formulées, pour 7 des avenants, sur le fondement de l’article L. 442-6 II, a) (bénéfice rétroactif de ristournes), outre le prononcé d’une amende civile de près de 7,5 millions, la cessation des pratiques ci-dessus sous astreinte journalière. Bercy est débouté de la totalité de ses demandes.

 

II. Problèmes et solutions.

Arrêtons-nous sur trois problématiques. La première traite du déroulement de l’enquête et les deux autres de qualification de la pratique sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 2°.

Problème n°1 : dans le cadre de leur enquête aux fins de la recherche des preuves en vue de la qualification ultérieure des pratiques de déséquilibre significatif, les enquêteurs sont-ils en droit de ne s’intéresser et de ne saisir que des pièces à charge de la partie contrôlée (ie. les avenants) et non d’autres pièces (ie. d’autres avenants) qui pourraient le cas échéant permettre au juge saisi de procéder à une analyse globale de la convention initiale amendée ?

Pour le Tribunal, « la mission de la DGCCRF est de procéder à des enquêtes pour mettre à jour des pratiques qui, par hypothèse, n’ont pas été révélées. Elle n’est donc astreinte à aucune obligation de neutralité. Le législateur en prévoyant l’intervention d’un juge a clairement situé au niveau du débat judiciaire les exigences d’impartialité. Le tribunal, sans qu’il y ait lieu d’aller plus avant dans l’examen de la prétendue partialité du ministre, dit le grief inopérant. » (Jug., p. 8).

En suivant, le tribunal rappelle que l’action du Ministre sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce est de nature civile et soumise aux règles du CPC.

Même si l’article 6 CEDH en son volet pénal est applicable à l’amende civile, qui a la nature d’une sanction pécuniaire, les infractions prévues à l’article précité n’impliquent pas de faire application dans ce type de litige et dans la recherche des preuves, des règles internes de droit pénal et de la procédure pénale, mais le respect des principes fondamentaux du droit pénal.

Il en résulte que le « ministre, demandeur à l’action, a la charge de la preuve. Il n’a pas, comme un juge d’instruction la mission d’instruire à charge et à décharge. Il est libre de présenter son dossier comme il l’entend et de faire l’analyse des seuls éléments qu’il estime à charge dès lors qu’il a produit toutes les pièces du dossier permettant à la personne poursuivie de se défendre, ce qu’il a fait. Le principe du contradictoire a été respecté. » (Jug., p. 8 et 9).

Observations. La solution n’est pas nouvelle et doit être rapprochée d’arrêts d’appel, dont l’un d’entre eux est d’ailleurs cité dans la décision rapportée (jug., p. 9, Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023 ; Paris, 28 juin 2023, n° 21/16174, Lettre distrib. 09/2023).

Si le débat est pour l’heure clos sur cette question, le point de droit soulevé par le Galec au plan de l’analyse globale n’a, sur le fond, rien d’inintéressant, en ce qu’il pose la question du périmètre retenu pour l’analyse « globale et concrète des contrats [la convention unique qui intègre les différents avenants selon Galec] et du contexte » (jug., p. 7).

Un contrôle de l’abus dans chaque négociation, qu’il s’agisse de celle de la convention initiale ou de ses avenants ultérieurs, pourrait conduire à mener l’analyse globale des obligations réciproques, mais avenant par avenant, évoquant une approche « multicanale » ou en silo.

En contrepoint, un contrôle de l’abus de la négociation dans son ensemble, au titre d’un exercice commercial par exemple, inscrirait aussi la recherche de rééquilibre dans un périmètre élargi, englobant tant le contenu de la convention amendée que celui des différents avenants s’y rapportant, dans le cadre d’une approche « omnicanale » ou transversale.

Ce faisant, par exemple, le déséquilibre au titre d’un avenant pourrait se voir rééquilibré par le contenu d’un autre avenant. Ce n’est toutefois pas cette dernière approche qui est ici retenue.

A chacun de forger son opinion tant au vu de la ratio legis du texte que de sa lettre.

Mais attention aux conséquences sournoises d’une approche extensive au plan de la période, des actes ou pratiques pris en compte à raison d’un phénomène de lissage ou de moyennisation des différents déséquilibres/rééquilibres, de nature à porter atteinte à l’efficacité de la prohibition, compte tenu de l’importante marge d’appréciation du juge (rappr., en matière d’avantage sans contrepartie, Paris, 25 octobre 2023, n° 21/11927, Lettre distrib. 12/2023 et RLC 4575, n° 134, Janvier 2024, p. 18 et s.).

 

Problème n°2 : un distributeur peut-il en cours d’année proposer à son fournisseur et convenir par avenant d’un service de « dynamisation des ventes » dont l’objectif est de stimuler les ventes de produits en perte d’attractivité, bien que non prévu lors de la signature de la convention annuelle ?

Pour le Tribunal, la réponse est affirmative tant sous l’angle du déséquilibre significatif (« Le service de dynamisation des ventes proposé par le Galec a pour objectif de stimuler les ventes en mettant l’accent sur tel ou tel produit en perte d’attractivité sur une période donnée. Le tribunal dit que ce service imprévu au moment de la signature des conventions annuelles peut être nécessaire en cours d’année dans le cadre d’avenants au contrat-cadre. », jug., p. 11) que sous celui de l’avantage sans contrepartie (« Comme démontré ci-avant, le contrat de référencement ne règle pas les relations avec les coopérateurs en aval du GALEC, qui peuvent négocier des conditions particulières qui leur sont spécifiques. Surtout, il ne peut régler tous les événements ou situations qui peuvent survenir en cours d’année. En particulier, si le référencement permet une « exposition » des produits vendus par le fournisseur, il ne permet pas, sauf clause particulière en ce sens, une dynamisation rendue nécessaire ou souhaitable pour diverses raisons (perte d’attractivité, prix trop élevé …). Les engagements de dynamisation des ventes de certains produits ne sont donc pas inclus dans le contrat-cadre de référencement par le GALEC et l’existence de ces contrats distincts ne prouve pas en soi l’absence de contrepartie », jug., p.26).

Observations. S’agissant des avenants à la convention conclue au plus tard le 1er mars, la liberté des parties n’est pas nouvelle.

Elle a été consacrée par l’ordonnance du 24 avril 2019 (art. L. 441-3 II. Code Com.) moyennant un double encadrement formel (établissement d’un écrit et mention de l’élément nouveau le justifiant), outre le contrôle des conditions de sollicitations, d’acceptation ou du contenu de ces avenants sous l’angle des pratiques abusives (art. L. 442-1 nouveau).

Même si les faits sont antérieurs à l’ordonnance, la faculté de modifier la convention par voie d’avenant avait déjà été entérinée tant par la CEPC depuis longue date (not. Avis n° 09-09, Avis n° 17-07, Avis n° 17-10), que par la loi de manière biaisée (art. L. 442-6 I 12° à l’occasion de la Loi Hamon), ainsi que par les juridictions (Paris, 16 mai 2018, RG n° 17/11157, Lettre distrib. 06/2018 et RLC Juil-Août 2018, n° 3425 ; à rappr, RLC Avril 2017, n° 3169).

Reste le sujet de fond de la causalité des budgets additionnels sollicités et, en l’espèce de la « perte d’attractivité » ou du manque de « performance économique » qu’il était question d’améliorer à l’occasion de la réouverture de négociation tarifaire.

Pour le Ministre et malgré la prévision formelle d’un service de « dynamisation des ventes » (diffusion de la liste des produits de façon hebdomadaire par le Galec aux Centrales Régionales leur permettant de relayer l’information au niveau des points de vente), la pratique avait plutôt des allures d’exigence d’augmentation de rentabilité pour le distributeur (voir les déclarations de fournisseurs dans le cadre de l’enquête et indiquant que la préoccupation du distributeur était la rentabilité insuffisante de certain produits, jug., p. 11 et s.).

Il ne sera pas suivi par le Tribunal (rappr. en sens contraire, Paris, 16 mai 2018, préc.) qui considère notamment que celui-ci ne fait pas doublon avec les composantes du service de référencement (comp. Paris, 6 sept. 2023, n° 21/19954, Lettre distrib., 11/2023 ; Paris, 29 nov. 2023, n° 22/03166, Lettre distrib. 01/2024 et RLC 4600, février 2024, n° 135, p. 41 et s., obs. C. Mouly Guillemaud et JM. Vertut).

 

Problème n° 3 : des mesures de rétorsion à raison du refus du distributeur d’accorder les avantages financiers sollicités par son client au titre d’un service donné relèvent-telle de la prohibition de l’article L. 442-6 I 2°, lorsque la tentative d’obtention de ces avantages s’avère infructueuse ?

L’hypothèse ici prise en compte est non pas celle d’un déséquilibre dans les droits et obligations (par absence de contrepartie) mais d’une absence de déséquilibre (le service en cause était réel selon le tribunal).

La question précitée se posait pour deux fournisseurs n’ayant pas consenti aux avantages financiers sollicités (Coty, Danone Eaux).

Le Tribunal « constate, ainsi que l’indique ce fournisseur, que des menaces de déréférencement en lien avec la demande du Galec ont bien été mises en place pour le contraindre à consentir des avantages. La tentative de soumission est ainsi caractérisée. Le tribunal constate cependant l’absence de CPV 2017 dans le dossier de l’administration. Aucune preuve n’est ainsi apportée par le ministre de l’existence d’une remise et ou d’une ristourne qui aurait été accordée par le fournisseur en conséquence de ce qui précède. En conséquence, le tribunal dit que le ministre échoue dans l’administration de la preuve de la réunion des deux conditions cumulatives nécessaires au déséquilibre significatif. » (Jug., p. 12, concernant Coty).

Signalons que certains fournisseurs (ex. Henkel, Johnson & Johnson, Unilever, Lustucru) ont accepté de payer l’avantage additionnel sollicité à raison de la soumission exercée (interdiction d’accès, déréférencements de codes de produits). Pour l’un d’entre eux par exemple, « le tribunal constate, ainsi que l’indique ce fournisseur, que l’interdiction du Galec faite aux représentants commerciaux de la société Henkel d’accéder à ses magasins après son refus d’accéder à la demande du Galec, ainsi que le déréférencement d’une dizaine de codes sur 300 références caractérisent la soumission. Il ressort du dossier de l’administration que trois CPV relatives à des actions de soutien et de dynamisation des ventes de 8 références ont été signées le 7 novembre 2017 avec des remises sur factures de 7%, 10% ou 20% par rapport au tarif au profit des points d’achat Leclerc. Le tribunal constate cependant que la rédaction des 3 CPV d’Henkel France est claire et que les obligations sont corrélées : le Galec s’oblige à (…). En contrepartie, le fournisseur doit verser ce à quoi il s’est engagé (…). (…) En conséquence, le tribunal dit que le ministre échoue dans l’administration de la preuve de la réunion des deux conditions cumulatives nécessaires au déséquilibre significatif. » (Jug., p. 15 et 16, concernant Henkel).

Enfin et bien que la situation nous importe mois, d’autres fournisseurs, à l’occasion d’une négociation effective (sans pour autant subir de menaces ou rétorsions visant à forcer leur acceptation, donc sans soumission) ont soit accepté de rétribuer la prestation (ex. Kimberly-Clark, Moët Henessy, Bonduelle, Colgate Palmolive) ou en tout cas ont accepté de le faire sans qu’un « lien direct » ne puisse être établi entre les demandes additionnelles et certaines mesures restrictives telles que l’interdiction d’accès aux magasins décidées par le distributeur (ex. Blédina, Materne), soit l’ont refusé (Nestlé, Wrigley, Reckitt Benkiser, Kellogs).

Observations. Le tribunal (jug., p. 9) rappelle que « la caractérisation de cette pratique suppose la réunion de deux éléments : d’une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, d’autre part l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. » et précise, concernant la deuxième de ces conditions, que « l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties ».

La réalité du service de dynamisation des ventes étant admise et ce faisant reconnue sa nature de contrepartie au titre des avenants litigieux (v. ci-dessus), la deuxième condition requise pour l’application du texte faisait toujours défaut. A partir de là trois observations.

D’abord et pour les fournisseurs n’ayant pas consenti aux avantages financiers sollicités (Coty, Danone Eaux), l’on s’efforce, en vain, de comprendre la raison conduisant le juge, constatant l’existence d’une tentative de soumission (« Le tribunal constate, ainsi que l’indique ce fournisseur, que des menaces de déréférencement en lien avec la demande du Galec ont bien été mises en place pour le contraindre à consentir des avantages. La tentative de soumission est ainsi caractérisée », Jug., p. 13) à absoudre la pratique parce qu’il n’est pas constaté que suite à cette tentative aient été octroyés les avantages financiers sollicités et que, lorsqu’ils l’ont été, ces derniers ont une contrepartie (« Le tribunal constate cependant [soulignement rajouté] l’absence de CPV 2017 dans le dossier de l’administration. Aucune preuve n’est ainsi apportée par le ministre de l’existence d’une remise et ou d’une ristourne qui aurait été accordée par le fournisseur en conséquence de ce qui précède. En conséquence, le tribunal dit que le ministre échoue dans l’administration de la preuve de la réunion des deux conditions cumulatives nécessaires au déséquilibre significatif », Jug., p. 13).

Mystérieux raisonnement selon nous, mais peut-être l’avons-nous mal compris ?

Doit-on deviner, dans l’hypothèse où le fournisseur aurait cédé à la pression subie en consentant aux avantages sollicités, que le tribunal aurait vu l’infraction constituée ?

Nous ne le pensons pas (rappr. de l’analyse concernant les fournisseurs Johnson & Johnson et Lustucru, jug. p. 19 et 22).

Ensuite et en présence de ce qui n’est qu’une tentative de soumission (rappr. sur la notion de tentative : Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023 ; Paris, 28 juin 2023, n° 21/16174, Lettre distrib. 09/2023) à des obligations équilibrées, pourquoi constater le défaut de réunion des deux conditions cumulatives de l’infraction pour dire l’infraction non constituée à raison du défaut de versement des remises ou ristournes litigieuses ?

Le tribunal n’aurait-il en outre pas assimilé tentative de soumission entendue comme un « commencement d’exécution qui a par hypothèse manqué son effet et soumission » (Paris, 28 juin 2023, n° 21/16174, préc.), donc non suivi d’engagements sur des obligations déséquilibrées, à la soumission qui en revanche se traduit par de tels engagements.

Si l’élément factuel de soumission se couple avec l’effet obligationnel, l’élément factuel alternatif de la seule tentative en est par définition découplé, puisque les obligations déséquilibrées escomptées n’ont été que virtuelles.

Pour autant et dans cette double situation, les deux éléments de l’infraction sont réunis (tentative ou soumission effective d’une part, déséquilibre escompté ou réel d’autre part).

Enfin et au-delà de cette affaire, ne faudrait-il pas s’émouvoir du caractère non sanctionnable de la tentative, établie, de soumettre un partenaire s’engager sur une obligation, certes non déséquilibrée, mais à laquelle il n’entendait tout simplement pas souscrire (ex. engagement de versement d’un avantage pour un service qui ne l’intéresse pas ou dont il n’a pas besoin) et qu’il fera pourtant sienne du fait de son exposition à des mesures de rétorsion. Nous voyons en cela une prestation payée par nécessité ou obligatoire.

Ne serions-nous pas à nouveau en présence d’un angle mort du dispositif ?

A moins qu’il soit tout de même admis que cette situation crée un déséquilibre significatif dans les droits de l’une des parties dans la négociation – à commencer par celui de ne pas vouloir s’engager à payer – et de l’obligation de l’autre de ne pas lui tordre le bras à l’effet de voir son partenaire accepter des prestations dont ce dernier ne souhaite pas bénéficier, en tout cas à titre onéreux (rappr. art. L. 442-2 I 1° nouveau) ?

Un regard vers certaines décisions sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 1° pourrait se révéler inspirant, comme pourra d’ailleurs l’être, par exemple, la précision de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt récent en matière de déséquilibre significatif pouvant laisser imaginer que cette même Cour n’est peut-être pas sourde à l’argument du besoin et de l’utilité (« De fait, l’idée même d’une négociation présuppose d’emblée la prise en compte des besoins de l’interlocuteur et ainsi la détermination, même provisoire et sommaire, de contreparties identifiables et quantifiables dès l’entrée en pourparlers. En ce sens, l’absence de ces dernières est un indice pertinent de la soumission ou de sa tentative », Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023).

Car une tâche qui dans l’absolu peut apparaître comme une contrepartie, n’en est probablement pas une lorsque celui qui doit la payer n’en a pas le besoin et s’en passerait d’autant plus qu’il connait la véritable raison de l’avantage occultée par l’avenant et conduisant à la remise en cause du prix initialement convenu (rappr., Paris, 24 avr. 2024, n° 22/11109, Lettre distrib. 06/2024).

A moins qu’il suffise de proposer une contrepartie pour pouvoir exiger une rémunération, y compris par la force de l’importance du débouché que la puissance confère ?

La raison du plus fort est toujours la meilleure nous enseignait Jean de la Fontaine (Le loup et l’agneau).

Mais alors, à quoi bon toutes ces règles si c’est pour qu’il en soit ainsi ?

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de septembre 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Escompte et non-respect du délai contractuel de paiement : une fâcheuse combinaison pour un avantage sans contrepartie.

Il ressort d’un communiqué de juillet 2024 paru sur le site de la DGCCRF, que la DREETS Grand Est a enjoint le 15 juillet dernier à la société SA AUBERT FRANCE, de cesser de percevoir au plus tard le 15 octobre 2024, des escomptes sur des factures payées au-delà du délai contractuellement prévu pour bénéficier d’une telle réduction, cette pratique constituant une obtention d’avantage sans contrepartie prohibée par l’article L. 442-1 du code de commerce.

En cas de non-respect, l’injonction prononcée est assortie d’une astreinte journalière de 10.000 euros par jour de retard dans l’exécution de la mesure et ce, pour une durée maximale de 120 jours à compter du 15 octobre 2024.

Le communiqué n’en dit pas davantage.

L’escompte en question ressortait il des CGV du fournisseur ?

Le délai « contractuel » était-il celui prévu dans ces mêmes CGV, éventuellement mentionné titre informatif par les parties dans leur accord commercial ou avait-il force obligatoire entre ces mêmes parties à raison d’un accord ferme sur la pratique d’un délai de paiement donné, en contrepartie de laquelle cet escompte était octroyé (devant être à ce titre mentionné sur la facture du fournisseur) ?

Mais peu importe puisqu’au bout du compte, le bénéfice de l’escompte supposait, par définition, un paiement avant une date donnée et non après cette dernière, en sorte qu’un paiement tardif ne le justifiait plus quand bien même – ce que nous ignorons – l’escompte aurait-il été mentionné sur la facture du fournisseur à titre de réduction de prix acquise (cf. L. 441-9 du code de commerce) du fait des engagements pris par les parties, et notamment en l’espèce du débiteur.

Le sujet n’est pas nouveau et nous nous étions incidemment arrêtés sur ce dernier à l’occasion d’une précédente information (Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163, Lettre distrib. 02/2023,  et RLC 4399, Mars 2023, n° 125, nos obs.).

Et s’il avait été question de voir appliquer autre chose qu’un escompte, cela aurait été plutôt de notre point de vue, des pénalités de retard et l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement (cf. art. L. 441-9 et L. 441-10 du code de commerce).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Aménagement conventionnel de la prescription, rupture brutale et avantage sans contrepartie.

Paris, 29 mai 2024, n° 21/18408

Affaire SARL NPS c./ SAS Achats Marchandises Casino et SAS Distribution Casino France.

 

1. Faits.

Au cours de l’année 2015, la société NPS (« NPS ») ayant pour activité la fourniture d’installations de système de sécurité, s’est rapprochée de la centrale d’achat du groupe Casino, la société AMC (« AMC ») qui négociait pour le compte des filiales du groupe Casino, dont la société Distribution Casino France (« DCF »), les conditions tarifaires d’achat de produits ou de services auprès de fournisseurs, afin de fournir au groupe Casino des installations de systèmes de vidéosurveillance de ses magasins (ensemble dénommés « Casino »).

Un contrat cadre de référencement a été conclu le 1er juin 2015 avec NPS pour une période initiale d’un an.

Des commandes ont été passées par DCF auprès de NPS pour les systèmes précités et produits annexes que NPS a installé dans près de 200 magasins.

Les commandes ont cessé en septembre 2016.

En application du contrat cadre de référencement, des ristournes de fin d’année (RFA) ont été versées à DCF à hauteur de 199.148,75 euros TTC au titre de l’année 2015 et de 108.505,84 euros au titre de l’année 2016.

Après l’arrêt de la relation commerciale entre Casino et NPS, cette dernière a assigné en février 2020 AMC et DCF aux fins de condamnation à lui régler des factures demeurées impayées suite à l’accomplissement de prestations techniques, de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale et à restituer des sommes payées au titre de RFA que NPS considérait comme des avantages sans contrepartie.

Débouté pour l’essentiel (dont de sa demande au titre de la rupture brutale à raison du caractère non établi de cette dernière du fait de son caractère ponctuel, malgré l’important investissement de Casino pour équiper ses magasins), NPS a interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris, qui rend un arrêt en grande partie confirmatif.

 

2. Problèmes et solutions.

A nos yeux, le sujet premier de cet arrêt est celui de la fin de non-recevoir à maintes reprises soulevée par Casino, à raison d’une clause du contrat de référencement prévoyant une prescription abrégée par rapport au délai de 5 ans en matière commerciale.

Quelques remarques seront néanmoins formulées sur le caractère justifié ou non des RFA sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° et 3° dans sa version alors applicable.

1er problème : la prescription des actions en justice à raison d’une clause d’aménagement conventionnel du délai de prescription.

Sur l’action en paiement des factures du fournisseur.

Celle-ci se heurtait, selon Casino, à une clause du contrat cadre de référencement stipulant que « Les parties conviennent que, par dérogation aux dispositions de l’Article L.110-4 du Code de Commerce, toute créance non revendiquée dans un délai de deux ans à compter de son exigibilité sera prescrite » (article 4.4 du contrat de référencement intitulé « Paiement » sous le Titre « Article 4 Conditions tarifaires-facturation-paiement »).

Casino soutenait que la demande en paiement était prescrite, faute pour NPS d’avoir interrompu le cours de la prescription par la délivrance d’une assignation.

NPS lui opposait que cette clause n’exigeait pas la délivrance d’une assignation pour interrompre le cours de la prescription, mais seulement que la créance soit « revendiquée », ce qui avait été entrepris dans le délai de deux années de l’exigibilité de la créance au moyen de courriels et courrier recommandé.

Solution.

La Cour approuve NPS en ces termes :

« Cette clause, comme le soutient la société NPS en application de l’article 2254 alinéa 2 [disposant que « les parties peuvent (…) d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi »], ajoute également à la cause d’interruption de la prescription prévue à l’article 2241 du code civil, en employant les termes d’exigibilité de « toute créance non revendiquée » pour déterminer le point de départ du délai de prescription réduit à 2 ans. En effet, cette clause en faisant référence à la revendication de la créance, vise une notion plus large que l’acte introductif d’instance, et peut dès lors recouvrir une demande formelle telle que celle formulée par le conseil de la société NPS par lettre recommandée du 22 octobre 2018 avec accusé de réception de Casino Service du 25 octobre 2018 (pièces NPS n° 7 et 12) en ces termes : (…).

Aussi, cette lettre reçue le 25 octobre 2018 par la société Distribution Casino France doit être analysée comme une « revendication de créance » de la société NPS au sens de la clause litigieuse et constitue dès lors une cause interruptive de la prescription pour être intervenue dans le délai de deux ans de la date d’exigibilité (45 jours, fin de mois, date facture) des factures émises entre le 22 novembre 2017 et le 21 mars 2018. Il s’en suit que l’action en paiement de ces factures (…) introduite devant le tribunal de commerce par acte d’huissier délivré les 17 et 20 février 2020, n’est pas prescrite en application de l’article 4.4 du contrat de référencement ».

Sur l’action en responsabilité pour rupture d’une relation commerciale établie.

Celle-ci se heurtait à nouveau, selon Casino, au contenu de la clause précitée. NPS lui opposait, entre autres que le fondement de son action n’était pas le contrat mais la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle prévue à l’article L. 442-6, I, 5°, en sorte que la clause contractuelle de prescription était inapplicable.

Solution.

La Cour juge l’action non prescrite.

Dans la première branche de sa solution, elle estime que :

« L’article 4.4 reproduit ci-dessus a pour objet d’organiser les modalités et délais de règlement des prestations du fournisseur et de régler toute difficulté liée au retard de paiement ou de paiement en cas de mauvaise exécution de la prestation fournie par NPS.

Aussi « toute créance » visée au dernier alinéa de cet article recouvre uniquement les créances relatives au paiement des prestations exécutées, en sorte que l’action en paiement d’une indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale établie n’est pas visée par cet article. En toute hypothèse, le point de départ du délai de prescription visé à l’article 4.4 est l’exigibilité de la créance, or la créance indemnitaire « revendiquée » par la société NPS n’est en l’état ni certaine ni liquidée ».

Puis, dans une deuxième branche et après avoir écarté l’application de la clause, elle rappelle la règle concernant le cours de la prescription et notamment son point de départ en matière d’action à raison de la rupture d’une relation commerciale établie :

« Selon l’article 2224 du code civil, la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. Le point de départ de la prescription d’une action fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie est constitué par la notification de la rupture à celui qui s’en prétend victime, dès lors que celui-ci a connaissance, à cette date, de l’absence de préavis et du préjudice en découlant, et sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’éventualité d’une faute de sa part ayant pu justifier que l’auteur de la rupture ait mis un terme à la relation sans préavis ( en ce sens Com., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-24.441 publié). La rupture de la relation commerciale étant intervenue selon la société NPS lors de la cessation des commandes en septembre 2016, l’action indemnitaire introduite par actes d’huissier délivrés les 17 et 20 février 2020 moins de cinq années à compter de cette rupture, n’est pas prescrite ».

Sur la demande en restitution des RFA.

Entendre par cela les ristournes de fin d’années perçues par Casino à raison de leur caractère injustifié.

Casino invoquait à nouveau la fin de non-recevoir, toujours à raison de la prescription au regard de la clause précitée et, une fois encore, NPS faisait notamment valoir que sa demande en restitution des RFA n’était pas fondée sur le contrat, mais sur les dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° ancien prévoyant un régime de responsabilité délictuelle, en sorte que la clause conventionnelle de prescription n’était pas applicable à sa demande.

Solution.

Reprenant la première branche de la solution précédente, la Cour relève que NPS fondait sa « demande de « remboursement » tant sur l’article L. 442-6 du code de commerce que sur les articles 1169 et 1302-1 du code civil ».

Elle considère donc que l’action de NPS, qu’elle soit indemnitaire ou fondée sur la répétition de l’indu, n’était pas visée par l’article 4.4 précité et qu’en toute hypothèse, le point de départ du délai de prescription visé à l’article 4.4 était l’exigibilité de la créance, qui faisait défaut en l’espèce puisque la créance indemnitaire « revendiquée » par NPS n’était en l’état ni certaine ni liquidée.

Analyse.

Les clauses aménageant la durée de la prescription se rencontrent fréquemment en pratique, le plus souvent pour l’abréger.

Un raccourcissement de cette durée, qui ne peut toutefois être ramené à moins d’un an et sous réserve qu’il ait été consenti sans avoir été imposé (voir à ce sujet le moyen du déséquilibre significatif soutenu par le demandeur à raison de la réduction à deux années du délai de prescription), a l’avantage de permettre aux parties d’être exposées moins longtemps à des actions en justice à raison de leur commerce passé, que ne le prévoit l’article L. 110-4 du Code de commerce disposant d’un délai quinquennal.

Toutefois, pareil aménagement peut provoquer des effets délétères pour celui qui, bien qu’en situation d’engager une action en justice aux fins d’être rétabli dans ses droits, ne prendra souvent pas l’initiative d’interrompre le cours de la prescription abrégée tant qu’il demeure en relation commerciale avec l’auteur de son dommage.

Malheureusement, une fois l’initiative prise, après l’arrêt de la relation commerciale – donc hors de portée de toute mesure de rétorsion et bien que dans le délai de droit commun de cinq ans – il est parfois trop tard pour faire valoir tout ou partie de ses droits à raison du délai abrégé convenu.

Car, tel un purgatoire, la prescription abrégée œuvre, le temps s’écoulant, à la manière d’un « reset » des droits en cause, en sorte que le risque financier pour l’auteur de la pratique abusive se voit bien plus contenu que ce que ne le permettrait, selon la même mécanique, la prescription de droit commun.

Lors de la signature des accords contenant un aménagement conventionnel de prescription abrégée, la partie non coutumière des contentieux de pratiques abusives, aurait plutôt tendance à ne pas se préoccuper de la subtilité, à la différence de celle qui y est davantage confrontée et pour laquelle il peut être intéressant, dès le début de la relation contractuelle, de chercher à se doter d’un bouclier efficace (mais pas toujours) face à des demandes sur le fond justifiées, mais présentées hors délai.

La question de l’aménagement contractuel de la prescription lorsqu’il est question d’actions fondées sur des règles tirées du droit des pratiques restrictives, d’ordre public, peut donner lieu à débat, avec à la clé la force obligatoire ou non de l’aménagement contractuel et donc une prescription courte ou plus longue.

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris a traité de cette question de l’efficacité des clauses régissant la prescription y compris au titre d’action en responsabilité délictuelle, bien que les débats n’y apparaissaient pas totalement clos et qu’il semblait nécessaire « d’attendre le rebond », dans le cadre d’un effet « trampoline » (Paris, 3 avr. 2024, n° 21/14643, Lettre distrib. 05/2024, obs. A. Louvet ; rappr. sur la nature délictuelle de l’indemnité pour rupture brutale, Paris, 12 juin 2024, n° 21/18306).

Ce rebond a bien eu lieu ici, mais ce n’est pas le bon.

Dans l’arrêt commenté, les discussions sur la fin de non-recevoir pour prescription n’ont pas porté sur le caractère licite ou non de l’aménagement contractuel eu égard à la matière en cause.

Dès lors, la Cour, non directement saisie de la question, ne s’est pas ouvertement repenchée sur le sujet, ne s’intéressant qu’au domaine matériel de la clause emportant un tel aménagement, pour dire non prescrites les actions engagées faute de relever du délai de prescription abrégé.

L’effet « trampoline » se poursuit donc. Il est complété pour ce qui est du paiement des factures du fournisseur d’un effet « boomerang » pour le débiteur, à raison de la reconnaissance par le juge de la revendication comme cause supplémentaire d’interruption de la prescription, outre la demande en justice.

Car c’est à tort que l’auteur de la clause a pu estimer que celle-ci, qui ne qualifiait pas expressément la revendication de la créance comme cause d’interruption de la prescription, ne visait qu’à déroger à l’article L. 110-4 du code de commerce au plan de la durée de prescription et non des causes d’interruption telles que prévues par la loi et notamment l’article 2241 du code civil.

Une rédaction différente eut peut-être été de nature à éviter cette issue.

 

2ème problème : le caractère justifié ou non des RFA en fonction des volumes et non d’un chiffre d’affaires.

NPS soutenait que la RFA prévue au contrat de référencement dont le taux était calculé en fonction du nombre de sites sur lesquels avaient installés ses systèmes et non du chiffre d’affaires réalisé, n’était pas une remise quantitative car aucun seuil de chiffre d’affaires n’était mentionné pour son attribution et qu’il s’agissait donc d’une simple prime de référencement prohibée par les articles L. 442-6, I 3° et L. 442-6 II b dans leur version applicable au litige.

C’était peut-être trop vite oublier que, par équivalence, le chiffre d’affaires se déduisait des volumes, eux-mêmes dépendant du nombre de sites installés, et qu’au bout du compte l’arrêt observe notamment que le chiffre d’affaires s’est élevé à 2,59 M € H.T. entre juin 2015 et août 2016.

NPS ajoutait que cette RFA était sans contrepartie, aucun service spécifique légitime n’ayant été rendu à NPS pour justifier du paiement d’une remise de 10% du chiffre d’affaires annuel et qui de surcroît était disproportionnée.

Solutions.

Sur le premier sujet, la Cour juge que :

« les ristournes de fin d’année telles que définies dans le contrat de référencement n’étaient pas exigées préalablement à la passation de toute commande, mais conditionnées à des volumes d’installation de système de vidéosurveillances et assises sur le chiffre d’affaires généré par ces installations. Il s’en déduit que les primes litigieuses ne sont pas des avantages avant toute commande ou une prime de référencement prohibés par l’article L.442-6 I, 3° et II b) ».

Sur celui de la licéité des RFA au regard de l’ancien article L. 442-6 I 1°, la Cour juge que :

« Les ristournes convenues entre les parties sont des réductions de prix conditionnées à des paliers de volume d’affaires, à savoir un certain nombre d’installations de système de surveillance sur les sites Casino et assises sur le chiffre d’affaires réel réalisé en fin d’année. Ces ristournes ne sont donc pas dépourvues de contrepartie et constituent une incitation pour les sites Casino à s’équiper auprès de la société NPS, étant observé que cette dernière a réalisé avec le groupe Casino un chiffre d’affaires de 2,59 M€ HT entre juin 2015 et août 2016. La société NPS ne démontre pas en quoi les différents paliers de ristournes et le montant effectivement versé à ce titre pour un montant total de 256 379 euros HT constituent un avantage manifestement disproportionné au bénéfice des sociétés du groupe Casino ».

Analyse.

Ces solutions n’appellent que peu d’observations.

D’une part, l’ancienne pratique sanctionnée per se sur le fondement du 3° de l’ex article L. 442-6 I qui, jusqu’à son abrogation à l’occasion de l’ordonnance du 24 avril 2019, était désignée par le terme de « prime au référencement » (rappr. Versailles, 18 mai 2006, n° 04-8829, Lettre distrib. 10/2006 ; Paris, 6 juillet 2011, n° 10/08832 ; CEPC, Avis n° 16-8, Lettre distrib. 03/2016, obs. S. Chaudouet ; Paris, 19 avr. 2017, n° 15/24221, Lettre distrib. 05/2017, obs. N. Eréséo ; Trib. com. Paris, 10 oct. 2022, n° 2021000304, Lettre distrib. 12/2022, nos obs.), aurait supposé l’acquittement d’un avantage avant toute commande. Ce n’était pas le cas ici.

D’autre part, en ce qui concerne l’examen de la pratique de la RFA sur le fondement du 1° de l’ex article L. 442-6 I°, la Cour confirme une nouvelle fois l’application large de ce dispositif, dans la continuité de la solution donnée par la Cour de cassation (Com, 11 janv. 2023, n° 21-11.163, Lettre distrib. 02/2023 et RLC 4399, n° 125, 2023, p. 31 et s.nos obs.) et, en l’espèce, son application aux ristournes objet du litige.

La pratique relevant ainsi pleinement du domaine de l’article L. 442-6 I 1°, il restait à l’examiner sous l’angle de ce dispositif, dont on rappelle qu’il se loge actuellement dans l’article L. 442-1 I 1°, moyennant une formulation plus ouverte.

La Cour juge que ces ristournes sont conditionnées à (l’atteinte) des paliers de volume d’affaires, à savoir un certain nombre d’installations de systèmes de surveillance sur les sites Casino et qu’elles étaient calculées sur la base du chiffre d’affaires réel réalisé en fin d’année du fait des volumes en question.

La prévision de ces ristournes, pour autant que les conditions posées pour leur octroi soient vérifiées, constituait une « incitation » pour les sites Casino à s’équiper auprès de la société NPS et à permettre à cette dernière de développer son chiffre d’affaires à cette occasion. C’est l’essence même d’une RFA conditionnelle.

La solution, en ce qu’elle vise les volumes de vente, rappelle celle de la même Cour à la faveur d’un certain arrêt « Gelco » (Paris, 13 sept. 2017, n° 15/24117, Lettre distrib. 11/2017, obs. N. Eréséo ; rappr. Paris, 22 mars 2017, n° 14/26103, nos obs., Lettre distrib. 05/2017 ; Avis CEPC n°18-2 ou CEPC Avis n° 16-8, préc.), pourtant un temps malmenée par la même Cour, jusqu’à la correction bienvenue opérée par les sages du Quai de l’horloge en janvier 2023 (Com., 11 janv. 2023, préc.).

En l’espèce justifiée, attention néanmoins à ce qu’en soi, l’identification d’une « incitation », ne soit pas de nature à ouvrir la boîte de Pandore pour certains autres avantages, si l’on considère qu’en règle générale, des concessions tarifaires ont pour finalité d’inciter diversement l’avantagé (rappr. Paris, 25 oct. 2023, n° 21/11927, Lettre distrib. 12/2023 et RLC 4575, n° 134, 2024, p. 18 et s., nos obs.).

Au bout du compte et si ces dernières solutions de fond sont toujours intéressantes à garder en mémoire, alors que les prochaines négociations commerciales pour 2025 vont bientôt s’engager, l’apport essentiel de cet arrêt réside selon nous davantage dans les enseignements retirés sur la question de l’aménagement conventionnel du droit d’agir et qui doivent amener les parties à bien mesurer les incidences futures de tels aménagements.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de juillet-août 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Négociation commerciale, « 3Net » et « habillage ».

Paris, 24 avril 2024, n° 22/11109

S.A.S Laboratoires Prodene Klint c./ S.A. Orapi.

 

1. Faits

La société Laboratoires Prodene Klint (ci-après « LPK ») a pour activité la fabrication de savons, détergents et de produits d’entretien, notamment à destination des professionnels, sous marques propres et marques de distributeurs.

Elle a noué des relations commerciales avec la société Orapi (ci-après « Orapi »), elle-même fournisseur ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de produits d’hygiène et d’entretien à usage professionnel, sous marques propres et marques distributeurs.

La relation commerciale entre ces sociétés s’est déployée durant de nombreuses années.

En un premier temps, elle a été formalisée en février 2010 par un contrat de référencement, aux termes duquel la deuxième référençait la première « pour la fourniture des produits et/ou matériels » contractuellement désignés.

Ce contrat fut résilié le 13 décembre 2012 à l’initiative de LPK.

La relation s’est alors poursuivie sous la forme de commandes successives.

De 2015 à 2017 (période couverte par les demandes de LPK de restitution d’un certain nombre d’avantages perçus par Orapi et que LPK estimait sans contrepartie), les parties ont conclu annuellement un certain nombre de conditions commerciales spécifiques formalisées par des « fiches d’accord fournisseur », prévoyant des remises sur factures intitulées, selon les années, « RFA », « prestations services » ou « accords ».

L’arrêt nous indique que les remises inconditionnelles étaient calculées et facturées trimestriellement par la société Orapi sur la base du volume d’achat réalisé sur une période de référence (voir remarque sur ce sujet dans nos observations).

En décembre 2019, Orapi a assigné LPK devant le Tribunal de Commerce de Paris pour obtenir le paiement de plusieurs factures.

A titre reconventionnel, LPK sollicitait alors le remboursement de remises indûment perçues par Orapi au titre des années 2015 à 2018, outre la condamnation d’Orapi au titre de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies.

Dans un jugement du 11 mai 2022, le Tribunal de commerce de Paris estimait que les demandes de restitution au titre de l’année 2015 étaient prescrites, mais condamnait Orapi à rembourser à LPK les avantages financiers perçus au titre des années 2016 à 2018.

En appel, la Cour d’appel de Paris confirme le premier jugement.

Le deuxième chef de demande concernant la rupture brutale partielle de relation commerciale établie, infructueux tant en première instance qu’en appel, ne sera pas abordé ci-dessous.

 

2. Problème

L’arrêt aborde différentes questions fréquemment rencontrées en ce type de contentieux des restitutions que nous nous contenterons d’énoncer au début de nos observations, pour nous concentrer sur l’incidence d’un certain jargon employé au cours de la négociation commerciale.

Plus précisément, le terme « habillage » (ou ses dérivés tels qu’habiller, rhabiller, déshabiller) utilisé dans des messages échangés entre un fournisseur et un acheteur à l’occasion des négociations commerciales, signifie-t-il en lui-même que les avantages tarifaires en découlant, sont illicites et constitutifs d’un avantage sans contrepartie au sens des dispositions de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce (à ce jour L. 442-1 I 1° dudit code) ?

 

3. Solution

La Cour d’appel retient que « si le fait d’utiliser le terme  « habillage » ne signifie pas, en lui-même, qu’il s’agissait de remises illicites constituant un avantage sans contrepartie au sens des dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce, il ne peut se déduire des échanges produits que les remises litigieuses, qui aboutissaient invariablement, à compter du 1er juillet 2015, à 13 % du tarif, étaient négociées en référence à des prestations spécifiques identifiées distinctes de l’opération de vente. »

4. Observations

Evacuons d’emblée les sujets, que nous nous devons de signaler, sans les commenter.

Citons celui de l’application de l’article L. 442-6 I 1° aux relations de « référencement », celui du rappel de la mécanique probatoire applicable selon laquelle, en réponse aux demandes de la partie qui s’estime victime pour s’être acquittée d’un avantage sans contrepartie, la bénéficiaire de l’avantage se doit de « justifier la spécificité des services qu’elle a rendus au titre de ces remises ou ristournes (…) », de la qualification des avantages licites « en ce qu’ils donnent droit à un avantage particulier au fournisseur en stimulant la revente de ses produits, ces services devant par conséquent aller au-delà des simples obligations résultant des opérations d’achat-vente » (à rappr. Paris, 29 nov. 2023, n° 22/03166 : Lettre distrib. 01/2024 nos obs. et RLC 4600, février 2024, n° 135, p. 41 et s, obs. C. Mouly Guillemaud et JM. Vertut ; Paris, 6 sept. 2023, n° 21/19954 : Lettre distrib. 11/2023, nos obs.) et « de démontrer la réalité de ces services, cette dernière ne pouvant résulter du seul fait que les factures aient été payées sans réserve ».

Citons aussi l’exigence de précision en l’espèce par des éléments matériels tels que des annexes ou des échanges entre les parties, du contenu des contreparties au titre des avantages perçus au-delà des termes génériques les désignant (à rappr. sur l’exigence de précision en matière de transparence tarifaire : RLC 3226, juillet-Août 2017, n°63, p. 43 et s., nos obs.), mais encore du point de départ du délai de 5 ans pour la prescription de l’action en restitution des avantages indus engagée par la victime ou, enfin, de la nécessité pour la partie qui s’estime créancière de l’autre au titre d’une ristourne de fin d’année, de prouver l’existence de sa créance pour l’année considérée et non de se fonder sur des accords au titre de l’année précédente.

Pour en revenir à la question posée, disons-le tout de suite : évoquer un « habillage » n’est généralement pas  des plus heureux en droit et du meilleur effet aux yeux du Juge.

Il l’est encore moins dans le domaine du droit des pratiques restrictives qui l’aborde en tant que fléau, notamment lorsqu’il est question de contrôler la réalité et la proportionnalité des avantages consentis à l’occasion de la négociation commerciale pour parvenir au « 3 x net ».

Paradoxalement, le spectacle que « l’habillage » donne de la négociation commerciale met en scène un comportement si ancien qu’il pourrait presque apparaître comme tout neuf lorsque le juge s’y penche spécialement dans son arrêt.

Pour mémoire de la stigmatisation de pareille cosmétique, la même Cour d’appel a jugé dans le cadre d’un litige dans l’univers de la grande distribution, que « Les premiers juges ont justement retenu que l’ensemble des services analysés ci-dessus ne constituent qu’un habillage ne recouvrant aucune réalité économique, sinon la volonté de fausser les prix de transaction et le seuil de revente à perte » (Paris, 2 février 2012, n° 09/22350, et Com. 10 septembre 2013, pourvoi n°12-21804 ; à rappr., au plan correctionnel, Cass. Crim. 25 juin 2008 – 07-80.261 suite à un arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 21 décembre 2006).

Nous observerons au passage que le litige ici rapporté s’est noué dans un univers autre que celui des relations entre fournisseur et grand distributeur, ce qui témoigne, si besoin était, de la mise en œuvre de la règlementation du contrôle des avantages abusifs bien au-delà de cet univers.

La solution apportée se déploie en deux branches.

Une première branche, d’ordre général : l’emploi du terme  « habillage » ne signifie pas que l’on est ipso facto en présence de remises illicites au sens de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce (signalons qu’il est tantôt fait état dans l’arrêt de remises « sur facture », tantôt de remises inconditionnelles calculées et « facturées » trimestriellement par la société Orapi sur la base du volume d’achat réalisé sur une période de référence. Bien que, selon nous, de telles indications puissent provoquer un inconfort pour la bonne compréhension de l’observateur quant à la modalité du traitement de l’avantage par soit le fournisseur, soit l’acheteur, elles ne semblent pas bloquantes outre mesure lorsqu’il est question d’analyser l’espèce sur le fondement de l’article précité).

La deuxième branche pose la solution apportée au cas particulier et dont il ressort que « l’habillage » n’est en l’espèce pas licite.

Les échanges reproduits dans l’arrêt, en ce qu’ils se rapportaient à l’année 2015 (bien que couverte par la prescription), 2017 et 2018, apparaissent assez explicites pour considérer qu’il ne s’agissait pas que de formaliser les conditions de la négociation commerciale dans les règles de l’art, mais plutôt de leur inventer une forme. De les scénariser en quelque sorte.

A titre d’exemple, retenons un message de février 2015 et dont l’objet était « Tarif Orapi Hygiène » adressé par le fournisseur à son client « (…) Il est aisé de constater qu’Argos [Orapi] bénéficie de conditions très compétitives. Je te remercie de me confirmer l’habillage souhaité pour ces tarifs ainsi que leur date de mise en application. Pour ma part, une validité à partir de mai serait idéale. (…) ».

Relevons en outre un message, quelques trois mois plus tard « Re : Tarif Orapi Hygiène », « (…) j’ai besoin de valider nos accords Orapi Hygiène au plus vite qui annuleront et remplaceront nos accords PHS et Argos en vigueur : Du tarif joint je retiens la colonne F comme étant notre 3 x net. Il faut rhabiller de 13 %, ce qui correspondra à notre tarif applicable à compter du 1er juillet. 3 % restent à la centrale et 10 % sont reversé aux affiliés. Ci-joint l’accord 2015 OH 07 à 12 correspondant à ce tarif à rhabiller qui démarre au 2er juillet, merci de me le retourner signé. (…) ».

De même, un message d’Orapi du mois de juin 2018 à une entreprise tierce indiquait « Bonjour, le prix que vous nous confirmez est-il habillé de 13 %. Cordialement » et se voit accompagné du commentaire suivant « Comment veux-tu que je réponde sachant que nous n’avons pas d’accord 2018 pour le moment avec les 13 % de remise »).

Autant d’illustrations pouvant laisser entendre qu’il avait été un peu perdu de vue la ratio legis du cadre légal de la négociation commerciale.

Le prix « 3net » – en droit en tout cas – est le point d’aboutissement de la négociation commerciale d’obligations réciproques et non un prix de référence convenu de gré à gré, sur lequel sont ensuite projetées voire expédiées à rebours, de manière artificielle et contraire au cadre règlementaire de la négociation, autant de contreparties et d’avantages correspondant pour expliquer ledit prix.

Nous nous garderons de tirer de plus amples conclusions à propos des négociations rapportées dans l’espèce, dont seuls certains échanges sont relatés, bien qu’une proposition formulée en décembre 2017, par l’une des parties à l’attention de l’autre, à l’occasion des négociations pour 2018, semble à tout le moins souligner une certaine propension à certains « raccourcis » en matière de dégradation tarifaire voire de quelques libertés au plan de la formalisation (« (…) Pour 2018, je vous propose que nous déshabillions notre tarif des accords afin que nous retrouvions un 3 x net et éviter le flux administratif de facture »).

Le fait, comme cela ressort en d’autres points de l’arrêt, que la plupart des produits concernés soient des produits de MDD n’y est peut-être pas étranger compte tenu de la singularité de la négociation de ce type de biens.

Toujours est-il que la Cour d’appel, bien que non liée par la terminologie « vestimentaire » employée, estime qu’il ne peut se déduire des échanges produits que les remises litigieuses, qui aboutissaient invariablement, à compter du 1er juillet 2015, à 13 % du tarif (à rappr. Cass. Com. 11 septembre 2012, pourvoi 11-14620), étaient négociées « en référence » à des prestations spécifiques identifiées distinctes de l’opération de vente.

Son analyse s’appuie en outre sur le constat de l’imprécision des contreparties énoncées, sans démonstration de leur consistance (à rappr. Avis CEPC n° 04-04 concernant certaines clauses contenues dans des conditions d’achat ; TGI Evry, 26 juin 2007, 5e Ch. Correct., n° 0626550025, confirmé la Cour d’appel de Paris du 28 janvier 2009, n° 07/11329. Solution rendue sur le fondement de l’ancien article L. 441-7 du Code de commerce mais transposable ; Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 5, 24 mars 2011, n° 10/02616 ; Cass. Com. 11 septembre 2012, préc. ; Cass. Com. 3 mars 2021, n° 19-13.353).

La Cour d’appel approuve alors les premiers juges d’avoir « de façon pertinente, constaté qu’aucune annexe, aucun échange entre les parties versé aux débats, ne vient préciser ce que les partenaires entendaient viser par les termes « information », « formation », « stratégie », « MEA », « trade », « animation » et qu’en particulier aucun élément ne permet de laisser penser qu’il y aurait eu une gamme de prestations offertes par Orapi parmi lesquelles LPK aurait été conduite à choisir ou négocier ».

Ainsi donc, malgré la mansuétude apparente de la solution de principe selon laquelle le terme « habillage » ne signifie pas, en lui-même, que l’on est en présence d’une remise illicite, cette pratique n’en reste pas moins un indice des plus sérieux.

D’ailleurs, à quoi bon évoquer un tel « habillage » (ou rhabillage) si la situation à habiller n’a pas à l’être ?

Conseil pratique à l’attention des négociateurs : sur la forme, attention aux abus de langage. Préférer devoir « formaliser » une négociation menée de manière régulière, qu’« habiller » après coup une négociation menée de manière irrégulière.

Car sur le fond, gare aux « habillages » interdits, tant il est à craindre que forme et fond se rejoignent au carrefour de l’illicite.

Alors, privilégier le fond mais sans négliger la forme.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de juin 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Revente à perte de produits dégradés : la non revente « en l’état », pis-aller faute d’exception adaptée.

Avis n° 24-6 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats sur l’application de l’interdiction de revente à perte aux produits imparfaits

1. Faits et problème.

La CEPC s’est prononcée sur l’application de l’interdiction de la revente à perte à des produits imparfaits.

Entendre par cela, au sens et dans le contexte de l’avis, des produits non alimentaires dégradés ou présentant des défauts et plus spécialement, des produits achetés « intacts » par le revendeur et qui auraient ensuite subis une dégradation ou une certaine usure, par exemple du fait de leurs expositions dans le magasin ou d’essayages répétés par les consommateurs.

Ce faisant, les revendeurs feraient face à des difficultés pratiques pour écouler ce type de produits, leur valeur étant dépréciée de manière significative aux yeux des consommateurs, qui ne seraient disposés à les acheter qu’à un prix très bas et donc potentiellement inférieur au seuil de revente à perte.

Dans ces circonstances, la revente de ces produits peut-elle s’effectuer à perte ?

 

2. Solution.

Selon la CEPC :

« il semble raisonnable de considérer qu’un produit acheté intact [par le revendeur] et qui aurait ensuite subi une dégradation ou une certaine usure, par exemple du fait de son exposition dans le magasin ou d’essayages répétés par les consommateurs, ne serait pas à proprement parler revendu en l’état au sens de cet article. ».

Il sera aussi formulé ci-après une observation sur l’autre situation évoquée par l’avis, traitant de la revente de produits acquis par le revendeur avec défauts ou imperfections préexistants.

 

3. Observations.

Rare procédé encore pénalement sanctionné, alors que les pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées tombent dans une large mesure sous le coup de sanctions civiles depuis 2008 et de sanctions administratives depuis la loi du 17 mars 2014, y compris s’agissant du non-respect des règles de facturation depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019, les problématiques de revente à perte, certes moins fréquentes que par le passé, reviennent néanmoins régulièrement sur les devants de la scène, soit du fait de l’actualité promotionnelle (cf. document « Résultat 2018 de la DGCCRF », p.17, à propos d’une transaction pénale concernant un grand distributeur à raison de l’offre d’une célèbre pâte à tartiner accompagné d’une réduction de -70%), soit à la faveur d’interrogations de fond aux incidences pratiques importantes.

Les concernant, citons par exemple et en amont, celles de la conformité au droit européen de l’interdiction générale de revente à perte en droit français (CJUE, 7 mars 2013, aff. C-343/12, Lettre distrib. 04/2013 ; Douai ch. 2 sect. 2, 31 mars 2016, n°15/02238, Lettre distrib. 05/2016 et Com., 22 nov. 2017, n°16-18028, Lettre distrib. 12/2017, obs. MP. Bonnet-Desplan ; CJUE, 19 oct. 2017, aff. C-295/16, Lettre distrib. 11/2027, obs. J. Bouffard) ou celles, plus franco-françaises du champ d’application ratione personae de l’interdiction (Crim., 22 nov. 2006, n°06-83.008 ; CEPC, Avis n° 21-1 du 18 mars 2021, Lettre distrib. 05/2021, obs. T. Leichnig), ratione temporis (Crim., 6 déc. 2006, Lettre distrib. 02/2007) ou ratione materiae (Caen, 23 févr. 1989, BID 1989/9, p. 38 ; Crim., 22 nov. 2006, préc.) s’agissant de la notion de revente d’un produit « en l’état », entre autres conditions pour la caractérisation de l’incrimination.

La référence à la revente « en l’état » implique la revente du bien sans transformation.

La caractérisation d’une telle revente n’est pas toujours évidente et la jurisprudence n’est pas des plus riche sur la question, les contentieux sur le sujet étant relativement peu nombreux.

La transformation, exclusive de la revente en l’état, s’entend-t-elle par exemple d’une opération ne pouvant être opérée que par le revendeur entre l’acquisition du bien et sa revente ?

A partir de quel degré d’intervention sur le produit peut-on parler de transformation ?

Cette dernière peut-elle aussi, par exemple, s’opérer sous l’action d’un facteur extérieur au revendeur et ayant eu un impact sur « l’état » du bien, comme en l’espèce l’action des acheteurs potentiels sur le bien à l’occasion de l’essai de ce dernier et conduisant à ce que ce même bien, à le supposer encore « en l’état » ne soit plus en bon état ou état impeccable ?

La qualification de revente « en l’état » ou non sera déterminante lorsqu’il s’agira de dire prohibée ou licite telle revente, alors que n’auraient vocation à s’appliquer aucune des exceptions prévues à l’interdiction de revendre le bien en dessous de son prix d’achat effectif.

Une revente à perte et non « en l’état » d’un bien se place en effet hors du champ de l’incrimination, en sorte qu’il n’est plus nécessaire à sa licéité que la revente en cause relève d’une situation d’exception légale de revente à perte.

Evoquant une « éventuelle marge d’appréciation », la CEPC se montre favorable à une acception large et non excluante de la notion de revente « en l’état » pour un produit revendu qui n’a pas à proprement parler été techniquement transformé, mais plutôt matériellement dégradé.

Selon elle, la notion de « revente d’un produit en l’état (…) au sens de l’article L. 442-5 (…) implique sans conteste une absence de transformation significative du produit acheté par le revendeur. ».

Cette approche accueillante n’est pas dénuée de bon sens au regard des faits exposés dans l’avis, la liste des exceptions à l’interdiction ne permettant pas d’appréhender la situation ainsi décrite, ce qui est à regretter de notre point de vue, alors que certaines situations avoisinantes permettent l’écoulement des produits difficilement revendables autrement (ex. cas des produits ne répondant plus à la demande générale en raison de l’évolution de la mode etc.).

En l’espèce, la situation décrite n’a d’ailleurs manifestement pas comme objectif occulte de causer au revendeur « un îlot de perte dans un océan de profits » selon l’expression consacrée.

La solution donnée pourrait être transposée à bien d’autres situations que celle de la seule revente de vêtements.

On songe évidemment à l’écoulement de volumineux produits d’exposition pour lesquels les revendeurs appliquent parfois une réduction de prix.

La marge d’appréciation évoquée par la CEPC pourrait leur permettre, surtout en cas d’imperfection de la chose vendue, d’aller au-delà en revendant à perte et ainsi plus facilement libérer leurs précieux mètres carrés.

Mais si elle peut inspirer d’autres cas de figure, cette faculté impliquera néanmoins prudence et parcimonie et ne devra pas être détournée de la finalité rapportée dans l’avis.

Car attention, dans ce même avis, la CEPC est moins permissive s’agissant des produits initialement achetés « imparfaits » par le revendeur, même à son insu bien que cela ne soit pas expressément indiqué dans l’avis, et qui par la suite sont revendus avec cette même imperfection.

Ces derniers doivent être considérés comme revendus « en l’état » et la législation sur la revente à perte leur est applicable.

Les revendeurs, et notamment les intervenants sur les marchés de la seconde main et de la réutilisation, en plein développement, devront donc rester vigilants sur la question.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de mai 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Vente amont de produits agricoles : diverses problématiques transversales et/ou spécifiques.

Paris, 14 Septembre 2022, RG n° 22/00203

Paris, 13 mars 2024, n° 21/15034 (arrêt commenté)

E.A.R.L. La Fraiserie de Sologne c./ S.A.S. Prosol (Grand Frais)

 

I. Faits

Le litige a opposé un producteur agricole de fruits et légumes, l’EARL La Fraiserie de Sologne (« le producteur » ou « la Fraiserie ») et un distributeur, la S.A.S Prosol, exploitant les magasins Grand Frais (« le distributeur » ou « Prosol » ou « l’acheteur »).

Les relations commerciales entre ces derniers, non formalisées par contrat écrit, se sont nouées en 2014 et dénouées 2016.

Suite à leur cessation, le premier assignait le second en avril 2019 devant le Tribunal de Commerce de Lyon, pour le voir condamner à réparer divers préjudices qu’il estimait avoir subi au titre de retards de paiement, de l’obtention d’avoirs injustifiés, d’un manquement à l’obligation légale de formalisation d’un contrat d’achat pour les fruits et légumes ou rupture brutale des relations commerciales.

A titre reconventionnel, le distributeur, reprochant au producteur d’avoir jeté le discrédit sur ses produits et services (article de presse, billet sur un blog), sollicitait sa condamnation pour actes de dénigrement.

Débouté par jugement en date du 12 janvier 2021, le producteur interjetait appel, d’abord  devant la Cour d’appel de Lyon puis, mais passé le délai d’appel, devant celle de Paris à raison du monopole juridictionnel dont dispose cette dernière au second degré lorsqu’il est question de pratiques restrictives de concurrence.

Il se désistait par la suite de son premier appel et la procédure se poursuivait ainsi devant la deuxième Cour d’appel, sans que cette dernière estime tardif le deuxième appel (Paris, 14 Septembre 2022, RG n° 22/00203).

Dans un arrêt du 13 mars 2024, la Cour d’appel de Paris confirme quasiment en toutes ses dispositions le premier jugement, sauf en ce qu’il avait rejeté la demande du producteur au titre de sa demande de remboursement des avoirs litigieux et jugé que le distributeur avait rompu abusivement le contrat d’achat bien que, sur ce dernier point, le Tribunal n’eut pas prononcé de condamnation à dommages et intérêt faute pour le producteur d’avoir produits les éléments comptables et financier pour le chiffrage du préjudice invoqué.

Prosol voit de son côté confirmé le rejet de sa demande au titre des actes de dénigrement invoqués.

 

II. Problèmes et solutions

Certaines problématiques ici rencontrées, notamment au titre des pratiques restrictives, se veulent générales.

D’autres convoquent des débats plus spécifiques au plan de la commercialisation de produits agricoles, en l’occurrence des fruits, par un producteur auprès d’un premier acheteur, alors que les contentieux de l’amont sont encore peu fréquents mais pourraient à l’avenir l’être davantage (à rappr.  TJ Coutances, 30 août 2022, n° 21/01372T, Lettre distr. 10/2022 et Revue Lamy de la Concurrence n° 122, Décembre 2022, nos obs et en appel Caen, 5 décembre 2023, RG 22/02426 ; Bordeaux, 22 février 2024, n° 2022F01972, Lettre distr. 03/2024, obs. N. Eréséo).

1. Les enseignements ou rappels de portée générale.

1.1. Demandes indemnitaires nouvelles en appel en matière de rupture brutale.

Les demandes d’indemnisation de préjudices spécifiques (perte d’investissements réalisés, préjudice moral) causés par la brutalité de la rupture et non présentées en première instance ne sont pas jugées nouvelles par la Cour d’appel et sont donc recevables.

Pour rappel, des prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Les demandes en cause étaient explicitement rattachées à la réparation du préjudice globalement causé par la brutalité de la rupture.

Elles ont poursuivi ainsi la même fin réparatrice que la demande indemnitaire initiale dont elles augmentent le montant sans en modifier le fondement et l’objectif.

Au plan indemnitaire, tout n’est donc pas figé au stade de la première instance.

1.2. Objet des demandes des demandes, règles du non cumul des régimes de responsabilité et principe de réparation intégrale.

La Cour d’appel se penche sur le contenu des demandes pouvant avoir un même objet, associant pratiques restrictives de concurrence (régime délictuel) et manquement contractuel (régime contractuel) et conduisant, bien plus qu’à un cumul des responsabilités délictuelles et contractuelles, à la poursuite d’une double indemnisation d’un dommage (pour en l’espèce une indemnisation forfaitaire et globale), ce qui se veut contraire au principe de la réparation intégrale du préjudice.

Plus étonnement car en sens contraire d’un arrêt de la Haute Cour du 24 octobre 2018 (Com., 24 octobre 2018, n°17-25672, Lettre distrib. 12/2018 ou cité in Lettre distr. 02/2019, obs. C.MG) proclamant le contraire, suivi en cela par d’autres arrêts (Com., 10 avril 2019, n° 18-12882, Lettre distr. 05/2019, obs. C.MG. A rappr. Com., 25 septembre 2019, n° 18-11.112 aux termes duquel « il appartient à la Cour d’appel « de déterminer le régime de responsabilité applicable à cette demande et de statuer en conséquence », et Com., 2 octobre 2019, n° 18-10886, Lettre distr. 11/2019 ou Com., 6 nov. 2019, n° 17-26849, Lettre distr. 12/2019, obs. C. MG), la Cour d’appel estime que « la sanction du cumul n’est pas le rejet des demandes complémentaires de même objet mais (…) leur irrecevabilité », visant en ce sens un arrêt de la chambre commerciale du 4 décembre 2019 « illustrant une position ancienne et constante » (Com., 4 décembre 2019, n° 17-20.032).

Une auteure des plus autorisée a sur ce point considéré que cet arrêt n’emportait pourtant pas revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation sanctionnant les arrêts d’appel qui prononçaient l’irrecevabilité de l’ensemble des demandes lorsque le demandeur sollicite d’une part, la réparation de la rupture brutale en méconnaissance de l’article L. 442-6, I, 5° et, d’autre part, d’une inexécution d’un accord sur le fondement contractuel (Com., 4 décembre 2019, préc. Lettre distr. 01/2020, obs. C. MG).

Dans cette veine, il est d’ailleurs intéressant de relever que lors de l’analyse qu’elle mène sur la « rupture brutale du contrat et des relations commerciales », la Cour vise pourtant certain des arrêts précités (Com., 24 octobre 2018 ou Com., 10 avril 2019) qui ont statué à la défaveur de la sanction d’irrecevablité.

Mais au bout du compte pour la Cour, l’hypothèse n’est pas tant celle d’un cumul d’actions aux fondements incompatibles que celle de la poursuite de la double indemnisation d’un même préjudice, peu important la différence artificielle de quantum.

Et de dire cette fois-ci et dans son même arrêt, que la sanction « n’est pas l’irrecevabilité de la demande au titre des pratiques restrictives mais son rejet au fond », l’indemnisation additionnelle sollicitée heurtant de front le principe de la réparation intégrale.

Il est heureux que ce dernier principe permette, d’une certaine façon, de nous y retrouver au sein de cette motivation parfois complexe.

Alors et citant à nouveau l’auteure précitée, l’« on ne saurait donc trop insister sur le soin qu’il convient de prêter à la correcte formulation des demandes et des fondements qui les supportent » (Com. 4 décembre 2019, préc.) ou « de suggérer aux plaideurs, par sécurité, de hiérarchiser leurs demandes (…) » (Paris, 31 janvier 2019, n° 17/09972, Lettre distr. 02/2019, obs. C. MG).

1.3. Etat de dépendance économique : qualification et incapacité de négocier.

Le sujet est à relier à la caractérisation de la soumission de l’une des parties, comme condition préalable de l’incrimination du déséquilibre significatif.

Se trouve ici notamment évoqué, comme dans certains arrêts précédents, le « seuil de menace » au-delà duquel la survie de l’entreprise pourrait être compromise (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023 ou Paris, 10 mai 2023, n° 21/04967, Lettre distr., 06/2023, nos obs.; Paris, 7 juin 2023, n° 21/19733, obs. M. Silly), en tant qu’élément utile pour apprécier globalement l’état de dépendance économique invoqué.

En l’espèce, un tel état devait être relativisé, pour parvenir à la conclusion selon laquelle « la dépendance économique de l’EARL LFDS résulte de ses propres choix et n’est pas subie, tant à raison de la structure du marché que du comportement de la SAS Prosol. Elle n’est pas de nature à caractériser per se l’impossibilité générale de négocier, consentir et refuser qu’allègue l’EARL LFDS. ».

On se reportera à l’arrêt au plan des circonstances prises en considération pour parvenir à cette solution conduisant en l’espèce à rendre plus exigeante la démonstration de la soumission.

1.4. Existence de la contrepartie en tant qu’indice de la soumission.

Cette dernière (ou sa tentative) n’a pas été démontrée en l’espèce.

Il n’en demeure, la Cour d’appel rappelle une nouvelle fois que « si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement. » (à rappr. Paris, 15 mars 2023, préc.; Paris, 10 mai 2023, préc.; Paris, 7 juin 2023, préc.).

Cet indice, reconnu récemment, est maintenant bien installé.

1.5. Déséquilibre final dans les droit et obligations.

Enfin et à l’occasion de l’appréciation du caractère déséquilibré d’une faculté de résiliation unilatérale en cas de faute grave au seul bénéfice de l’acheteur, telle que prévue dans un article 9.2 du contrat communiqué en 2016 et que le producteur, se prévalant d’une dépendance économique envers le distributeur, avait refusé de signer, la Cour rappelle utilement que « l’asymétrie » de la clause (dont la Cour relève le strict encadrement au fond et dans la forme de sa mise en œuvre) ne génère pas de déséquilibre qui serait de surcroît significatif, celui-ci devant être « apprécié globalement, non seulement en considération des clauses du contrat et de son économie générale », mais « également à l’aune des facultés offertes par le droit commun des obligations qui a vocation à régir leurs rapports, soit dans le silence des conventions, soit par dérogation à leurs prévisions, « les droits et obligations des parties » au sens de l’article L. 442-6 I  2° du code de commerce, qui sont évoqués en toute généralité et n’ont pour support nécessaire qu’une relation commerciale, devant être appréciés dans le contexte normatif qu’ils reproduisent ou modifient. ».

Bien qu’expressément stipulée au bénéfice d’une seule partie, le droit de résiliation pour faute grave n’est pas pour autant exclusif d’un droit symétrique ouvert à l’autre partie sur le fondement du droit commun.

L’enseignement se révèlera utile tant pour l’appréciation du déséquilibre, qu’au besoin lors du « rééquilibrage » et peut le cas échéant amoindrir la vulnérabilité de certaines clauses de résiliation stipulées au bénéfice d’une seule des parties.

 

II. Les enseignements en matière de vente de certains produits agricoles.

Nous retiendrons trois préoccupations de type « amont » car plus spécifiquement rattachables à la relation entre un producteur et son acheteur.

2.1. Absence de contrat écrit lors de la vente de fruits et légumes par un producteur auprès d’un premier acheteur et ses éventuelles conséquences indemnitaires.

Pour rappel, en application de l’article L. 631-24 de ce même code dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche dite « LMAP » et d’un décret du 30 décembre 2010 modifié par un autre décret le 15 septembre l’année suivante, l’achat de fruits et légumes destinés à la revente à l’état frais, quelle que soit leur origine, livrés sur le territoire français, devait obligatoirement faire l’objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs.

Ces décrets ont été codifiés aux articles R. 631-11 à R.631-14 du CRPM.

La conclusion des contrats devait être précédée d’une proposition écrite de l’acheteur conforme aux dispositions de l’article R. 631-14.

Après retour d’expérience, il est ressorti que le dispositif de la contractualisation n’était que très peu utilisé par les acteurs du secteur des fruits et légumes.

Ces derniers ont notamment fait valoir que la durée minimale de trois ans imposée par voie règlementaire pour les contrats portant sur ces produits était difficile à respecter.

En effet, selon eux, la très grande variabilité des cycles de production pour des produits périssables ne leur permettait pas de s’engager sur le long terme.

Une contractualisation efficace ne pouvant être qu’une contractualisation adaptée, il est donc apparu souhaitable, dès l’étude d’impact de la Loi Egalim, de procéder à des adaptations règlementaires, et notamment d’abroger les articles R. 631-11 à R. 631-14 qui avaient rendu ici obligatoire la contractualisation écrite.

Il en fut ainsi au détour d’un Décret n°2019-310 du 11 avril 2019 pris pour l’application de l’article L. 631-24-2 dans sa version résultant de la loi précitée (voir depuis le Décret n° 2022-1668 du 26 décembre 2022 fixant les produits et les catégories de produits, dont les fruits et légumes, pour lesquels le contrat de vente ou l’accord-cadre peut ne pas être conclu sous forme écrite).

Mais en l’espèce et pour rappel, les ventes de fruits par le producteur à l’acheteur sont intervenues en 2014 et 2015 et devaient donc donner lieu, pour ces mêmes périodes, à une proposition de contrat écrite par l’acheteur au producteur et d’un contrat écrit consécutif. Tel n’avait pas été le cas.

Le producteur faisait alors valoir que la violation de la règlementation d’ordre public précitée, au demeurant passible d’une amende administrative (cf. art. L. 631-25 dans sa version applicable à l’espèce), et notamment de défaut remise de la proposition de contrat écrit, lui causait un préjudice pour lequel il sollicitait la condamnation de l’acheteur à hauteur de 100.000 euros.

Sa demande va être rejetée dans les termes suivants : « Ce faisant, elle [la Fraiserie] ne précise ni la nature patrimoniale ou morale du préjudice qu’elle allègue, ni ses modalités d’évaluation. Et, alors qu’elle ne prouve pas avoir été dans l’impossibilité de négocier les conditions économiques et juridiques des relations commerciales et que leur rupture, ainsi qu’il sera dit infra, n’est pas imputable à la SAS Prosol, elle n’explique pas en quoi l’absence d’écrit, qu’elle n’a dénoncée que tardivement et dont elle est aussi responsable que son cocontractant ainsi que l’a justement relevé le tribunal, serait de nature à « précariser » la relation ou à accroitre sa dépendance, rien ne permettant de comprendre l’impact concret de l’inexistence d’un écrit sur son activité et sur son choix de contracter. Elle ne justifie ainsi d’aucun préjudice réparable en lien avec la faute qu’elle oppose. ».

Par ce biais, le Juge va ainsi s’éviter d’avoir à trancher, ce qu’il aurait néanmoins pu faire, les questions soulevées par le distributeur au plan de la qualification de grossiste et non de producteur du demandeur, nécessaire à l’application de la loi, tout comme celle des conséquences de l’abrogation ultérieure aux faits rapportés, de l’obligation de contractualisation pour la caractérisation de la faute reprochée, le distributeur invoquant une rétroactivité « in mitius », bien qu’il ne s’agisse pas en l’espèce d’une règlementation sanctionnée pénalement.

Au plan de la solution, si l’on adhère à l’idée que le contrat écrit suppose en effet que les deux parties y souscrivent, sa proposition, initiant la négociation, était pourtant l’affaire de l’acheteur.

Sauf à affirmer l’inanité de la multitude des régimes d’encadrement contractuels dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, il n’est alors pas interdit de penser que le défaut de formalisation d’un contrat obligatoire (à l’époque trois ans pour les fruits et légumes) soit susceptible de favoriser l’expression de la puissance économique de l’une des parties et la précarité de l’approvisionnement auprès de l’autre.

Mais cela ne suffit pas à cette dernière pour en être dédommagée.

Lorsqu’il est question de se conformer à obligation de contractualisation (à rappr. Versailles, 21 décembre 2023, n° 21/0683, Lettre distr. 02/2024, nos obs.), si faute de l’une des parties il y a et indemnisation pour l’autre il peut y avoir, encore faut-il que le préjudice invoqué soit prouvé et chiffré autrement qu’au doigt mouillé.

La solution d’espèce doit selon nous être approuvée, tout en gardant à l’esprit qu’elle pourrait favoriser la prise de nouveaux rendez-vous sur des contentieux futurs qui, mieux étayés au plan probatoire, pourraient davantage faire mouche.

2.2. Avoirs en matière d’achat de fruits et légumes et retard de paiement.

L’on se souvient qu’il est de principe qu’un acheteur, un distributeur ou un prestataire de services ne pouvait à l’époque des faits bénéficier de remises, rabais et ristournes pour l’achat de fruits et légumes frais (art. L. 441-2-2 C. Com) et qu’il ne le peut d’ailleurs toujours pas à ce jour (art. L. 443-2 II C. com.).

A titre dérogatoire toutefois, hier comme aujourd’hui, il pouvait et peut encore bénéficier de réfactions tarifaires résultant d’une non-conformité, qualitative ou quantitative, du produit livré à la commande si un accord, conclu par une organisation interprofessionnelle reconnue dans les conditions prévues à l’article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, en a précisé les conditions.

Un tel accord, conclu pour trois ans, existait à l’époque (« Accord interprofessionnel sur les réfaction tarifaires – 21 mai 2014 »).

Des accords du même type ont été conclus par la suite, le dernier en date du 22 décembre 2024 pour une durée d’une année.

Au nombre de ses conditions fixées pour bénéficier de la possibilité de recourir à la dérogation précitée en cas de non-conformité, figurait celle qu’un tel recours soit prévu par « le contrat, les conditions générales de vente ou d’achat ou tout autre document contractuel » conclu entre le fournisseur et l’acheteur, avant la réalisation de l’opération d’achat de fruits et légumes concernée.

Mais point de tels documents en l’espèce.

Aussi, selon la Cour d’appel, « les avoirs (….) pour un montant total prouvé de 9.630 euros (…) étaient, peu important l’absence de contestation contemporaine de leur obtention, légalement proscrits ».

La condamnation du distributeur au paiement de cette somme s’ensuit fort logiquement s’agissant d’un texte d’ordre public.

En revanche et sur la demande du producteur de condamnation à hauteur de 100.000 au titre d’un préjudice de « manque à gagner qui a eu d’importantes conséquences sur sa trésorerie », celui-ci est débouté car pour la Cour d’appel, « rien n’établit un préjudice distinct en lien causal avec la faute de la SAS Prosol, l’EARL LFDS n’explicitant pas la consistance du préjudice qu’elle évalue forfaitairement à 100 000 euros, le montant des avoirs consentis, qui représentent 4 % du chiffre d’affaires dégagé sur l’exercice correspondant, étant particulièrement faible et n’ayant pu avoir aucune incidence tangible sur la trésorerie de l’EARL LFDS, déjà en difficulté pour d’autres causes depuis 2006 au moins. ».

Le préjudice et rien que le préjudice, quand bien même la cause de celui-ci résiderait-elle dans le non-respect de la règlementation. L’on retrouve la même logique que dans le point 2.1 ci-dessus.

Pareille approche prévaudra à nouveau lors du traitement de la question des retards de paiement par l’acheteur et que la Cour d’appel, faute d’être convaincue de l’existence d’un préjudice distinct du retard de paiement (sanctionnable par le seul paiement de l’intérêt au taux légal, outre l’indemnité forfaitaire de 40 euros par facture réglée en retard), n’indemnisera pas.

En l’espèce, pas de préjudice distinct avéré, pas d’indemnisation autre.

2.3. Rupture brutale du contrat et des relations commerciales établies et règles supplétives.

Sur ce dernier chef, l’on peut immédiatement se questionner sur le succès escompté d’une demande du fournisseur d’un préavis de 15 mois pour une relation commerciale d’une paire d’année.

Le distributeur lui opposait notamment le caractère non établi de la relation à raison de la ponctualité des commandes intervenues et le refus du producteur de signer le contrat proposé au titre de 2016, outre le fait que ledit producteur ne pouvait se prévaloir au titre de la relation rompue, d’un contrat d’une durée minimum de trois années comme prévu à l’article R 631-14 CRPM pour les ventes de fruits et légumes relevant de contractualisation obligatoire et dont le producteur déduisait le caractère établi de la relation et prévoyant certes un préavis de rupture, mais d’au minimum 4 mois (à éventuellement apprécier sous l’angle d’une certaine proportionnalité avec la durée de la relation minimale de trois ans pour le contrat).

La question était alors celle de savoir si, en dépit du défaut de conclusion d’un tel contrat dont le contenu devait être conforme aux prescriptions légales, l’une des parties était en droit de se prévaloir d’un régime de type statutaire, d’un usage ou d’un contrat type, ensemble dérivés du contenu d’un régime contractuel impératif bien qu’en l’espèce non respecté.

La Cour apporte à cette question la réponse suivante : « (…) l’absence de conclusion d’un contrat écrit, qui n’est pas plus imputable à la SAS Prosol qu’à l’EARL LFDS, l’obligation de la première d’émettre une proposition écrite préalable ne la rendant pas de jure responsable des conditions ultérieures de formalisation de la convention, exclut l’invocation du bénéfice de l’article R 631-14 du code rural et de la pêche maritime, y compris comme élément d’appréciation des projections légitimes de l’EARL LFDS qui ne démontre aucun usage consacré par ce texte qui n’institue aucun contrat-type s’appliquant en l’absence de prévisions spéciales des parties. Surtout, le caractère établi des relations doit être apprécié en considération des données économiques du flux d’affaires entre les parties. » (Comp. en matière de délais de conditions de règlement et de pénalités de retard : Com. 3 mars 2009, n° 07-16.527 P, Lettre distr. 03/2009, nos obs. ; Civ. 3e. 30 septembre 2015, n° 14-19.249, Lettre distr. 10/2015, M. Alby).

Et pour la Cour d’en conclure au vu des éléments de l’espèce, que la relation n’avait pas de caractère établi et que sa rupture n’était pas imputable à l’acheteur.

La solution semble transposable à bien d’autres secteurs de l’amont dans lesquels la contractualisation écrite est obligatoire.

Et quand bien même ne le serait-elle pas, la démarche de contractualisation volontaire, pour autant qu’elle reste équilibrée, recèle certaines vertus, dont celle de procurer aux parties de la visibilité sur leur futur.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois d’avril. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Pénalités logistiques plafonnées à 2% : l’intention du législateur à l’appui du cantonnement de l’assiette du plafond.

Un rapport d’information à l’Assemblée Nationale du 13 mars 2024 sur la Loi du 30 mars 2023 (Loi Descrozaille) et mis en ligne hier sur le site de l’Assemblée apporte deux précisions intéressantes sur la question des pénalités.

Ce rapport a été réalisé par le Député Descrozaille, au cœur de la Loi du 30 mars 2023 dont il était le Rapporteur à l’Assemblée (Commission des Affaires Economiques) et la Députée Trouvé.

Il aborde, entre autres, deux sujets au plan des pénalités logistiques, dont le premier inspire l’intitulé de cette actualité.

1. Précision de l’intention du législateur sur le sens à donner au plafonnement 2% de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée.

Pour rappel, l’article L. 441-17 I du  Code de commerce dispose que les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur sont proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels, dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée.

La DGCCRF indique dans ses Lignes Directrices de novembre 2023 qu’il faut se référer à des produits d’une « famille suffisamment homogène » lorsqu’il est question déterminer la « catégorie ».

Le rapport sur la Loi Descrozaille, co-établi notamment par celui qui la personnifie, précise que cette interprétation n’est pas correcte et que cela conduit à inclure potentiellement « des produits autres que ceux de la ligne de produits concernée », et qui relèvent de la famille homogène :

« Les rapporteurs s’inscrivent toutefois en faux sur l’interprétation de la DGCCRF.

Ils considèrent qu’elle n’est pas dictée par la lettre du texte, qu’elle est manifestement contraire à l’intention du législateur et qu’elle est source d’insécurité juridique quant à la définition de la catégorie de produit.

En effet, il ressort des travaux parlementaires, notamment des débats en commission des affaires économiques au Sénat, auxquels renvoient pourtant les lignes directrices, que par cette formulation, certes non dénuée d’ambiguïté, le législateur entendait plafonner les pénalités à hauteur de 2 % de la valeur, au sein de la commande, de la ligne de produits concernée par le manquement justifiant l’application de la pénalité. 

Ce point doit donc être corrigé dans les lignes directrices.».

Outre son sens premier, la notion de « ligne » n’est pas inconnue des praticiens des pratiques restrictives de concurrence.

On la rencontre (le fameux « ligne à ligne ») notamment pour imager certaines prescriptions visées dans d’autres textes (ex. art. L 441-4 III ou art. L. 443-8 I du Code de commerce).

Cet éclairage est susceptible d’avoir différents impacts au sujet de ces pénalités.

  • Possibles modifications des Lignes Directrices.
  • Réduction du plafond de l’assiette des pénalités et donc écrêtage potentiel à faire valoir lors des discussions sur les pénalités, dans l’attente de la modification éventuelle des lignes directrices.
  • Possibles évolutions des cahiers des charges logistiques et/ou des pratiques.

 

2. La question du préjudice trop souvent éludée au profit de la quantification présupposée de ce dernier au niveau du plafond.

Incidemment et si le sujet du plafond impacte la pénalité envisagée (voir ci-dessus), il n’en reste pas moins que le montant du préjudice réellement supporté ne doit pas s’assimiler au plafond de la pénalité.

Le rapport rappelle que l’article L. 441-17 du Code de commerce :

« oblige le distributeur à apporter des éléments de preuve du préjudice subi en plus de la preuve du manquement constaté. ».

Ce rapport précise encore que :

« Les industriels soutiennent que cette disposition n’est pas appliquée par les distributeurs et que l’attention est focalisée sur la question du plafond de pénalité.»

En pratique, il est parfois constaté que la preuve du préjudice et sa quantification restent souvent le parent pauvre du cheminement conduisant aux pénalités qui, au bout du compte, deviennent quasi automatiques au plan de leur montant.

Le plafond ne doit pourtant pas se comprendre comme un forfait.

Le rapport indique donc :

« Il est certain que le programme national d’enquête de la DGCCRF doit intégrer cette question de la preuve du préjudice résultant du manquement qui a justifié l’application d’une pénalité logistique.

Là encore, les services territoriaux de l’État doivent disposer de moyens suffisants pour entrer dans ce niveau d’investigation, afin que la loi soit appliquée. »

Cet éclairage est susceptible d’avoir différents impacts au sujet de ces pénalités.

  • Evocation de ce que la loi souffre d’un déficit d’application s’agissant de la preuve du préjudice, avec donc risque de sanctions,
  • Opportunité supplémentaire pour le fournisseur de rappeler que le quantum du préjudice ne se présuppose pas et ne s’affirme pas et qu’il faut donc le prouver au plan chiffré.
  • Possibles évolutions des cahiers des charges logistiques et/ou des pratiques.

A chacun, au mieux de ses intérêts, de tirer parti de ces éclairages.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Violation indirecte d’une clause d’exclusivité et activité équivalente.

CA Bordeaux, 24 janvier 2024, n° 22/00268

S.A.S Océano Loisirs c./ S.A.S. Baz Industries

 

1. Faits.

La société Océano Loisirs (« Océano ») exploitait un parc de loisir et sportif dans le département de la Vendée.

En octobre 2013, elle conclut avec la société Baz Industries (« BAZ »), un « contrat de prestations de services » pour lui confier la conception et la gestion des travaux d’installation d’une activité nommée « Water Jump », qui permet des sauts dans l’eau à partir de tremplins.

Ce contrat comportait une clause d’exclusivité au bénéfice d’Océano qui interdisait à BAZ de mettre en place un projet équivalent durant cinq années dans le département de la Vendée et dans cinq départements limitrophes.

Océano découvrait ensuite sur Internet que BAZ avait vendu le même concept à un tiers, la société Lauchris (« Lauchris ») située dans le périmètre d’exclusivité.

Sur constat d’huissier, il est ressorti que Lauchris avait développé l’activité de « Water Jump » sur une commune des départements sous exclusivité, en ayant contracté avec une société Baz Innovation, dirigée par les mêmes personnes que BAZ Industries, sous l’intitulé « contrat de licence de marque ».

Océano assignait BAZ en violation de la clause d’exclusivité.

Sur appel, la Cour d’appel de Bordeaux confirme le jugement ayant condamné BAZ.

 

2. Problèmes.

1er problème : la clause d’exclusivité était-elle valable ?

2e problème : dans l’affirmative, l’activité accomplie par le débiteur de l’exclusivité au profit du tiers a-t-elle constitué une violation de la clause ?

3e problème : dans l’affirmative, la violation de la clause a-t-elle causé un préjudice indemnisable et si oui de quel montant ?

 

3. Solutions.

1er problème : sur la validité de la clause d’exclusivité.

« La clause de ce contrat porte exclusivité de l’attraction au profit du client, pendant la durée limitée de 5 ans et dans une zone géographique limitée à 6 départements limitrophes. La clause litigieuse ne contrevient à aucune disposition légale ou réglementaire, et n’est notamment pas contraire à la liberté du commerce et de l’industrie, ni n’empêche le jeu de la concurrence et du marché, en ce qu’elle est raisonnablement limitée dans le temps, dans son objet et dans son emprise géographique, est qu’elle est nécessaire à [Océano] pour protéger ses intérêts légitimes, la cliente entendant protéger sa clientèle et amortir son investissement en lui garantissant un monopole temporaire et local. Elle comporte aussi des cas d’exonération pour le débiteur de l’obligation, ainsi qu’une contrepartie d’exclusivité à la charge du client. La clause d’exclusivité du contrat est donc parfaitement valide (…). ».

2e problème : sur la violation de la clause.

« L’attraction litigieuse « est sans conteste équivalente au sens de la clause d’exclusivité à celle vendue par [BAZ] à [Océano]. Le fait que quelques détails dans les conditions d’exploitation puissent différer d’un site à l’autre ne remet pas en cause le caractère équivalent des deux installations, le mot équivalent signifiant qui a la même valeur ou qui est comparable, et non quelque chose d’identique. Peu importe également l’intitulé différent des deux contrats ou le choix de leur terminologie, tous deux ayant en réalité pour objet d’installer l’attraction « Water Jump » dans le parc du client et d’en permettre l’exploitation par celui-ci. ».

3e problème : sur le préjudice indemnisable.

« La violation de la clause d’exclusivité par [BAZ], génératrice d’un trouble commercial, cause de manière certaine un préjudice à [Océano] Loisirs, qui s’est vue concurrencée par un parc similaire situé dans un département limitrophe, situation entraînant la perte d’une partie de la clientèle qu’elle pouvait espérer, alors qu’elle était garantie par une clause d’exclusivité. (…) [Océano] peut utilement exposer qu’elle a versé la somme de 35 000 euros, outre une rémunération variable, à [BAZ], et que l’exclusivité devait lui permettre de rentabiliser les investissements matériels et financiers pour l’installation et le développement de l’attraction. Ces éléments de préjudice permettent à la cour d’arrêter l’indemnisation de [Océano] à la somme de 30 000 euros comme demandé par celle-ci. ».

 

4. Observations.

  • Sur le 1er problème.

La clause dont la validité était discutée était ainsi stipulée :

« le fournisseur s’interdit de procéder à la mise en place d’un projet équivalent à celui objet du présent contrat, durant 5 années à compter de la signature du présent contrat directement ou indirectement, sur les départements suivants : 85, 17, 79, 44, 49, 86, sous peine de dommages et intérêts au profit du client, sans préjudice du droit pour ceux-ci, de faire cesser cette contravention (…) ».

Au-delà d’une définition prêtant à discussion s’agissant de l’objet du comportement prohibé, à savoir la « mise en place d’un projet équivalent » (voir 2e problème), il est intéressant de s’arrêter sur les réponses données par la Cour à deux des moyens de défense qui lui ont été présentés.

D’abord, le défendeur, invoquant le caractère illicite de la clause, n’en demandait ni la nullité ni le réputé non écrit, ses prétentions tendant uniquement au débouté de la demande.

D’où la Cour de préciser que de tels développements sur une illicéité ne constituaient pas une exception de nullité et qu’il n’y avait dès lors pas lieu de statuer davantage sur l’éventuelle prescription de l’exception de nullité évoquée dans ses écritures.

Bien qu’en fin de compte la Cour juge la clause valable, ce point souligne l’importance du contenu rédactionnel du dispositif proposé à la juridiction.

Ensuite et selon l’arrêt, le défendeur, lors de sa critique de la clause d’exclusivité, confondait clause d’exclusivité et clause de non concurrence.

La Cour revient alors sur le contour des deux notions.

Rappelant qu’une clause illicite est celle qui contrevient à des dispositions légales ou règlementaire, elle constate que l’appelant ne précise pas le texte auquel la clause contreviendrait, mais se contente d’explications sur les conditions que devraient remplir une clause de non-concurrence et d’un rappel du principe général de la liberté du commerce et de l’industrie.

Selon l’arrêt, la clause d’exclusivité permet à son créancier d’obtenir une exclusivité en termes de marchandises ou de services, alors que la clause de non-concurrence interdit son débiteur de concurrencer le bénéficiaire.

En l’espèce, la Cour constate que la clause ne traitait pas d’une concurrence entre les parties au litige, qui n’exerçaient pas la même activité, mais interdisait à l’une d’entre elle, sous certaines conditions, de mettre en place un projet équivalent à celui sur lequel elle s’était engagée envers l’autre et qui garantissait à cette dernière une exclusivité limitée.

Il n’empêche que pour déclarer la clause valide, la Cour relève qu’elle ne contrevenait à aucun texte et retient des paramètres d’appréciation (« la clause litigieuse ne contrevient… temporaire et local ») qui rappellent ceux observés en jurisprudence lorsqu’il est notamment question d’apprécier la licéité des clauses de non-concurrence (Com., 17 mai 2023, n° 22-10.369 ou Paris, 10 mai 2023, n° 21/01738, obs. M.-P. Bonnet Desplan, Lettre distrib. 06/2023 ; à rappr. en droit des ententes : CJUE, 26 oct. 2023, aff. C-331/21, obs. L. Bettoni, Lettre distrib. 12/2023 ; en matière de contentieux des clauses de non-concurrence post-contractuelles et/ou de non-réaffiliation : Com., 17 janv. 2024, n° 22-20.163 et 22-20.164, obs. A. Bories, Lettre distrib. 02/2024 ; Paris, 17 janv. 2024, Lettre distrib. 02/2024, obs. A. Weil ; Paris, 15 mars 2023, n° 21/14111, obs. S. Destours, Lettre distrib. 04/2023 ; Paris, 8 fév. 2023, n° 21/07804 et 20/14328, obs. M.-P. Bonnet Desplan, Lettre distrib. 03/2023), évoquant en outre l’existence (on ne sait s’il faut comprendre « nécessité ») d’une contrepartie d’exclusivité à la charge du client.

Pour rappel, la clause prévoyait que le client s’obligeait en contrepartie de l’exclusivité à solliciter le fournisseur pour tout projet du même type durant la période et sur le ressort de l’exclusivité.

L’équivalence dans l’analyse de ces deux types de clauses restrictives d’activité, par emprunt en l’espèce de critères relatifs à la validité d’un type de clause qui n’est pas en cause selon la Cour, invite les rédacteurs à s’interroger sur l’économie et l’équilibre leurs clauses d’exclusivités, afin d’éviter de les voir exposées aux mêmes critiques que celles parfois encourues par les clauses de non concurrence.

  • Sur le 2e problème.

La clause prohibait « la mise en place d’un projet équivalent à celui objet du présent contrat ».

Cela supposait d’abord de déterminer le projet objet du contrat, pour ensuite le comparer à celui constaté par ailleurs, afin de dire s’il s’agissait de projets équivalents au sens de la clause.

A partir du contenu de l’exposé préalable du contrat, la Cour identifie l’activité du débiteur de l’exclusivité, à savoir la création de modules permettant l’activité de saut dans l’eau à l’aide de tremplins et de toboggans, avec ou sans matériel.

Elle en retient qu’il ne s’agissait donc pas d’une « attraction uniforme toujours strictement identique, mais d’un ensemble divers d’installations et de matériels permettant aux clients de sauter dans l’eau à partir de tremplins ou toboggans et à l’aide d’accessoires, sous la dénomination en langue anglaise de « Water Jump »».

La Cour considère, en dépit de quelques différences de détail dans les conditions d’exploitation ou de terminologique employée dans l’intitulé des deux accords pour désigner l’activité, que « cette attraction est sans conteste équivalente au sens de la clause d’exclusivité à celle vendue par [BAZ] à [Océano]. ».

Dans la réalité, les activités en causes avaient le même objet.

L’éclairage apporté dans l’énoncé préalable de l’activité du débiteur de l’exclusivité, la nature des projets en cause auxquels les premiers juges avaient préféré le terme de « concept », combinés à la matérialité du projet mis en œuvre en un lieu situé sur le territoire visé par l’exclusivité, conduit à la conclusion, peu surprenante, de la violation de la clause d’exclusivité.

Cet arrêt souligne la nécessité de rédiger avec précaution la clause au plan de l’activité concernée, la restriction apportée à l’exercice d’une activité « équivalente », se voulant plus rigoureuse pour le débiteur de l’exclusivité qu’une activité « identique ».

La volonté des parties exprimée au contrat quant au caractère de l’activité interdite, explique cette solution.

Signalons au passage que fut écarté le moyen en défense du débiteur de l’exclusivité (BAZ) consistant à prétendre que ce n’était pas lui qui avait contracté avec le tiers mais une autre société (Baz Innovation).

Considérant que le débiteur de l’exclusivité avait participé à l’opération menée avec le tiers contractant dans le périmètre couvert par l’exclusivité, la Cour a vu dans les données de l’espèce (proximité des noms des sociétés, identité des dirigeants, même groupe d’appartenance et présentation dans la documentation de ce que Baz Innovation intervenait en recherche et développement et Baz Industries pour la réalisation et la commercialisation, conscience des dirigeants de la violation de la clause d’exclusivité qu’ils entendaient « camoufler » en recommandant au tiers de communiquer avec eux sur une adresse personnelle, alors que les premiers échanges avaient eu lieu sur l’adresse de Baz Industries, annonce de l’ouverture du parc concurrent sur le site internet de Baz Industries), une violation indirecte de la clause querellée, d’autant que la clause avait pris le soin de prohiber « directement ou indirectement » la mise en place d’un projet équivalent dans les départements visés (rappr. Com., 17 mai 2023, n° 22-10.369, obs. M.-P. Bonnet Desplan, Lettre distrib. 06/2023).

  • Sur le 3e problème.

L’indemnisation s’opère moyennant la condamnation au paiement d’une indemnité de 30.000 euros, montant au demeurant demandé par le créancier de l’obligation violée qui faisait valoir qu’il s’était acquitté auprès de son partenaire de 35.000 euros au titre du contrat (outre une rémunération variable).

Trouble commercial à raison de la violation de la clause, perte de clientèle espérée, défaut de retour sur investissement escompté de l’attraction, sont autant données prises en compte par la Cour pour la détermination du montant de l’indemnisation, sans pour autant qu’un chiffrage poste par poste ne soit entrepris, mais il ne ressort pas de l’arrêt que l’appelant ait entendu en débattre.

En opportunité, reste à se demander, au vu d’une motivation aussi succincte, si la condamnation intervenue sur ce montant n’est pas aussi, indirectement, la sanction d’un manque de bonne foi dans l’exécution du contrat voir de la moralité douteuse de l’une des parties, par ce qui de fait pourrait suggérer une restitution des sommes initialement versées à raison de seule la violation de la clause, alors pourtant que les autres obligations du débiteur au titre du contrat ont pu être correctement exécutées, puisqu’il n’est pas dit qu’elles ne l’ont pas été.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de mars 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Clause de renégociation de l’article L. 441-8 du Code de commerce – Produits exclus : actualisation.

Arrêté du 15 février 2024 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2023 fixant la liste des produits agricoles et alimentaires pour lesquels le I de l’article L. 441-8 du code de commerce n’est pas applicable.

Rappel : une clause relative aux modalités de renégociation du prix doit être insérée dans les contrats portant sur la vente de certains produits agricoles et alimentaires dont la durée d’exécution est supérieure à trois mois et dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires, de l’énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages.

Le dispositif concerne aussi les contrats écrits entre un producteur de produits agricoles et son premier acheteur régis par l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime.

Cependant, un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut fixer la liste de certains produits agricoles et alimentaires pour lesquels le contrat peut ne pas comporter la clause de renégociation.

Il s’agit d’une dérogation qui fait l’objet d’une demande motivée de l’interprofession représentative des produits concernés ou, lorsqu’il n’existe pas d’interprofession pour ce type de produits, d’une organisation professionnelle représentant des producteurs.

Il y a sept mois, un arrêté du 31 juillet 2023 paru au J.O.R.F du vendredi 4 août 2023, a précisé quels sont ces produits exclus (par référence à la nomenclature combinée UE – Règl. 2658/87), dans deux Annexes à ce même arrêté.

Un arrêté du 15 février 2024, paru au J.O.R.F de ce jour 27 février 2024, vient de modifier les deux Annexes de l’arrêté du 31 juillet dernier, en les remplaçant par deux nouvelles.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Conventions écrites signées hors délai et répercussion entre les parties de l’amende administrative : vers un contentieux nouveau et dérivé en matière de négociation commerciale ?

Cour d’appel de Versailles, 21 décembre 2023, 21/06836

Affaire Interdis (Carrefour) c./ Procter et Gamble France 

 

Alors que la date légale butoir pour la clôture des négociations commerciales 2024 approche, lorsque les négociations ne sont d’ailleurs pas déjà officiellement terminées dans les secteurs visés par la loi du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation,  un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 21 décembre dernier nous procure quelques enseignements utiles lorsqu’une partie se trouve seule sanctionnée pour défaut de signature de la traditionnelle convention commerciale.

Cette partie peut-elle – devant quelle juridiction et comment – solliciter de son partenaire la prise en charge d’une partie de l’amende administrative infligée ?

 

1. Faits

Dans la perspective des accords commerciaux 2019, la Centrale « Envergure » créée dans le cadre d’un partenariat à l’achat entre les groupes Carrefour et Système U pour la négociation avec les fournisseurs les plus importants de ces groupes et mandataire de la société SNC Interdis (« le distributeur »), elle-même centrale de référencement du groupe Carrefour, a mené des négociations commerciales avec la SAS Procter et Gamble France (« le fournisseur »).

Les discussions se prolongeant, les conventions écrites n’ont été conclues que le 13 mars 2019, en infraction à la règle alors fixée par l’article L. 441-7 C. com.

Fin 2019, la DGCCRF inflige au distributeur une amende de 247.000 euros pour 8 conventions non conclues dans les délais avec le fournisseur, ce dernier n’étant pas sanctionné.

Cette somme était comprise dans un montant global de 2.931.000 euros, pour 157 manquements avec quelques 45 fournisseurs.

Considérant son fournisseur co-responsable du manquement, le distributeur l’assigne sur le fondement de l’article 1240 C. civ. en paiement de 123.500 euros à titre de dommages-intérêts, soit la moitié du montant de l’amende.

Débouté, le distributeur interjette appel devant la Cour d’appel de Versailles, qui confirme le jugement.

 

2. Problèmes

1er problème : Compétence du Tribunal de commerce. Le distributeur pouvait il saisir le Tribunal de commerce sans encourir l’irrecevabilité de son action, aux fins de voir condamner son fournisseur à l’indemniser à raison du préjudice que le premier estimait avoir subi, du fait des agissements prétendus du second et qui auraient contribués à l’absence de signature de la convention écrite dans les délais légaux ?

2eme problème : Qualité à agir du distributeur. Le distributeur avait-il qualité à agir dans le cadre d’une action ayant pour objet d’établir la part de responsabilité du fournisseur dans l’absence de signature des conventions écrites au plus tard le 1er mars, en sorte que son action était recevable ?

3eme problème : Responsabilité civile du fournisseur. Le distributeur reprochant à la DGCCRF de n’avoir pas procédé à une réelle appréciation des faits entourant la négociation commerciale pour ne sanctionner que le distributeur, a-t-il rapporté la preuve de la faute du fournisseur, de nature à entraîner sa co-responsabilité civile à raison du retard du retard pris dans ces négociations et qui n’ont pas donné lieu à la signature des conventions écrites dans le délai légal ?

Signalons aussi, pour faire écho certains déballages publics récents en lien avec certains désaccords tarifaires aux airs de « name and shame » dans des rapports privés de commerce, le cas échéant au mépris des obligations en matière de confidentialité, la demande reconventionnelle du fournisseur à raison de l’atteinte à sa réputation et préjudice d’image.

Le fournisseur se plaignait en effet de la communication à des journalistes de l’assignation délivrée à son encontre.

Il fut débouté faute d’avoir été nommément désigné dans l’extrait publié de ladite assignation.

Le distributeur s’est en revanche montré plus préoccupé de la confidentialité s’agissant des informations relatives à sa négociation commerciale dans l’hypothèse où certaines de ces informations auraient dû être mentionnées dans l’arrêt à intervenir, au point de formuler une demande de secret des affaires, à laquelle le fournisseur s’est d’ailleurs associé, mais qui n’a pas aboutie, faute de nécessité. « Name and shame » puis secret des affaires : un bien paradoxal enchaînement.

 

3. Solutions

Sur le 1er problème : La Cour approuve le Tribunal pour s’être déclaré compétent pour juger de la responsabilité pour faute du fournisseur durant la phase précontractuelle de la négociation, et de l’indemnisation éventuelle de son partenaire commercial, telle que sollicité par le distributeur.

Ce faisant, il ne s’agissait pas selon le Tribunal d’empiéter sur la compétence exclusive de la DGCCRF (art. L. 470-2 C. com. pour le prononcé d’amendes administratives), ni de remettre en cause la décision de cette autorité.

Sur le 2eme problème : La Cour juge recevable l’action du distributeur qui avait pour objet d’établir la part de responsabilité du fournisseur dans l’irrespect de la date butoir du 1er mars.

Le distributeur, seul à avoir été sanctionné, avait donc qualité à agir pour démontrer la responsabilité de son fournisseur et obtenir le cas échéant réparation du préjudice allégué sur le plan civil.

Sur le 3eme problème : La Cour estime que contrairement à ce que soutient [le distributeur], l’autorité administrative s’est bien livrée à une appréciation des faits entourant la négociation commerciale et, après avoir répondu précisément aux observations du distributeur, a décidé de prononcer à l’encontre de lui seul des sanctions tenant compte « de la gravité et de l’ampleur du manquement ».

Elle relève à l’occasion que le fournisseur avait souligné avec raison que ce n’était pas moins de 157 manquements reprochés au distributeur qui avaient été constatés par la DGCCRF, dans le cadre de négociations impliquant de nombreux autres fournisseurs.

S’agissant des fautes reprochées au fournisseur dont la Cour a été saisie, le distributeur n’a apporté aucun élément qui démontrerait la coresponsabilité du fournisseur dans la signature tardive des conventions.

 

4. Observations

Malgré l’échec de la demande du distributeur, qui n’a pas eu raison des moyens du fournisseur dans le cadre de sa défense au fond, cette affaire qui aborde certaines questions nouvelles, pourrait ouvrir un nouveau chapitre des relations entre fournisseurs et distributeurs et encourager d’autres contentieux de même type puisque leur recevabilité est reconnue, voire des discussions sur la prise en charge du montant des amendes infligées à une seule des parties.

Sur le 1er problème :

– Un premier enseignement, le plus direct, est la possibilité d’une action récursoire, sorte d’action de « follow-on » en pratiques restrictives de concurrences, initiée par une partie à la fois auteur de l’infraction, sanctionnée à ce titre et se considérant victime à cette occasion, contre son partenaire qu’elle estime co-auteur de l’infraction commise (à rappr. pour une action de « stand alone » initiée par un distributeur suite à une pratique de prix imposé par son fournisseur et constitutive d’une entente, à laquelle ce même distributeur avait pris part et qu’il dénonçait ensuite comme étant à l’origine du préjudice subi. CA Paris, 19 décembre 2018, n° 16/07213, Lettre distrib. 01/2019, nos obs.).

La démarche rappelle d’ailleurs celle du « pass-on » de la victime directe d’une pratique anticoncurrentielle, bien que la genèse et la logique en soit différente.

Dans ce dernier en effet, c’est la victime de la pratique qui souhaite être indemnisée par l’auteur de la pratique à hauteur d’un préjudice, notamment de surcoût, qu’elle n’a pourtant pas intégralement subi pour l’avoir répercuté sur ses propres clients.

En revanche en l’espèce, c’est l’auteur de l’infraction qui souhaite répercuter, de fait, sur son partenaire, une quote-part de la sanction qui ne lui a pourtant pas été infligé.

Un tel recours est à notre connaissance inédit en matière de PRC.

– Un deuxième enseignement résulte de la distinction entre l’action récursoire et le recours contre la sanction administrative.

Il tient à la différence de nature des contentieux et à l’indépendance des deux ordres de juridictions pour statuer sur des litiges qui relèvent de leurs domaines d’attributions respectives.

Bien que trouvant son origine dans une pratique sanctionnée par une amende administrative qui, lorsqu’elle fait l’objet d’un recours relève de la « compétence » des juridictions administratives, l’action en responsabilité civile doit être menée devant le juge judiciaire.

Dans l’hypothèse d’une annulation de la sanction administrative prononcée, il en irait de même de l’action en restitution du montant des sommes le cas échéant versées à l’issue du contentieux civil, si refus de restitution spontané il devait y avoir.

– Un troisième enseignement, bien qu’induit de ce qui précède, réside dans le rappel de ce que le juge judiciaire, lorsqu’il entend statuer sur le recours indemnitaire de la partie condamnée, ne s’attribue ni un pouvoir subsidiaire de sanction administrative dévolu à la seule Administration, ni ne s’entend comme une juridiction de recours contre la sanction initialement prononcée à l’encontre d’une seule des parties, pourtant ensemble actrices de la signature d’un même contrat conclu hors délai.

– Enfin, un quatrième enseignement se rapporte aux matières susceptibles de donner lieu à action récursoire.

Même si la Cour ne le précise pas expressément, nous comprenons de l’arrêt, par la référence faite aux manquements visés au titre IV relatif à la transparence, que des recours indemnitaires sont ouverts pour d’autres types d’infraction que l’Administration peut sanctionner sur le fondement de l’article L. 470-2 C. com. (ex. convention écrite non conforme).

De quoi augurer de quelques règlements de comptes à l’avenir dans la continuité des contrôles, dont il semble que ce soit particulièrement l’époque suite aux derniers soulèvements du monde agricole (« Négociations commerciales : Bruno Le Maire pointe 124 dossiers en infraction », M. Picard, LSA, 6 fév. 2024).

Sur le 2eme problème :

Les développements de l’arrêt sur le premier sujet du pouvoir juridictionnel laissaient entrevoir la solution générale sur la qualité à agir du distributeur.

Les deux sujets ne se confondent certes pas, mais il aurait semblé paradoxal pour la juridiction d’avoir motivé l’admission de son pouvoir juridictionnel dans le cadre de l’action indemnitaire en cause pour ensuite déclarer que la partie saisissante n’avait pas qualité pour agir es qualité de victime.

En l’espèce, le fournisseur contestait le droit d’agir de son adversaire au motif, notamment, que ce dernier avait été reconnu l’unique auteur des faits ayant conduit à la sanction, ce qui le privait de tout recours indemnitaire et que le principe de la personnalité des peines et des sanctions administratives faisait obstacle à l’action indemnitaire du distributeur, qui ne pouvait se prétendre victime de son propre manquement et demander la réparation à un tiers pour la sanction administrative qui lui avait été infligée dans un but punitif.

Le distributeur rétorquait que le principe de la personnalité des peines n’était pas ici applicable, car la finalité son action civile n’était pas punitive mais réparatrice, outre que la DGCCRF s’était limitée à effectuer un contrôle simplement formel sur la date de la signature de la convention égard aux circonstances factuelles propres aux négociations menées avec chaque fournisseur, sanctionnant ainsi un fait objectif sans se prononcer sur les manquements commis par le distributeur, seul réprimé.

Ce dernier invoquait au demeurant un préjudice qui ne résultait pas de l’amende prononcée, mais d’un comportement fautif et déloyal du fournisseur lors des négociations commerciales. La Cour lui donne raison.

La solution n’avait rien d’évident, tenant la pertinence des moyens en confrontation car elle revient in fine à faire supporter à la partie non sanctionnée une quotité de la sanction administrative infligée à l’autre.

Le moyen n’a pas échappé au fournisseur (« [le fournisseur] ne saurait voir sa responsabilité engagée et tenue solidairement au paiement de l’amende administrative, et ce d’autant que [le distributeur] ne s’est nullement acquittée auprès de la DGGCRF de paiement de la dette d’autrui ouvrant droit à un recours en répétition ». Comp. art. 1317 et s. C. civ. ; « [le distributeur] considère que l’amende infligée à l’appelant, par sa finalité exclusivement punitive, ne peut constituer un dommage réparable »).

Certes si l’irrecevabilité au titre de la « chose jugée » visée à l’article 122 du CPC n’est pas à discuter, l’on pourrait le cas échéant rechercher quelques voies d’inspirations, sans toutefois ici davantage approfondir, du côté du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil en cas de condamnation comme de relaxe (rappr. Civ. 2, 24 novembre 2022, 21-17.167).

Au-delà de la solution, les débats sur la légitimité de ce type d’action récursoire ne sont peut-être pas définitivement clos.

A notre connaissance et au jour où nous avons écrit le présent commentaire, il semble que le délai de pourvoi n’ait pas été expiré.

Sur le 3eme problème :

L’épicentre des moyens en demande résidait en ce que la DGCCRF n’avait pas procédé à une analyse in concreto du déroulement de la négociation, pour déterminer la cause du dépassement de la date butoir et s’était contentée d’une appréciation générale basée sur l’envoi des documents (notamment CGV) et le respect des dates légales.

S’est alors engagé ex post de la décision de sanction administrative un débat sur l’imputabilité du retard, que le distributeur estimait ne pas avoir été mené ex ante par l’Administration.

Au regard des circonstances, le distributeur considérait que ce retard dans les négociations commerciales ne lui était pas exclusivement imputable.

Selon lui, la violation de l’article L. 441-7 du Code de commerce était constitutive d’une faute délictuelle (art.  1240 C. Civ.) imputable aux deux parties.

Il reprochait à son fournisseur un comportement fautif et contraire aux exigences de bonne foi lors des négociations commerciales (art.  1112 du C. civ.).

Rappelons que cette exigence de bonne foi, que l’on retrouvait déjà en tant que principe liminaire à la matière contractuelle dans l’article 1104 du Code civil, a depuis la loi du 30 mars 2023 été spécialement introduite dans les articles L. 441-4 IV 1° et L. 442-1 I 5° du Code de commerce (visant pour ce dernier le fait de ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4 précité, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l’article L. 441-3).

Ces derniers textes spéciaux, qui n’ont pas été imaginés pour servir de fondements complémentaires ou alternatifs à une action récursoire comme celle en présence, pourraient être dorénavant mis en mouvement à l’occasion d’infractions qui leur seraient postérieures.

Concrètement et selon le distributeur, le fournisseur, qui disposait de produits dont son client ne pouvait se passer, aurait adopté une stratégie de négociation particulièrement agressive visant à obtenir un accord déséquilibré à son bénéfice et aurait tenté d’imposer des conditions tarifaires déconnectées de la réalité économique, tout en faisant preuve d’un comportement déloyal et dilatoire à diverses reprises (manque de loyauté dans la retranscription des échanges, anticipation de l’échec à venir des négociations,  réponses tardives aux demandes et proposition de la Centrale Envergure, mandataire à la négociation).

En retour, le fournisseur considérait que le distributeur était seul responsable du retard de dépassement de la date butoir et déniait l’existence, non prouvée, d’une faute civile qui lui soit imputable, de même qu’un défaut de bonne foi de sa part à l’occasion des négociations commerciales, ainsi que l’absence d’un quelconque lien de causalité entre le préjudice allégué, car découlant des propres manquements du distributeur.

Pour débouter le distributeur défaillant dans l’établissement de la faute du fournisseur, la Cour prend en considération deux types de circonstances relevées lors du contrôle conduit par la DGCCRF.

Les premières tiennent au constat que la date butoir n’avait pas été respectée dans 157 manquements du même type impliquant 45 fournisseurs, dont 8 pour le fournisseur en cause.

Cette donnée, insuffisante elle seule pour établir le manquement reproché au distributeur, faisait néanmoins ressortir selon la Cour une réelle appréciation des faits et le caractère contradictoire de l’enquête.

Sur le prétendu manque de diligence du fournisseur, il faudra encore retenir de la motivation de l’arrêt dans le prolongement de celle de la décision d’amende administrative, que le fait pour les quelques 45 fournisseurs concernés de ne pas avoir fait droit durant les négociations aux propositions du distributeur (et partant expliquant le défaut de signature à temps des conventions), ne suffit pas à exonérer le distributeur de sa responsabilité au titre de la signature hors délai, alors « qu’en tout état de cause, l’enquête a révélé qu’en tant que distributeur, la société Interdis n’avait « pas été en mesure de justifier de la conclusion des conventions au plus tard le 1er mars 2019 alors que les fournisseurs avaient adressé leurs conditions générales de vente au moins trois mois avant la date limite comme le prévoit l’article L.441-7 (…)».

S’il était entendu que l’envoi dans les temps des CGV, souvent prescrit avant une date fixe (a priori avant le 1er décembre s’agissant des produits concernés), conférait légalement aux négociateurs un délai suffisant pour trouver un accord au plus tard au 1er mars, la précision selon laquelle des fournisseurs ne répondraient pas positivement aux propositions commerciales du distributeur – nous comprenons ses demandes – n’exonère pas ce dernier au titre du manquement en cause, nous semble inédite et bienvenue.

Mais la Cour ne s’en est pas tenue à ces seules constations pour débouter le distributeur.

Les deuxièmes séries de circonstances tiennent à l’absence d’éléments, qu’il incombait au distributeur de rapporter, démontrant que le fournisseur était co-responsable de la signature tardive des conventions litigieuses.

A ce propos, les « quelques » courriels échangés entre la Centrale Envergure et le fournisseur ont été insuffisants à établir le comportement déloyal et dilatoire reproché au fournisseur au cours des négociations.

Au nombre de ces derniers, la Cour vise un courrier de la Centrale adressé au fournisseur le 19 février 2019, dans lequel cette dernière rappelle la date butoir du 1er mars 2019 et le fait que « l’absence de signature à cette date d’une convention écrite  (…) est de nature à engager la responsabilité conjointe du distributeur (…) » et indique que les propositions du fournisseur sont « encore trop éloignées de nos demandes pour pouvoir envisager la conclusion d’un accord pour 2019 » tout en lui demandant de faire de nouvelles propositions, afin que les négociations puissent être finalisées.

Le fournisseur lui répondait le lendemain, en précisant les propositions qu’il avait été amené à faire depuis le mois de novembre 2018, que ses équipes mettaient tout en œuvre afin de pouvoir respecter les échéances légales et qu’il déclinait toute responsabilité si un accord ne devait pas être trouvé au 1er mars 2019.

Si de tels échanges, lors de la dernière ligne droite de leur négociation, établissaient que les parties ne s’étaient pas toujours accordées sur les conditions de leur collaboration, ils ne permettaient pas de retenir que la conclusion des conventions avait été retardée par la faute du fournisseur.

Accepter ou être responsable au plan civil : le choix des parties à la négociation ne devrait pas se résumer à cela.

Il sera néanmoins important pour chacune des parties à la négociation d’être en mesure de prouver leur comportement à cette occasion, tant a priori lors des contrôles de l’Administration qu’a posteriori si ce type de contentieux « redistributif » en responsabilité civile devait se multiplier.

Cette dernière situation n’est pas à exclure en l’état de la solution ici rendue, puisque le demandeur, bien que succombant sur un plan strictement probatoire au vu des circonstances de l’espèce, sort de notre point de vue conforté dans ce qui peut-être un coup d’essai, au vu des solutions rendues en matière de « compétence » et de qualité à agir.

L’heure et en effet à la multiplication des sanctions administratives.

En définitive et abstraction faite des circonstances de l’espèce qui ont amené l’Administration à décider d’infliger une amende au seul distributeur – ce dont la Cour n’entend pas débattre car tel ne relève pas de son pouvoir juridictionnel – et qu’au bout du compte le distributeur ait succombé en ses demandes, l’arrêt doit être accueilli plus favorablement du côté des distributeurs que côté fournisseurs, si ces derniers devaient avoir une part de responsabilité dans le manquement sanctionné.

Il semble d’ailleurs, au détour de quelques passages de l’arrêt, que d’autres assignations aient été délivrées à l’encontre de différents fournisseurs qui, selon le distributeur, auraient eu une responsabilité dans l’absence de signature des convention écrites.

Cela étant, en cas de sanction infligée au seul fournisseur, ce dernier devrait être en droit d’engager ce même recours.

Maigre consolation car, en pratique, sera-t-il bien inspiré en initiant une action à l’encontre d’un client en cours de relation ? Signalons que l’assignation ici délivrée par le distributeur l’a été le 24 février 2020, soit la dernière semaine des négociations commerciales pour 2020.

Que les négociations aient été alors bouclées ou que fournisseur et distributeur n’aient plus été en relation d’affaires, la formulation d’une telle demande et son maintien ultérieur par le fournisseur ne semble pas être le meilleur moyen de conserver ou de retrouver une présence dans les rayons du distributeur.

Alors et à moins comme il se doit pour les parties, de cesser de négocier au lendemain du 1er mars à défaut d’accord conclu avec les conséquences que cela entraîne au plan commercial, le risque, surtout si les chiffres d’affaires impactés sont importants et sauf à ce que les sanctions administratives soient réellement dissuasives, est que les parties préfèrent s’exposer à l’éventualité d’une sanction individuellement ou ensemble, quitte à s’en répartir ultérieurement la charge, plutôt que d’avoir à consentir à des conditions commerciales qu’elles estiment trop défavorables ou à cesser toute négociation et relation au soir du 1er mars.

Reste maintenant à voir comment vont évoluer les choses à partir de cet arrêt aux incidences importantes au plan pratique.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de février 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Référencement et avantages abusifs.

Affaire FG Diffusion c./  Achats Marchandises Casino et Distribution Casino France 

CA Paris, 29 novembre 2023, n° J2021000468

Cette affaire permet, entre autres, de revenir sur une question tant de fois posée : le référencement en tant que tel et en toutes circonstances, à commencer par celle où il est le fait d’une entité au demeurant souvent dédiée à cette tâche au sein d’un groupe de distribution dans lequel d’autres entités achètent et revendent les produits du fournisseur, peut-il se monnayer ?

 

1. Faits

FG Diffusion (ci-après le « fournisseur » ou « FG ») ayant pour activité l’édition et l’impression de produits de carterie, était depuis plusieurs années en relation commerciale avec la société Achats Marchandises Casino (ci-après « la société AMC »), centrale de référencement du groupe Casino, agissant auprès des fournisseurs au nom et pour le compte des sociétés du groupe Casino qui achètent leurs produits.

Dans le cadre de son mandat, AMC négociait et signait les accords commerciaux conclus avec les différents fournisseurs qui définissaient les conditions commerciales.

La société Distribution Casino France (ci-après « DCF ») exploitait les magasins du réseau Casino et assure la vente au détail des produits des fournisseurs.

Le dernier contrat-cadre entre les parties a été signé le 28 février 2018. A l’occasion de sa négociation un différend est apparu entre les parties.

Par lettre du 23 novembre 2018, AMC a notifié à FG sa décision de rompre leur relation commerciale pour une liste de 24 magasins à compter du 1er mars 2019. Puis par lettre du 20 février 2019, le préavis a été allongé jusqu’au 1er juillet 2019.

A la même date, AMC a notifié à FG la rupture totale de la relation commerciale pour l’ensemble des magasins à compter du 1er juillet 2020.

S’estimant victime d’une rupture brutale partielle puis totale de la relation commerciale ainsi que de pratiques restrictives de concurrence quant à l’obtention par AMC et DCF de divers avantages et ristournes au cours de leur relation d’affaires à compter de 2015, FG a assigné le 9 novembre 2020 AMC devant le tribunal de commerce de Paris.

Elle entendait obtenir le paiement de diverses sommes à raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie et la restitution de différents avantages financiers indus, notamment sur le fondement des points 1° et 2° de l’article L. 442.6 I du Code de commerce, dans sa version alors applicable.

Par jugement du 25 octobre 2021, le Tribunal de commerce de Paris a débouté le fournisseur sur la rupture brutale et accueilli partiellement ses demandes en restitution.

Sur appel principal du fournisseur, la Cour d’appel confirme dans l’arrêt rapporté la décision des premiers juges sur la rupture brutale des relations commerciales opérée par deux déréférencements consécutifs à l’occasion des négociations commerciales pour 2019, en retenant le caractère brutal de l’un d’entre eux.

La Cour, confirmant le jugement déféré sur certaines prétentions au plan des restitutions, l’infirme néanmoins pour l’essentiel de ce chef, accroissant très sensiblement le montant des restitutions incombant au distributeur.

 

2. Problème(s)

L’arrêt aborde de nombreux sujets que les observateurs des négociations commerciales ne sauraient négliger, tant les enseignements qu’il recèle nous apparaissent utiles au plan pratique pour l’accompagnement de leurs interlocuteurs, aussi bien dans le cadre des négociations commerciales que lors des contentieux actuels ou à venir.

Et c’est un véritable festival d’informations.

Citons de manière non exhaustive les débats concernant :

  • la  rupture brutale en deux temps – partielle puis totale – de la relation commerciale établie à l’occasion des négociations commerciales annuelles en tant que moyen de pression exercé sur le fournisseur (examinée sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5°) ;
  • le refus de négocier par le distributeur et de sa demande de maintien pendant tout le préavis des conditions convenues au titre de l’année précédente (examiné sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2°) ;
  • la prescription des demandes en restitution de certains avantages abusifs ;
  • la répartition de charge de la preuve et la justification des services lors de l’analyse sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° et de celle de de chacun des services querellés au plan de leur réalité et, le cas échéant, de la proportionnalité de l’avantage obtenu (cf. sur ce même arrêt Lettre distrib. 11/2023, C. Mouly).

Mais l’on se concentrera sur la réponse à l’une des principales questions, fréquente en pratique et qui peut donner lieu à des réponses parfois hésitantes ou frileuses.

A savoir celle du caractère monnayable ou non, au regard de l’article L. 442-6 I 1°, de la tâche de référencement à l’occasion de la relation commerciale mettant en présence un fournisseur et un acteur de la grande distribution.

 

3. Solution(s)

A l’issue de la confrontation des moyens des parties sur un service de « référencement assortiment permanent » pour 2016 et 2017, la Cour constate que les explications et les pièces produites par la centrale de référencement du Groupe Casino (AMC) ne permettent d’appréhender ni la consistance exacte de ce service, « ni en quoi il se distingue du simple référencement des produits FG Diffusion », ni de son ampleur dans la variété de gammes justifiant une rémunération spécifique. Dans ces conditions, AMC « ne justifie pas avoir accompli un service détachable de l’opération d’achat-vente » en contrepartie de la somme versée par la société FG Diffusion au titre de la rubrique « référencement assortiment permanent » (…) ».

La solution se retrouve incidemment encore à l’occasion des débats sur le service de « mise en marché » pour 2018 et qui conduisent la Cour à estimer, au vu des pièces produites par AMC, que cette dernière ne justifie pas de « l’exécution d’une prestation autre que du référencement de deux produits de la société FG Diffusion ce qui fait partie de l’opération d’achat-vente », et qu’AMC « ne démontre pas avoir réalisé un service spécifique à la « mise en marché » au titre de l’année 2018 en contrepartie de la somme versée à ce titre par la société FG Diffusion. ».

Même chose lors de l’examen par la Cour d’appel du bienfondé de la « la ristourne de « gamme » » pour 2018. Ici encore et aux yeux de la Cour, « la ristourne dite de « gamme » libellée ZRB3 n’a fait l’objet ni d’une facture détaillée ni d’un contrat d’application permettant d’en apprécier le contenu, les modalités d’application et en particulier l’ampleur des gammes de produits de la société FG Diffusion concernés. Si la société AMC explique que l’objectif de cette ristourne était de permettre une gamme de référence des produits FG Diffusion « des plus élargies », force est de constater qu’elle se limite à produire les cadenciers 2018 « sans aucune analyse mettant en évidence l’optimisation des produits de la société FG Diffusion et un service distinct du simple référencement des produits ». Dans ces conditions, la société AMC ne justifie pas avoir accompli une prestation détachable de l’opération d’achat-vente en contrepartie de la ristourne obtenue de la société FG Diffusion en 2018. ».

 

4. Observations

Comme indiqué en question introductive, l’arrêt permet, entre autres, de revenir sur la question tant de fois posée : le référencement en tant que tel et en toutes circonstances, à commencer par celle où il est le fait d’une entité au demeurant souvent dédiée à cette tâche au sein d’un groupe de distribution dans lequel d’autres entités achètent et revendent les produits du fournisseur, peut-il se monnayer ?

Nous nous penchions d’ailleurs récemment sur cette question du caractère monnayable de certains versements auprès de Centrales de la grande distribution, alors intrigué que nous étions à la lecture d’un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris (Paris, 6 septembre 2023, n° 21/19954, Lettre distrib. 11/2023, nos obs.).

Riche, pratique et clair : Indépendamment des solutions apporte en l’espèce, tels sont de notre point de vue les caractères de l’arrêt du 29 novembre dernier pour les praticiennes et praticiens.

Tel n’est pourtant pas nécessairement toujours notre sentiment, davantage réservé sur certains arrêts traitant de problématiques voisines et convoquant quelques rendez-vous sur des interrogations plus fondamentales (ex. Paris, 25 octobre 2023, n° 21/11927, Lettre distrib. 12/2023 et RLC 2024/134, n° 4575, nos obs.).

Mais rien de tel ici. A la lecture de l’analyse menée par la Cour d’appel sur certains services de centrales et de leur caractère monnayable, est-il encore besoin d’épiloguer ?

En quoi de tels services, peu importe leur dénomination et pour lequel il a été consenti à un « avantage », sont-ils (si) distincts du « simple référencement » ?

Sans aller jusqu’à la dire avilie, la tâche de référencement est donc banalisée, parce qu’en réalité inhérente à la relation d’achat-vente observée et dont elle n’est pas un « service détachable ».

Peu importe alors qu’elle soit désignée comme un « service » ou les bavardages qui l’accompagnent parfois dans les conventions qui la prévoient.

De tout ceci et à l’issue d’une analyse in concreto et comme cela ressort de cet arrêt, il convient de retenir que la requalification menace alors aussi des « services » ou « contreparties » aux intitulés différenciants tels « mise en marché » ou « ristourne de gamme ».

Dès lors et sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 1° du Code de commerce (et mutadis mutandis sur le fondement de l’article L. 442-1 I 1°), la vigilance s’impose au plan de la négociabilité à titre onéreux de certaines prestations de référencement et ses déclinaisons, même déguisées en autre chose.

L’observation vaut encore nous semble-t-il, lorsqu’il est question d’examiner des contreparties en matière de déséquilibre significatif sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 2° (devenu art. L. 442-1 I 2° ; à rappr. Com., 25 janv. 2017, n°15-23547 : Lettre distrib. 02/2017, N. Eréséo ; Paris, 1er juillet 2015, n° 13/19251 : Lettre distrib. 07-08/2015, nos obs. ; T. Com. Paris, 24 sept. 2013 : Lettre distrib. 11/2013 ; Paris, 12 juin 2019, n°18/20323, Lettre distrib. 07-08/2019, S. Chaudouet. ; Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, RLC 3425, juillet-août 2018, n° 74, p. 16 et s, nos obs), même si la convergence dans l’analyse menée au visa des 1° et 2° de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce peut parfois s’avérer aléatoire (cf. Paris, 25 octobre 2023, n° 21/11927, préc.).

En pleine période de négociation commerciale, même si certaines se terminent déjà en ce milieu du mois de janvier 2024 ou vont se clore à la fin de ce mois à raison du dispositif exceptionnel pour 2024 prévu par la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 (Lettre distrib. 02/2017, N. Eréséo), tel sera – sans plus – l’éclairage que nous souhaitions donner sur l’un des principaux apports de l’arrêt sur cette problématique récurrente, sans amoindrir bien entendu l’intérêt des autres sujets qu’il aborde.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Janvier 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Avantages abusifs : A avantage « quelconque » contrepartie « quelconque »?

Affaire Ministre de l’Economie c./ Galec

Cour d’appel de Paris, 25 octobre 2023, n° 21/11927

 

1. Faits

A la suite de plusieurs articles de presse faisant état d’une pratique du Galec dénommée « taxe Lidl », la DGCCRF et au niveau régional, les Dirrecte (Drieets) ont étudié les conditions dans lesquelles l’enseigne E. Leclerc aurait imposé une remise additionnelle de 10% aux fournisseurs de produits à marque nationale (Heineken, Lactalis, Mars, Unilever, Yoplait etc), tels qu’également présents dans les rayons des magasins de l’enseigne concurrente Lidl.

Les enquêteurs ont analysé les conventions annuelles conclues en 2013, 2014 et 2015 entre le Galec et un échantillon de 22 fournisseurs et ont relevé que les produits référencés par le Galec étaient affectés d’une réduction de prix additionnelle, lorsqu’ils étaient également référencés par Lidl et que cette réduction était présentée comme inconditionnelle.

Estimant que cette pratique de réduction de prix n’était assortie d’aucune contrepartie en contravention avec les dispositions de l’article L.442-6 I 1° du code de commerce, le Ministre de l’économie a assigné le Galec devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement précité pour, notamment, voir constater la nullité de ces obligations dans les conventions conclues entre 2013 et 2015 et que le Galec soit condamné au paiement de la somme de 83.035.774,91 euros au titre de sommes perçues indûment outre une amende civile de 25.000.000 euros.

Les premiers juges ont débouté le Ministre dans un jugement du 11 mai 2021. Il interjeta appel.

Par arrêt du 25 octobre 2023, la Cour d’appel confirme le jugement en toutes ses dispositions.

 

2. Problème

Outre le moyen, écarté par le Tribunal, sur le caractère irrecevable de l’action autonome du Ministre à raison d’une contrariété de cette action au regard du droit de l’Union en matière de concurrence (art. 101 du TFUE ; Règl. 1/2003) et la primauté de ce droit dans l’ordre juridique européen, se posait la question du caractère licite de la remise litigieuse.

L’on pourrait la formuler comme ci-dessous.

L’obtention par un distributeur auprès d’un fournisseur d’une remise ayant pour seule contrepartie le maintien du flux d’affaires avec ce fournisseur, dans un contexte de tension concurrentielle entre ce distributeur et son concurrent, revêt-elle un caractère licite au regard de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce ?

 

3. Solution

« De l’ensemble de ces constatations, il en ressort que dans le processus de détermination du prix convenu entre les parties lors des négociations annuelles, la remise litigieuse ne visait clairement pas à rémunérer un service commercial ou « toutes autres obligations » mais faisait partie intégrante de la négociation liée aux conditions de l’opération de vente pouvant aboutir à des réductions de prix sur le tarif des fournisseurs, et dont la contrepartie attendue par ces derniers n’était autre que le maintien du flux d’affaires entre les parties dans un contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs E. [W] et Lidl. Il s’ensuit que la remise litigieuse ne constitue pas un avantage sans contrepartie au sens des dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° du code de Commerce. »

 

4. Observations

1) Sur le périmètre en apparence stabilisé du contrôle de l’avantage sans contrepartie.

Le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 11 mai 2021 (Trib. Com. Paris, 11 mai 2021, n° 2018014864, sous commentaire de Com. 11 janvier 2023, n° 21-11.163, Lettre distrib. 02/2023, et Revue Lamy de la Concurrence n° 125, Mars 2023) avait jugé mal étayée la demande en restitution du Ministre, au motif que celle-ci avait été formulée « au titre exclusif de l’article L. 442-6 I 1°, fondé sur le seul moyen de l’absence de service commercial effectivement rendu, alors que celui-ci n’était prévu par aucun des contrats-cadres litigieux ».

Etonnante motivation qui nous amenait à conclure qu’une prestation contractualisée, mais fictive ou donnant lieu à un avantage disproportionné, pouvait être exposée à une analyse sur le fondement de l’article précité, à l’inverse d’un avantage ne prévoyant pas de contrepartie, c’est-à-dire l’archétype de la situation abusive sous l’angle de l’article L. 442-6, I, 1° à ce jour L. 442-1, I, 1°.

Mais c’était avant l’arrêt de la Chambre commerciale de cassation du 11 janvier dernier (Com. 11 janv 2023, n° 21-11.163, préc.), dont il ressort que l’article L. 442-6 I 1° s’applique à tout avantage, et donc à des réductions de prix.

Ce faisant, la Cour suprême cassait un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 novembre 2020 (Paris, 4 nov. 2020, ch. 5-4, n° 19/09129, Lettre distrib. 12/2020, obs N. Eréséo), qui avait estimé que les dispositions précitées ne s’appliquaient pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.

Soulignons toutefois que cette dernière, tout juste un mois avant l’arrêt de la Cour de cassation, avait déjà infléchi sa position dans un arrêt du 7 décembre 2022 (Paris, 7 déc. 2022, Pôle 5, Ch. 4, n° 20/11472, sous commentaire de Com. 11 janvier 2023, n° 21-11.163, préc.), en livrant une explication de texte sur l’article L. 442-6, I, 1° et sur la compréhension de la solution de son arrêt du 4 novembre 2020.

En l’espèce rapportée, la Cour d’appel rappelle la solution générale de la Cour de cassation du 11 janvier 2023 sur le domaine de l’article L. 442-6 I 1°.

Puis elle constate à l’analyse des contrats-cadre annuels 2013-2015 et leurs annexes conclus entre chacun des fournisseurs et Le Galec que la « remise spécifique sur produits était prévue au titre des conditions de l’opération de vente des produits (…) et non au titre de la rémunération d’un service commercial ou de toute autre obligation au sens des 2° et 3° de l’article L.441-7 ».

Alignée cependant sur la solution de la Cour suprême, la Cour d’appel ne conclut donc pas au caractère hors champs de l’article L. 442-6 I 1° de la pratique litigieuse, donnant ainsi pleine force à la disposition.

Mais, bien qu’épuisé, le débat sur la réduction de prix contrôlable, n’empêche pas la Cour, par le biais du contrôle de la contrepartie, de la considérer en elle-même non contrevenante à l’article L. 442-6 I 1°, sous fond des circonstances factuelles de son obtention.

La motivation de l’arrêt débouche sur la solution que l’on connaît, mais qui, de notre point de vue, n’avait rien d’incontournable, loin s’en faut.

Certes, de débat sur la contrepartie il est bien question, bien que ce terme ne figurât pas expressément au sein de l’énoncé du principe de la prohibition (« 1° d’obtenir… du service rendu »), ce dernier étant en revanche mentionné au détour de l’un des exemples cités pour illustrer l’une des pratiques interdites (« Un tel avantage peut notamment consister (…) et sans contrepartie »).

Malgré le défaut d’emploi de ce vocable en tant que condition légale expresse de la définition de la prohibition, contrairement au terme corrélatif d’« avantage », la recherche de l’existence de la « contrepartie », condition implicite et centrale dans les contentieux d’application de l’article L. 442-6 I 1°, est menée par la Cour d’appel.

Rappelons que depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, la définition de la prohibition telle que donnée dans l’article L. 442- I 1° se réfère expressément, à deux reprises d’ailleurs, à la « contrepartie ».

Pour autant, l’on ne disposait pas à l’époque des faits – et l’on n’en dispose toujours pas – d’une ligne franche de partage, légale ou prétorienne, entre la contrepartie en soi licite et celle qui ne l’est pas (question de licéité de la valorisation de ladite contrepartie mise à part).

Tout au plus, savait-on que l’avantage qui y correspondait pouvait selon la loi, être « quelconque » (dorénavant « un » avantage – quel qu’il soit donc – dans la version la plus récente de l’interdiction).

Implicitement et de manière générale, l’on sait aussi que cet avantage ne devait pas et ne doit toujours pas être abusif, un tel caractère pouvant découler de la contrepartie causale, exprimée sous différente désignations auxquelles nous sommes accoutumés en jurisprudence (fictivité, faux services etc).

En ce qui concerne cette contrepartie, l’on savait encore, dans la version du texte applicable à l’espèce, qu’elle était sa « fonction » au sens très large – les termes de « tâche » ou « prestation » étant peut-être plus adaptés – à savoir un service commercial effectivement rendu.

Mais, en dépit de ces approches plus ou moins abouties, la « nature » ou l’essence de la contrepartie au sens de l’article L. 442-6 I 1° (ou L. 442-1 I 1°) du Code de commerce demeure opaque.

D’où l’intérêt qu’il existe à voir poser le critère de la contrepartie, même si son sa formulation en est difficile.

 

2) Sur la variable de la contrepartie et l’utilité d’un critère.

C’est le sujet d’autres réflexions auxquelles chacun pourra se livrer.

Un tel critère, qui permettrait de départager « raison » (en tant que motif) et « contrepartie », sans exclure que la première puisse ensuite le cas échéant se traduire dans la seconde, serait alors ab initio employé dans le cadre d’une appréciation qui ne serait pas que casuistique.

Son emploi permettrait de déterminer comme d’ordinaire, mais peut être de manière moins subjective parfois, en un premier temps, si la contrepartie existe pour l’avantage observé pour le cas échéant et en un deuxième temps, vérifier si l’avantage qui lui correspond est proportionné.

Pour rappel, le mis en cause n’avait intelligemment pas contesté le domaine d’application de l’article L. 442-6 I 1° aux réductions de prix (à rappr. Cour d’appel de Paris, 6 septembre 2023, n° 21/19954, Lettre distr. 11/2023).

Il avait ainsi notamment préféré plaider que la pratique litigieuse ne constituait pas un avantage sans contrepartie et que s’il y avait lieu de considérer un « avantage quelconque » au sens des dispositions précitées, il devait en être de même de la contrepartie qui pouvait alors être « quelconque ».

Et bien lui en a pris, car il nous semble que la Cour d’appel centralisatrice, encore il y a peu réfractaire à l’application aux réductions de prix de l’article L. 442-6 I 1° et désapprouvé en cela par la Cour de cassation, semble au détour de cet arrêt et en dépit des circonstances, bien souple, pour ne pas dire moins regardante, en matière d’appréciation de la légitimité de la contrepartie en débat.

Son appréciation en l’espèce de la contrepartie peut apparaître comme dissonante  avec celle que l’on peut observer dans un autre de ses arrêts, pourtant du même jour, au vu de la contrepartie du maintien à l’avenir de la relation ou du courant d’affaires, à l’occasion d’un litige opposant le Ministre à un groupement de distribution concurrent, mais sur le fondement du déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2°, encore dans un contexte de guerre des prix (Paris, 25 octobre 2023, RG n° 20/15542, Lettre distrib. 12/2023).

Mais pour en revenir au sujet de la recherche d’un critère de la contrepartie à l’occasion du problème de droit posé, l’on peut légitimement se questionner sur le financement par un fournisseur, de la concurrence sur ses propres produits voire d’une guerre des prix, entre deux de ses clients.

Nous avions pourtant compris que la rivalité concurrentielle entre distributeurs relevait d’une situation normale, notamment pour la défense de leurs parts de marché, et dont il leur incombait d’assumer les effets.

Alors que cette concurrence s’est muée en une « guerre » des prix qu’ils avaient semble-t-il eux-mêmes déclenchés ou à laquelle ils avaient bon gré mal gré participé, la prise en compte de cette situation est-elle de nature à devoir reconnaître dans la raison d’un « maintien du flux d’affaires entre les parties » un critère de justification d’un avantage financier et ainsi lui attribuer la nature d’une contrepartie au sens de l’article L. 442-6 I 1° ?

Si en commerce comme ailleurs, toute chose a sa raison ou son explication, légitime ou non, ne faut-il pas considérer que la seule existence d’une raison ou d’un motif, quand bien même sensé au plan économique pour celui qui sollicite l’avantage, ne peut être le critère pertinent de la contrepartie, du moins si l’on prétend se doter, comme c’est encore le cas dans notre règlementation, d’outils de lutte contre certaines pratiques ?

Sans qu’il soit nécessaire de nous replonger dans les jurisprudences stigmatisant bien des contreparties abusives, gardons à l’esprit qu’avant le recentrage de certaines d’entre elles dans le nouvel article L. 442-1 du Code de commerce, l’article L. 442-6 I 1°, après sa formulation générale, procurait quelques exemples d’avantages pour des contreparties illicites.

Nous limitant ici à évoquer des pratiques prohibées connues auxquelles la pratique rapportée nous fait songer sans tenter un rattachement à ces dernières, l’on comptait au nombre de ces illustrations, par exemple, celle de la demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients ou la demande supplémentaire, en cours d’exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité.

De même, la prévision du bénéfice automatique des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes se voyait sanctionnée par la nullité des clauses ou contrat en cause.

Cette dernière pratique est encore appréhendée dans le nouvel article L. 442-3 du Code de commerce.

Autant de situations dont nous comprenions, par leur énoncé plus que par l’identification d’un critère précis, qu’elles n’étaient pas des contreparties sujettes à avantages, même si elles eussent leur raison propre.

Et s’il fallait encore penser ce critère de la contrepartie à la lumière, entre autres, d’un « intérêt commun » il y a encore peu évoqué au détour d’un exemple cité dans l’ancien L. 442-6 I 1°, faudrait-il se contenter d’une communauté d’intérêt dans l’approche d’un tel critère, dès qu’il est constaté que le fournisseur est désireux de commercer avec son client ou de continuer à ce faire, cette seule raison accédant au rang de « contrepartie » au sens de l’article précité, justifiant ainsi tout moyen dédié à cette fin ? Nous ne le pensons pas.

De notre point de vue, la contrepartie ne paraît pas pouvoir se loger dans le fait d’entretenir une relation avec un partenaire commercial, sauf à neutraliser l’article L. 442-6 I 1° (et L. 442-1 I 1° qui ne vise plus que « l’autre partie »), puisque sa mise en jeu est intimement liée à la relation commerciale creuset des pratiques litigieuses, mais qui ne peut en tant que telle, constituer la contrepartie contrôlable.

Alors qu’en l’espèce rapportée, les relations se sont maintenues entre les parties qui ont répondu à la demande de remise additionnelle, il ne semble pas qu’un tel intérêt soit des plus absolument partagé.

En effet, la Cour d’appel, aux confins d’une analyse sur la soumission, non nécessaire ici mais apportant un éclairage sur la raison de la réduction de prix, constate sur la base des déclarations de fournisseurs que la remise demandée et obtenue par le distributeur, n’avait pas d’autre contrepartie que celle de pouvoir maintenir le référencement de leur produit chez le dit distributeur et de sécuriser la commercialisation de leurs gammes de produits, ou relève que deux des fournisseurs avaient été obligé d’arbitrer leur politique de distribution de leur marque nationale et de faire le choix entre l’une ou l’autre des enseignes (…) ou, pour tel ou tel autre, de limiter le nombre de double référencement (…) ou son volant d’affaires avec Lidl, voire de proposer au concurrent des formats de produits différents.

La Cour constate en outre que, pour la majorité des fournisseurs interrogés, cette pratique de remise sur leurs produits référencés chez Lidl n’a pas eu d’impact significatif sur la poursuite de leur relation commerciale avec l’une ou l’autre des enseignes, ni sur leur chiffre d’affaires global.

En fin de compte, le recadrage opéré par la Cour de cassation en janvier dernier sur le domaine du contrôle des avantages sans contrepartie risque de ne pas suffire, si cette dernière doit demeurer une notion aux contours imprécis et parfois volatils, selon les préférences affichées par le juge.

Il en va de la sécurité juridique du contenu de la négociation entre les parties, car la jurisprudence est pleine de rebondissements au point que telle contrepartie admise aujourd’hui pourrait ne plus l’être demain.

Alors et en ce qui nous concerne et quand bien même la causalité de l’avantage puisse t’elle apparaître vertueuse pour celui qui le perçoit, à la question « A avantage « quelconque » contrepartie « quelconque » ? la réponse peut être oui si nous sommes en présence d’une contrepartie, mais non si ce n’est pas le cas.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Décembre 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Pénalités logistiques et obligation de « remontée » à la DGCCRF : J-45.

Lignes directrices de la DGCCRF en matière de pénalités logistiques (ou FAQ en matière de pénalités logistiques)

faq-lignes-directrices-penalites-logistiques-vf.pdf (economie.gouv.fr)

 

Pour rappel, la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs (Loi Descrozaille ou Egalim 3) a institué une obligation de « remontée » d’informations à la DGCCRF sur les pénalités logistiques, jusqu’alors inexistante.

Fournisseurs et distributeurs doivent s’y conformer avant le 31 décembre prochain (cf. art. L. 441-19 du Code de commerce).

Cette obligation s’inscrit dans le cadre de l’objectif des pouvoirs publics d’amélioration de certaines pratiques sur la question.

Le fait de ne pas se conformer à cette obligation est passible d’une amende administrative dont le montant peut atteindre 500.000 euros pour les personnes morales.

 

1. La remontée coté distributeurs.

Ces derniers doivent communiquer à la DGCCRF, au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qu’ils ont infligées à leurs fournisseurs au cours des douze derniers mois ainsi que les montants effectivement perçus. Ils détaillent ces montants pour chacun des mois.

Les pénalités « infligées » doivent s’entendre celles comme correspondant aux factures de pénalités émises mais non encore recouvrées.

Les montants « effectivement perçus » correspondent aux pénalités recouvrées par le distributeur.

A noter que chaque distributeur doit aussi communiquer à la DGCCRF, avant le 31 décembre 2023, les montants des pénalités logistiques infligées par lui à ses fournisseurs respectivement en 2021 et en 2022, en les détaillant mois par mois ainsi que les montants effectivement perçus.

 

2. La remontée côté fournisseurs.

Ces derniers doivent communiquer à la DGCCRF, au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qui leur ont été infligées par leurs distributeurs au cours des douze derniers mois ainsi que ceux effectivement versés.

Les pénalités logistiques « infligées » doivent s’entendre comme celles correspondant aux factures de pénalités reçues mais non encore réglées.

Les montants « effectivement versés » correspondent aux pénalités réglées par le fournisseur.

Ces données doivent être détaillées mois par mois et enseigne par enseigne.

Sur ce sujet et plus généralement sur celui des pénalités logistiques, la DGCCRF a mis en ligne un FAQ qu’elle actualise régulièrement.

La dernière actualisation figure dans la version de ce FAQ du 3 novembre dernier.

Elle précise l’adresse électronique à laquelle les informations doivent être « remontées ».

Qu’il s’agisse des fournisseurs ou des distributeurs, ces informations doivent être adressées sur la messagerie du bureau 3C « Commerce et relations commerciales » de la DGCCRF : remontees-penalites-logistiques@dgccrf.finances.gouv.fr.

Un modèle de tableau à renseigner sera adressé prochainement aux organisations professionnelles représentatives des fournisseurs et des distributeurs.

Dans l’attente de ce tableau, rien n’empêche de commencer à s’emparer du sujet afin de ne pas être pris de court.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

De certains versements Centrales en Grande distribution : vers un renouveau du débat sur leur caractère monnayable ?

Affaire Sarl Le Roy Muribane c./ SAS Franprix Leader Price Holding

Cour d’appel de Paris, 6 septembre 2023, n° 21/19954

 

1. Faits

La société Le Roy Muribane (le « fournisseur ») spécialisé dans le commerce en gros de fruits et légumes, fournissait en produits frais depuis 1996, des supermarchés exploités en franchise sous l’enseigne Leader Price appartenant à la société « Distribution Bretagne Atlantique » (DBA ou le « distributeur »).

Des évolutions capitalistiques entre 2008 et 2020 ont conduit cette société dans le giron du groupe Casino.

Le fournisseur et le distributeur ont conclu durant leur relations plusieurs conventions annuelles, décrivant les rémunérations dues par le premier en échange des prestations de services réalisées par le second.

La dernière convention a été signée au titre de l’année 2017 et aucune convention n’a été signée pour les années 2018 et 2019.

A compter de fin 2019, le distributeur a cessé tout achat auprès du fournisseur, qui l’a assigné devant le Tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies. La procédure était en cours à la date de l’arrêt rapporté.

Par ailleurs et invoquant la nullité de deux articles des conventions annuelles conclues en 2016 et 2017 intitulées « Contrat de référencement et de prestations de services », aux fins d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées à son distributeur, le fournisseur l’a encore assigné devant le Tribunal de commerce de Rennes qui l’a débouté de ce chef.

Le fournisseur a interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris.

Au soutien de sa demande en nullité, le fournisseur invoquait le caractère fictif des services, et donc l’absence de contrepartie à la rémunération prévue dans les deux articles précités.

Les services litigieux étaient regroupés sous quatre « items » à savoir : « 1. Commission de référencement et de gestion administrative centralisée ; 2. Réalisation de publicités et d’informations sur les lieux de vente dans les magasins ; 3. Expositions et opérations événementielles ; 4. Éléments techniques. ».

Par arrêt du 6 septembre 2023, la Cour d’appel infirme le premier jugement, prononce la nullité des articles querellés et condamne le distributeur (Franprix Leader Price Holding lors de la procédure d’appel) à la restitution des sommes indument versées par le fournisseur.

 

2. Problèmes

1) Comment se répartit la charge probatoire lors d’un litige fondé sur l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce prohibant l’obtention d’un avantage sans contrepartie ?

2) Quel est le domaine matériel de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce prohibant l’obtention d’un avantage sans contrepartie ?

3) Comment se définissent, au regard de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce, les services pouvant donner lieu à rémunération dans le cadre d’une convention commerciale conclue dans l’univers de la Grande distribution entre un fournisseur et son distributeur pour la distribution des produits du premier par le second ?

 

3. Solutions

1) Sur la répartition de la charge probatoire :

« Il incombe au fournisseur, la société (…), demanderesse conformément à l’article 1353 du code civil, de prouver qu’une contrepartie a été versée. Il appartient ensuite à la société (…), dont le rôle était de faire bénéficier [le fournisseur] de ses services pour la distribution de ses produits dans les différents supermarchés gérés par (…), de prouver qu’un service a été effectivement rendu (Com, 3 mars 2021, n°19-13533). »

2) Sur le domaine matériel de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce :

« La lettre du texte permet par la grande généralité de ses termes d’étendre son application au-delà des seuls services de coopération commerciale (« service commercial ») et à un avantage de toute nature (« un avantage quelconque »). La Cour de cassation retient que « l’application de l’article L 442-6 I 1° du code de commerce exige seulement que soit constatée l’obtention d’un avantage quelconque ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage » (Com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163). »

3) Sur la définition des services pouvant donner lieu à rémunération (a contrario ne le pouvant) au regard de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce dans le cadre d’une convention commerciale dans l’univers de la Grande distribution :

« Elle [la Cour de cassation] a précisé que « le service donnant lieu à rémunération dans le cadre d’une convention commerciale doit être spécifique et aller au-delà des simples obligations résultant des opérations d’achat et de vente en donnant au fournisseur un avantage particulier de nature à faciliter la commercialisation des produits » (Com., 26 septembre 2018, n°17-10173). ».

 

4. Observations

1) Sur la répartition de la charge probatoire.

En l’espèce, le fournisseur justifiait du paiement des factures de services au libellé type « Coopération commerciale 2016 – Référencements et prestations de services » (idem pour 2017), mais le distributeur ne justifiait pas de services effectivement rendus en contrepartie des sommes versées.

La preuve de l’accomplissement des services rendus au titre de 2016 et 2017 n’étant pas rapportée, la Cour d’appel les considère fictifs de ce seul chef sans qu’il soit nécessaire de s’interroger plus avant sur la nature de services querellés, ni a fortiori, sur la proportionnalité des avantages consentis.

La Cour ne s’engage d’ailleurs sur aucun de ces deux terrains, s’évitant à l’occasion une analyse non nécessaire.

La solution générale rendue à ce sujet est conforme à la jurisprudence la plus établie de la Cour de Paris sur la mécanique probatoire (à rappr. Paris, 10 mai 2023, n° 21/04967, Lettre distrib. 06/2023 et RLC 4461, n° 129, juil-août 2023, p. 15 et s., nos obs.).

Elle sera ensuite ici déclinée pour chacune des quatre catégories de services en cause, la Cour rappelant à l’occasion qu’« est indifférente la circonstance que [le distributeur] ne soit plus en possession des justificatifs qui seraient détenus par sa société mère, dès lors qu’il lui appartenait de conserver les justificatifs ou d’en obtenir la production ».

Il est vrai que le moyen était quelque peu naïf, en ce qu’il visait à voir son auteur déchargé de la part du fardeau probatoire lui revenant, sous prétexte qu’il ne pouvait matériellement pas rapporter de preuve contraire, alors qu’un tel moyen traduisait la reconnaissance d’une impossibilité de prouver, et donc d’avoir tort.

Quant au « marronnier » du dossier, il est balayé, sans surprise. Pour ceux qui n’auraient pas encore reconnu sa petite musique, c’est celle du moyen de défense du distributeur pour qui le fournisseur, durant plusieurs années « ne justifiait pas avoir contesté le paiement des sommes litigieuses » jusqu’à sa demande en justice pour les périodes non prescrites (2016 et 2017), ce qui démontrait que les services avaient bien été rendus et que le distributeur s’était acquitté de ses obligations contractuelles.

Rejeté encore le moyen selon lequel c’est le fournisseur qui « a souhaité convenir avec le distributeur de contrats de référencement et de prestations de services aux termes desquels elle [le fournisseur] a tiré des avantages réels et spécifiques », comme par exemple pour « la commission de référencement et de gestion administrative centralisée », contenant une déclaration générale que l’on peut supposer pré rédigée, selon laquelle le fournisseur « souhaite bénéficier des services centraux de [du distributeur] afin de l’aider au déploiement de ses produits au sein du réseau de supermarchés géré par [le distributeur] ».

En outre et concernant « la réalisation de publicités et d’informations sur les lieux de vente dans les magasins », la circonstance alléguée par le distributeur que les rayons fruits et légumes sont la vitrine des magasins à enseigne Leader Price, qui communiquent régulièrement à leur sujet auprès de leur clientèle afin d’insister sur la qualité, la fraîcheur et les circuits courts empruntés par ces produits (affiches, magasines promotionnels, etc.), ne permet pas de justifier aux yeux de la Cour, de la réalisation de publicités et d’information dans les magasins par le distributeur en 2016 et en 2017.

Sur ce dernier service, il est d’ailleurs relevé que les « prétendues opérations sur les lieux de vente, décrites de manière très générale dans le contrat et dépourvues de réalisation », n’avaient donné lieu à « aucun contrat d’application », alors que le fournisseur indiquait n’avoir eu aucune connaissance desdites opérations.

L’absence de contrats d’application pour les « expositions et opérations événementielles », est aussi retenu par la Cour pour en conclure au caractère fictif de ces dernières, alors encore que le fournisseur soutenait à nouveau les avoir ignorées sans être en cela démenti.

Enfin, s’agissant des « éléments techniques pour la mise en place par [le distributeur] de toute action dans le seul but de promouvoir les produits référencés, notamment la mise à disposition par les filiales des palettes perdues », la Cour dit qu’il n’est pas justifié de leur réalisation par le distributeur.

2) Sur le domaine matériel de la prohibition de l’avantage sans contrepartie.

Bien peu de chose à observer ici, si ce n’est à constater la reprise par la Cour d’appel de la solution rendue en janvier dernier par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163, Lettre distrib. 02/2023 et RLC 4399, n° 125, Mars 2023, p. 31 et s., nos obs.).

Entendre par cela que le texte de la prohibition vise un avantage, quel qu’il soit (contra, Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2023, n° 20/04679, Lettre distrib. 10/2023, nos obs.).

Il ne ressort d’ailleurs pas de l’arrêt que le distributeur ait estimé opportun, pour sa défense, de tenter de débattre à ce sujet.

3) Sur la définition des services pouvant donner lieu à rémunération (a contrario ne le pouvant) au regard de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce dans le cadre d’une convention commerciale dans l’univers de la Grande distribution.

C’est de notre point de vue sous cet angle que l’arrêt nous semble le plus intéressant quant aux pistes de réflexions qu’il ouvre, tout en nous efforçant de ne pas attribuer à la Cour d’appel des points de vue qu’elle n’aurait pas littéralement exprimé au travers de ses motifs.

De même, il ne s’agira pas ici de commenter une appréciation sur la nature des services, faute pour la Cour de l’avoir réellement menée.

Sous ces réserves et sur ce sujet parfois clivant, il se doit, en premier lieu, d’être souligné que l’arrêt intervient au cours d’une période durant laquelle le dispositif de lutte contre l’obtention d’un avantage sans contrepartie s’est vu revigoré tant par le législateur à l’occasion de l’ordonnance du 24 avril 2019 (voir article L. 441-2 I 1° nouveau) que par la Haute Cour (Com. 11 janvier 2023, préc.).

En deuxième lieu, nous ne pouvons manquer de relever que la Cour d’appel, qui aurait pu se limiter au seul constat du défaut de preuve d’accomplissement des services critiqués pour les considérer fictifs, rappelle ab initio une solution d’un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendue en épilogue d’une longue affaire opposant le Ministre de l’Economie à Système U (Com. 26 septembre 2018, n° 17-10173, Lettre distrib. 10/2018, nos obs.) autour de de la rémunération de services de centrales.

La Cour d’appel nous remémore ainsi le double critère du caractère « spécifique » du service qui doit « aller au-delà des simples obligations résultant des obligations d’achat et de vente ».

Nous ne nous pencherons d’ailleurs pas sur le troisième critère alors posé par la Cour de cassation, à savoir que le service devait « donner au fournisseur un avantage particulier de nature à faciliter la commercialisation des produits ».

Car comme d’ailleurs déjà précisé dans l’arrêt ici commenté, qui s’inscrit dans la lignée de celui de la Cour de cassation du mois de janvier dernier (Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163, préc.), la lettre du texte permet par la grande généralité de ses termes d’étendre son application au-delà des seuls services de coopération commerciale (« service commercial ») et à un avantage de toute nature (« un avantage quelconque »).

En l’espèce, les services centraux au titre de la « Commission de référencement et de gestion administrative centralisée » relevaient de quatre thématiques à savoir (1) la centralisation de la négociation des informations relatives aux produits et les commandes des magasins lors des opérations promotionnelles, (2) la mise en place d’un développement stratégique en secteur, permettant, par la présence de chefs de secteur, de relayer la politique globale convenue par [le distributeur] avec [le fournisseur], (3) la mise à la disposition d’un interlocuteur unique (ou des interlocuteurs uniques) pour déterminer la stratégie, les produits et la quantité de produits qui seront placés dans les différents supermarchés concernés et (4) la coordination par [le distributeur] des commandes de ses différentes filiales (fruits et légumes, fleurs et plantes, etc.) en une livraison unique afin de permettre au fournisseur de simplifier sa logistique journalière et de favoriser son passage en réception.

Si nous laissons de côté cette dernière thématique d’ordre « logistique », les trois premières prestations invoquées par le distributeur (la centrale) agissant qui plus est « au nom et pour le compte de ses filiales », n’étaient-elles pas au fond, le socle pour ne pas dire le prérequis, de toute la relation d’achat-vente dont elles ne pouvaient apparemment pas être découplées, avec lesdites filiales.

En présence de certains services de centrale, faut-il alors voir une contrepartie justifiant un avantage telle ou telle prestation qui, rétribuée ou non, serait obligatoirement accomplie parce qu’elle est indissociable du mode d’organisation pour l’achat vente mis en place par le distributeur ? Même non « avantagée », la prestation serait quoi qu’il en soit assurée lorsqu’il ne pourrait en être autrement pour que se noue et vive la relation.

Paradoxalement, s’il peut apparaître tentant pour l’auteur de la prestation aux fins de de contrer la critique de sa non réalisation et soutenir que le service mérite une rémunération, d’invoquer son caractère accompli, car de fait indispensable, un tel moyen ne participe-t-il pas de la reconnaissance, pour ces services, de leur caractère non détachable de l’achat vente ? Le choix du moyen de défense peut donc s’avérer cornélien.

Alors et si l’on tente une ligne de partage entre ce qui est monnayable et ce qui pourrait ne pas l’être, la question ne serait-elle pas, pour le Juge, de déterminer si, au fond, le fournisseur est réellement en mesure de refuser la mise en œuvre de la contrepartie proposée, sans que ne soit pour autant affecté tout le processus du référencement et de vente de ses produits et donc, mécaniquement, son accès direct aux achats-ventes.

Si la réponse est oui, c’est que l’on est en présence d’une simple option qui, si elle est choisie à la manière d’un « opt-in » puis mise en œuvre, pourrait donner lieu à monnayage.

Mais à l’inverse et si la réponse est non, c’est que la mise en œuvre de la prestation en cause est systémique, sans « opt-out ».

Dès lors et comme tel consommateur qui se voit refuser la vente de tel produit ou service s’il n’achète pas en même temps tel autre produit ou service « proposé » (vente ou prestation de service lié), la subordination de la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur à la réalisation de la prestation de Centrale conduit ledit fournisseur à supporter une charge à raison de ce monnayage ainsi « proposé ».

Enfin et au-delà de ce premier débat, déjà rencontré par le passé, un second pourrait être relancé à la faveur de cet arrêt, alors que le fournisseur avait souligné que les prétendus services de référencement et de gestion administrative centralisée n’avaient pas été réellement assurés « dans son intérêt » bien que facturés.

La Cour a d’ailleurs, sur des services moins essentiels que celui du référencement et des taches associés, effectivement accueilli le moyen du fournisseur qui soutenait, s’agissant du service de « publicités et d’informations sur les lieux de vente dans les magasins », qu’il n’aurait pas été réellement assuré « dans son intérêt » et qu’il était donc fictif.

Voilà encore de quoi donner lieu à critique du caractère monnayable du service en question, quand bien même ce dernier eut-il été assuré.

L’arrêt ainsi rapporté pourrait-il être pressenti comme la première pierre du renouveau du débat sur les services de centrale dans le domaine des relations industrie-commerce ? A suivre.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Novembre 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Avantage sans contrepartie : prohibition large et soubresaut judiciaire.

CEPC, 15 septembre 2023, Avis n° 23-7

Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2023, n° 20/04679

 

1. Faits

La Commission d’Examen des Pratiques Commerciales s’est prononcée sur la conformité aux dispositions de l’ancien article L. 442-6, I, 1° et de l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce de la pratique visant, pour une société informatique, à émettre successivement cinq factures annuelles forfaitaires sur le fondement d’un contrat d’abonnement à l’ordre d’une entreprise cliente, au titre de prestations dont cette dernière ne bénéficiera pas, faute de déploiement d’une plateforme informatique permettant la délivrance de ces prestations.

 

2. Problèmes

Il était question, pour la CEPC, de déterminer si cette pratique pouvait être appréhendée tant sur le fondement de la prohibition des avantages sans contrepartie (ancienne et nouvelle version issue de l’ordonnance du 24 avril 2019) que sur celui du droit des obligations.

 

3. Solutions

Le traitement de la question sous l’angle du droit des obligations ne sera pas abordé ici, sauf à simplement signaler que la CEPC, au vu des circonstances de l’espèce, se penche sur les notions de caducité et d’exception d’inexécution.

Pour ce qui est de l’approche de la pratique décrite au regard des articles L. 442-6 I 1° puis L. 442-1 I 1° du Code de commerce, la CEPC la considère comme non conforme, après vérification des conditions d’application de la prohibition.

Ainsi, sur le nouveau fondement issu de l’ordonnance du 24 avril 2019, la CEPC estime que « la société informatique exerce une activité économique de services. De son côté, le client est bien « l’autre partie » à laquelle le bénéfice de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce est réservé. Par ailleurs, cette disposition est pourvue d’une lettre générale, mentionnant « un avantage », sans aucune précision, ni exclusion. (…) la société informatique réclame au client le paiement du prix de l’abonnement tel que prévu au contrat alors qu’en l’absence d’installation de la plateforme, aucune prestation n’est réalisée par elle, ce qui paraît constituer « le fait d’obtenir ou tenter d’obtenir un avantage sans contrepartie » en violation de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce. Il en irait toutefois autrement dans le cas où l’absence de toute prestation trouverait son origine dans le comportement du client lui-même ».

L’appréciation ne varie pas lorsque la pratique en cause est mise à l’épreuve de l’ancien article L. 442-6 I 1°, dans la mesure où la société informatique apparaît bien comme un « partenaire commercial » et que l’interdiction de l’obtention d’un avantage sans contrepartie, s’appliquait « quelle que soit la nature de cet avantage » et pouvait donc concerner le prix (Cass. Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163).

 

4. Observations

Le contenu de l’avis n° 23-7 quant au domaine d’application de la prohibition de l’avantage sans contrepartie ne nous surprend pas, tant au regard des précisions données par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 janvier dernier (Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163, Lettre distrib. 02/2023, et Revue Lamy de la Concurrence n° 125, Mars 2023, nos obs.) qu’au plan de la prohibition telle que définie par l’ancien texte et le nouveau.

La CEPC s’est d’ailleurs par le passé et à de multiples reprises, montrée favorable à une application ouverte du dispositif en contemplation de sa lettre (voir notamment Avis CEPC n° 20-4 ; n° 19-1 ; n°18-2 ; n°18-3 ; n°18-8 ; n°15-21).

Dans un avis du mois de février dernier (Avis n° 23-1), elle réitérait encore sa position, sur la base de la prohibition nouvellement définie par l’article L. 442-1 I 1°.

En outre, plan historique, chacun se souvient de la vigueur dans le maniement judiciaire de la prohibition, en présence de contrats pour la prestation de services de fictifs, notamment de coopération commerciale.

Ainsi donc et s’il méritait d’être rapporté à la Lettre, ce dernier avis de la CEPC faisant application de la prohibition à la contrepartie, entendue ici comme le prix en soi de la prestation, ne révèle rien d’imprévu, pour cette prohibition multiface à raison du caractère si multiforme des pratiques qu’elle entend combattre.

Mais il est toujours téméraire en cette matière de croire au point final.

Un regard croisé du côté de la Cour d’appel de Paris nous en persuade.

En effet et dernièrement, dans l’un de ses arrêts (Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2023, n° 20/04679) assez surprenant selon nous, ladite Cour est à nouveau venu semer le trouble sur le domaine d’application de l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné.

Certes, sa solution est rendue au regard de l’article L. 442-6 I 1° alors applicable aux faits de l’espèce.

Après un rappel de ce que « Le texte sanctionne le fait de consentir dans le cadre de relations contractuelles de partenariat un avantage sans contrepartie ou avec une contrepartie manifestement disproportionnée au service rendu », la Cour d’appel constate qu’il s’est instauré entre les parties une relation commerciale aux termes de laquelle elles se sont mises d’accord sur l’objet et sur le prix de la mission de recrutement d’un collaborateur.

Mais, selon elle, « la rémunération contestée est le prix de la prestation convenu entre les parties et ne porte pas sur un avantage consenti au sens de la disposition précitée. ».

Nous relèverons curieusement qu’« au surplus » pour la Cour, « il résulte des développements précédents que l’objet de la prestation ne présente par un caractère fictif (…) » ce qui peut s’apparenter à une contradiction si le texte de L. 442-6 I 1° n’est pas applicable.

Exit alors, selon la Cour d’appel, l’application au cas d’espèce du L. 442-6 I 1°.

Bis repetita ! Serait-on reparti sur un nouvel intermède de résistance à l’application littérale de l’article précité (en sens contraire, Paris, 10 mai 2023, n° 21/04967, commenté à Lettre distrib. 06/2023, nos obs) au demeurant encore moins compréhensible que par le passé, au vu des enseignements récents de la jurisprudence (Com. 11 janvier 2023, préc.) et des évolutions de la loi ?

Pour l’heure, la solution résultant de cet arrêt nous apparaît en tout cas non conforme à celle délivrée par la Cour de cassation en début d’année s’agissant du domaine de l’article précité.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Déséquilibre significatif au-delà des clauses et déroulement des enquêtes « simples ».

Affaire Ministre de l’Economie c./ SAS ITM Alimentaire International

Cour d’appel de Paris, 28 juin 2023, n° 21/16174

 

1. Faits

Selon l’arrêt rapporté, la DGCCRF a mené en 2013 et 2014 une enquête destinée à vérifier que la « guerre des prix » menée par les distributeurs français dans un contexte de crise économique et de stagnation du pouvoir d’achat ne s’accompagnait pas de l’imposition de clauses ou de pratiques contrevenant aux dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce et notamment à l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, des abus ayant été dénoncés par l’ANIA, la FNSEA et Coop de France dans une lettre commune adressée en juin 2014 au Premier ministre et publiée dans LSA.

L’enquête a notamment donné lieu à auditions de 46 fournisseurs sous couvert d’anonymat, ainsi qu’à opérations de visites et saisies dans les locaux d’un distributeur, la SAS ITM Alimentaire International (ci-après « ITM »).

Reprochant à ITM d’avoir mis à exécution un « plan d’action et de sécurisation » élaboré dès le mois de mai 2014 et destiné à obtenir de ses fournisseurs, sans élément nouveau survenu depuis la conclusion des contrats cadres le 1er mars 2014 et sans contrepartie, une baisse de prix sous forme de remises supplémentaires (« additionnelles ») compensant sa perte de marge, ce qui caractérisait la tentative de soumission de chacun de ses fournisseurs à un déséquilibre significatif au sens de l’article L 442-6 I 2°, le Ministre de l’Economie a assigné ITM devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 5 juillet 2021, le Tribunal estimé l’infraction caractérisée et a infligé à ITM une amende de 2.000.000 d’euros, avec exécution provisoire (Trib. Com. Paris, 5 juillet 2023, RG 2015024902).

Suite à appel interjeté par ITM, la Cour d’appel de Paris confirme pour l’essentiel le premier jugement, sauf notamment à ramener à cinq au lieu de neuf le nombre des fournisseurs victimes de la pratique et non des moindres (dont Colgate, Henkel ou Mondelez).

 

2. Problèmes

Les lecteurs les moins pressés ne pourront faire l’économie d’une lecture de cet intéressant et volumineux arrêt, aux préoccupations multiples, dont certaines ont pu être relevées dans d’autres affaires récentes (ex. examen de l’affaire sous le volet « pénal » de l’article 6 de la CEDH, à rappr. Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023, nos obs.), car nous nous limiterons ici à un focus sur certains sujets.

Le premier sera relatif au pouvoir des enquêteurs lors d’investigations menées sur le fondement de l’article L. 450-3 auprès de l’entreprise suspectée de la mise en œuvre de pratiques prohibées et à celui du risque de divulgation ultérieure des constats effectués auprès des fournisseurs à raisons de vicissitudes du procès, en dépit des mesures d’anonymat mises en œuvre pas les enquêteurs.

Le deuxième, maintes fois rencontré mais qu’il est utile de rappeler, traite du champ d’application matériel de l’article L. 442-6 I 2° aux simples pratiques non formalisées par écrit.

 

3. Solutions

– Sur le pouvoir des enquêteurs d’entendre dans le cadre d’une enquête « simple », les personnes susceptibles d’avoir participé à la commission d’une infraction, la Cour d’appel juge qu’« en procédant à des auditions poussées, parfois tendues et comprenant des questions auto incriminantes sans information préalable des personnes entendues sur leurs droits en pareilles circonstances, sur le fondement de l’article L 450-3 du code de commerce sans nécessité pour le contrôle opéré, les agents de la DGCCRF ont excédé leurs pouvoirs. Les déclarations ayant ainsi été obtenues illicitement, peu important qu’un avocat ait été présent lors des auditions puisque le cadre juridique était inadéquat, la production et l’exploitation dans le cadre du procès des procès-verbaux qui les consignent sont déloyales et portent irrémédiablement atteinte au droit au procès équitable de la SAS ITM, la discussion contradictoire ne lui permettant pas d’en contester utilement le contenu. ».

– Sur anonymat des procès-verbaux établis auprès des fournisseurs, celui-ci n’est pas en lui-même débattu devant la Cour d’appel, l’arrêt se limitant à relater le sujet dans l’exposé du litige au stade de la première instance.

Le propos constitue plus une information qu’une solution de droit aux termes de l’arrêt.

L’on relève en effet que, suite à incident de production forcée de pièces provoqué par le défendeur, deux jugements avant-dire droit « ont ordonné la communication par le Ministre à la SAS ITM de tous les procès-verbaux établis en juin et juillet 2014 au cours de l’enquête menée auprès de 46 fournisseurs, puis l’accès au conseil de la SAS ITM et à son directeur juridique, préalablement engagés à la confidentialité, aux procès-verbaux non anonymisés, à l’exception des informations relatives aux concurrents. ».

La lecture de la décision en première instance étant plus précise, il conviendra de s’y reporter.

– Sur le champ d’application matériel de l’article L. 442-6 I 2° aux simples pratiques non formalisées par écrit, la Cour d’appel juge que « l’imposition d’une baisse tarifaire non formellement contractualisée peut constituer la soumission (ou sa tentative) à une obligation au sens de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce. Cette interprétation, conforme à la lettre et à l’esprit du texte, est compatible avec la substance de l’infraction (…) ».

Nous observerons sur les sujets ci-dessus dans l’ordre où l’arrêt les évoque.

 

4. Observations

4.1. Champ d’application de l’article L. 442-6 I 2° et simples pratiques non formalisées par écrit.

La solution s’inscrit dans la continuité d’arrêt antérieurs de la même Cour.

Le Ministre n’a d’ailleurs pas manqué de verser aux débats autant d’arrêts qui se référent expressément à la sanction de pratiques, distinguées pour l’occasion des clauses (Paris, 18 septembre 2013, n° 12/03177 ou, pour des décisions plus récentes postérieures aux faits litigieux, Paris, 21 juin 2017, n° 15/18784, Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, Revue Lamy Droit de la Concurrence,  n° 74, Juillet Août 2018, nos obs. et Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227. à rappr. Lettre distrib. 04/2023, préc.).

La Cour rappelle entre autres au soutien de cette solution, la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-85 qui évoque « « la complexité des pratiques que le législateur a souhaité prévenir et réprimer » et rappelle que l’article L. 442-6 du code de commerce a pour objet « l’interdiction des pratiques commerciales abusives dans les contrats », signe que les premières peuvent s’exprimer dans la formation et l’exécution des seconds auxquels elles ne se réduisent pas, [et] s’est prononcé sur l’intelligibilité du concept de «  déséquilibre significatif » et non sur la nature et la source des obligations qui le créent. ».

Par un raisonnement a fortiori, les juges rappellent qu’il s’agit de sanctionner par la responsabilité civile « un fait juridique » et que « s’appliquant également à la tentative de soumission, commencement d’exécution qui a par hypothèse manqué son effet, il est évident que l’obligation créant le déséquilibre significatif n’a pas à être formalisée dans un contrat, cette analyse n’étant pas destinée, comme le soutient la SAS ITM, à pallier une carence ou une contradiction législative mais à restituer à la loi sa cohérence pour garantir sa pleine effectivité ».

Le comportement de l’auteur – fait juridique – prime sur le succès rencontré de dernier ou, lorsqu’il s’avère fructueux, sur l’instrumentum, au point que le premier est sanctionnable même en l’absence du deuxième : le défaut de formalisation contractuelle n’absout pas la pratique, en l’état de la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris, qui nous semble sur ce point respectueuse des textes.

Dans ce contexte, le moyen, si rien n’interdisait de le tenter, semblait d’avance vain.

Profitons de l’occasion pour signaler qu’à propos de la compensation de marge qui fut l’une des pratiques antérieurement listées dans l’ancien article L. 442-6 I 1°, la Cour rappelle que « la liste développée par des lois successives a finalement été supprimée par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 dont l’objet n’était pas d’autoriser les pratiques antérieurement visées mais de « recentrer la liste des pratiques commerciales autour de trois pratiques générales » (Rapport au Président de la République), signe supplémentaire que l’ajout opéré en 2014 [adjonction dans l’article L. 442-6 I 1° de la pratique consistant en une demande supplémentaire, en cours d’exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité] sur l’interdiction n’était qu’illustratif. ».

L’enseignement en est que ce type de pratique demeure prohibée si se vérifient, dans des litiges même les plus récents, les conditions d’application de l’article L. 442-1 I.

 

4.2. Enquêtes « simples » et pouvoir des enquêteurs d’entendre les personnes susceptibles de se voir reprocher la commission d’une infraction.

La Cour, voyant dans les investigations auprès des personnels d’ITM, certaines demandes allant au-delà de celles dont dispose l’article L. 450-3 du Code de commerce en matière d’enquête dite « simple », limitées à la communication de divers éléments prévus par le texte et « nécessaire au contrôle », rappelle que ce dispositif ne confère pas aux enquêteurs un pouvoir général d’audition ou de perquisition.

Il est donc considéré que les déclarations obtenues auprès d’ITM, moyennant notamment des questions précises pouvant parfois traiter de la caractérisation même de l’infraction, voire de nature à favoriser l’auto incrimination, l’ont été de manière illicite.

Leur production dans le cadre du procès, des procès-verbaux qui les consignent sont donc jugées déloyales et portent atteinte de manière irrémédiable au droit au procès équitable.

Bien que se refusant, contre ce qui lui était demandé au principal et faute de base légale, à annuler les procès-verbaux litigieux, dont le contenu confirmait la réalité d’auditions car « très au-delà du cadre limité et circonscrit au recueil de renseignements » rattachés au contrôle, la Cour considère qu’« au regard de la nature du vice intrinsèque qui affecte les pièces 17 à 22 du ministre chargé de l’économie, ces dernières, dont la constitution même est déloyale dans son ensemble et qui n’ont aucune force probante, seront déclarées irrecevables. ».

En l’espèce, il est possible que les enquêteurs aient gâté leurs constatations en voulant, peut-être, les rendre plus éloquentes (contra : Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023, nos obs.).

Nul ne doute que ces derniers sauront, à l’avenir, en tirer les enseignements au plan pratique lors de leurs investigations.

Mais les services du Ministre n’étaient toutefois pas absolument dépouillés d’éléments à faire valoir à titre de preuve, puisqu’ils disposaient, entre autres de procès-verbaux, eux aussi « d’auditions », mais établis auprès de fournisseurs entendus.

 

4.3. Anonymat des procès-verbaux établis auprès des fournisseurs.

Suite aux abus dénoncés dans la presse spécialisée sans que n’aient été pour autant désigné leur(s) auteur(s), l’idée que les constats réalisés auprès de 46 fournisseurs auraient pu ou ont pu, entre autres, être pris en compte (ce que l’arrêt peut nous inviter à deviner mais sans certitude) pour présenter au JLD la demande d’enquête « lourde » de l’article L. 450-4 du Code de commerce, pratiquée fin juillet 2014 dans les locaux d’ITM, ne nous semble pas si baroque.

Les fournisseurs n’étaient pourtant ni plaignants, ni les auteurs du courrier paru dans LSA et qui semble avoir été le détonateur de l’affaire.

Soyons clairs sur deux points : D’une part, les principes du procès équitable, dont le respect des droits de la défense, doivent bénéficier à tout justiciable. D’autre part, rien ne peut ici nous amener à estimer que les enquêteurs ont pu manquer de sincérité sur l’anonymat annoncé aux fournisseurs.

Cela étant, même si les déclarations sont anciennes, il n’en demeure pas moins que l’on pourrait comprendre l’éventuelle amertume ressentie par certains fournisseurs, tenus de coopérer à l’enquête et entendus à cette occasion sous le secret, mais dont les déclarations auront pourtant été, malgré les tentatives du Ministre de s’y opposer, divulguées et prises en compte pour motiver la condamnation de leur client d’alors et qui l’est probablement encore de nos jours.

Et de cette expérience des uns peut découler une appréhension des autres à déclarer sincèrement et entièrement dans le cadre de futures investigations, visant pourtant à lutter contre des comportements nuisibles à l’équilibre et la loyauté des relations commerciales.

Pour les observateurs que nous sommes, le signal donné par cet arrêt n’est donc pas des plus heureux dans le cadre de la lutte contre les pratiques abusives.

Le modus operandi reste donc encore perfectible pour parvenir à un récit conciliant efficacité des enquêtes, procès équitable et effectivité de la loi.

Il y aurait enfin bien à dire au plans des conseils pratiques à donner aux fournisseurs afin de ne pas compromettre les enquêtes destinées à les protéger, voir leurs actions individuelles en restitutions, mais c’est là un tout autre sujet.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de septembre 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Clause de renégociation de l’article L. 441-8 du Code de commerce – Produits exclus.

Rappel : Une clause relative aux modalités de renégociation du prix doit être insérée dans les contrats portant sur la vente de certains produits agricoles et alimentaires dont la durée d’exécution est supérieure à trois mois et dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires, de l’énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages.

Le dispositif concerne aussi les contrats écrits entre un producteur de produits agricoles et son premier acheteur régis par l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime.

Cependant, un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut fixer la liste de certains produits agricoles et alimentaires pour lesquels le contrat peut ne pas comporter la clause de renégociation.

Il s’agit d’une dérogation qui fait l’objet d’une demande motivée de l’interprofession représentative des produits concernés ou, lorsqu’il n’existe pas d’interprofession pour ce type de produits, d’une organisation professionnelle représentant des producteurs.

Un arrêté du 31 juillet 2023 paru au JO de ce jour,  vendredi 4 août 2023, précise que sont exclus du dispositif (par référence à la nomenclature combinée UE – Règl. 2658/87), les produits visés dans deux Annexes à l’arrêté :

– Annexe 1 : vise les produits des chapitres 10 de la nomenclature combinée (céréales – à une exception près), 11 de cette même nomenclature (produits de la minoterie, malt, amidons et fécules, inuline, gluten de froment), ainsi que d’autres types de produits référencés dans l’Annexe et relevant d’autres chapitres de la nomenclature (ex. graisses et huiles).

– Annexe 2 : vise certains produits relevant du chapitre 22 de la nomenclature combinée (boissons, liquides alcooliques et vinaigres – selon les précisions sur la portée de l’exclusion indiquées dans l’Annexe à l’arrêté. Il s’agit des vins, raisins et moûts dont ils résultent, des dénominations françaises).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Référé et inexécution d’un contrat potentiellement anticoncurrentiel.

Affaire Carrefour c./ Coopérative U Enseigne

Cour d’appel de Paris, 8 juin 2023, n° 22/19043

 

1. Faits

En juin 2018, Carrefour France (« Carrefour ») et Coopérative U Enseigne (« U »), ont conclu un « accord de coopération ».

Cet accord avait pour objet la négociation groupée afin d’améliorer leurs conditions d’achats auprès de certains fournisseurs (volet « France » de la coopération entre les deux groupes).

En mars de l’année suivante, Carrefour World Trade (« CWT ») et U concluent un « contrat de service », prévoyant la négociation par CWT auprès de certains fournisseurs et contre rémunération par ces derniers, de prestations internationales de services, dont l’exécution était sous traitée à U (pour ce qui concerne, on le suppose, celles de ces prestations intéressant le Groupement U – volet « International » de la coopération entre les deux groupes).

Ces conventions avaient initialement pour terme le 31 décembre 2023, avec possibilité de tacite reconduction.

Après avoir décidé en juin 2022 de ne pas renouveler leur « accord de coopération » à l’arrivée de son terme, les parties ont d’ailleurs convenu tout début septembre 2022 de l’anticiper au 31 décembre 2022.

Bien que le « contrat de services » ait été renouvelé en juin 2022 et son terme porté au 31 décembre 2026, U devait, courant septembre, annoncer à Carrefour son intention de ne pas l’exécuter, le considérant nul à raison, selon U, des risques anticoncurrentiels nés du découplage des dates de fin des deux accords (Ord. réf. T. Com. Paris, 10 nov. 2022, p. 4).

En octobre, Carrefour a saisi en référé d’heure à heure, le Tribunal de commerce de Paris, aux fins de voir ordonner sous astreinte à U de poursuivre l’exécution de ses obligations au titre du contrat de service à compter du 1er janvier 2023 et jusqu’à ce qu’intervienne une sentence arbitrale statuant au fond sur le désengagement de U.

Cette dernière s’y opposait, au motif que les deux composantes de l’alliance (Coopération et Services) ne pouvaient être exécutés l’une sans l’autre au vu des règles de concurrence, ce qui participerait de l’exécution d’un contrat le cas échéant invalide.

A signaler que Carrefour demandait en outre qu’il soit fait interdiction à U, sous astreinte, d’exécuter le partenariat international conclu avec ses nouveaux partenaires, au sein d’autres centrales d’achat européennes, Epic Partner et Everest.

Par ordonnance du 10 novembre 2022, le Président du Tribunal de commerce de Paris, au visa de l’article 873 al. 1 du CPC dit n’y avoir pas lieu à référé et rejette les demandes de Carrefour, faute d’avoir démontré, comme l’exige l’article précité, l’existence d’un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite.

La Cour d’appel confirme l’ordonnance.

 

2. Problèmes

Etaient en cause le découplage des dates de fin des accords (« Coopération » et « Service ») au regard des règles de concurrence.

Il était question de savoir si, comme le prétendait U, la poursuite du contrat de services de manière dissociée du contrat de coopération pouvait créer une situation de pratique anticoncurrentielle prohibée, le contrat de services encourant ainsi la nullité en application de l’article L. 420-3 du Code de commerce.

En pareille hypothèse, restait alors à savoir si la résiliation anticipée reprochée à U ouvrait au juge des référés la possibilité de faire droit aux demandes de Carrefour de voir exécuté le contrat, motif pris de l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite causé à Carrefour du fait de l’inexécution par U de ses obligations.

 

3. Solutions

A titre de solution générale, la Cour d’appel juge que :

« Selon l’article 1212 du code civil, « Lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme. ». Toutefois, la gravité du comportement d’une partie peut justifier que l’autre partie y mette fin de manière unilatérale à ses risques et périls. Aussi, le refus pour une partie, qui argue de la nullité d’un contrat, d’exécuter ce dernier alors qu’aucune juridiction de fond n’a encore remis en cause la validité de la convention, est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite dès lors que le comportement de cette partie remet en cause de manière flagrante le principe de la force obligatoire des contrats et est contraire au principe selon lequel nul ne peut se faire justice à soi-même. Toutefois, ce comportement peut perdre son caractère de trouble manifestement illicite si le comportement de l’autre partie est susceptible de constituer lui-même une illicéité flagrante. ».

Elle estime alors en l’espèce que :

« (…) force est de constater que la poursuite de l’exécution du contrat de services de manière dissociée de l’exécution de l’accord de coopération, même si elle a été décidée d’un commun accord (la société Coopérative U Enseigne indiquant cependant qu’elle a été hâtivement décidée), est sérieusement susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle au sens de l’article L 420-1 du code de commerce, laquelle peut être sanctionnée par la nullité du contrat en application de l’article L 420-3 du même code. », en  relevant d’ailleurs incidemment que la convention des parties posait comme principe celui de l’indivisibilité des contrats de coopération et celui de service.

 

4. Observations

Les contentieux au fond à l’occasion de l’arrêt de relations commerciales (contractuelles ou non) entre fournisseurs et acteurs de la grande distribution sont nombreux.

Ils le sont moins en référé où il est exigé la réunion de conditions propres au pouvoir de cette juridiction (Com.10 novembre 2009, n° 08-18.337 pour une procédure à l’initiative d’un fournisseur ayant conduit à voir ordonner la poursuite des relations commerciales ; Ord. réf. Trib. Com. Paris, 16 janvier 2020, n° 202000169, Lettre distr. 02/2020 suivi de CA Paris, 26 novembre 2020, n° 20/02392, Lettre distr. 02/2021 ou Ord. réf. T. Com. Paris, 2 février 2022, n° 2022002981, Lettre distr. 03/2022 pour des procédures, à l’initiative d’un distributeur à l’encontre de fournisseurs, à la suite de désaccord sur le prix à l’occasion des négociations commerciales annuelles et ayant conduit à voir ordonner la reprise de livraison).

Ces litiges sont plus inhabituels entre distributeurs, notamment en raison de ce qu’ils n’ont pas vocation à être partenaires commerciaux mais des concurrents.

Ces derniers, après avoir coopéré à l’achat en vue de pouvoir négocier de meilleures conditions auprès de certains de leurs fournisseurs, peuvent un jour désirer reprendre leur liberté, pour continuer leur action seuls ou dans le cadre d’autres alliances.

La solution de l’arrêt ne s’imposait pas comme une évidence au regard du moyen de défense de U tiré de la non-conformité d’une exécution isolée de l’une des composantes de l’alliance, au regard du droit de la concurrence.

Le moyen constituait certes une contestation sérieuse qui, comme le rappelle la Cour « est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond ».

Mais il n’était toutefois pas nécessaire de s’attarder sur un tel caractère, inopérant lorsqu’il s’agit d’appliquer l’alinéa 1 de l’article 873 CPC, car cela ne suffit pas à voir écarté le pouvoir du juge des référés.

Restait donc pour Carrefour à convaincre le juge de l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent.

– Sur le trouble manifestement illicite à l’aune de la problématique de la validité d’un accord inexécuté, la Cour de cassation a par le passé estimé a « qu’il importait peu que la société (…) ait engagé une action judiciaire en contestation de la validité de son engagement dès lors qu’elle était tenue de se conformer au principe selon lequel le contrat conclu doit être exécuté par chacune des parties tant qu’il n’en a pas été statué sur la validité par les juges du fond compétents et que nul ne peut se faire justice à soi-même ; qu’en caractérisant ainsi l’existence d’un trouble manifestement illicite, la cour d’appel n’a donc fait qu’user des pouvoirs qui lui sont conférés par l’alinéa 1er de l’article 873 du CPC civile en prescrivant à la société précitée, à titre de mesure conservatoire ou de remise en état, l’obligation d’exécuter ses obligations contractuelles ; » (Civ. 1er, 15 juin 2004, 00-16.392, Publié au bulletin, RTD Civ. 2004 p. 508, J. Mestre et B. Fages.).

Une telle solution est d’ailleurs rappelée en substance dans l’arrêt ici rapporté. Mais la Cour d’appel en neutralise les effets en opposant au caractère « manifestement illicite » du trouble de l’inexécution du contrat, le comportement de l’autre partie « susceptible de constituer lui-même une illicéité flagrante ».

Nous ne tairons pas que l’emploi du qualificatif « susceptible » pour une « illicéité flagrante » pourrait questionner, si l’on estime que ces termes ne se combinent pas idéalement ou que l’on considère à propos d’une situation qu’elle est flagrante où qu’elle ne l’est pas.

Il semble néanmoins qu’il ait ici question de hiérarchiser la gravité des troubles en concours.

La Cour d’appel se voudra toutefois plus symétrique dans le dernier attendu de son arrêt consacré au trouble manifestement illicite, lorsqu’elle jugera que « Dans ces conditions, il ne peut être considéré que la résiliation unilatérale du contrat de services qui a été opérée par la société Coopérative U Enseigne constitue une violation manifeste de la règle de droit et, par suite, un trouble manifestement illicite, alors que la poursuite forcée du contrat de services, à la validité discutable au regard des règles de la concurrence, est elle-même susceptible de constituer une illicéité manifeste. ».

L’échappatoire pour l’intimé a ici résidé dans sa capacité à convaincre le juge « l’illicéité manifeste » ou à tout le moins susceptible de l’être, pour un fait qui aurait pu, en d’autres circonstances, constituer un trouble « manifestement illicite ».

Certes, les moyens de défense quant à la conformité indispensable au droit de la concurrence n’étaient pas fantaisistes.

La Cour d’appel, comme le Tribunal de Commerce, a en outre relevé que les parties avaient d’ailleurs conjointement indiqués à l’Autorité de la Concurrence, en juin 2019 (cf. Ord. réf. T. Com. Paris, 10 nov. 2022, p. 4) dans le cadre des préoccupations de concurrence qu’aurait pu suggérer l’alliance, que la composante « Services » était indissociable de la négociation du prix d’achat des produits auprès du fournisseur ou encore que l’ensemble des services convenus avec CWT étaient indissociables de la relation d’achat, alors d’ailleurs que la rémunération des services internationaux était calculée notamment en pourcentage du montant des achats des distributeurs auprès des fournisseurs.

Et des précédents d’illicéité potentielle existaient dans des domaines voisins, même si cela ne résulte pas des termes de l’arrêt.

Pour mémoire, la Cour de cassation a cassé en 1998 un arrêt de la Cour d’appel de Rouen au motif que « si l’existence d’une contestation sérieuse n’interdit pas au juge des référés de prendre les mesures prévues par l’article 809, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, le juge doit apprécier le caractère manifestement illicite du trouble causé ; qu’en se bornant à se référer à l’existence de la clause de non-concurrence souscrite par les parties fût-elle non ambiguë et aux pertes d’exploitation des SCP, sans vérifier si cette clause était licite et de nature à justifier l’interdiction des travaux envisagés, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; » (Com. 17 novembre 1998, 96-17.878, Publié au bulletin).

Les discussions étaient alors relatives à une clause de non concurrence qu’une partie prétendait inopposable au motif qu’elle tombait sous le coup de la nullité édictée par l’article 9 de l’ordonnance susvisée du 1er décembre 1986, dont l’article 7 prohibait les ententes ayant pour effet possible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (à rappr. Civ., 13 juillet 2011, 10-19.989, Bulletin 2011, III, n° 136, pour une demande d’acquisition d’une clause résolutoire de plein droit pour méconnaissance d’une obligation contractuelle, alors qu’était en question la validité de certaines stipulations du contrat au regard de dispositions légales d’ordre public, et qui ont amené la Cour d’appel à ne pas admettre le trouble manifestement illicite et ce faisant dire qu’il n’y avait pas lieu a référé).

Si la solution retenue, au vu de certains précédents, ne nous apparaît pas des plus novatrice au plan de son aboutissement, il est tentant d’en discuter dans la motivation, en présence de la réalité d’une inexécution du contrat de services par opposition à ce qui n’est qu’une hypothèse.

Nous l’avons évoqué, cette inexécution aurait pu relever, en d’autre circonstances, d’un trouble manifestement illicite.

Mais tel n’a pas – ou plus – été le cas en l’espèce à raison, selon les termes de l’arrêt, d’une « discussion du caractère anticoncurrentiel » du contrat de services indépendamment de l’accord de coopération et dont la Cour estime pourtant « qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher », même si cette discussion « apparaît tout à fait fondée ».

Et pour la Cour d’appel d’en conclure que, dans les conditions rapportées, la résiliation unilatérale du contrat de services qui a été opérée par U ne constitue pas une violation manifeste de la règle de droit et, par suite, un trouble manifestement illicite, dans la mesure où la poursuite forcée du contrat de services, à la validité « discutable » au regard des règles de la concurrence, est elle-même « susceptible » de constituer une « illicéité manifeste ».

Réalité contre hypothèse. Mais les juges, au premier et second degré ont à deux reprises tranché, dans le même sens qui plus est. Ils sont souverains.

– Pour ce qui a trait à l’examen du dommage imminent dont se prévalait l’appelante au titre notamment de la perte de rémunération ou des avantages financiers octroyés par les fournisseurs au titre du contrat de service inexécuté, les ressorts de la solution de l’arrêt sont les mêmes que ci-dessus.

La Cour estime ce dommage non caractérisé au sens de l’article 873 du CPC, tout en rappelant « qu’un dommage n’est pas susceptible d’être prévenu en référé s’il est légitime ». Or, pour la Cour, « les dommages invoqués résultant ici de l’inexécution d’une convention dont la validité est incertaine, ils sont potentiellement illicites. ».

Au-delà de cette formulation qui nous questionne, lorsqu’il est fait état ici d’un dommage « potentiellement illicite », nous retiendrons que l’incertitude sur la validité du contrat engendre celle sur le caractère légitime ou non des dommages invoqués par l’appelant.

– A noter, juste pour mémoire qu’au plan de la demande en référé fondée sur l’urgence, la Cour juge que l’action de Carrefour ne pouvait non plus prospérer sur le fondement de l’article 872 du CPC, car les mesures sollicitées ne heurtaient à une contestation sérieuse sur la validité de la convention dont il était sollicité la poursuite.

Nous renvoyons à nos précédentes observations au plan de la contestation sérieuse de U.

Sur ce fondement à l’action en référé, la solution nous apparaît bien moins tentante à discuter.

 

Pour la suite de ce feuilleton de désunion entre ces deux grands groupes de distribution, il est à craindre que nous devions nous faire à l’idée de ne pas pouvoir en commenter les débats de fond (mais peut-être en référé si pourvoi), puisqu’il qu’il apparait que les parties ont convenu de soumettre leur différent à l’arbitrage.

C’est dommage, alors que l’on a pu relever en avril dernier dans la presse spécialisée, que Carrefour demandait à Système U, dans le cadre d’une visiblement d’une autre procédure, un montant de 230 millions d’euros au titre d’un préjudice dont elle se prévaut (Centrales d’achats : Carrefour demande un dédommagement supplémentaire à Système U, M. Picard, LSA, 4 avril 2023, https://www.lsa-conso.fr/centrales-d-achats-carrefour-et-systeme-u-franchissent-un-palier,434454).

Enfin et au-delà du cadre strict de ce litige, ces solutions produisent l’effet d’un rappel de la vulnérabilité de la force obligatoire du contrat, y compris en référé, si la convention des parties doit le cas échéant contrevenir à la règlementation en matière de concurrence ou de celle des pratiques restrictives de concurrence.

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juillet/août 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Pratiques abusives et contentieux des restitutions : rappels et enrichissements de la grille de lecture.

Affaire MPH Distribution c./ SAS Achats Marchandises Casino et autres

Cour d’appel de Paris, 10 mai 2023, n° 21-04967

 

Application étendue de la prohibition des avantages tarifaires abusifs, charge de la preuve, indice de la soumission tiré de l’absence de contreparties, domaine des prohibitions, pouvoirs économiques des parties et dépendance économique, effets de seuils…

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 mai dernier en matière de contentieux des restitutions, apporte d’intéressantes indications qui, au-delà des rappels, participent de l’enrichissement des critères d’appréciations des avantages abusifs à l’occasion de la négociation ou de la renégociation commerciale.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en relatons ci-dessous certains des points marquants.

 

1. Faits

La SARL MPH Distribution, ayant pour activité la vente en gros de produits agricoles aux enseignes de la Grande distribution a, via son liquidateur judiciaire, assigné en décembre 2018 devant le Tribunal de commerce de Paris, aux fins de restitutions de sommes qu’elle estimait indument perçues (répétition de l’indu), différentes sociétés du groupe Casino (SAS Achats Marchandises Casino ou « AMC », centrale de référencement du groupe Casino, SAS Monoprix, SAS Distribution Casino France, SNC Sedifrais, SNC Distribution Leader Price).

Etaient notamment en cause le bienfondé de sommes correspondant à des avoirs émis par le fournisseur entre 2013 et 2017, des baisses tarifaires, des paiements au titre de communication de données statistiques et des pénalités infligées au fournisseur.

Seules les prétentions du fournisseur en lien avec la communication des données statistiques ayant été accueillies par les premiers juges (Tribunal de Commerce de Paris, 25 novembre 2020, n°2019005181), le fournisseur a interjeté appel. La Cour d’appel confirme le jugement (Paris, 10 mai 2023, n° 21-04967)

 

2. Problèmes

Le fournisseur invoquait à l’appui de ses demandes divers fondements de l’ancien article L. 442-6 I du Code de commerce, en ses points 1° (avantages sans contrepartie ou moyennant une contrepartie manifestement disproportionnée), 2° (déséquilibre significatif) et plus accessoirement ses points 3° (avantage sans engagement écrit de commandes), 4° (conditions manifestement abusives sous la menace de rupture brutale de relation commerciale établie), 8° (déduction d’office de pénalités pour non-respect d’une date de livraison ou non-conformité des marchandises) et 12° (passation, règlement ou facturation d’une commande à un prix différent du prix convenu).

 

3. Solutions et observations

L’arrêt se distingue immédiatement par son caractère aussi ciselé dans sa structure qu’il apparaît pédagogique au fond.

Certes et à ce jour, bon nombre de pratiques examinées ne sont plus nommément proscrites dans l’actuel article L. 441-2, issu du « recentrage » des pratiques interdites à l’occasion de l’ordonnance d’avril 2019.

Elles pourraient encore mobiliser ce nouvel article L. 442-1, en ses points 1° et 2°, dans la mesure où leurs conditions d’application seront réunies et, le cas échéant pour ce qui est des pénalités de nature logistique, son point 3° introduit à l’occasion de la Loi ASAP de décembre 2020 et par la suite modifié à l’occasion des évolutions législatives ultérieures.

On peut aussi songer au moyen des pratiques discriminatoires visées au point 4° pour certains produits relevant de la convention de l’article L. 441-4 du Code de commerce (ou régime « PGC »), dont l’ensemble s’est encore récemment étoffé à l’occasion de la dernière loi « Loi Egalim 3 ».

Ce serait sur ce dernier sujet une occasion pour les justiciables et leurs Conseils, internes ou externes, de se réapproprier un outil longtemps utilisé, tant en matière de construction tarifaire que de contentieux, jusqu’à son abrogation à l’occasion de la LME ayant proclamé le principe de négociabilité, qu’à l’origine, certains acteurs ont pu croire, à tort, comme sans limite.

En lien avec l’espèce rapportée, réservons néanmoins un tel fondement.

Il ressort en effet de l’arrêt que la fourniture des produits en cause portait sur des « œufs et du lait sous marque de distributeur et de premier prix ».

Autant de situations qui conduiraient selon nous à une non application du point 4° ci-dessus, du fait de la taxinomie des régimes contractuels existant eu égard à la nature des produits (ex. les œufs, sauf erreur, relèvent de l’article L. 443-2 C. Com) et/ou celle des contrats en cause (ex. les contrats MDD qui relèvent de l’article L. 441-7 C. com).

En ce qui concerne l’examen casuistique des prétentions sur le fondement de diverses dispositions de l’ancien article L. 442-6 I, et principalement ses points 1° et 2° mais pas seulement, nous encourageons à la lecture de l’arrêt, pour mieux nous focaliser d’ailleurs de manière non exhaustive, sur les principaux apports de la décision qui, sans surprise, traitent en sujets essentiels ceux des avantages sans contrepartie ou disproportionnés (1) et du déséquilibre significatif (2).

 

1.1. Sur l’avantage sans contrepartie ou disproportionné.

 – Un ralliement motivé pour une analyse enrichie.

Après un court intermède refusant de considérer l’ancien article L. 442-6 I 1° inapplicable aux réductions de prix, cette affaire donne l’occasion à la Cour d’appel de Paris de se rallier ouvertement à la solution récemment donnée par la Cour régulatrice sur le champ d’application du texte (Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163, Lettre dist. 02/2023 et RLC, n° 125, Mars 2023, nos obs).

Mais s’il s’agit du premier arrêt de la Cour d’appel de Paris postérieur à la solution donnée par la Cour de cassation en janvier dernier – du moins à notre connaissance – rappelons que ladite Cour était déjà encline à adopter pareille solution, comme cela ressort de l’un de ses arrêts intervenu quelques semaines avant l’arrêt de la Cour de cassation (Paris, 7 déc. 2022, Pôle 5, Ch. 4, n° 20/11472, Lettre dist. 02/2023 préc.).

Tenant donc la solution générale de la Haute Cour, la Cour d’appel nous enseigne, sans qu’il en soit à redire au plan du mécanisme de la lésion ou de l’adéquation du prix à un service, que « les « avoirs » ne sauraient être exclus a priori du champ d’application du texte ».

Et de préciser alors les critères de l’avoir licite, en précisant que ne se trouve pas interdite « l’émission d’avoirs ou l’octroi de réductions tarifaires décorrélés de tout service commercial dès lors qu’ils ont une cause identifiable qui en justifie l’existence et, dans cette hypothèse, le montant (retour de marchandises défectueuses, régularisation d’une facturation erronée ou toute autre cause d’un avoir au sens classique du terme) ».

Nous approuvons. L’avoir n’est après tout qu’un support, simple porteur de l’avantage discuté dont seul importera la raison à l’heure de l’appréciation du bienfondé de son fait générateur (à rappr. Tribunal de Commerce de Paris, 2 juin 2020, n° 2015024900, abordant la technique des notes de débit analysée sur le fondement du déséquilibre significatif).

Ainsi, l’avoir, même ne traduirait-il pas la contrepartie d’un service commercial, reste licite pour autant que sa raison d’être en soit identifiée et que sa cause, qui ne serait pas en soi un service rendu, le justifierait (ex. correction d’une précédente facture erronée).

En dehors de cette situation et finalement d’une « contrepartie » comme cela s’exprime plus nettement dans le nouvel article L. 442-1 I 1°, le bénéficiaire de l’avantage s’exposera à la critique de l’avantage illicite, et donc à restituer. L’arrêt se veut donc aussi éclairant au regard du nouveau texte.

 

– Un rappel de la mécanique probatoire de l’obtention de l’avantage illicite.

Se gardant, peut-être, de rentrer frontalement dans le débat sur la charge de la preuve (ou sur celui de la critique de son renversement) alors que le texte alors vigueur disposait que « dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation », la Cour se borne à rappeler, par une  interprétation d’effet équivalent, que  « Dans ce cadre, il incombe à la SARL MPH Distribution, conformément à l’article 1353 du code civil, de prouver l’obtention (ou sa tentative) par son partenaire commercial d’un avantage quelconque, et aux sociétés du groupe Casino d’établir au contraire la réalité et l’effectivité de la contrepartie servie. » (à rappr. Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, Lettre dist. 07-08/2020 et Centrales et avantages pour services dénués de consistance : prescription et dialectique de la preuve, RLC 3881, nº 97 sept. 2020, p. 26 et s, nos obs.).

A nouveau, la solution ici rendue servira d’éclairage lorsqu’il sera question de faire application du nouvel article L. 442-1 I 1°.

 

1.2. Sur le déséquilibre significatif.

 – La réitération de l’admission de l’absence de contrepartie en tant qu’indice de soumission.

Renouvelant au mot près la formulation de la solution rendue dans une affaire récente (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/1348, Lettre distr. 04/2023, nos obs), la Cour d’appel juge à nouveau que :

« Si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement. ».

Comme nous l’écrivions récemment en observation sur l’arrêt ci-dessus, ce raisonnement qui convoque la mécanique de la preuve par présomption de fait, prend en compte le résultat escompté (une obligation sans contrepartie) pour en inférer, aux côtés d’autres indices, la soumission.

Il semble donc que ce critère s’installe bel et bien dans la démarche indiciaire probatoire de la soumission.

 – Un rappel de la mécanique probatoire sur l’existence du déséquilibre.

Bien la solution nous apparaisse classique, à savoir qu’« en l’absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à la SARL MPH Distribution, tandis que celle d’un éventuel rééquilibrage du contrat par une autre clause repose sur les sociétés du groupe Casino. », il est utile de la voir rappeler, pour souligner le caractère plus exigeant de la démonstration par le poursuivant du déséquilibre dont il se plaint, outre celle de la soumission, par comparaison aux exigences requises en matière probatoire en cas de demande fondée sur la prohibition de l’avantage sans contrepartie relevant de l’ancien texte, comme du nouveau  (cf. ci-dessus).

Le rappel trouvera son intérêt à l’heure du choix de ses moyens par la victime prétendue, étant souligné que l’invocation des deux fondements, s’ils en appellent à des conditions d’application différentes, ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, comme le note d’ailleurs la Cour d’appel dans l’espèce rapportée lorsqu’elle analyse les « avoirs » (arrêt, point II 2° et obs. infra) (à rappr. Paris, 31 juillet 2019, n° 16/11545, Lettre distr. 09/2019, nos obs).

 – Un rappel des domaines – voisins mais distincts – de la prohibition des avantages sans contrepartie ou disproportionnés et de celle du déséquilibre significatif.

Interprétant la lettre des deux dispositifs de prohibition, la Cour précise que :

« Si les 1º et 2º de l’article L 442-6 I du code de commerce mobilisent des notions se recoupant partiellement, notamment en ce que la disproportion manifeste ou l’inexistence de la contrepartie est un élément d’appréciation du caractère significatif du déséquilibre, leurs régimes sont néanmoins distincts, le second, instrument de préservation de l’équilibre contractuel global impliquant une absence de négociation effective, autorisant une mise en balance plus étendue et plus subjective et qualitative que le premier qui commande une analyse essentiellement objective et quantitative et s’opère terme à terme sans égard pour l’existence d’une soumission. Aussi peuvent-ils être invoqués cumulativement, sans pour autant multiplier les restitutions ou les préjudices. ».

S’ils s’avèrent perméables quant à l’approche de la disproportion manifeste ou l’inexistence de la contrepartie, la précision ici donnée sur le dispositif du point 1° de l’article L. 442-6 I traduit un maniement plus aisé – plus mécanique – que celui du point 2°, ce qui peut augurer d’un accroissement du flux de contentieux des restitutions aux termes du point 1°, après une décennie de reflux, marquée par un important flux à l’avantages des contentieux en matière de déséquilibre significatif.

L’enseignement, qui vaut selon nous pour les 1° et 2° du nouvel article L. 442-1 du Code de commerce, balise le cadre des actions futures sur ces deux fondements révisés à l’occasion de l’ordonnance d’avril 2019.

Comme signalé sur d’autres sujets, la solution trouvera son utilité à l’heure du choix de ses moyens par le demandeur.

– Sur la structure du marché et la situation de dépendance économique à l’aune des éléments indiciels de mise en œuvre de la prohibition du déséquilibre significatif

  • Deux notions différentes et articulables.

Bien qu’en lien avec les débats sur le déséquilibre significatif et la soumission et de ses indices, le sujet n’est certes pas directement traité sous les motifs de l’arrêt spécifiquement consacrés au déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2° C. Com, rangés dans les développements généraux de début de motivation consacré aux « dispositions applicables et leur portée ».

Le tout relève néanmoins d’un point 1°) de l’arrêt consacré au « cadre normatif et factuel du litige », la dépendance économique ressortissant de la dimension factuelle du litige.

Faut-il y voir, dans le cadre d’un arrêt au caractère didactique affirmé, un souhait de la Cour d’isoler sur la forme et sur le fond le traitement de la question de la dépendance économique de celle de la soumission, afin peut-être de prévenir les éventuelles critiques sur l’appréciation des conditions d’application du texte servant de fondement à l’action ?

Nous l’ignorons. Quoi qu’il en soit, ces deux notions ni ne se confondent, ni ne s’interprètent à l’identique, même si la première peut constituer un indice sérieux pour le contrôle de la seconde, de par la contrainte contextuelle, même non prohibée en tant que telle, que la dépendance économique peut susciter pour l’opérateur dépendant lors de la négociation de ses droits et obligations.

La Cour ne fait d’ailleurs pas mystère du lien entre les notions, à l’entame de sa motivation consacrée à la dépendance économique (« Quoique le dispositif de lutte contre le déséquilibre significatif ait été spécifiquement pensé en considération d’un déséquilibre structurel en faveur de la grande de distribution et au détriment des fournisseurs… ») (à rappr. Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/1348, Lettre distr. 04/2023, nos obs., employant la même formulation).

Incidemment, la motivation de l’arrêt nous amène à remarquer en rétrospective, que la dépendance économique en tant qu’indice de la soumission dans le contentieux du déséquilibre significatif apparaît souvent plus reconnue, certes au regard des circonstances et notamment de la part du chiffre d’affaires réalisé par la victime avec l’auteur de la soumission (Paris, 26 janv. 2022, n° 20/04761) ou de la différence de taille entre celle de l’auteur et celle de sa la victime (T. com. Paris, 28 mars 2022, n° 2018017655, Lettre dist. 04/2022, Obs. N.E ; T. com. Paris, 19 décembre 2022, 2017040626 ; à rappr. Paris, 17 mai 2023, n° 21/05790, pour une absence de dépendance économique en dépit du déséquilibre structurel du marché et de celui du rapport de forces économiques entre les parties, Lettre distr. 06/2023, N.E), qu’elle n’est expliquée au plan méthodologique. Mais la Cour s’emploie ici à ce faire, comme observé ci-dessous.

  • Les seuils en tant qu’indices d’appréciation de la dépendance économique de l’un et du pouvoir économique de l’autre à la lumière du droit des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations.

La Cour évoque notamment l’article L. 420-2 « qui n’est certes pas en débat » précise toutefois la Cour, ou encore un avis de l’ADLC en matière de concentration n° 19-DCC-180 du 27 septembre 2019 à propos d’une relation fournisseur/fabricant dans un département ultra marin, évoquant le risque de dépendance économique (décision 19-DCC-180, point 37).

L’Avis indiquait « qu’il existait « « seuil de menace » au-delà duquel la survie du second pouvait être remise en cause, la disparition d’un débouché le plaçant, à plus ou moins brève échéance, dans une situation financière difficile, pouvant parfois conduire à une faillite, et que le niveau de ce seuil n’était toutefois pas fixe et dépendait d’un grand nombre de paramètres spécifiques selon les secteurs concernés, la structure et la situation financière des entreprises, l’existence et le coût d’éventuelles solutions alternatives ».

En l’espèce, « le seuil retenu pour le marché de l’approvisionnement dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire en Guyane qui comprenait cinq principaux acheteurs était de 22 %, taux identique à celui retenu par la Commission européenne dans sa décision du 25 janvier 2000, nº COM/M. 1684, Carrefour/Promodes (…)). » (nota : il semblerait que ce soit plus, au vu du point 38 de la décision de l’ADLC, la décision de la Commission européenne du 3 février 1999 rendue dans une affaire M.1221).

Le sujet des seuils pris en considération sous l’angle de la structure du marché et du rapport de forces entre fournisseurs et distributeurs nous renvoie trois mois en arrière vers un arrêt de la même Cour, pour une affaire à l’initiative du Ministre (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/1348, Lettre distr. 04/2023, nos obs.).

Cet arrêt faisait déjà état, au sein d’un univers particulier de produits et sous l’angle de la structure du marché et du rapport de forces entre fournisseurs et distributeurs et en l’espèce hors débat sur la dépendance économique, d’un « seuil de sécurité de 15% » lors de l’appréciation du pouvoir de marché du distributeur.

Le constat de ce seuil, nous précisait l’arrêt, avait conduit l’ADLC, dans un autre Avis 15-A-06, à inviter les opérateurs, en l’occurrence des distributeurs dans la perspective d’un regroupement à l’achat, et une fois ce seuil franchi, à être « particulièrement vigilants », « la grande distribution à dominante alimentaire représen[tant] le principal débouché. » pour certaines catégories de produit (Avis 15-A-06, point n° 127).

Il était en outre déjà visé dans ce précédent arrêt le « seuil de menace de 22% » précité, lui aussi encore mentionné dans l’Avis n° 15-A-06 précité (Avis 15-A-06, points 247 et s.). Pour la Cour, la caractérisation d’un tel seuil « (…) identifié par la Commission dans sa décision du 3 février 1999 1999/674/ CE (…) n’était d’ailleurs « pas nécessaire à celle d’un déséquilibre des rapports de forces constituant l’indice non suffisant d’une tentative de soumission. ».

Comme autant d’autres éléments factuels, le seuil ne reste donc qu’un indice, qu’il s’agisse de caractériser la soumission ou la dépendance économique.

Ces paramètres d’ordre quantitatif, abondés par le « grand » droit de la concurrence, ont ainsi constitué en l’espèce des points de repères pour l’appréciation de la situation de dépendance économique du fournisseur.

L’arrêt mentionne que ledit fournisseur faisait état dans ses moyens d’un chiffre d’affaires avec les sociétés du groupe Casino sur les années 2013 à 2017, compris entre 20,17 % et 62,29% de son chiffre d’affaires.

La Cour relève encore que la part de marché du groupe Casino sur le marché aval de la distribution alimentaire était de 11,6% à l’époque des faits, soit alors le quatrième opérateur, ce qui devait amener les juges à souligner « l’importance du pouvoir économique du groupe Casino sur un marché ne comprenant que peu d’acteurs, peu important à ce titre qu’il n’occupe que la quatrième place, ainsi que des volumes d’affaires que permet de générer des relations commerciales avec un grand distributeur ».

Ainsi « le marché peut être considéré comme structurellement déséquilibré en la défaveur de la SARL MPH Distribution qui ne jouit d’aucun pouvoir compensateur. » (à rappr. Trib. com. Paris, 6 juillet 2021, n° 2016064825, Lettre distr. 09/2021, nos obs.).

Ce jugement fait état, pour le distributeur d’une « force commerciale (…) de toute évidence supérieure à celle d’un nombre important de fournisseurs », pour une part de marché de 10% dans le secteur de la grande distribution de matériel de bricolage et d’un « débouché difficilement contournable pour les fournisseurs »).

Et d’en conclure au cas particulier que « Au regard des chiffres communiqués par la SARL MPH Distribution et non contestés par les sociétés du groupe Casino (…), de la nature de leurs relations commerciales, de la structure du marché déjà évoquée et de la difficulté évidente pour elle de trouver une solution de remplacement équivalente quoiqu’une possibilité de diversification existe, la situation de dépendance économique de la première est avérée dès l’année 2013. ».

Au vu de ce qui précède, notre compréhension est que le critère du chiffre d’affaires du fournisseur auprès d’un grand distributeur, rapporté au chiffre d’affaires total de ce fournisseur, transcende celui de la part de marché de ce grand distributeur sur son marché.

Alors qu’il génère un chiffre d’affaires important pour le fournisseur et à l’aune de l’appréciation des indices de soumission ou de sa tentative de même que ceux d’une éventuelle dépendance économique, cette perception est d’autant plus présente que le distributeur, quand bien même loin du leader, se place déjà à un rang très honorable sur un marché où le nombre des opérateurs est restreint et dont dans les parts de marché respectives, quand bien même de tel ou leader du moment, ne dépassent pas 24%, ce qui est au demeurant déjà élevé (Source : https://www.lsa-conso.fr/e-leclerc-continue-en-tete-u-lidl-et-aldi-suivent-casino-et-auchan-perdent-du-terrain,438716).

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Rupture brutale de relation commerciale internationale établie et défendeur hors UE : la délicate question de la compétence juridictionnelle.

Affaire Eurofood c./ Tnuva Alternative

Cass. civ. 1er, 13 avril 2023, pourvoi n° 22-15.689

 

Faits.

Une société française s’était vu concéder la distribution exclusive de ses produits dans l’UE et en Suisse par une société israélienne.

Cette dernière invoquant le défaut d’atteinte d’objectifs par son distributeur met fin au contrat.

Celui-ci l’assigne devant le Tribunal de commerce de Paris au titre de manquements contractuels et de rupture abusive.

La lecture du jugement fait ressortir des demandes sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce (à ce jour L. 442-1. II. du même Code).

La société israélienne soulève une exception d’incompétence et prétend que les juridictions compétentes sont celles d’Israël.

La société française conteste.

Le Tribunal de commerce de Paris se déclare incompétent territorialement mais le jugement est infirmé, la Cour d’appel de Paris estimant les juridictions françaises compétentes.

Le pourvoi contre l’arrêt est ici rejeté par la 1er Chambre Civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1er, 13 avril 2023, pourvoi n° 22-15.689).

 

Problème.

Se posait la question de la compétence territoriale des juridictions françaises, en l’espèce le Tribunal de commerce de Paris, pour statuer dans un litige opposant une société étrangère non domiciliée dans un Etat Membre de l’UE, défenderesse et auteure le cas échéant d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie, à une société française, demanderesse et victime de ladite rupture.

 

Solution.

La Cour de cassation pose comme solution générale que :

«  Il résulte de l’article 46 du code de procédure civile, que, lorsqu’il n’y a ni Convention  internationale ni règlement européen relatif à la compétence judiciaire, la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne, de sorte que le demandeur peut, en matière contractuelle, saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service ».

Sur cette base elle estime au cas particulier que :

« ayant constaté que la société Tnuva alternative demeurait en dehors de l’Union européenne et relevé, d’une part, que les livraisons successives de ses produits étaient régies par un contrat-cadre qui faisait participer la société Eurofood à sa stratégie commerciale et imposait à celle-ci des objectifs de vente contraignants, d’autre part, qu’elle consentait en contrepartie à la société Eurofood un droit personnel exclusif de distribution concernant le marché Kasher de l’Union européenne et de la Suisse, qu’elle s’interdisait de concurrencer Eurofood sur ce marché, qu’elle s’engageait à participer aux coûts de promotion et à transmettre à Eurofood toutes les commandes ou demandes de renseignements qu’elle recevait d’acheteurs des territoires concernés et que ces avantages avaient une valeur économique qui pouvait être considérée comme étant constitutive d’une rémunération, la cour d’appel, en exactement déduit, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans dénaturation, que le contrat portait sur une prestation de service et que le lieu de son exécution se situait en France, de sorte que les juridictions françaises étaient compétentes. ».

 

Observations.

Cette solution appelle deux séries d’observations.

Les unes tiennent à la solution générale donnée par l’arrêt (I), les autres se rapportent à la solution particulière dans le cadre des contentieux internationaux de rupture brutale de relations commerciales établies (II).

I – En ce qui concerne la solution générale, un doute se profile.

L’analyse menée par la première chambre civile apparaît en effet discutable sous l’angle du droit international privé de l’Union et notamment du Règlement « Bruxelles I bis » (ci-dessous le « Règlement ») sur la compétence juridictionnelle en matière civile et commerciale.

Elle a d’ailleurs été récemment discutée à la faveur d’une note consacrée à une affaire récente (L. Pailler, Dalloz actualité, le droit en débat, 17 mars 2023, sous Cass. 1er civ., 1er fév. 2023, n° 20-15.703).

Ainsi, l’applicabilité spatiale du Règlement tient simplement à l’internationalité du litige, au moment auquel l’action est introduite devant le juge d’un Etat Membre et à ce qu’il relève de la matière civile et commerciale, sous réserve des exclusions spéciales de l’article 1.2 du même Règlement.

Nous sommes enclins à approuver cette analyse, qui semble dans l’esprit du contenu d’autres études sur la question (D. Alexandre et A. Huet, Répertoire de Droit International, V° Compétence judiciaire européenne, pts 47 et 86). En effet, le Règlement renferme des règles de compétence exposées dans son Chapitre II.

Sauf compétences spéciales, la solution de principe est directement exprimée lorsque le défendeur est domicilié dans un Etat membre.

Pour rappel, l’article 4.1 dicte que « sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ».

Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’une question d’applicabilité du Règlement mais de compétence internationale (voir Dalloz actualité, préc.).

Pour autant, ledit Règlement prévoit encore, à titre de dispositions générales, dans son article 6.1, que « Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat membre, la compétence est, dans chaque Etat membre, réglée par la loi de cet Etat membre, sous réserve etc. ».

Le Considérant (14) énonce d’ailleurs que « D’une manière générale, le défendeur non domicilié dans un Etat membre devrait être soumis aux règles de compétence nationales applicables sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie ».

Ce faisant, le Règlement opère un renvoi aux règles nationales de compétence internationale.

Dans la mesure où le texte UE (art. 6.1 du Règlement) de conflit aborde nommément la situation du défendeur non domicilié dans un Etat membre, ainsi que de la méthode de règlement de la compétence selon la loi de l’Etat membre où le défendeur est attrait, il nous semble restrictif de considérer qu’il n’existe pas, en l’espèce, de Règlement européen relatif à la compétence judiciaire.

Selon l’auteur précité, « l’erreur commise n’est pas anecdotique. Le seul renvoi opéré par l’article 6.1 du règlement ʺBruxellesʺ refondu n’épuise par l’effet juridique du texte. Cet article participe de la détermination de la compétence internationale. (…) Par l’effet du renvoi, les règles nationales de compétence intègrent le système de compétence internationale instauré par le règlement. Les appliquer par renvoi, c’est appliquer le droit de l’Union ».

Et quand bien même la compétence juridictionnelle territoriale fut elle ensuite déterminée par application de l’article 46 du CPC, le raccourci opéré par la première chambre civile afin de permettre au juge d’opérer son office en matière de compétence et conduisant à dénier l’application de « Bruxelles I bis » peut incommoder (contra F. Mélin, Compétence internationale : extension des règles de compétence interne, Dalloz actualité, 21 avril 2023).

II – En ce qui concerne la solution particulière découlant de la solution de droit générale précitée, nous formulons trois remarques.

En premier lieu, il peut être regretté que cet arrêt, destiné à la publication, évoque la seule la rupture abusive du contrat, passant sous silence la problématique, essentielle pour les praticiens, de la rupture brutale de relation commerciale établie dans une relation internationale, alors qu’elle était visée dans le premier jugement et l’arrêt d’appel.

Cette dimension de pratiques restrictives de concurrence était d’ailleurs, en grande partie, à l’origine de l’intérêt porté à cette affaire, dès le premier jugement (T. Com. Paris, 30 sept. 2021, n° 2020037442, Lettre distrib. 01/2022, nos obs.).

Ce dernier avait, entre autres, pour mérite de rappeler qu’en matière de rupture brutale, la compétence des juridictions françaises n’est pas automatique et que le texte en cause, fût-il qualifié de loi de police, n’emporte pas par lui-même compétence des juridictions françaises (T. com. Paris, 30 sept. 2021, précité).

Mais l’on se consolera, car la solution n’en reste pas moins de portée pratique intéressante pour les contrats de distribution en général.

En deuxième lieu, nos lecteurs sont invités à se reporter aux observations formulées sur l’arrêt d’appel (Paris, 2 mars 2022, n° 21/17962, Lettre distr. 04/2022, obs. F. Leclerc).

Ces dernières traitent de la question spécifique de la compétence juridictionnelle en matière de rupture brutale de relation commerciale internationale établie, selon la qualification de la relation en cause, délictuelle ou contractuelle et, dans ce dernier cas, sur la nature du contrat à savoir vente ou prestation de service, sous fond non pas de droit international privé conventionnel de la compétence internationale, mais de droit international privé commun français, c’est-à-dire les règles que doit utiliser le juge français « lorsqu’aucune compétence internationale ne revendique son application » ou « dans le contexte du DIP commun, c’est-à-dire hors de l’attraction du dispositif Bruxelles 1 bis » (rappr. supra, I).

En l’espèce, la Cour approuve l’arrêt d’appel, d’où il ressort que la relation en cause était de nature contractuelle et que le contrat-cadre en cause devait recevoir la qualification de contrat de prestation de services, dont le lieu d’exécution se situait en France. Cette qualification aboutissait à voir les juridictions françaises compétentes.

En troisième lieu, il pourrait être intéressant de se livrer, en perspective, à une analyse des circonstances de la cause au regard de l’article L. 444-1 A C. Com. issu de la Loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

La règle nouvellement posée, dont l’objectif est de contrarier certaines démarches d’évasion juridique opérées par certaines centrales d’achat internationales visant à contourner la loi française (Rapport de la Commission des Affaires Economique du Sénat, 8 février 2023, voir not. p. 11 et 27), contribue à rappeler que la règlementation des pratiques restrictives de concurrence, par la généralité de ses termes, a une fois de plus vocation à s’appliquer bien au-delà des situations qui l’ont initiée (rappr. T. com. Paris, 10 oct. 2022, n° 2021000304, Lettre distr. 12/2022, nos obs.).

Pour clore le propos et en opportunité, le sujet renvoie à celui de l’intérêt pour la partie qui, dans la perspective d’un litige, préfèrerait débattre devant les juridictions françaises, de prévoir contractuellement une clause attributive de juridiction et, à y être, de droit applicable, ce qui n’était semble-t-il pas le cas dans l’affaire ici rapportée (jugement du Tribunal, point 9).

A supposer ensuite une condamnation par une juridiction française, restera alors, mais ce n’est pas un moindre sujet, celui de l’exécution du jugement en territoire étranger et hors UE, et pour laquelle il sera encore nécessaire, notamment en termes financiers, que l’enjeu soit à la hauteur de la tâche.

Gagner ou avoir raison ? Telle est ici aussi la question au plan de la stratégie à envisager.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

A rappr. de notre premier commentaire sur cette affaire  : Rupture brutale de relation commerciale internationale établie : la compétence juridictionnelle française écartée.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de mai 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Négociations et renégociations commerciales abusives : comment apprécier la loyauté des enquêtes « simples » et la tentative de soumission à un déséquilibre significatif ?

Affaire Ministre de l’Economie c./ INCAA, ITM Alimentaire et EMC Distribution

Cour d’appel de Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481

 

Faits.

Suite à une enquête menée en 2016 par ses services, le Ministre de l’Economie devait en avril 2017, par deux assignations, saisir le Tribunal de Commerce de Paris à l’encontre de la centrale d’achat Intermarché Casino Achat (INCAA) et de ses mandants ITM Alimentaire International (Intermarché) et Casino (EMC Distribution) pour pratiques commerciales abusives vis-à-vis de certains fournisseurs du secteur « parfumerie-hygiène » (https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/infos-presse-2017).

Selon le Ministre, l’enquête menée sur le fondement de l’article L. 450-3 du Code com. tant auprès des distributeurs que de leurs fournisseurs, faisait ressortir qu’INCAA, quelques semaines seulement après la signature du contrat-cadre annuel légalement prévue le 1er mars 2015, avait formulé des demandes financières additionnelles à ses fournisseurs, alors que ces demandes ne résultaient ni de circonstances nouvelles, ni d’un besoin nouveau des fournisseurs et n’étaient assorties d’aucune contrepartie précise et chiffrée au moment des demandes, permettant de les justifier.

Les fournisseurs n’ayant pas fait droit à ces demandes auraient subi des mesures de rétorsion.

Selon le Ministre, ces pratiques constituaient une tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en contravention à l’ancien article L. 442-6 I 2° du Code de commerce.

Par deux jugements du 31 mai 2021, précédés de deux autres avant-dire droit du 18 novembre 2019, le Tribunal condamnait INCAA et ses mandants pour avoir soumis ou tenté de soumettre un certain nombre de fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif et prononçait une amende civile de deux fois deux millions d’euros.

Par deux arrêts en date du 15 mars 2023 (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481) et aux termes d’une analyse in concreto de la situation des fournisseurs concernés, la Cour d’appel de Paris confirme pour l’essentiel les premières condamnations.

 

Problèmes

Nous nous pencherons plus particulièrement sur le sujet du déroulement de l’enquête « simple », souvent assez délaissé au profit des sujets sur le fond.

Au plan procédural, In limine litis et à titre principal, les mises en cause entendaient voir infirmer les jugements avant dire-droit et ce faisant déclarer nulle l’assignation et la procédure subséquente et donc les jugements du 31 mai 2021.

A défaut pour cette demande de prospérer, il était alors notamment demandé à la Cour d’appel d’écarter une série de pièces pour méconnaissance par l’Administration des principes qui sous-tendent tout procès équitable.

Sur le fond tout de même, nous rapporterons quelques points des arrêts au plan de la démarche probatoire en vue d’établir la tentative de soumission.

 

Solutions et observations

 

1. Procédure : sur la loyauté dans le déroulement de l’enquête.

La Cour d’appel examine deux prétentions à savoir celle de la nullité de l’assignation et celle de l’irrecevabilité.

– Sur la demande de nullité de l’assignation du Ministre

Sous fond d’article 6 de la CESDH et 9 de la DDH et compte tenu de ce que l’action du Ministre relevait de la matière pénale, il était reproché aux enquêteurs d’avoir violé les principes de loyauté dans la recherche de la preuve, d’impartialité et de neutralité dans la conduite de l’enquête et, de la présomption d’innocence, dans le cadre d’une procédure inquisitoire à leur détriment et par des questions orientées postulant leur culpabilité aussi bien à l’adresse des mises en causes que des fournisseurs enquêtés, d’avoir provoqué des réponses pour conforter les accusations sans justification factuelle.

Ces agissements auraient irrémédiablement vicié l’intégralité de la procédure et entraineraient donc la nullité de l’enquête. En quelque sorte, un vice originel corruptif de toute la procédure subséquente.

La Cour ne l’entend pas ainsi.

Elle prend tout d’abord le soin de rappeler que :

« l’appartenance à la « matière pénale » est déterminée sans égard décisif pour les catégories de droit interne qui ne constituent qu’un critère pertinent de qualification, et ne vaut que pour l’application de la Convention [ie la CESDH] : l’examen du litige sous le volet pénal de l’article 6 de la CESDH, qui est toujours global et opéré à l’aune de l’équité (« principe clé » selon CEDH, 10 juillet 2012, Gregacevic c. Croatie, n°58331/09, §49), n’implique pas l’application des règles nationales de droit pénal et de procédure pénale » (à rappr. d’une précédente affaire opposant le Ministre à ITM AI, Trib. Com. Paris, 2 juin 2020, RG n° 2015024900).

Nous pensons y voir une prise en compte contextuelle des principes de la CESDH, mais non littérale de la matière pénale, qui conduirait à la soumission aux règles du droit pénal des enquêtes comme celle en discussion.

La Cour rejette l’exception de nullité de l’assignation aux motifs qu’en droit interne, l’action du ministre chargé de l’économie exercée sur le fondement de l’article L. 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits est de nature civile (en ce sens, Com. 18 octobre 2011, n° 10-28.005 qui valide la qualification d’action en responsabilité quasi délictuelle) et se trouve soumise aux règles du Code de Procédure Civile (à comp. CJUE, 22 déc. 2022, C-98/22 dit « arrêt Eurelec » qui, sous l’angle de l’art. 1er du règlement n° 1215/2012, qui n’est certes pas ici en débat, soustrait pourtant l’action du Ministre à la matière civile et commerciale. Lettre de la Distribution, Janvier 2023, nos obs.).

Conformément à ces règles, l’assignation, acte de procédure, ne peut être annulée que pour des vices de forme ou de fond au sens des articles 112 et suivants du CPC, étant souligné que les mises en causes n’articulaient aucun moyen en ce sens.

Pour la Cour, même en suivant le raisonnement des appelantes et en retenant la réalité d’une déloyauté ou d’une atteinte aux droits garantis par l’article 6 de la CESDH dans son volet pénal violant irrémédiablement leur droit à un procès équitable, « l’enquête, qui ne constitue qu’un mode de recueil des preuves, n’est pas le support nécessaire de l’assignation, la nullité de la première, à supposer que le juge civil puisse la prononcer, n’emportant pas celle de la seconde. ».

Il est alors jugé que l’absence de preuves qui résulterait soit de leur irrecevabilité, soit faute pour ces preuves de pouvoir convaincre le juge, n’est pas une cause de nullité de l’assignation délivrée, mais un moyen de défense au fond conduisant au rejet des prétentions qu’elle contient.

A retenir donc que la simple invocation de la « matière pénale », de même qu’une enquête malmenant les principes fondamentaux, n’entraine pas ipso facto celle de l’assignation subséquente.

Mais comme cela ressort des arrêts, cela ne signifie pas que le déroulement de l’enquête sur le fondement de l’article L. 450-3 Code. Com. (n’ouvrant pas droit aux mêmes contrôles et recours que ceux prévus pour les enquêtes dites « lourdes » relevant de l’art. L. 450-4 Code. Com.) soit pour autant hors de portée de toute critique à faire valoir devant la juridiction ultérieurement saisie, l’invitant à entreprendre une analyse des éléments de preuve soumis à son appréciation à l’aune des principes précités.

En pratique, si les questions posées durant l’enquête semblent pour l’éventuel mis en cause un peu trop « orientées », celui-ci pourrait toutefois songer, sans tout de même aller jusqu’à risquer l’opposition à fonction (art. L. 450-8 C. com), à solliciter leur reformulation. Si tel ne peut être le cas, il devra veiller au contenu de sa réponse voire l’assortir de réserves.

Mais pareille option restera quoi qu’il en inenvisageable lorsque les renseignements seront obtenus dans le cadre de l’enquête auprès de tiers, comme ici les fournisseurs.

Sur la demande d’irrecevabilité des pièces produites par le Ministre

Pour rappel, l’office du juge consiste ici à rechercher, dans les différentes pièces versées par le Ministre (issus principalement de procès-verbaux de déclaration et de prise de copie de documents et pièces), si se trouve établie la réalité d’une tentative de soumission ou une soumission des fournisseurs : parvenir à faire écarter des débats ces pièces revient à voir disparaitre la preuve des pratiques reprochées.

En substance, les mises en cause critiquaient l’enquête administrative, qui aurait été conduite de manière déloyale, moyennant d’éventuels biais et orientations suscitées par la méthodologie employée par les enquêteurs.

Sur cette question encore, nous allons nous limiter à un rappel ramassé de la motivation des arrêts, auxquels il conviendra de se reporter.

Reprenant à nouveau les moyens de la jurisprudence de la CEDH sur l’article 6 de la CESDH, la Cour d’appel estime qu’au regard des moyens d’enquête mis en œuvre et du montant de l’amende civile demandée, dont le caractère civil est indifférent à raison de sa nature de sanction et sa sévérité, l’action du Ministre relève de la matière pénale au sens de l’article 6 précité.

Pour autant et comme déjà indiqué :

« l’autonomie de cette qualification n’emporte pas application au litige et à l’examen de la recevabilité des éléments de preuve les règles internes de droit pénal et de procédure pénale.

En outre, le jugement de l’affaire sous le volet pénal de l’article 6 de la CESDH ne se satisfait pas d’un examen isolé des violations alléguées mais commande une appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble pour apprécier l’impact effectif des premières sur le procès et sur l’appréciation portée par le tribunal au sens de l’article 6 de la CESDH. ».

Il s’ensuit un rappel par la Cour de la méthodologie précisée par la CEDH dans divers de ses arrêts, pour apprécier « l’équité globale d’un procès » ou « si la procédure a été équitable dans son ensemble » ou encore d’« examiner si la procédure, y compris le mode d’obtention des preuves, fut équitable dans son ensemble (…) ».

Dans cette perspective et malgré les éclairages donnés, il n’en demeure pas moins que l’appréciation « in concreto et en tenant compte du cadre juridique de l’enquête » questionne au plan de la sécurité juridique.

Elle semble d’ailleurs mouvante selon les situations rencontrées, puisque le type de relation nouée entre la Grande Distribution et les fournisseurs « considérés comme structurellement en situation défavorable, peu important que le déséquilibre se vérifie ou non en l’espèce puisqu’il s’agit d’apprécier le cadre contextuel et juridique de l’enquête, induit une appréciation plus souple des atteintes aux droits garantis par l’article 6 de la CESDH en son volet pénal que dans le cadre d’une procédure correctionnelle ou criminelle, les enquêteurs pouvant être amenés à vaincre ou contourner la réticence des fournisseurs soucieux de ne pas déplaire à leurs partenaires commerciaux ».

Finalement, tout va reposer sur l’appréciation souveraine des juridictions spécialisées, sous le contrôle de la Cour d’appel centralisatrice de Paris, qui nous livre déjà son appréciation sur le mode opératoire des enquêteurs ici rapporté.

A l’issue de son examen des différentes demandes adressées par les enquêteurs aux fournisseurs concernés (demandes initiales, demandes complémentaires, auditions) afin d’établir la réalité ou l’inexistence d’une tentative de soumission ou d’une soumission à un déséquilibre significatif, et aux termes d’une « appréciation globale des atteintes alléguées et la recevabilité des pièces », la Cour estime en l’espèce que :

« les éventuels biais introduits et orientations suscitées par la méthodologie employée sont, en raison de leur totale transparence et de l’absence de toute manœuvre dissimulée, soumis au libre débat contradictoire devant le tribunal de commerce puis devant la cour, les appelantes demeurant libres de produire toute pièce susceptible de contredire les déclarations des fournisseurs et les documents qu’ils ont communiqués. (…) Dès lors, en admettant leur réalité, les atteintes alléguées ne sont pas irrémédiables et n’affectent pas l’équité de la procédure dans son ensemble. ».

La Cour d’appel ne fait pas droit à l’irrecevabilité des pièces demandées.

 

2. Fond : sur la caractérisation de la tentative de soumission.

Pour rappel, les deux jugements de première instance nous avaient donnés l’occasion de nous pencher sur la question de l’accoutumance des fournisseurs aux pratiques litigieuses, laquelle n’est pas une cause exonératoire de la responsabilité de leur auteur (Trib. Com. Paris, n° 2017025155 et n° 2017025159, Lettre de la Distribution, Octobre 2021, nos obs.). Il peut sembler utile de le rappeler.

En appel, la Cour se penche non sur la soumission mais sur la tentative de soumission à des obligations résultant des demandes additionnelles.

Pour la Cour, la répression de la seule tentative, « qui s’entend de l’action par laquelle on s’efforce vainement d’obtenir un résultat, implique ainsi une analyse qui accorde une attention particulière à l’entrée en négociation prétendue » (à rappr. Trib. Com. Paris, 22 février 2021, n° 2016071676, obs. S.C).

Cette notion fait écho à l’article 1112 du Code civil, que la Cour dit non applicable au litige, qui dispose que si l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres, « ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».

Pareil rappel est intéressant, y compris à l’aune de la toute dernière loi du 30 mars 2023  souvent désignée comme la loi « Egalim III » (cf. art. 9) qui vise expressément cette notion.

La Cour procure alors des éclairages auquel il conviendra de se reporter, sur la caractérisation de la tentative de soumission au moyen de « critères pertinents » ou « indices pertinents ». Nous en retiendrons deux.

En premier lieu, si la Cour juge que si la loi notamment n’exclut pas la possibilité d’une « renégociation intercalaire » conformément au droit commun des contrats et au principe de la liberté contractuelle, encore faut-il que celle-ci « repose sur un motif concret, vérifiable et licite ».

Entendre la nécessité d’un élément nouveau qui, s’il n’est pas une condition formelle de la renégociation, « en est une condition matérielle et constitue quoi qu’il en soit un critère pertinent d’appréciation de la soumission ou de la tentative de soumission ».

La renégociation doit être objectivement motivée et la révision des conditions initiales ne doit pas être arbitraire au détriment de l’une des parties.

En deuxième lieu, la Cour induit de l’absence de contrepartie l’existence d’un indice de la tentative de soumission :

« si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement. (…) ».

Et pour la Cour de préciser que :

« De fait, l’idée même d’une négociation présuppose d’emblée la prise en compte des besoins de l’interlocuteur et ainsi la détermination, même provisoire et sommaire, de contreparties identifiables et quantifiables dès l’entrée en pourparlers. En ce sens, l’absence de ces dernières est un indice pertinent de la soumission ou de sa tentative ».

Ce raisonnement, qui convoque la mécanique de la preuve par présomption de fait, prend en compte l’objectif de la tentative ou son résultat escompté (une obligation sans contrepartie) pour en inférer, aux côtés d’autres indices, l’existence de la tentative.

La solution vaut aussi, aux termes de cette solution, pour la soumission proprement dite.

Cette approche ne va pas sans rappeler celle du Tribunal de Commerce de Paris dans une précédente affaire (Trib. Com. Paris, 6 juillet 2021, n° 2016064825, Lettre de la Distribution, Septembre 2021, nos obs ; à rappr. Trib. com. Paris, 1ère chambre, 13 octobre 2020, n° 2017005123, obs. K. Biancone).

Sans s’inscrire selon nous en opposition avec la solution selon laquelle il ne peut s’inférer du seul contenu des clauses incriminées (Paris, 29 mars 2019, n° 16/25962 ; Paris, 1er avril 2021, n° 19/21083), la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par la législation au risque de confondre la condition de soumission avec celle de déséquilibre visé par le texte, le raisonnement de la Cour affine encore la démarche indiciaire probatoire de la soumission ou de sa tentative (voir déjà Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, Lettre de la Distribution, Juin 2018 et Revue Lamy Droit de la Concurrence N°74, Juillet Août 2018, nos obs).

– Pour conclure, toujours sur un plan probatoire, relevons que la Cour d’appel considère que les communications internes aux fournisseurs, contemporaines des négociations litigieuses et que ces derniers sont tenus de communiquer aux enquêteurs s’ils en font la demande (art. L. 450-8 Code Com), sont dotés d’une valeur probatoire, à la façon d’un témoignage en temps réel de la situation qui y est évoquée.

Selon la Cour :

« un courriel interne de compte-rendu n’est pas privé de valeur probante par le seul fait qu’il émane d’un fournisseur, celui-ci n’étant pas partie au litige et ne pouvant pas prévoir, lorsqu’il le rédige de manière confidentielle, avant le commencement de l’enquête, et à des fins purement internes qu’il pourra être exploité contre les appelantes [ie leur client].

Un compte-rendu est par définition la relation objective d’un évènement passé : sa visée étant purement informative, sa fidélité à la réalité est de son essence. Aussi ces pièces sont-elles pleinement probantes, analyse valant pour tous les documents internes de même nature (…) » (voir l’arrêt n° 13481, à propos du fournisseur Henkel, à l’égard duquel au demeurant la tentative de soumission n’a pas retenue).

Ces pièces, à défaut d’être imputable au mis en cause, lui sont à tout le moins opposables.

Ainsi, la preuve de la soumission ou de sa tentative peut ressortir des échanges bilatéraux entre les parties mais aussi du récit, pour soi-même, d’usage interne et a priori confidentiel, de ces échanges ou de leur portée : ne pas extérioriser expressément une soumission ou sa tentative – ou s’y efforcer – n’implique pas que cette dernière n’existe pas.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de ces arrêts est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’Avril 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Sous-traitance industrielle et relations industrie-commerce : perspectives similaires sous l’angle des pratiques abusives ?

Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, Avis n°23-1, 27 février 2023.

Un récent avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales consacré à l’analyse de documents élaborés par un constructeur automobile, s’avère instructif sur un certain nombre de clauses ou pratiques pouvant se rencontrer dans d’autres chaînes d’approvisionnement.

Les enseignements de cet avis, daté de l’avant-veille de la date limite de signature des accords commerciaux au titre de l’année 2023 (soit le 1er mars pour les non-initiés), peuvent nourrir la réflexion sur des clauses ou pratiques comparables parfois rencontrées dans le secteur de la distribution.

Pur hasard, le jour même de la publication des réflexions qui suivent, la presse se fait l’écho de la condamnation de Casino et Intermarché pour des pratiques restrictives de concurrence (Casino et Intermarché condamnés à plusieurs millions d’euros d’amende par la Cour d’Appel, Le Figaro, 15.03.2023 ; Concurrence : Casino et Intermarché condamnés en appel à 4 millions d’euros d’amende, Libération, 15.03.2023).

 

Contexte

Les relations entre constructeurs automobiles et leurs fournisseurs, sous-traitants et autres équipementiers, sont souvent teintées d’asymétries dans le rapport de force à la négociation.

Ces asymétries sous fond de chasse au coûts et d’ultra flexibilité, peuvent donner lieu à des dérives comportementales au plan de la règlementation des pratiques restrictives.

Le sujet n’est pas récent. Il doit être replacé dans le contexte plus général des relations de sous-traitance entre les grands donneurs de l’industrie et leurs fournisseurs, au nombre desquels des PME. Le soin apporté à ces derniers n’est pas toujours exemplaire.

Si, aux termes d’un rapport de 2010 du médiateur des relations interentreprises industrielle et de la sous-traitance, « il ne s’agit pas d’accréditer une vision caricaturale de la réalité en chargeant les donneurs d’ordres de tous les maux et en exonérant leurs sous-traitants de leurs obligations » (Rapport sur le dispositif juridique concernant les relations interentreprises et la sous-traitance du médiateur des relations inter-industrielles et de la sous-traitance, 30 juillet 2010, dit rapport « Volot », p. 11 ; voir aussi le rapport sur les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants dans le domaine de l’industrie, établi par le sénateur Martial Bourquin, mai 2013), il n’en reste pas moins selon ce même rapport, qu’il peut exister des pratiques abusives, auxquelles sont confrontés des sous-traitants et qui sont dénoncées de façon suffisamment récurrente pour qu’on y porte attention.

Certes et comme dans bien des secteurs ou des abus se rencontrent, des codes comportementaux sont imaginés en vue d’assainir les relations entre les partenaires (ex. Code de performance et de bonnes pratiques relatif à la relation client fournisseur au sein de la filière et de la construction automobile du 9 février 2009, suivi du Code éponyme du 6 novembre 2020 ; Guide pour la qualité des relations contractuelles clients-fournisseurs établi dans la continuité du rapport « Volot » précité).

C’est à cette histoire tourmentée que peut être rattachable la demande d’avis d’une organisation professionnelle sur la conformité de documents contractuels d’un constructeur automobile au regard du droit de la concurrence et qui vient de donner lieu à l’avis CEPC n° 23-1.

 

Les problématiques abordées

La CEPC se penche, sous l’angle des pratiques abusives, sur quatre grandes catégories de clauses contenues dans les clauses des Conditions Générales d’Achat (CGA) établies par le fournisseur et dans les conditions de garantie.

Ces quatre catégories portent sur l’organisation logistique, les conditions tarifaires applicables, les garanties dues par le fournisseur, les droits de propriété intellectuelle.

Citons aussi, même si la CEPC ne les présente pas comme relevant d’une catégorie particulière, certaines stipulations des CGA qui permettent au constructeur de mettre fin au contrat de façon immédiate dans différents cas de figure.

Nous nous arrêterons aussi brièvement sur le sujet des pénalités logistiques, abordé sous les développements relatifs aux conditions de garantie ce dont on ignore la raison, de même que sur la question de l’inopposabilité des CGA du fournisseur et des lettres de réserves ou corrections apportées par ledit fournisseur auxdites CGA, et que la CEPC aborde dans le rappel des principes d’analyse des pratiques abusives.

 

Observations

1) Observations générales sur la confrontation CGA/CGV ou lettres de réserves ou corrections, sur les pénalités logistiques et sur l’imprécision rédactionnelle.

– Exclusivement consacré à l’analyse des seuls documents issus d’une filière spécifique, le contenu de cet avis s’avère instructif sur un certain nombre de clauses ou pratiques pouvant se rencontrer dans d’autres chaînes d’approvisionnement, lorsque le rapport de force est à l’avantage de l’un des partenaires (à rappr. avis CEPC 17-11, Lettre distr. 12/2017 ou 20-11, Lettre distr. 06/2020, tous deux à propos de contrat de fourniture de lait).

Signalons d’ailleurs, s’agissant des rappels généraux opérés dans l’avis sur les principes d’analyses en matière de pratiques abusives, la référence, pour l’essentiel, à des contentieux en matière de déséquilibre significatif issus de la relation entre fournisseurs et enseignes de la Grande Distribution alimentaire.

La CEPC examine néanmoins les documents qui lui sont soumis tant sous l’angle du déséquilibre significatif de l’article L. 442-1-I 2° C.com., que de l’avantage sans contrepartie de l’article L. 442-1-I 1° du même code.

L’avis délivre d’abord un rappel des principes d’analyse des pratiques et stipulations contractuelles au regard des règles relatives à l’avantage sans contrepartie et du déséquilibre significatif.

Nous regrettons l’absence de rappel de la jurisprudence récente en matière d’avantages sans contrepartie ou moyennant une contrepartie manifestement disproportionnée, sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 1° du Code de commerce (Cass. com. 11 janv. 2023, n° 21-11.163, Lettre distr. 02/2023 ; RLC n° 125, mars 2023, n° 4399, nos obs.) et qui a confirmé la pertinence du fondement d’un tel dispositif pour le contrôle des abus dans la négociation commerciale.

Ce dispositif se localise à l’heure actuelle dans l’article L. 442-1 I 1°, d’application très large. Risquons-nous à avancer, sans certitude, qu’un tel silence pourrait être dû au processus décisionnel au sein de la CEPC, pouvant entraîner un décalage temporel entre l’élaboration de l’avis et sa publication.

Quoi qu’il en soit, la CEPC ne manque pas de rappeler que la lettre des textes, visant respectivement « un avantage » ou « les obligations » sans aucune précision ni exclusion, les rend applicables largement, sous réserve que les éléments constitutifs requis soient satisfaits.

L’évocation de l’article L. 442-1 I 1° est d’autant plus remarquable qu’il est en l’espèce question d’avantages qui en eux-mêmes à tout le moins, n’ont pas de caractère financier, mais relèvent d’avantages « juridiques » ou autrement dit de situations avantageuses au plan obligationnel pour l’une des parties.

L’on pourrait y voir une incursion de l’article L. 442-1 I 1° sur le domaine de prédilection de L. 442-1 I° 2°.

Cette plasticité de l’article L. 442-I 1° peut s’avérer intéressante en matière de contrôle des stipulations avantageusement abusives, sans devoir tenir compte d’une éventuelle soumission, comme c’est le cas lorsque le contrôle s’effectue sur le fondement de l’article L. 442-1 I 2°.

– Avant de se pencher sur ces chacune des catégories de clauses et après indication de ce que ce plusieurs clauses des CGA et des conditions de garantie paraissent constitutives d’un déséquilibre dans les droits et obligations des parties au contrat, et le cas échéant susceptibles d’être également appréhendées sur le fondement de l’avantage sans contrepartie, la CEPC relève que l’une des stipulations des CGA a pour objet de soumettre le fournisseur aux CGA du constructeur, en introduisant le principe de l’inopposabilité des CGV du fournisseur, ainsi que de toutes ses réserves ou corrections, en contradiction manifeste avec l’article L. 441-1 du code de commerce qui dispose que les CGV sont le socle de la négociation commerciale.

La CEPC relève qu’il a déjà été considéré en pareil cas, qu’une telle stipulation était à l’origine d’un déséquilibre significatif (Cass. Com. 27 mai 2015, n° 11387) et signale que « les autres clauses du contrat sont appliquées dans le contexte d’acceptation découlant de cette première clause », qui semble accentuer la caractérisation de tels déséquilibres (à rappr. Trib.  Com. Paris, 22 février 2021, n° 2016071676, Lettre. distr. 04/2021, obs. S.C).

Nous pourrions y adjoindre, au vu de l’application large de la prohibition de l’avantage sans contrepartie, l’éventualité d’un tel avantage pour l’auteur des CGA qui, ipso facto, prive son fournisseur de la faculté d’exercice de sa prérogative légale de pouvoir négocier à partir de ses CGV, rendues inopposables par les CGA. Le désavantage de l’une des parties se traduit par un avantage pour l’autre qui dicte ab initio ses propres règles.

De plus et resitué dans le contexte des négociations commerciales annuelles entre fournisseur et distributeur, la critique ici formulée de la déclaration d’inopposabilité des CGV du fournisseur « ainsi que de toutes ses réserves ou corrections », peut se comprendre comme une reconnaissance de la pratique des lettres de réserves fréquemment rencontrées et par lesquelles le fournisseur déclare ne pas accepter tel quel le contenu de l’accord que lui a demandé de signer son client, qui plus est de plus en plus moyennant une acceptation « clic » par voie de signature électronique.

Au plan pratique, cela nous apparait comme l’un des points à faire ressortir de cet avis, alors que la pratique des lettres de réserves peut permettre d’éclairer le consentement donné par le fournisseur sur des clauses qui, en l’état, ne sont pas acceptables à ses yeux, dans le contexte parfois précipité de la signature des conventions annuelles.

– Par ailleurs et bien que le sujet soit abordé sous l’étude des clauses examinées en matière de garantie, signalons aussi, à titre de sujet transversal, que pour des sommes qualifiées de « pénalités logistiques », la CEPC estime que les dispositions de l’article L. 442-1, I, 3° appréhendant le fait « D’imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l’article L. 441-17 » ne paraissent pas pouvoir être invoquées.

Cela tient selon elle à ce que l’article L. 441-17 du C. Com concerne les relations entre un fournisseur et un distributeur, c’est-à-dire un professionnel qui achète un produit pour le revendre.

Or, cette situation ne correspond pas à la relation entre un fabricant de composants ou de pièces et un constructeur automobile qui constitue plutôt un contrat d’entreprise ou de sous-traitance industrielle, car les pièces seront incorporées dans un ensemble complexe, le véhicule, qui sera distribué par le réseau de concessionnaires du constructeur.

N’étant pas soumise à l’article L. 441-17 du code de commerce, cette relation ne devrait pas l’être davantage au 3° de l’article L. 442-1, I. La CEPC rappelle qu’il s’agit aussi de l’interprétation retenue par la DGCCRF dans sa « Foire aux questions portant sur les lignes directrices en matière de pénalités logistiques » du mois de juillet 2022.

Nous y rajoutons que bien qu’exclu du champ d’application du texte précité, les clauses de pénalités logistiques n’en restent pas moins, aux termes de la jurisprudence, contrôlables sur d’autres fondements tels le déséquilibre significatif (Paris, 11 sept. 2013, n° 11/17941, Lettre distrib. 10/2013 ; Paris, 18 déc. 2013, n° 12/00150, Lettre distrib. 01/2014, nos obs).

– En outre et même s’il est traité à l’occasion de l’examen de certaines stipulations des CGA permettant au constructeur de mettre fin au contrat de façon immédiate, dans différents cas de figure, tel celui de d’un quelconque retard de livraison ou encore lorsque le constructeur a « un motif raisonnable » de douter de la capacité du fournisseur à tenir ses engagements et que ce dernier ne communique pas des assurances adéquates de bonne exécution, la CEPC relève que le caractère « imprécis et général » de cette formule pourrait contrevenir aux dispositions issues de l’article L. 442-1, I, 2° conférant un « pouvoir discrétionnaire voire arbitraire » au constructeur de rompre, sans motif légitime, la relation commerciale.

S’il n’est pas interdit de compter sur l’illusion ainsi procurée au plan de la maîtrise dans la mise en œuvre de telles clauses, le flou rédactionnel n’est pas l’option souhaitable aux yeux de la CEPC (à rappr. sur le binôme transparence-précision, RLC n° 63, juillet-août 2017, n° 3226).

2) Observations sur l’examen des catégories de clauses.

Il nous apparait que les enseignements de cet avis peuvent nourrir la réflexion sur des pratiques comparables parfois rencontrées dans le secteur de la distribution.

– Clauses portant sur l’organisation logistique.

Caractérise un déséquilibre significatif la prévision dans les CGA de la possibilité de modifier, à la discrétion de l’acheteur, les exigences en matière de fréquence et de quantité des livraisons, les méthodes transport, d’expédition et d’emballage, les dessins et spécifications du bien fourni, sans aucun délai pour l’entrée en vigueur de ces modifications afin de permettre au fournisseur de s’adapter, tout en lui laissant à charge les dépenses et coûts associés à ces nouvelles exigences, sans renégociation possible notamment tarifaire, alors de surcroît que la répartition de ces coûts s’effectue de manière unilatérale par le client.

Il en va de même des clauses qui portent sur la qualité (en ce compris la nécessité pour le vendeur de s’efforcer à l’amélioration permanente de la qualité des biens, des processus de fabrication et de logistique) et sur les exigences et procédures de l’acheteur en cette matière, telles que modifiées ou mises à jour régulièrement par lui.

Le caractère déséquilibré de ces obligations est amplifié par la prévision d’une stipulation relative au recours et à l’indemnisation.

Cette stipulation précise que si le vendeur n’exécute pas pleinement et en temps voulu l’une de ses obligations, l’acheteur sera en droit de réclamer auprès du vendeur tous les dommages directs, indirects, accessoires, spéciaux et consécutifs, les pertes de profits et de revenus, ainsi que tous les honoraires et coûts juridiques encourus par l’acheteur.

Les rédacteurs de cahiers des charges logistique et autres conditions d’approvisionnement, y compris dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire ou non alimentaire, pourront s’inspirer de cette grille d’analyse lorsqu’il sera question d’apprécier le caractère, licite ou non, du contenu de leurs documents.

– Clauses portant sur les conditions tarifaires applicables.

Ici encore, il nous semble que l’avis invite à réflexions au-delà du seul secteur de l’industrie automobile.

Ainsi, l’obligation de maintien pendant une longue durée d’un prix arrêté dans le cadre de la « première-monte », autrement dit en considération de quantités plus importantes que celles susceptibles d’être commandées au titre de l’après-vente, peut être à l’origine d’un déséquilibre significatif sur le plan économique en même temps qu’un avantage manifestement disproportionné au regard de la contrepartie.

L’avis de la CEPC, mettant en corrélation prix et quantité, apparait de notre point de vue cohérent.

Les acheteurs, dans le cadre des négociations annuelles, surtout lorsque des « budgets » fixes sont convenus avec le sous-jacent d’un chiffre d’affaires prévisionnel, de même que lors de demandes de cotation dans la cadre d’appels d’offres (par exemple en matière de MDD), devaient en tirer enseignement, afin de faire en sorte que se vérifient in fine, au moins dans le même ordre de grandeur, les volumes annoncés et en considération desquels les prix ont été établis par le fournisseur.

Mais au-delà de la corrélation prix et quantité, c’est aussi le sujet du maintien des prix sur la durée qui interroge, notamment au regard des paramètres de leur détermination.

Pour rappel, il était en l’espèce question d’une clause prévoyant que pendant les cinq premières années après l’arrêt de la production des véhicules, le fournisseur devait maintenir le prix convenu sauf variation des coûts d’expédition et de conditionnement. Rien n’était d’ailleurs prévu sur la variation des autres coûts.

En termes de période de validité des prix, l’on se situe certes bien au-delà de l’exigence, souvent rencontrée, d’un maintien pendant une année entière, du prix convenu dans le cadre des négociations annuelles.

Qui plus est, très souvent, les accords conclus contiennent une clause abordant le sujet de la modification des tarifs et ce faisant du prix convenu, en cours d’année, selon des conditions et modalités de renégociation arrêtées dans l’accord initial.

L’on se souvient que parfois, une obligation de renégociation peut encore résulter d’une contrainte légale, s’agissant notamment des contrats portant sur des produits agricoles et alimentaires d’une durée d’exécution supérieure à trois mois, en ce compris les contrats portant sur la conception et la production, selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur (L. 441-8 C. com).

Pour autant, dans ces cas de figure, rien ne garantit qu’in fine le prix sera effectivement modifié, sauf si les conventions contiennent aussi des clauses de révision automatique (ex. L. 441-7 et L. 443-8 C. com) et pour autant que ces clauses puissent, de par leur contenu, produire un effet utile.

Mais rien de plus en dehors de ces mécanismes légaux conçus pour la protection des acteurs de l’amont de la chaîne d’approvisionnement alimentaire.

Ces dispositifs imaginés pour inciter, voire obliger les parties à faire évoluer en cours de période contractuelle les prix des produits agricole et alimentaires, témoignent de ce que les paramètres économiques présidant à la détermination d’un prix tels la fréquence ou l’intensité de la variation de ces paramètres, doivent pouvoir s’apprécier sur des périodes bien inférieures à cinq années (voir la situation examinée par l’avis), comme par exemple une année (la période généralement couverte par les termes de la négociation annuelle), voire moins (trois mois comme évoqué ci-dessus).

Les demandes pressantes de renégociations formulées courant 2022 par les fournisseurs ont illustré de cette réalité dans le contexte de hausse généralisée des coûts de production auxquels lesdits fournisseurs avaient été confrontés depuis leurs précédents tarifs.

La question de l’intangibilité des prix sur des périodes longues et/ou marquées par des variations importantes des coûts de production, n’a probablement pas fini d’animer les débats.

Au demeurant et pour en revenir au secteur concerné par l’avis, il ne semble d’ailleurs pas que le prix des modèles de véhicules revendus aux utilisateurs se soit établi à un niveau inchangé sur une période de cinq années.

– Clauses concernant les garanties dues par le fournisseur.

Les conditions de garantie renvoient à un article des CGA qui fait peser sur le seul fournisseur la responsabilité de la conformité et de la qualité des produits fabriqués pour l’acheteur.

Après un rappel des obligations du fabricant découlant des différents régimes de garantie et des cas d’exclusion ou de limitation de ses obligations en la matière le cas échéant (ex la faute de la victime), la CEPC observe que ni l’article des CGA ni les conditions de garantie ne prévoient de possibilité d’exonération de responsabilité pour le fournisseur, même en cas de faute de l’acheteur (par exemple, dans le cas où la non-conformité résulterait d’erreurs dans les « spécifications, dessins, échantillons, description et normes de qualité fournis ou autrement spécifiés par l’Acheteur »).

Ce faisant, en ce qu’il fait peser l’entière responsabilité de la qualité des produits sur le fournisseur, sans réserver le cas où le défaut de fabrication serait imputable à l’acheteur, cet article des CGA crée un déséquilibre dans les droits et obligations des parties qui ne semble pas être compensé par une autre clause dans les CGA ou les conditions générales de garantie.

Nous renvoyons à l’avis sur les autres sujets abordés tels (i) celui de certaines échéances de la garantie due par le fournisseur qui dépend de la seule volonté de l’acheteur puisque les CGA et les conditions de garantie sont non négociables, (ii) des coûts encourus ou remboursés par l’acheteur aux concessionnaires automobiles qui reposent sur la seule volonté et évaluation de l’acheteur sans avoir à en justifier, (iii) des actions curatives et campagnes de rappel assorties de contreparties financières à la charge du fournisseur, laissant place à l’arbitraire ou au bon vouloir de l’acheteur, alors que certains rappels ne sont en réalité pas justifiés par un problème de sécurité ou de non-conformité par exemple, mais par une décision du constructeur d’améliorer le véhicule ou ses fonctionnalités, indépendamment de tout problème technique, (iv) du caractère unilatéral de la clause de compensation au bénéfice du seul acheteur, donc sans réciprocité, sans contrepartie ni justification.

– Pour ce qui est des clauses concernant les droits de propriété intellectuelle, nous renvoyons à l’avis.

Voilà donc un avis qui méritait que l’on y prête intérêt, au-delà du seul univers de la sous-traitance automobile.

Alors que, selon la formule répandue, l’encre des accords commerciaux signés pour 2023 n’est pas encore sèche, ce récent avis du 27 février dernier peut tenir lieu, sur les sujets qu’il évoque, de grille d’analyse de certaines clauses présentes dans les accords récemment négociées, et permettra d’éclairer la rédaction de celles pour les prochaines négociations annuelles.

Il convient en effet de se souvenir de l’avertissement figurant en fin d’avis, à savoir que la victime des pratiques ainsi que le Ministre de l’Economie ont la possibilité de faire constater par la juridiction saisie la nullité des différentes clauses illicites ainsi que de demander la restitution des avantages indus et qu’en outre, le ministère de l’Economie peut solliciter le prononcé d’une amende civile.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Mars 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

L’ancien article L. 442-6 I 1° C.com. s’applique quelle que soit la nature de l’avantage en cause. (Décryptage)

Affaire Ministre de l’Economie c./ OC Résidences

Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163

 

Après une courte alerte le 16 janvier dernier pour signaler cet important arrêt de Cour de cassation, nous revenons sur celui-ci.

Faits.

La société OC résidences, constructeur de maisons individuelle, a entrepris en 2013 de déduire du montant de la créance de son sous-traitant 3J Charpentes SARL, une remise exceptionnelle de 2 % au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) accordé par l’Etat aux entreprises, dont 3J.

Pour rappel, le CICE avait pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Son ambition n’était pas d’inciter la clientèle des entreprises bénéficiaires à exiger, sous ce prétexte, des révisions à la baisse du tarif négocié.

Il semble pourtant que la pratique n’ait pas été si exceptionnelle, au point d’avoir conduit la DGCCRF à spécialement mettre en garde les acteurs contre l’abus qu’elle constituait.

S’estimant victime de cette pratique de la part de son client OC, 3J en réfère, en novembre 2013, à la Direccte.

Le Ministre de l’Economie assigne OC en avril 2017 aux fins de voir juger que la pratique consistant à déduire des factures des sous-traitants, une remise systématique de 2 % au titre du CICE contrevient aux dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° C. com. en ce qu’elle constitue une obtention ou tentative d’obtention d’un avantage sans contrepartie.

Outre la pratique en question, il était reproché à OC de s’octroyer un escompte de 3%, certes prévu dans le contrat avec 3J, mais en cas de paiement anticipé et non pour des factures payées en retard, comme tel était le cas en l’espèce.

Avant dire droit, le Tribunal de commerce saisit du sujet la CEPC, qui estime qu’« une remise liée au bénéfice du CICE, de même qu’un escompte justifié par un délai de paiement non respecté, constituent des avantages sans contrepartie effectivement rendue en violation de l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce » (Avis n° 18-6).

Le 18 janvier 2019 (aff. n° 201700532), le Tribunal fit injonction à OC de cesser ses pratiques commerciales illicites, outre la condamnation à restitution des sommes par elle perçues.

La Cour d’appel (Paris, 4 nov. 2020, ch. 5-4, n° 19/09129, Lettre distrib. 12/2020, obs N. Eréséo) confirmait la décision des premiers juges en ce que les dispositions du Code de commerce s’appliquaient aux relations de sous-traitance.

Mais elle réformait pour le surplus, en considérant, pour ce qui concerne la pratique de l’escompte litigieux, que les éléments de l’enquête ne l’établissaient pas et, pour ce qui est de la remise de 2% au titre du CICE, que l’article L. 442-6, I, 1° ne s’appliquait pas aux réductions de prix.

Sur pourvoi du Ministre, la Cour de cassation, dans un arrêt publié, partage l’appréciation de la Cour d’appel quant à l’application de l’article précité à la relation entre un entrepreneur principal et ses sous-traitants.

En revanche, c’est la cassation à la fois sur la question de l’insuffisante analyse des juges d’appel au plan de la caractérisation matérielle des faits concernant l’escompte, ainsi que sur la solution de droit donnée par la Cour d’appel quant au domaine d’application de l’article L. 442-6, I, 1°, que la Cour juge applicable en l’espèce.

L’affaire est renvoyée devant la Cour de Paris autrement composée. Seul le dernier point donnera lieu à observations ci-après.

 

Problème et solution.

La question était celle du domaine d’application de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la réforme du titre IV du livre IV par l’ordonnance du 24 avril 2019.

Tout l’enjeu était celui de la pertinence rationae materiae des actions en justice, à l’initiative du Ministre ou des parties, sur le fondement de l’article précité, lorsque les pratiques en cause, rationae temporis, ne relèvent pas du nouvel article L. 422-1, I, 1°.

On songe notamment à des actions en restitution suite à des pratiques commises avant que ne s’applique le nouvel article L. 442-2, I, 1°, dans la mesure où les règles en matière de prescription le permettent, mais aussi aux litiges en cours et dans lesquels un moyen se base sur le texte en question.

Pour la Haute Cour, « l’application de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce exige seulement que soit constatée l’obtention d’un avantage quelconque ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage, (…) ».

 

Observations.

Cette solution ne nous étonne pas.

Il ne s’agit pas même, selon nous, d’une interprétation extensive du dispositif instauré par la Loi NRE de 2001, mais d’une lecture pure et simple du texte.

Au plan de l’historique règlementaire, ce dispositif n’a pas vu son domaine d’application amputé à l’occasion de la loi LME, avec l’instauration de la prohibition du déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6, I, 2°, qui suppose des conditions propres.

Au plan des solutions issues de la jurisprudence, la Cour de cassation a jugé, dix ans après la loi NRE, dans un arrêt publié au bulletin, que la mise à disposition gratuite par un fournisseur à son client distributeur, de personnels intérimaires pour la réalisation d’un inventaire, relevait de l’avantage indu car sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard du service rendu, quand bien même ne donnait-il par lieu à un mouvement de fonds en faveur du distributeur (Com., 18 oct. 2011, n° 10-15.296).

L’on pouvait alors y voir une application de la prohibition à un avantage en nature ce qui, a fortiori il nous semble, devait rendre d’autant logique, au plan de la lettre du texte, la solution rendue par la Cour d’appel de Paris des années plus tard, s’agissant d’avantages financiers issus de la négociation commerciale (Paris, 13 sept. 2017, n° 15/24117, « arrêt Gelco », Lettre distrib. 11/2017, obs. N. Eréséo).

Cet arrêt avait dit l’article L. 442-6, I, 2° applicable aux réductions de prix, en l’occurrence une ristourne. Nous ne nous souvenons pas que sa solution eut généralement étonné, alors d’ailleurs que cette appréciation était partagée par la CEPC dans une multitude d’avis antérieurs ou postérieurs à cette dernière affaire.

Pourtant, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (Paris, 4 nov. 2020, n° 19/09129), censuré par l’arrêt ici commenté, claquait comme un éclair dans le ciel jusqu’alors dégagé du contrôle des avantages abusifs issus de la négociation commerciale sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1°.

La Cour d’appel estimait en effet, que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 1°, ne s’appliquaient pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.

Elle en était arrivée à cette conclusion aux motifs qu’« En raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-749 QPC (voir considérant n°7) à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass. com. 25 janv. 2017, n° 15-23547) ».

La Cour d’appel réitérait d’ailleurs son appréciation dans un autre arrêt passé plus inaperçu (Paris, 18 nov. 2020, n° 19/12813, Lettre distrib. 12/2020, obs. M-P. B-D).

Signalons toutefois en contrepoint, un arrêt postérieur de la même Cour qui avait examiné une rétro-commission de 1,5% du chiffre d’affaires pour la considérer non abusive sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1°, s’agissant alors de frais administratifs de participation à un appel d’offres, bien qu’il ne ressorte pas des débats dans cette affaire que les parties au litige aient entendu croiser le fer sur le champ d’application matériel de l’article précité (Paris, 6 mai 2021, n° 19/06400, Lettre distrib. 06/2021, nos obs.).

Quoi qu’il en soit, on aurait pu se croire au bout de nos surprises au plan de la lecture étriquée de l’article L. 442-6, I, 1°, mais cela aurait conduit à se méprendre, au vu d’un jugement du Tribunal de Commerce de Paris (11 mai 2021, n° 2018014864).

En l’espèce, les contrats-cadres examinés par le Tribunal faisaient ressortir que les remises visées par le Ministre dénommées toutes « remises sur facture inconditionnelle » ne se référaient « à aucun service commercial » sur lequel les parties se seraient accordées.

Le Tribunal devait alors juger mal fondée la demande en restitution formulée par le Ministre, au motif que celle-ci avait été formulée « au titre exclusif de l’article L. 442-6 I 1°, fondé sur le seul moyen de l’absence de service commercial effectivement rendu, alors que celui-ci n’était prévu par aucun de contrats-cadres litigieux ».

Sous réserve d’une compréhension incorrecte de notre part et dans la veine de cette solution, une prestation contractualisée, mais fictive ou donnant lieu à un avantage disproportionné, serait alors exposée à une analyse sur le fondement de l’article précité, à l’inverse d’un avantage ne prévoyant pas de contrepartie, c’est-à-dire l’archétype de la situation abusive sous l’angle de l’article L. 442-6, I, 1° à ce jour L. 442-1, I, 1°.

Mais oublions pour l’heure cette dernière décision, que nous trouvons bien curieuse, pour en revenir à l’arrêt du 4 novembre 2020 et à sa solution, selon laquelle le contrôle des avantages sans contrepartie ou manifestement disproportionnés ne pouvait plus s’opérer sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 1°, mais sur celui du déséquilibre significatif, lequel suppose une « soumission ».

Nous nous étonnions (Lettre distrib. 12/2022) de cette solution exclusive et évoquions alors la récente analyse du Conseil constitutionnel, certes sur le nouvel article L. 442-1, I, 1°, et sa possible incidence sur la destinée de cette appréciation, dans l’attente de l’issue du pourvoi.

S’étant ravisée, peut-être à titre prémonitoire, la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs récemment souhaité, donner une explication de texte sur l’article L. 442-6, I, 1° et sur la compréhension de la solution de son arrêt du 4 novembre 2020, pour juger en l’espèce que « La Cour dans son arrêt du 4 novembre 2020 a statué en ces termes (…). Or, en l’espèce, ainsi que le fait justement valoir la société Edma, le litige ne porte pas sur le seul contrôle du prix mais sur un avantage tarifaire en échange de contreparties commerciales par la ʺréduction spécifique plan d’affairesʺ qui ne constitue pas une simple modalité de fixation du prix. En conséquence, l’article L 442-6, I, 1° du code de commerce est applicable au litige » (Paris, 7 déc. 2022, Pôle 5, Ch. 4, n° 20/11472).

Ainsi dit et après l’avoir mis sur une courte période au ban des outils de lutte contre certains types d’avantages abusifs, la Cour d’appel de Paris réhabilitait donc l’article L. 442-6, I, 1°.

Mais cette nouvelle interprétation de la solution de l’arrêt du 4 novembre 2020 n’est-elle pas survenue un peu tardivement et est-elle maintenant utile pour un arrêt qui, en fin de compte, n’existe plus, car cassé par l’arrêt du 11 janvier 2023 ?

En effet, à peine un mois depuis l’arrêt d’appel du 7 décembre dernier, la Cour de cassation nous livre sa solution en l’assortissant d’une publication au bulletin. Car selon la Cour, l’application de l’article L. 442-6, I, 1° « exige seulement » que soit constatée l’obtention d’un « avantage quelconque » ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, « quelle que soit la nature de cet avantage ».

L’ancien article L. 442-6, I, 1° s’applique « quelle que soit la nature de cet avantage ».

C’est précisément ce dont dispose le texte lorsqu’il vise un « avantage quelconque » et il n’y a selon nous rien à rajouter.

Si le contrôle de l’absence de contrepartie ou de la disproportion manifeste (hors soumission à un déséquilibre significatif) s’effectue dorénavant sur le fondement du nouvel article L. 442-1, I, 1°, la solution de ce récent arrêt redistribue les cartes au plan des procédures engagées sur l’ancien fondement.

Cette solution purge aussi d’un débat similaire ou à tout le moins en dissuade, sur le nouveau fondement de l’article L. 442-1, I, 1°.

Au plan de la prohibition de la pratique en cause dans les termes applicables depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, ce qui vient d’être jugé par la Cour de cassation sur la lettre de l’ex article 442-6, I, 1° devrait être encore plus fondé au vu de celle du nouvel article L. 442-I, 1°, même si cette disposition, qui met en corrélation deux facteurs « un avantage », quel qu’il soit, et « une contrepartie », quelle qu’elle soit, laissait de toute façon peu de place à polémiques équivalentes sur son champs d’application et, au-delà, sur une prévalence avec effet exclusif de l’article L. 442-1, I, 2° sur l’article L. 442-1, I, 1°, s’agissant des avantages abusifs obtenus de l’autre partie résultant de la négociation commerciale (rappr. Paris, 31 juil. 2019, n° 16/11545, Lettre distrib. 09/2019, nos obs.).

La brèche ouverte voici un peu plus de deux ans par l’arrêt du 4 novembre 2020, qu’on s’en félicite ou non selon que l’on soit créancier ou débiteur d’un avantage abusif au sens de l’article L. 442-6, I, 1° et a fortiori L. 442-1, I, 1°, vient de se refermer.

Les perspectives renouvelées et renforcées de ce dispositif qui fut, depuis son instauration par la loi « NRE », le dispositif essentiel de lutte contre les pratiques abusives dans la négociation, avant de se voir rallié par celui de la prohibition du déséquilibre significatif par la « LME » (sans omettre, bien évidemment car bien plus ancienne encore puisque remontant à la loi « Galland », l’interdiction de la rupture brutale de relation commerciale établie, qui peut être initiée suite à désaccord d’un partenaire de consentir à un avantage abusif), invitent à des réflexions – nombreuses – pour qui veut bien prendre à bras le corps le sujet.

Abstraction faite des évolutions ultérieures des textes, nous assistons à la restauration du triptyque en vigueur au lendemain de la loi « LME », au plan des garde-fous contre les abus de la libre négociabilité résultant de cette même loi, suite à l’abrogation de l’interdiction en tant que telle des pratiques discriminatoires.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Février 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

L’ex article L. 442-6 I 1° Code com. (avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné) s’applique quelle que soit la nature de l’avantage en cause. (Alerte)

Affaire Ministre de l’Economie c./ OC Résidences

Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163

 

Par arrêt du 11 janvier 2023 (Cass. com. 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-11.163, publié au bulletin), la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 novembre 2020 en ce qu’il avait jugé que les dispositions de l’ex article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce (avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard du service rendu), ne s’appliquaient pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial (Paris, 4 novembre 2020, Pole 5, Chambre 4, n°19/09129).

Selon cet arrêt du 4 novembre, le contrôle des avantages sans contrepartie ou manifestement disproportionnés ne pouvait pas s’opérer sur le fondement de l’ex article L. 442-6 I 1° du Code précité (voir depuis lors l’article L. 442-1 I 1° de ce Code).

Nous signalions très dernièrement un récent arrêt de la même Cour d’appel qui, de manière plus conforme au texte en cause, s’était repenchée sur sa propre interprétation (Paris, 7 décembre 2022, Pôle 5, Chambre 4, n° 20/11472), peut-être d’ailleurs de manière prémonitoire.

Car à peine un mois s’est écoulé pour que la Cour de cassation nous livre son arrêt du 11 janvier dernier, censurant l’intrépide solution issue de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 novembre 2020 :

« 9. Pour rejeter les demandes du ministre chargé de l’économie, l’arrêt retient que lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, son contrôle judiciaire ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce et en déduit que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° du même code ne s’appliquent pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.

10. En statuant ainsi, alors que l’application de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce exige seulement que soit constatée l’obtention d’un avantage quelconque ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage, la cour d’appel a violé le texte de l’article précité. ».

L’ex article L. 442-6 I 1° s’applique « quelle que soit la nature de cet avantage ».

C’est précisément ce que dit le texte lorsqu’il vise un « avantage quelconque ».

Il n’y a rien à rajouter.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

L’arrêt Eurelec et l’action du Ministre contre les Centrales Internationales localisées à l’étranger : Inapplication du règlement Bruxelles I bis. Et alors ?

Affaire Ministre de l’Economie c./ Eurelec Trading et autres

CJUE, 22 décembre 2022, Aff. C-98/22

 

Faits et procédure

L’on se souvient qu’à l’occasion d’un communiqué de presse du 22 juillet 2019 (Communiqué n° 1354. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, et Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Economie et des Finances, annonçaient une assignation devant le Tribunal de commerce de Paris à l’endroit de quatre entités du mouvement E. Leclerc (Eurelec Trading, Scabel, Galec et Association des centres distributeurs Edouard Leclerc (ACDLEC)) pour des pratiques commerciales abusives commises par la centrale d’achat du mouvement implantée en Belgique (Eurelec Trading).

Selon ce communiqué, l’Etat demandait au Tribunal faire cesser les pratiques abusives de cette centrale d’achat et de sanctionner ces quatre entités d’une amende de 117,3 millions d’euros, proportionnée au montant des sommes indûment perçues par l’enseigne auprès de ses fournisseurs.

Ces pratiques auraient été mises en lumière à l’occasion de contrôles menés par la DGCCRF lors des négociations 2018, suivis d’une perquisition autorisée par le JLD dans les locaux du mouvement E. Leclerc situés à Ivry-sur-Seine.

Il en serait ressorti que le mouvement E. Leclerc aurait utilisé sa centrale Eurelec Trading située en Belgique pour contourner la loi française et imposer des baisses de tarifs très importantes, sans aucune contrepartie, à certains de ses fournisseurs (établis en France).

De même et toujours selon ce communiqué, le mouvement E. Leclerc aurait eu recours à l’application de mesures de rétorsion fortes, pour obliger ses fournisseurs à accepter les conditions posées par Eurelec Trading.

Dans ces conditions, la DGCCRF devait considérer que ces pratiques étaient constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat de distribution.

Par jugement du 15 avril 2021, le Tribunal de Commerce de Paris devait débouter Eurelec, Scabel, GALEC et l’ACDLEC de l’exception d’incompétence soulevée devant ce tribunal (Paris, 2 février 2022, Pôle 5, Ch. 4, RG 21/09001, arrêt, point 11), pour connaître de l’action introduite par le Ministre de l’économie en ce qu’elle était dirigée contre Eurelec et Scabel, sociétés établies en Belgique, conformément aux dispositions du règlement 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la « compétence judiciaire », la reconnaissance et l’exécution des décisions « en matière civile et commerciale ».

Le jugement a été frappé d’appel par les deux sociétés de droit belge devant la Cour d’appel de Paris, pour débattre de la compétence, ou non, des juridictions françaises, sur le fondement du règlement précité pour une action comme celle du Ministre.

Par arrêt en date du 2 février 2022 (Paris, 2 février 2022, Pôle 5, Ch. 4, RG 21/09001), la Cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle ci-dessous reproduite texto, relative au domaine d’application du règlement précité (CJUE, 22 décembre 2022, Aff. C-98/22).

 

Problème

La matière “civile et commerciale” définie à l’article 1er, paragraphe 1, du [règlement n° 1215/2012] doit-elle être interprétée comme intégrant dans son champ d’application l’action – et la décision judiciaire rendue à son issue – i) intentée par le [ministre de l’Économie et des Finances] sur le fondement de l’article [L 442-6, I, 2°, du code de commerce] à l’encontre d’une société belge, ii) visant à faire constater et cesser des pratiques restrictives de concurrence et à voir condamner l’auteur allégué de ces pratiques à une amende civile, iii) sur la base d’éléments de preuve obtenus au moyen de ses pouvoirs d’enquête spécifiques ? (arrêt CJUE, point 19).

Plus précisément, la Cour s’interrogeait sur le point de savoir si, comme en l’espèce, dès lors que le Ministre utilise ses pouvoirs d’enquête spécifiques pour établir l’existence de pratiques constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et sollicite du juge judiciaire le prononce d’une amende civile pour les faire sanctionner, il utilise une prérogative de puissance publique dans l’exercice de son action de nature a l’exclure du champ d’application du règlement Bruxelles I bis comme ne relevant pas de la matière civile et commerciale. (Paris, 2 février 2022, Pôle 5, Ch. 4, RG 21/09001, point 55)

 

Solution

La CJUE dit non applicable le règlement 1215/2012 à l’action du Ministre telle que rapportée :

« L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que : la notion de « matière civile et commerciale », au sens de cette disposition, n’inclut pas l’action d’une autorité publique d’un État membre contre des sociétés établies dans un autre État membre aux fins de faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence à l’égard de fournisseurs établis dans le premier État membre, lorsque cette autorité publique exerce des pouvoirs d’agir en justice ou des pouvoirs d’enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers. »

 

Observations

L’on se risquera à penser que cet arrêt, bien qu’intéressant au plan de l’éclairage qu’il donne sur le champ d’application matériel du règlement dit « Bruxelles I bis », ne mérite peut-être pas le raffut médiatique qu’il a engendré a coups d’intitulés emportés (« La centrale d’achat européenne Eurelec (Leclerc et Rewe) gagne contre Bercy », Y. puget, lsa-conso.fr, 23 décembre 2022) voir un brin excessif à ce stade de la procédure au plan des conclusions qui en sont parfois tirées (« Distribution : la justice européenne légitime les centrales d’achat européennes », lesechos.fr, P. Bertrand, 23 déc. 2022 ; « Eurelec contre Bercy : la justice européenne légitime les centrales d’achats européennes », A.S Le Bras, reussir.fr, 26 déc. 2022).

Le contexte toujours plus tendu autour des négociations commerciales n’y est probablement pas étranger.

Car il n’en ressort pas, selon nous, quelques quitus donnés aux Centrales « européennes » ou de leurs pratiques, à les supposer contestables au regard du droit français.

Il n’est pour l’heure pas non plus, à tout le moins directement au regard de la règle visée par l’interprétation préjudicielle, question de loi applicable ou plus généralement d’application dans l’espace des pratiques restrictives de concurrence du chapitre II du Titre IV du Livre IV du Code de commerce (à rappr. Conférence du 29 juin 2022 organisée par le D.U Droit & Grande Distribution, Université Sorbonne sur l’application dans l’espace des règles de transparence du chapitre I du Titre IV du Livre IV du Code de commerce, sous la direction de C. Grimaldi et A.C Martin).

De compétence juridictionnelle il est simplement question ou, plus précisément, de savoir si la détermination de la compétence juridictionnelle des tribunaux français pouvait en l’espèce s’effectuer sur le fondement du règlement précité (arrêt CJUE, point 20).

Ce n’est pas rien au plan de l’effectivité de l’action du Ministre, mais sûrement pas tout, car la cause dans son ensemble, est loin d’être entendue.

On retient de cet arrêt que pour déterminer si une matière relève ou non de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012, et par voie de conséquence du champ d’application de ce règlement, il y a lieu d’identifier le rapport juridique existant entre les parties au litige et l’objet de celui-ci, ou, alternativement, d’examiner le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée (arrêt du 16 juillet 2020, Movic e.a., C-73/19, EU:C:2020:568, point 37, ainsi que jurisprudence citée) (arrêt CJUE, point 23).

La Cour passe en revue à cet effet les caractères de l’action en cause (arrêt CJUE, points 24 à 28) et relève, entre autres, qu’il ressort de la décision de renvoi que :

« d’une part, l’action en cause au principal, qui a pour objet la défense de l’ordre public économique français, a été introduite sur la base d’éléments de preuve obtenus dans le cadre de visites sur les lieux et de saisies de documents. Or, de tels pouvoirs d’enquête, même si leur exercice doit être préalablement autorisé par le juge, n’en demeurent pas moins exorbitants par rapport au droit commun, en particulier parce qu’ils ne peuvent être mis en œuvre par des personnes privées et parce que, conformément aux dispositions nationales pertinentes, toute personne s’opposant à l’exercice de telles mesures encourt une peine d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 300.000 euros. » (arrêt, point 26).

La CJUE en conclut que :

« Dans ces conditions, en mettant en œuvre l’action en cause au principal, le ministre de l’Économie et des Finances agit « dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii) », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012, de telle sorte que cette action ne relève pas de la notion de « matière civile et commerciale », visée à ladite disposition, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier. ».

La référence à l’« acta jure imperii », renvoie à l’article 1er du règlement qui prévoit dans les deux occurrences de son paragraphe 1 que :

« Il [ie le Règlement] ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). » (arrêt CJUE, point 29), soit des domaines voisins convoquant des préoccupations de souveraineté et non de nature purement civile et commerciale.

L’unification de la règle de conflit de juridiction par le règlement Bruxelles I bis (voir Règlement 1215/2012, considérant (4)), n’est donc pas absolue et laisse de côté ces domaines.

Plus largement, l’on se souvient d’ailleurs que sur le premier de ces domaines, que le caractère hors champ des matières fiscales, douanières ou administratives se rencontre au sein d’autres règles à vocation pourtant unificatrice (à rappr. art. 1, point 1 de la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ou nouvelle convention de Lugano) du 30 octobre 2007 ; art. premier, point 1 de la Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale, du 2 juillet 2019, à laquelle l’UE a adhéré courant 2022, avec pour objectif de mettre en place un cadre multilatéral commun pour la circulation internationale des décisions en matière civile et commerciale).

Mais voir échapper au règlement « Bruxelles I bis » la détermination de la compétence et du jeu des règles de résolution d’un conflit de juridiction qu’elle instaure, ne saurait égaler absence de règles de droit commun ou de DIP national en matière de compétence internationale, à la lumière desquelles les juridictions du for saisies pourraient examiner leurs compétences.

Les moyens de part et d’autre à faire valoir ne manqueront pas et les parties auront l’occasion d’en débattre devant la juridiction de renvoi.

Sans que cela ne nous empêche d’avoir un avis sur la question, notre parti pris, dans ces observations, est celui de la neutralité et nous en resterons là s’agissant des moyens en concours.

Signalons simplement, sur ces intéressantes questions, l’existence d’une proposition de loi (n° 575) « visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation », déposée le 29 novembre dernier à l’Assemblée Nationale, objet d’une procédure d’examen accéléré.

Ce projet, déposé avant que ne soit rendu l’arrêt de le CJUE, prévoit au nombre de ses dispositions évoquées en préambule, de « contrer le phénomène d’évasion juridique qui consiste à délocaliser la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France. ». Un « forum shopping » en quelque sorte.

Ainsi et selon l’article premier du texte en question, le chapitre préliminaire du titre IV du livre IV du code de commerce serait complété par un article L. 440-2 ainsi rédigé :

« L’ensemble des dispositions relevant du présent titre s’applique à toute relation commerciale dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. Toute clause contraire est réputée non écrite. Tout litige portant sur l’application des dispositions de ce titre relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve de l’application d’une disposition expresse contraire prévue par un règlement européen ou un traité international ratifié par la France », ne limitant au demeurant pas son périmètre au secteur de l’agriculture.

Bien qu’assorti d’une réserve (« sous réserve de l’application d’une disposition expresse contraire prévue par un règlement européen (…) »), ce nouveau dispositif combiné avec l’interprétation de la CJUE de la non application du règlement « Bruxelles I bis » (et donc de la non application de la réserve au regard du contenu du règlement Bruxelles I bis) à l’action du Ministre telle que décrite, pourrait probablement participer d’une meilleure efficience procédurale dans la lutte contre les pratiques abusives à l’initiative du Ministre.

Par un couplage de l’interdiction théorique d’une pratique donnée et l’exercice concret de la voie de droit permettant de la faire sanctionner, il pourrait ainsi compléter celui résultant de la Loi ASAP de décembre 2020 obligeant à faire mention dans les conventions écrites des avantages issus des accords « internationaux » (cf. art. L. 441-3 III 4° Code com ; à rappr. amende administrative à l’encontre d’une centrale pour ne pas avoir fait figurer dans les conventions annuelles conclues avec ses fournisseurs les éléments relatifs aux services de coopération commerciale facturés par ses centrales internationales situées en Suisse et en Belgique et ce alors que les services étaient rendus en France).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de janvier 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

La réhabilitation de l’ex. article L. 442-6 I 1° du Code de commerce en matière de sanction des avantages abusifs dans la négociation commerciale.

Affaire EDMA c./ Brico Dépôt

Cour d’appel de Paris, 7 décembre 2022, n° 20/11472

 

Dans un arrêt du 4 novembre 2020, la Cour d’appel de Paris (Pole 5, Chambre 4, n°19/09129), avait jugé que les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° du Code de commerce, ne s’appliquaient pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.

La Cour d’appel en était arrivée à cette conclusion aux motifs que :

« En raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-749 QPC (voir considérant n°7) à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass.com. 25 janv. 2017, N° 15-23547). »

En d’autres termes, le contrôle des avantages sans contrepartie ou manifestement disproportionnés ne pouvait plus s’opérer sur le fondement de l’ex article L. 442-6 I 1° du Code précité (voir depuis lors l’article L. 442-1 I 1° de ce Code), mais sur le fondement du déséquilibre significatif dans les droits et obligations, lequel suppose une « soumission » du partenaire commercial (voir depuis lors l’article L. 442-1 I 2° de ce Code qui vise dorénavant « l’autre partie »).

Nous nous étonnions encore très récemment  (voir aussi Lettre de la Distribution, Décembre 2022) de cette solution originale, alors par exemple que sur ce fondement, la Cour de cassation avait jugé, dix ans plus tôt, dans un arrêt ayant reçu les honneurs d’une publication au bulletin, que la mise à disposition gratuite par un fournisseur à son client distributeur, de personnels intérimaires pour la réalisation d’un inventaire, relevait de l’avantage indu car sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard du service rendu, quand bien même ne donnait-il par lieu à un mouvement de fonds en faveur du distributeur (Com., 18 oct. 2011, n° 10-15.296).

Ainsi en allait-il, selon nous, d’un exemple s’il en est d’une application non étriquée de la prohibition, en l’espèce à un avantage en nature.

Nous évoquions aussi la récente analyse du Conseil constitutionnel, certes sur le nouvel article L. 442-1, I, 1°, et sa possible incidence sur le sort de la solution de l’arrêt du 4 novembre 2020, puisqu’à notre connaissance, cet arrêt avait fait l’objet d’un pourvoi.

Quoi qu’il en soit, il semble que la Cour d’appel de Paris ait souhaité, dans un arrêt du 7 décembre 2022 (Paris, 7 décembre 2022, Pôle 5, Chambre 4, n° 20/11472), donner une explication de texte sur l’article L. 442-6 I 1° précité et sur la solution de son arrêt du 4 novembre 2020 :

« La Cour dans son arrêt du 4 novembre 2020 a statué en ces termes : 

« En raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-749 QPC (voir considérant n°7) à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass.com. 25 janv. 2017, N° 15-23547). Dès lors, les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° précité ne s’appliquent pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial. »

Or, en l’espèce, ainsi que le fait justement valoir la société Edma, le litige ne porte pas sur le seul contrôle du prix mais sur un avantage tarifaire en échange de contreparties commerciales par la « réduction spécifique plan d’affaires » qui ne constitue pas une simple modalité de fixation du prix.

En conséquence, l’article L 442-6, I, 1° du code de commerce est applicable au litige ; »

Un temps quasiment mis au ban des outils de lutte contre certains types d’avantages abusifs par la Cour d’appel de Paris, l’article L. 442-6, I, 1° est réhabilité par la même Cour.

Si le contrôle de l’absence de contrepartie ou de la disproportion manifeste (hors soumission à un déséquilibre significatif) s’effectue dorénavant, depuis l’ordonnance du 24 avril 2019 sur le fondement du nouvel article L. 442-1 I 1°, la solution de ce récent arrêt de la Cour d’appel de Paris redistribue les cartes au plan des procédures sur l’ancien fondement.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

 

« Claris non fit interpretatio et PRC » : application à l’obtention d’un avantage sans engagement écrit de commande.

Affaire Phyto Plus c./ Frans Bonhomme

Tribunal de Commerce de Paris, 10 octobre 2022, n° 2021000304

 

1. Faits.

Le litige opposait un fournisseur (Phyto Plus), à l’un de ses distributeurs (Frans Bonhomme). Ces deux sociétés avaient noué une relation commerciale de 2011 jusqu’au 1er mars 2020.

Le fournisseur prétendait que son distributeur lui avait demandé début 2016 de concevoir et de développer un filtre d’assainissement spécifique, conformément à un cahier des charges précis du distributeur pour répondre au besoin des clients de ce dernier.

Selon le fournisseur, cette demande aurait été assortie, oralement, d’un accord sur les volumes de commandes de ce produit, ce qui aurait conduit notre fournisseur à entreprendre des investissements et emprunts à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros.

Le nombre de commandes passées n’étant pas à la hauteur de celles attendues et alors que le distributeur soutenait ne pas être à l’origine de la fabrication des produits, ledit distributeur, mettant en avant le comportement brutal de son fournisseur lors d’échanges téléphoniques, devait lui notifier en août 2019 la rupture de la relation commerciale, avec un préavis de sept mois arrivant à échéance le 1er mars 2020.

Le fournisseur l’assigna sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 3° (obtention d’un avantage sans volume écrit de commande), 4° (conditions financières disproportionnées sous la menace d’une rupture brutale) et 5° (rupture brutale) du Code de commerce.

Par jugement du 10 octobre 2022, le Tribunal de commerce de Paris déboute le fournisseur de ses demandes (T. com. Paris, 10 octobre 2022, n° 2021000304).

Nos observations se cantonneront à la solution donnée par le Tribunal sur le fondement du point 3° de l’article précité. Cette prohibition est souvent désignée, dans le langage des praticiens, sous le terme d’interdiction des « primes de référencement ».

 

2. Problème et solution.

Dans ce contexte de relation d’affaires et alors que les circonstances de la cause ne décrivaient pas une situation de « référencement », notamment du fait de centrales éponymes, le texte pouvait-il – au moins au plan des principes – s’appliquer ?

La réponse est affirmative pour le Tribunal qui, par une formulation générique, « constate que les dispositions de l’article L. 442-6 I 3° du code de commerce ne sont pas limitées au seul versement fautif de primes de référencement. ».

La violation de cette prohibition est toutefois écartée par le Tribunal après vérification de la réalité des allégations du demandeur.

 

3. Observations.

La solution générale ne nous surprend pas.

Pour rappel, deux lectures s’opposaient sur le domaine de l’ancien article L. 442-6, I 3°.

Le fournisseur reprochait à son distributeur d’avoir obtenu comme avantage, celui de la création d’un filtre pour satisfaire sa demande et ce suivant un cahier des charges précis respecté par le fournisseur.

Il ajoutait que le distributeur se serait engagé, non par écrit mais oralement, à commander un certain nombre de filtres par an, compris une fourchette quantitative et que cet engagement n’avait d’ailleurs pas été respecté.

Le distributeur soutenait quant à lui, que l’article L. 442-6, I 3° était inapplicable (« les conditions d’application de l’ancien article L. 442-6, I, 3° du code de commerce relatif aux primes de référencement ne sont pas réunies »), le texte ayant « vocation à lutter contre le fait de subordonner le référencement d’un fournisseur à l’octroi d’avantages financiers, sans contrepartie suffisante, comme les primes de référencement abusives qui peuvent être versées aux centrales de référencement ».

In concreto, selon lui, les exigences de ce texte faisaient défaut. Entendre par cela, notamment l’inexistence d’un avantage préalable à la passation de commande puisque Phyto était déjà un fournisseur actif du distributeur depuis plusieurs années, mais aussi l’absence d’avantage « financier » (« en second lieu, l’avantage allégué n’est pas un avantage financier ») non assorti d’un engagement de volume ou d’un service demandé par le fournisseur.

Le Tribunal a eu les faveurs de la première de ces deux lectures.

Certes, la solution ne conduira pas à la condamnation du distributeur, faute de rapporter la preuve de la pratique ainsi prohibée et notamment de l’existence d’un avantage au sens de l’article précité (« Que dès lors le moyen selon lequel PHYTO PLUS aurait défini et élaboré le produit « STEPURFILTRE », sur la base d’un cahier des charges adressé par FRANS BONHOMME, et que cette dernière aurait imposé à PHYTO PLUS la création, le développement ou la production de ce filtre, sera écarté par le tribunal ; Qu’en tout état de cause, PHYTO PLUS ne démontre pas non plus que FRANS BONHOMME aurait pris, au-delà de l’intérêt porté sur le produit « STEPURFILTRE » pour, à l’évidence, diversifier son catalogue de produits, un quelconque engagement de commandes, par oral ou par écrit ; »).

Les motifs du jugement, qui relatent les circonstances propres de l’espèce, mériteront que l’on s’y reporte, notamment pour qui souhaitera réfléchir aux hypothèses, autres, dans lesquelles les éléments de la pratique prohibée auraient pu être vérifiés.

Rappelons toutefois que la pratique en cause n’est plus sanctionnée per se depuis la réforme du titre IV du livre IV du Code de commerce par l’ordonnance du 24 avril 2019.

Cette ordonnance a recentré la liste des pratiques abusives autour de trois pratiques générales existantes et modifiées dans leur champ d’application, au sein du nouvel article L. 442-1.

De la sorte, des pratiques visées jadis en tant que telles pourraient relever du champ d’application des prohibitions maintenues, ce qu’il appartiendra aux juridictions saisies d’apprécier au vu de la lettre des nouveaux textes.

Lorsqu’il sera question de faire application de ces derniers, les jurisprudences rendues en matière de pratiques abusives sur des fondements aujourd’hui disparus, pour des raisons tenant davantage à un souhait de simplification que d’absolution (cf. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance, p. 7 et 8), pourront alors tenir lieu de points de repère.

Mais à nos yeux, l’essentiel est ailleurs : au-delà de la pratique ici rapportée, le jugement suggère une réflexion plus « macro-juridique », si nous osons l’expression.

Mais expliquons-nous ci-après.

Cette affaire témoigne à la fois de la plasticité des textes en matière de pratiques abusives et de la compatibilité de leur contenu pour appréhender des pratiques qui n’étaient pas nécessairement celles pour lesquelles les textes avaient été initiés.

La loi a ses raisons qui ne peuvent avoir raison de la loi : l’on sait qu’une fois établie, la règle de droit revêt un caractère abstrait, obligatoire et coercitif.

A cela trois exemples.

Souvenons-nous, en premier lieu, que la prohibition de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, au large domaine d’application très tôt décelé (Lettre distrib. juil./août 1996), avait pourtant été essentiellement imaginée, à l’occasion de la loi Galland de 1996, afin de lutter contre les déréférencements abusifs.

Il en est de la même multifonctionnalité, en deuxième lieu, de la prohibition, instituée par la NRE, de l’article L. 442-6, I, 1° visant les nouvelles formes d’abus « parfois commis par la grande distribution au détriment de ses fournisseurs » (Rapport Sénat sur le projet adopté par l’Assemblée Nationale relatif aux Nouvelles Régulations Economiques, p. 20), que constituaient les avantages sans contrepartie ou moyennant une contrepartie disproportionnée.

Sur ce fondement, la Cour de cassation a jugé, dix ans plus tard, dans un arrêt ayant reçu les honneurs d’une publication au bulletin, que la mise à disposition gratuite par un fournisseur à son client distributeur, de personnels intérimaires pour la réalisation d’un inventaire, relevait de l’avantage indu car sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard du service rendu, quand bien même ne donnait-il par lieu à un mouvement de fonds en faveur du distributeur (Com., 18 oct. 2011, n° 10-15.296). L’on peut y voir une application de la prohibition à un avantage en nature.

Fort de ce témoignage, s’il en est, de l’adaptabilité du texte aux contingences particulières et sauf revirement de jurisprudence de la même chambre que nous n’aurions pas remarqué, nous nous questionnons – encore – sur la solution de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 4 novembre 2020 (n° 19/09129) d’où il ressort que les dispositions de l’article L. 442-6 I 1° ne s’appliquent pas à une réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.

A ce propos, la récente analyse du Conseil constitutionnel, certes sur le nouvel article L. 442-1, I, 1°, goûtée ou non (rappr. pour une analyse critique, CC n° 2022-1011 QPC, 6 oct. 2022, Lettre distrib. 10/2022, obs. N.E), pourrait avoir quelques incidences sur le sort de cette solution, puisqu’à notre connaissance, l’arrêt d’appel a fait l’objet d’un pourvoi. L’avenir nous en dira davantage.

En dernier lieu et dans le domaine voisin de la formalisation de la relation commerciale, comment ne pas évoquer l’application des textes du Code de commerce à des univers très différents de celui de la relation entre les fournisseurs et les grands distributeurs.

Claris non fit interpretatio et Dura led sed lex : la règlementation des pratiques restrictives n’y fait pas exception.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de ce jugement est intégré à la Lettre de la distribution du mois de décembre 2022. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Retards de paiement, intérêts et indemnisation forfaitaire pour frais de recouvrement : interprétation conciliante de la CJUE.

Affaire A Oy c./ B Ky et autres

CJUE, 20 octobre 2022. Affaire C 406/21

 

1. Faits et procédure

Le litige opposait, devant les juridictions finnoises, un vendeur de livres à son acheteur à raison du règlement tardif de 135 factures. Ces factures avaient des dates d’échéances comprises entre le 10 avril 2015 et le 21 février 2018.

Ces échéances n’ayant pas été respectées, le vendeur prétendait être créancier à hauteur de 172,81 euros d’intérêts de retard ainsi que de 5.400 euros au titre d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, comme en dispose la règlementation finnoise de transposition de la Directive 2011/7/UE concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

Pour rappel, cette Directive instaure une « indemnisation pour les frais de recouvrement », visant le paiement exigible, sans qu’un rappel soit nécessaire, d’un montant forfaitaire minimum de 40 euros par facture réglée en retard, ainsi qu’une indemnisation raisonnable pour les autres frais recouvrement, en sus du montant forfaitaire précité (art. 6 § 1 et 3).

De son côté, l’acheteur invoquait une pratique établie entre parties, courante dans le secteur de la librairie selon lui. Il en ressortait qu’au cours des 8 années de relation passée, le vendeur ne lui avait jamais facturé de sommes à ce titre, alors que les retards constatés, inférieurs à un mois, restaient raisonnables (de deux jours à trois semaines après la date d’échéance) et que les sommes dues avaient été in fine acquittées.

Mais un tel moyen ne pouvait-il pas heurter les dispositions de la Directive et de la règlementation impérative finlandaise de transposition ?

Pour mémoire, l’article 7 de cette Directive prévoit dans un § 2 « que toute clause contractuelle ou pratique excluant le versement d’intérêts pour retard de paiement est considérée comme manifestement abusive », et dans un § 3 qu’« une clause contractuelle ou une pratique excluant l’indemnisation pour les frais de recouvrement [indemnité forfaitaire et indemnisation des autres frais] est présumée être manifestement abusive ».

Le litige parvenu au niveau de la juridiction suprême de Finlande, cette dernière devait poser à la CJUE deux questions préjudicielles (CJUE, 20 octobre 2022. Affaire C 406/21).

La première, que nous ne faisons qu’évoquer, bien qu’intéressante, portait sur le champ d’application rationae temporis des textes internes de transposition au titre de pratiques que nous dirons « à cheval » sur la période avant/après transposition (arrêt, points 38 à 49).

La deuxième portait sur l’interprétation de l’article 7, § 2 et 3 précités. Nous nous y consacrons.

 

2. Problème

L’article 7, § 2 et 3 de la Directive 2011/7 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique en vertu de laquelle, pour des retards de paiement inférieurs à un mois, le créancier ne recouvre pas les intérêts pour retard de paiement ni l’indemnisation pour les frais de recouvrement, en contrepartie du paiement du montant principal des créances exigibles ?

 

3. Solution

Pour la CJUE, « l’article 7, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/7 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une pratique en vertu de laquelle, pour des retards de paiement inférieurs à un mois, le créancier ne recouvre pas les intérêts pour retard de paiement ni l’indemnisation pour les frais de recouvrement, en contrepartie du paiement du montant principal des créances exigibles, à la condition que, en agissant ainsi, le créancier a librement consenti à renoncer au versement des sommes dues au titre de ces intérêts et de cette indemnisation. » (arrêt, point 62).

Au cas particulier, il appartiendra dès lors à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, « de déterminer s’il peut être considéré que, par sa pratique consistant à ne pas recouvrer les sommes correspondant à ces intérêts et à cette indemnisation, le créancier a librement consenti à renoncer au versement des sommes dues au titre de ces intérêts et de cette indemnisation, étant précisé qu’un tel consentement ne saurait être exprimé au moment de la conclusion du contrat en vertu duquel les paiements concernés étaient dus » (arrêt, point 61).

 

4. Observations

– La solution est dictée par la finalité de l’article 7, paragraphes 2 et 3 de la directive 2011/7, qui est d’éviter que la renonciation par un créancier aux intérêts pour retard de paiement ou à l’indemnisation pour les frais de recouvrement n’intervienne dès la conclusion du contrat, c’est-à-dire lorsque la liberté contractuelle du créancier est exercée et qu’il existe un risque d’abus de cette liberté par le débiteur au détriment du créancier (arrêt du 16 février 2017, IOS Finance EFC, C‑555/14, EU:C:2017:121, point 30) (arrêt, point 57).

L’arrêt nous enseigne que « lorsque les conditions prévues par la directive 2011/7 sont réunies et que les intérêts pour retard de paiement ainsi que l’indemnisation pour les frais de recouvrement sont exigibles, un créancier doit rester libre, compte tenu de sa liberté contractuelle, de renoncer au versement des sommes dues au titre de ces intérêts et de cette indemnisation, notamment en contrepartie du paiement immédiat du montant principal ».

Cela est, par ailleurs, confirmé au considérant 16 de la directive, lequel précise que celle-ci ne devrait pas obliger un créancier à exiger le versement d’intérêts pour retard de paiement (arrêt du 16 février 2017, IOS Finance EFC, C‑555/14,EU:C:2017:121, points 31 et 32) (arrêt, point 58).

Cependant, « une telle renonciation est subordonnée à la condition qu’elle ait été consentie de manière effectivement libre, de telle sorte qu’elle ne doit pas constituer un abus de la liberté contractuelle du créancier qui serait imputable au débiteur » (arrêt du 16 février 2017, IOS Finance EFC, C‑555/14, EU:C:2017:121, points 33 et 34) (arrêt, point 59).

Cette interprétation concilie l’objectif d’un paiement rapide et la nécessité de préservation de la relation commerciale malgré le défaut de ponctualité du débiteur à s’acquitter de sa dette.

La faculté de renonciation étant ainsi reconnue et ses conditions fixées, la solution vise les situations dans lesquelles il existe bel et bien entre les parties une « pratique » antérieure établie, consistant à ne pas réclamer les intérêts pour retard de paiement ou l’indemnisation pour les frais de recouvrement (des faveurs intermittentes, quand bien même fréquentes, n’y suffisant pas) et où les paiements interviennent dans un délai raisonnable, moyennant un retard inférieur à un mois.

En outre, à la lecture de la solution rendue, rien ne semble permettre d’étendre cette dernière au-delà d’un tel retard, quand bien même moyennant une renonciation répondant aux autres conditions fixées par la CJUE.

Pour rappel, la renonciation est un acte unilatéral abdicatif reposant, au vu de notre jurisprudence interne, sur des actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer (Civ. 2, 10 mars 2005, n° 03-11.302).

De notre point de vue, cette faculté de renonciation ainsi encadrée devrait être inopérante dans le cas où, intervenue dans l’expectative d’un paiement à intervenir bien qu’avec retard, elle est suivie d’un défaut de paiement pur et simple.

L’éclairage donné par la CJUE invite immédiatement à déplacer nos interrogations vers notre droit interne en matière de lutte contre les retards de paiement, s’agissant là d’une règlementation impérative (à rappr. Com. 17 avril 2019, Pourvoi n° G 18-11.280, Lettre distrib. mai 2019, obs. M.A ; Civ. 3e, 30 septembre 2015, Pourvoi n° 14-19.249, Lettre distrib. oct 2015, obs. M.A).

– Sur un plan obligationnel, l’on comprend que le créancier qui, renonçant à mettre en œuvre les droits que lui concède la Directive à facturer des intérêts de retard ou des indemnités forfaitaires à raison d’un paiement tardif, en contrepartie du paiement du montant principal des créances exigibles, ne sera plus en droit de le faire alors que son débiteur s’est exécuté.

La tentation à ce faire pourrait notamment se rencontrer chez tel fournisseur qui, lassé des innombrables atermoiements de son client lorsqu’il s’agit de s’acquitter de sa dette, envisagerait d’exiger rétrospectivement un rattrapage des intérêts ou indemnités précités, dans une démarche de rappel à l’ordre.

Elle peut aussi se présenter lors d’un règlement de compte entre parties, en suite par exemple d’un arrêt de relation commerciale.

Dès lors, au vu de l’affaire rapportée et même si la renonciation ne se présume pas, le fournisseur pourrait opportunément songer à signaler de temps à autres, par voie d’écrit il va sans dire, que ses faveurs ne remettent pas en cause les droits qu’il détient aux termes des articles L. 441-9 I al 5 (facturation) et L. 441-10 II (délais du paiement) du Code de commerce.

A tout le moins et de manière moins comminatoire, il pourrait préciser dans ses CGV que le fait de ne pas avoir réclamé tout intérêt retard de paiement ou d’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, ne saurait s’analyser en une renonciation à titre.

– L’interprétation de la CJUE est aussi à prendre en compte au plan de l’appréciation des risques de sanction administrative à l’issue de contrôles de conformité des pratiques entre créanciers et débiteurs aux dispositions du Code de commerce, prévoyant notamment l’indemnité forfaitaire de 40 euros dans le cadre de la transposition de la Directive 2011/7 (cf. art. 121 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives et Décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012 fixant le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dans les transactions commerciales prévue à l’article L. 441-6 du code de commerce).

L’on se souvient qu’à l’occasion d’un jeu de questions/réponses du mois de juillet 2013 consacré à l’indemnité forfaitaire pour retard de paiement, la DGCCRF avait adopté une position assez stricte sur la question du versement de l’indemnité en question.

A la question « 1/ La mention de l’indemnité sur les conditions générales de vente (CGV) et les factures et son versement en cas de retard sont-ils obligatoires lorsque la relation commerciale avec le client est bonne ? », elle avait répondu « Oui, la mention obligatoire de cette indemnité et de son montant dans les CGV et sur les factures est obligatoire. L’indemnité est due dès le premier jour de retard de paiement, même dans le cadre d’une relation commerciale non conflictuelle. ».

Par la suite, l’évocation en question/réponse n° 19, de ce que le plafond des amendes mentionnées aux articles L. 441-6 et L. 441-4 du Code de commerce devait être multiplié par 5 concernant les personnes morales (article 131-38 du code pénal), « comme pour toute amende pénale » (amende administrative depuis lors. Cf. art L. 441-16 C.com), laissait entendre qu’était sanctionnable le défaut de « versement », expressément visé en question n° 1, de l’indemnité précitée.

La position des services du Ministre se voulait de la sorte moins souple que celle de la CEPC, trois ans plus tôt, à l’occasion d’un Avis n° 10-08 du 12 mai 2010 à propos de la pratique d’un créancier consistant à ne pas exiger le paiement des pénalités de retard de paiement.

L’arrêt de la CJUE donne donc à l’Administration une occasion de modifier sur ce point son jeu de question/réponse précité si elle l’estime souhaitable. Ne pourrait-il pas aussi offrir un point de départ à d’autres réflexions sous l’angle de la règlementation des délais de paiement ?

– Enfin et pour conclure, nous rappellerons que les pénalités de retard de paiement tout comme l’indemnité pour frais de recouvrement sont, pour la détermination du résultat imposable, rattachables à l’exercice de leur encaissement ou de leur paiement (CGI. Art. 237 sexies et BOI-BIC-BASE-20-10, n° 230).

Cette règle a pour avantage d’éviter que les fournisseurs soient imposés sur des produits non perçus lorsque les pénalités ou frais précités ne sont pas réclamés au client.

On se souvient que le caractère exigible des pénalités (les indemnités pour frais de recouvrement ayant été introduites ultérieurement dans le Code de commerce) avait, aux lendemains de la loi NRE du 15 mai 2001, causé quelques tourments aux créanciers (Lettre distr. mars 2009, nos obs ; Lettre distr. fév. 2005).

Bien que non réclamées par ces derniers, ces pénalités n’en constituaient pas moins alors des produits. L’article 237 sexies du CGI y a remédié.

Sur ce dernier sujet, évoqué pour mémoire et qui n’est plus problématique, l’arrêt de la CJUE ne nous semble pas impactant.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de novembre 2022. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Négociation, convention et unilatéralisme dans la fixation du prix : les ressources du droit des obligations.

Affaire AOP Sunlait c./ Savencia

TJ Coutances, 30 août 2022, RG n° 21/01372

 

La problématique de la répartition de la valeur dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire vient de donner lieu à une décision importante, que nous signalions en septembre dernier, en matière de  contractualisation amont (TJ Coutances, 30 août 2022, RG n° 21/01372).

Cette affaire, outre les différents enseignements que l’on peut en retirer en matière de négociation et de contractualisation amont sur les matières premières agricoles, peut ouvrir le champ à des réflexions plus générales sur la négociation commerciale, y compris au stade aval, mais aussi sur la contractualisation et l’exécution des obligations issues de cette contractualisation.

Nous y revenons, en complément de notre actualité du mois dernier.

 

1. Faits et procédure

Le litige rapporté a pour objet le non-respect reproché par une Association d’Organisation de Producteur (AOP) de lait (OAP Sunlait ou l’AOP), à deux sociétés du transformateur Savencia (« Savencia »), plus connu au travers de ses marques de produits fromagers (Saint-Moret, Caprice des dieux, Elle et Vire etc), du cadre contractuel déterminant le prix du lait.

Les Organisations de Producteurs (les OP) adhérentes de l’AOP avaient signé en 2012 des contrats cadres négociés par l’AOP, pour une durée de 7 ans, prévoyant la fourniture de lait de vache cru et renouvelés automatiquement pour 5 ans en 2019.

Savencia était l’acheteur unique des volumes laitiers produits par les producteurs des OP.

Ces contrats cadres, qui prévoyaient des dispositions relatives à la fixation du prix du lait collecté auprès des éleveurs adhérents, ont donné lieu à plusieurs avenants et protocoles d’accord.

Après une médiation infructueuse devant le médiateur des relations commerciales agricoles sur certaines demandes de l’AOP, cette dernière a saisi en septembre 2021 le Tribunal Judiciaire de Coutances dans le cadre de la « procédure accélérée au fond » telle que prévue à l’article L. 631-28 du CRPM, dont l’objectif est, dans les conditions fixées par ce texte, de permettre une résolution rapide des litiges en matière contractuelle portant sur des contrats ou accords-cadres (de l’article L. 631-24 du CRPM) ayant pour objet la vente de produits agricoles et alimentaires.

L’AOP demandait la condamnation de Savencia pour inexécution de ses obligations contractuelles sur le prix du lait payé aux producteurs et négocié entre l’industriel et l’AOP, à raison d’une fixation qu’elle estimait unilatérale de ce prix.

Il était notamment sollicité le rétablissement entre les parties des dispositions contractuelles et notamment celles permettant la détermination de ce prix au titre de 2020 et 2021.

Par décision du 30 août dernier, le Tribunal Judiciaire de Coutance a condamné à hauteur de quasiment 26.000.000 euros les deux sociétés assignées du transformateur Savencia.

L‘exécution provisoire n’a pas été ordonnée.

Selon nos informations, la décision fait l’objet d’un appel par le transformateur.

 

2. Problèmes

Cette affaire concentre un nombre important de sujets tels que celui de la compétence juridictionnelle du Tribunal saisi dans le cadre de la procédure accélérée au fond, de la recevabilité de l’action diligentée à l’encontre de l’une des sociétés du transformateur, du pouvoir de l’AOP pour agir au nom des producteurs, de l’intervention du médiateur des relations commerciales agricoles, d’une QPC rejetée du défendeur sur le dispositif de l’article L. 631-28 CRPM ou de la demande de transmission d’une question préjudicielle soulevée par le défendeur sur la compatibilité de l’article précité avec les dispositions du règlement OCM n° 1308/2013.

Seul retiendra notre attention celui, abordé sous divers angles dans la décision, de la question de la détermination du prix du lait au travers d’une « formule » notamment d’évolution de ce prix, dans les accords cadre et ses actes modificatifs tels qu’avenants et protocoles d’accord.

Comme déjà indiqué, les moyens de l’AOP tendaient au rétablissement entre les parties des dispositions contractuelles et font ressortir trois problèmes.

En premier lieu, celui de l’inexécution du contrat liant les parties et de la responsabilité de l’une d’entre elles à raison de sa faute dans l’exécution de ses obligations.

En deuxième lieu, celui de la formation du contrat et de la nullité d’un protocole emportant fixation du prix du lait entre les parties en raison des circonstances ayant présidé à sa conclusion.

En troisième lieu, celui de la fixation du prix sur une période déterminée, ponctuellement, sans prévision d’une formule permettant de déterminer à l’avance le prix du lait passée cette période.

Le jugement, très riche en développements, nous contraint à devoir prendre comme parti celui de devoir en cibler les motifs les plus saillants, avec risque et regret d’être incomplet.

Aussi, le lecteur est-il invité à s’y reporter.

 

3. Solutions

– Sur la méconnaissance par l’une des parties des accords négociés, en l’occurrence un protocole de juin 2018 portant modification de la formule de prix du lait par rapport à celle jusqu’alors en vigueur : inexécution.

Le Tribunal, à la base même de sa motivation et au double visa des articles 1103 et 1194 du Code civil, énonce dans sa majeure que :

« L’article 1103 du Code civil dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». L’article 1194 du même code ne contrarie pas ce principe en rappelant que le contrat oblige les parties à ce qu’elles ont exprimé ainsi qu’à toutes les suites que leur donne l’équité, l’usage ou la loi. ».

Constatant certes, à côté de l’accord sur la formule d’évolution du prix, que le protocole évoquait certains points encore « en questionnement », « il n’en reste pas moins que les parties ont fixé et convenu de la formule d’évolution du prix du lait ».

Et sur la responsabilité contractuelle encourue par Savencia de juger que :

« Il s’ensuit que la rupture de l’accord conclu par voie du protocole de juin 2018 est unilatérale, les efforts de SUNLAIT pour maintenir la formule contractuelle en résultant étant mis en péril par le positionnement concurrentiel de la société SAVENCIA. Cette rupture unilatérale, contraire à la loi des parties, est d’autant plus reprochable à la société SAVENCIA qu’elle est en contradiction avec le mécanisme du prix en cascade institué par la loi EGALIM1 applicable aux parties. ».

Signalons également l’attention portée par le Tribunal sur les options contractuelles qui étaient pourtant offertes par le contrat à l’acheteur, en vue d’une adaptation de la formule devenue indésirable à ses yeux et que celui-ci n’a pas privilégié, préférant méconnaître ses obligations au plan du prix à payer :

« Ensuite, comme cela a été précisé plus haut, les parties ont clairement entendu adopter une formule de détermination du prix du lait sur des critères de référence et indicateurs précis. Si la formule ainsi adoptée ne pouvait trouver à se poursuivre compte tenu de la variation du prix des matières premières ou des modifications imprévisibles de nature économique ou règlementaire bouleversant l’économie du contrat, il appartenait au groupe SAVENCIA souhaitant maintenir sa compétitivité et ses parts de marchés vis à vis de ses concurrents, d’amorcer une renégociation via les dispositions prévues au contrat cadre, par l’effet des clauses de rencontre ou de renégociation. En s’abstenant de recourir à ces leviers, et en préférant refuser d’exécuter la formule adoptée sans pouvoir en justifier, le groupe SAVENCIA a manqué à ses obligations et ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour renvoyer la responsabilité de son inexécution à l’Association SUNLAIT. »

– Sur la formation du contrat et de la nullité d’un protocole en date du 29 décembre 2020 fixant le prix du lait : vice du consentement.

Si le Tribunal estime que l’accord matérialisé par ce protocole a valeur d’avenant au contrat cadre ayant force de loi entre les parties qui se sont engagées, il s’interroge sur les « conditions de négociation » et invalide ledit protocole à raison d’un consentement obtenu dans la violence des circonstances ayant entourées cet accord :

« L’article 1143 du même code prévoit qu’il « y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

Plus spécialement, le Tribunal ayant constaté la rupture unilatérale et fautive du protocole de juin 2018 (cf. ci-dessus) à compter du 17 octobre 2019, relève qu’« En l’espèce, on ne peut faire abstraction de la pression constante exercée par SAVENCIA depuis la rupture unilatérale des liens contractuels en octobre 2019 refusant d’appliquer la formule de prix résultant du protocole de juin 2018, de la dépendance économique des exploitants laitiers, et des conditions extrêmement difficiles ayant conduit à la négociation entre M. MARCHAIS et SAVENCIA le 29 décembre 2020. La négociation du protocole du 29 décembre s’est effectuée dans un climat d’extrêmes tensions, (…). La pression est incontestablement faite sur l’Association SUNLAIT pour la contraindre à négocier le prix du lait à la baisse et ce, le plus rapidement possible »*

Tt d’en conclure, au vu de la manière dont s’est déroulée cette négociation que « De tels procédés doivent être qualifiés de violence, au sens de l’article 1143 du Code civil. ».

– Sur la fixation par un protocole du 29 avril 2021 du prix sur une période déterminée, ponctuellement, sans prévision d’une formule permettant de déterminer à l’avance le prix du lait après cette période : détermination unilatérale.

Le Tribunal sanctionne à nouveau l’unilatéralisme constaté.

Il juge que :

« SAVENCIA ne pouvant justifier de la formule adoptée, ni d’un nouvel accord sur la détermination du prix du lait sur la base d’une formule de détermination du prix du lait, il convient de revenir à la base de calcul fixée par le protocole de juin 2018, seul acte contractuel de détermination du prix susceptible de constituer un avenant au contrat-cadre, dont SAVENCIA a fautivement refusé de poursuivre l’exécution. La formule du prix posé par ce protocole de juin 2018 doit en conséquence être appliquée sauf meilleur accord. Le protocole de décembre 2020 étant considéré comme nul, et le protocole d’avril 2021 ne pouvant valoir fixation d’un prix que sur la période qu’il détermine, ne remet pas en cause l’application du protocole de juin 2018, qui en l’absence d’accord ultérieur, doit servir de base à la fixation du prix du lait. »

 

4. Observations

La portée pratique d’une décision ne dépend pas nécessairement du rang de la juridiction qui la produit ou de son ressort territorial et il y a fort à parier que ce jugement, ayant retenti dans la presse spécialisée qui s’est intéressée à l’affaire (La France Agricole), soit scruté par les opérateurs des filières concernées et au-delà, pour en dégager la portée pratique.

Les remous de l’actualité témoignent en effet des tensions persistances sur la question (Les sociétaires Sodiaal du Grand Ouest passent à l’offensive. C. Pruilh, Réussir Lait, 27 sept. 2022 ; Sodiaal accusée de ne pas respecter la loi. V. Guyot, La France Agricole, 5 oct. 2022).

Les sujets qu’inspirent cette affaire sont si nombreux qu’il est difficile de les sélectionner aux fins d’un traitement qui n’en restera que trop succinct.

On songe, bien évidemment à celui de la négociation contractuelle amont dans le secteur laitier (à rappr. Avis CEPC n° 17-11, Lettre distr. déc. 2017 et n° 20-1, Lettre distr. juin 2020, nos obs), depuis longue date exposé à des tensions entre producteurs et transformateurs mais aussi à d’autres branches, nombreuses, où se rencontre le sujet de la répartition de valeur dans la chaîne d’approvisionnement.

Cette affaire témoigne aussi du caractère parfois périlleux du choix des indicateurs pris en compte dans la formule de détermination du prix sur la durée, lorsque cette formule ne trouve plus grâce aux yeux de l’une des parties. C’est d’ailleurs l’épicentre du litige.

Pourtant, malgré la récurrence des tensions entre les acteurs sur la répartition de la valeur (du producteur au distributeur), à l’origine de la multiplication des lois à visées correctives qui se sont multipliées ces dernières années, l’on ne peut jusqu’alors, à notre connaissance, que constater la rareté du contentieux amont.

D’où caractère inédit de cette affaire, en ce compris au niveau des condamnations prononcées.

Certes, les acteurs de l’amont de la production agricole ou leurs organisations représentatives, avaient déjà eu maille à partir avec ceux de l’aval, sur des fondements issus de la règlementation des pratiques restrictives de concurrence (Caen, 18 mars 2008, Fédération Nationale des Producteurs de Légumes c./ SNC Interdis, n° RG 06/03554, Lettre distr. juil-août 2009, nos obs.), à l’occasion de contentieux relevant de juridictions spécialisées.

Il aurait pu encore en être ainsi, lorsqu’il apparaît que l’affaire rapporte des situations de déséquilibre, de dépendance ou de pression, que l’on a pris pour habitude au sein de ces colonnes, de devoir commenter au plan des pratiques restrictives.

A titre d’exemple, l’exercice de pressions exercées sur le partenaire pour forcer son adhésion, comme aussi relevé en l’espèce par les juges, est par ailleurs pris en considération pour établir la soumission en matière de déséquilibre significatif (Droit de la Distribution, Lexis Nexis 2020, 9e Edition, point 338, Didier Ferrier et Nicolas Ferrier ; à rappr. Trib. Com. Paris, 6 juillet 2021, RG n° 2016064825, Lettre distr. sept. 2021, nos obs. : « qu’il en résulte qu’un fournisseur ne souscrirait à un tel montage s’il ne subissait pas de fortes pressions le conduisant à se sentir obligé d’adhérer, d’autant plus quand les pressions de MR BRICOLAGE sont exercées au moment des négociations annuelles de référencement comme c’est le cas en l’espèce, c’est-à-dire à un moment où le fournisseur est vulnérable).

Il est en de même pour la relation de dépendance en tant qu’indice d’une soumission éventuelle (Droit de la distribution, précité).

Et pourtant, nulle évocation de pratiques restrictives dans la présente décision, alors même que l’on peut noter dans la Recommandation du médiateur du 19 mars 2021 rendue publique en application de l’article L. 631-27 al. 9 du CRPM et ayant précédé l’assignation que « Sans préjudice de l’interprétation des tribunaux éventuellement saisis, il n’est pas exclu que la fixation unilatérale du prix dans une telle situation de dépendance puisse caractériser un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de la jurisprudence relative à l’article L. 442-1 du Code de commerce. ».

L’affaire convoque donc – simplement – les principes du droit des obligations : vice du consentement (la négociation dure oui, la négociation brutale non), inexécution (il ne faut pas s’affranchir de ses obligations), détermination conjointe du prix ou des éléments y conduisant (le prix ou sa détermination doit être convenu).

Après tout, le droit civil ne s’interdit pas d’appréhender de telles situations là où l’on n’a pas pris pour habitude de le voir pleinement mis en œuvre.

Il constitue même une base légale traditionnelle et pertinente pour, par exemple, sanctionner la partie qui s’affranchirait à sa seule convenance des obligations contractuelles souscrites !

Exit alors les juridictions spécialisées, les débats parfois techniques sur des textes qui, au gré des lois qui se succèdent peuvent évoluer dans leur contenu, les interprétations parfois fluctuantes et le cas échéant surprenantes, sans compter les assauts fréquents à l’encontre des textes de PRC à l’occasion de QPC aux issues plus ou moins heureuses, mais qui ralentissent in fine le traitement des affaires.

Sur ce dernier point, signalons que le litige rapporté, bien que dans le cadre d’une procédure accélérée au fond, n’a pas toutefois pas été épargné par une telle démarche, infructueuse.

Mais à mieux s’y pencher, l’approche, même de manière incidente, des abus dans la négociation commerciale par le droit civil est-elle aussi inédite qu’il y parait ?

De longue date, il est des décisions qui, directement ou à tout le moins en filigrane, nous orientent sur une réponse négative (ex. Com. 18 octobre 2001, pourvoi n° G 10-15.296 ; Négociation 2007 : La cause s’invite dans le débat sur les marges arrières, Lettre dist. nov. 2006, nos obs).

L’affaire est donc des plus captivante en ce qu’elle invite, par les fondements évoqués par le demandeur et retenus par le Tribunal, à songer plus fréquemment au droit des obligations, à titre principal ou subsidiaire, voire complémentaire.

La négociation commerciale se verrait ainsi plus fréquemment placée sous la surveillance du Droit des Pratiques Restrictives (de concurrence), complétée par celle des Pratiques Restrictives de Droits (civils).

Peut-être même s’agit-il, au gré des affaires et à défaut d’être une alternative nouvelle car déjà existante comme en témoigne la décision rapportée, d’une redécouverte des grands classiques du consensualisme, de la liberté contractuelle et de la force obligatoire des contrats.

Même s’il reste nécessaire de prêter attention à l’articulation entre règles spéciales et règles de droit commun (Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.872, obs. S.C), dans l’hypothèse d’un concours de règles applicables, les ressources offertes par le droit civil (vice du consentement, bonne foi dont on rappelle qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public (art. 1104 C. Civ), loyauté, contrepartie illusoire ou dérisoire dans les contrats à titre onéreux, exception d’inexécution contractuelle etc.) doivent être réexaminées, notamment lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux dérives unilatéralistes voire autoritaires, de certains acteurs dans la négociation commerciale, de même que dans l’interprétation ou l’exécution des accords qui en découlent.

Au-delà des négociations annuelles, l’actualité récente des renégociations peut procurer matière à ce faire.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de ce jugement est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2022. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Contractualisation amont sur les produits agricoles et unilatéralisme dans la fixation du prix.

Affaire AOP Sunlait c./ Savencia

TJ Coutances, 30 août 2022, RG n° 21/01372

 

La problématique de la répartition de la valeur dans la chaîne d’approvisionnement  alimentaire vient de donner lieu à une décision importante en matière de  contractualisation amont, à l’occasion de la condamnation à hauteur de quasiment 26.000.000 euros de deux sociétés du transformateur Savencia, plus connu au travers de ses marques de produits fromagers (Saint-Moret, Caprice des dieux, Elle et Vire, etc.), à la demande de l’AOP Sunlait (TJ Coutances, 30 août 2022, RG n° 21/01372).

Après une médiation infructueuse devant le médiateur des relations commerciales agricoles sur certaines demandes de l’AOP, cette dernière avait saisi en septembre 2021 le Tribunal Judiciaire de Coutances.

L’AOP demandait la condamnation de Savencia pour inexécution de ses obligations contractuelles sur le prix du lait payé aux producteurs et négocié entre l’industriel et l’AOP, à raison d’une fixation qu’elle estimait unilatérale de ce prix.

Il était ainsi sollicité le rétablissement entre les parties des dispositions contractuelles et notamment celles permettant la détermination de ce prix au titre pour 2020 et 2021.

Selon nos informations, la décision fait l’objet d’un appel du transformateur.

Cette affaire, outre les différents enseignements que l’on peut en retirer en matière de négociation et de contractualisation amont sur les matières premières agricoles, peut ouvrir le champ à des réflexions plus générales sur la négociation commerciale, y compris au stade aval, mais aussi sur la contractualisation et l’exécution des obligations issues de cette contractualisation.

Nous y reviendrons prochainement.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Ce bref commentaire de ce jugement est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Septembre 2022. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Amendes pour pratiques anticoncurrentielles : proportionnalité de la sanction et dommage à l’économie.

Distillerie Dillon et autres – Recours contre la décision de l’Autorité de la Concurrence n° 20-D-16

Cour d’appel de Paris, 9 juin 2022, RG n° 20-16288

 

1. Faits.

L’affaire traite de la pratique des accords exclusifs d’importation dans les territoires ultra marins, prohibés par l’article L. 420-2-1 C. com. issu de la Loi « Lurel » du 20 novembre 2012.

La Cour d’appel statuait sur recours du grossiste-importateur sur la Martinique d’un Champagne à la marque bien connue, contre une décision de l’ADLC ayant sanctionné la pratique précitée (déc. n° 20-D-16 du 29 octobre 2020).

En synthèse la Cour, dans un arrêt du 9 juin 2022 (RG n° 20-16288) confirme la décision de l’Autorité, notamment au plan de l’appréciation de la gravité des pratiques, mais la réforme en ce qui concerne celle de l’importance du dommage à l’économie.

L’amende de 421.000 euros infligée au distributeur est ramenée à 300.000 euros.

Au-delà des circonstances spécifiques de cette affaire concernant l’application d’une règlementation spécifique à l’outre-mer, l’arrêt rapporté invite à formuler quelques observations.

 

2. Problème(s).

Il s’agit d’abord au principal, de la prise en compte de l’importance toute relative du dommage à l’économie, deuxième critère légal dans la liste de ceux énoncés dans l’article L. 464-2 I C. com. dans sa version alors applicable, et de la traduction de la nuance sur le montant de l’amende.

C’est ensuite celui, incident et non traité dans l’arrêt, de la portée de cette solution, alors que le nouvel article L. 464-2 I ne vise plus expressément le critère précité, notamment aux côtés de celui de la gravité, pour l’appréciation de la proportionnalité de la sanction pécuniaire. Est-ce à dire que cette approche de la sanction sous l’angle de l’importance du dommage à l’économie, n’aurait qu’un intérêt historique ?

 

3. Solution.

Sur la nuance apportée par la Cour quant à l’importance du dommage à l’économie et après l’énoncé de la solution générale (pts 201 et 202), il est jugé que :

« 203. Reste que si la concurrence est atténuée en général à la Martinique, il apparaît en l’espèce qu’il existe une forte concurrence inter-marques dans le cas des champagnes, ainsi qu’une importante pratique de promotions, le champagne étant dans ce cas un produit d’appel, ce que l’Autorité reconnaît (décision attaquée, § 161 à 164).

204. Il en résulte que dans le cas des champagnes, il n’est pas possible de conclure à l’absence de pression concurrentielle, nonobstant l’absence de concurrence intra-marque à la Martinique.

205. Il convient de conclure que le dommage à l’économie, certain dans son principe, demeure très limité, et non seulement limité comme l’a retenu l’Autorité, ce qui justifie de réformer la sanction infligée afin d’en préserver la proportionnalité ».

Comme évoqué ci-dessus, cette solution invite à s’interroger sur la prise en compte de l’importance du dommage à l’économie – on le voit ici de première importance pour l’ajustement de la sanction – dans les affaires en cours et à venir, notamment sur le fondement du nouvel article L. 464-2 I.

 

8. Observations.

Le caractère, « très limité » plutôt que « limité » du dommage à l’économie affecte le niveau de la sanction.

Cela s’impose puisque l’article L. 464-2 I d’alors évoque la proportionnalité de la sanction, que la Cour a voulu « préserver ».

Les conséquences en sont tirées par la Cour d’appel au niveau du montant de l’amende.

Nous n’en dirons pas davantage, sauf à signaler les déterminants de l’espèce, tels ceux de la nature de « produit d’appel » du Champagne et de la « forte concurrence inter-marques », qui ont amené la Cour à une approche plus modérée de la sanction.

Reste le problème de deuxième rang mais essentiel en pratique : la prise en compte de l’importance du dommage de l’économie reste-t-elle pertinente, en dépit de la lettre du nouvel article L. 464-2 I qui n’en fait plus état, tel que modifié à l’occasion de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 (relative à la transposition de la directive « ECN+ » (UE) 2019/1) ?

Ce décrochage – à tout le moins formel au plan du texte − entre proportionnalité de la sanction et importance du dommage à l’économie n’était pas passé inaperçu aux yeux des observateurs (cf. Obs. du Medef sur la consultation publique de la DGGCRF, février 2021, page 5 ; Obs. de l’APDC du 5 février 2021 sur la Consultation publique sur la transposition de la Directive UE n° 2019/1 – ECN+, pts 24 à 26), qui ont pu se questionner dans la perspective de la suppression formelle du critère.

Le contenu du Rapport au Président de la République sur l’ordonnance précitée est ensuite opportunément venu indiquer que « S’agissant des critères de détermination de la sanction : (…) Le critère de l’importance du dommage à l’économie présent dans le droit positif n’est ni exigé, ni interdit par la directive ; afin de lever toute ambigüité à l’égard de la notion de réparation d’un dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle, l’ordonnance procède à sa suppression ; », expliquant ainsi les raisons de l’évolution du texte de l’article L. 464-2 I qui n’ont donc pas été de proscrire la prise en compte de l’importance du dommage à l’économie (cf. pt 4° du Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-649).

La disparition de l’énoncé du critère en soi n’emporte donc pas son bannissement.

D’où l’appréciable précision de Madame de Silva, alors Présidente de l’Autorité, pour qui la référence au dommage à l’économie « a vocation à être intégrée, comme c’est le cas au niveau européen, dans celle de gravité » (Une réforme en deux volets pour rationaliser et renforcer l’application du droit de la concurrence en France, Rev. Concurrences, 1-2021, point 76).

La notion, approchée par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire ici rapportée, doit donc encore relever de la grille d’appréciation de la proportionnalité de la sanction et non – bien évidemment en cette matière – se voir reléguée dans un manuel d’histoire du « sentencing » en droit de la concurrence.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution des mois de  Juillet-Août 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Immixtion d’une centrale de référencement dans une relation d’achat préexistante et avantage sans contrepartie ou disproportionné.

Affaire Guy Guérin c./ Transgourmet

Tribunal de Commerce de Paris, 13 avril 2022, RG n° 2021007254

 

1. Faits et procédure.

Un fournisseur, la société Guy Guérin (le Fournisseur), basée en Charente Maritime, est grossiste en fruits et légumes frais.

Transgourmet Opérations est un important distributeur (le Distributeur) dans l’univers de la « RHD », au sein du groupe de distribution éponyme, notamment de produits alimentaires pour les professionnels de la restauration commerciale ou collective ainsi que les boulangeries-pâtisseries.

Alors que le Fournisseur était en relation d’affaires depuis 2014 avec un des établissements du distributeur situé à Saint-Loubès, sans que la Centrale de référencement du Distributeur, Transgourmet Services, ne soit pour cela intervenue et que le courant d’affaires s’était développé progressivement entre le Fournisseur et cet établissement, le Fournisseur et la Centrale ont conclu pour l’année 2018 une « Convention Globale Marques Fournisseur », prévoyant le référencement du Fournisseur auprès de 30 affiliés Transgourmet.

En contrepartie de ce référencement, il était convenu une rémunération de 4%, on le suppose du chiffre d’affaires réalisé avec les affiliés.

Si le chiffre d’affaires estimé pour l’année 2018 avec Transgourmet fut dépassé, il s’est néanmoins cantonné à la relation d’affaires préexistante avec l’unique établissement Transgourmet avec lequel le fournisseur entretenait sa relation historique, avant intermédiation de la Centrale.

Une nouvelle convention, identique, est conclue pour 2019 et l’estimation de chiffre d’affaires également dépassée, mais toujours avec cet unique établissement.

En 2020, la même convention est conclue, mais aucune rémunération n’est prévue pour l’intervention de la Centrale.

Fin 2020, les approvisionnements des établissements Transgourmet devenant centralisés auprès d’une nouvelle société Transgourmet Fruits et Légumes, le Fournisseur devait invoquer le caractère fictif des prestations de référencement au titre de 2018 et 2019 et, à tout le moins, celui manifestement disproportionné de leur rémunération.

Selon le Fournisseur, l’intervention de la Centrale et le service rémunéré pour le référencement auprès des 29 affiliés en sus de son client historique, n’avait permis aucune commande.

Le Fournisseur assignait alors début 2021 Transgourmet Services et Transgourmet Opérations devant le Tribunal de Commerce de Paris, en annulation des conventions 2018 et 2019 sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° et L. 442-1 1° du Code de commerce.

Il sollicitait le remboursement des sommes dont il avait dû s’acquitter au titre du référencement (à noter qu’il assignait aussi, dans une procédure distincte, Transgourmet pour rupture brutale des relations commerciales).

Par le jugement ici rapporté, le Tribunal de commerce de Paris le déboute (Trib. Com. Paris, 13 avril 2022, RG n° 2021007254). A notre connaissance, un appel aurait été interjeté.

2. Problèmes – Solutions.

  • Sur l’existence de la contrepartie de la rémunération acquittée au titre de la prestation de référencement.

La rémunération en cause avait pour contrepartie les services énoncés dans un article de la convention annuelle à savoir : « Sélection du fournisseur et référencement de ses produits dans une mercuriale, Présentation du fournisseur, et communication des contacts commerciaux chez chacun des affiliés Transgourmet, Fourniture d’une liste des affiliés, Engagement d’étude de référencement de nouveaux produits sur demande du fournisseur ».

Aux vu des circonstances de la cause, le Tribunal considère que les contreparties apportées par Transgourmet étaient réelles.

Pour les Juges consulaires, Transgourmet avait bien adressé au Fournisseur la liste des affiliés Transgourmet, qu’il appartenait au Fournisseur de contacter pour développer son chiffre d’affaires, ce qu’il n’avait pas fait.

Selon le Tribunal, « le fait que seul le centre de Saint-Loubès (avec lequel le Fournisseur travaillait déjà avant l’intervention de la Centrale de référencement), ait passé commande au Fournisseur « ne démontre pas la fictivité des services de référencement », mais davantage « la carence de Guy Guérin dans son action commerciale ».

Le Tribunal est aussi insensible au moyen du Fournisseur, qui soutenait qu’il n’était pas en mesure de travailler avec les 29 autres affiliés de Transgourmet du fait de leur éloignement.

Enfin, pour le Tribunal, le très fort développement du chiffre d’affaires pendant la période où les conventions de référencement étaient en vigueur « démontre la réalité de la contrepartie économique ».

  • Sur le caractère manifestement disproportionné de la rémunération (4%).

Le Tribunal rappelant que « la démonstration exigée par le législateur du caractère manifestement disproportionné de la rémunération traduit le fait que seuls sont prohibés des avantages qui apparaissent avec évidence disproportionnés par rapport aux services rendus », constatait que « tel n’était pas le cas en l’espèce », considérant le quasi triplement du chiffre d’affaires en 2018 et l’accroissement supplémentaire de 43% en 2019.

De plus, aux yeux du Tribunal, le fait que les services de référencement n’aient pas donné lieu à facturation en 2020, ne démontrait pas que la facturation ait été manifestement excessive en 2018 et en 2019, mais simplement que les parties avaient choisi d’organiser différemment leurs relations par rapport aux années précédentes.

 

3. Observations.

La pratique en cause est celle dont un fournisseur s’est dit victime, pour avoir été tenu de rémunérer une Centrale de référencement venue s’immiscer dans la relation préexistante entre ce fournisseur et l’un des affiliés de ladite Centrale, pour mettre en œuvre une prestation de référencement qui n’existait pas jusqu’alors.

Mis à part, et encore peut-être, le dernier volet de la description de la prestation concernée, les composantes du service n’allaient pas au-delà d’une tâche basique de référencement.

Il ne sera pas ici question de rebattre des sempiternelles questions sur la rétribution d’une tâche (ou d’une fonction) de référencement en tant que telle, à partir d’une situation ex nihilo, ou de s’épandre sur la nature juridique de l’opération de référencement.

Sur ce dernier sujet, un point de littérature, bien fournie sur la question et à laquelle nous renvoyons, pourra toutefois s’avérer utile pour un traitement plus approfondi du sujet.

Car dans l’affaire rapportée, disons-le immédiatement, le Tribunal ne semble pas non plus s’être engagé dans cette voie, préférant simplement débouter le demandeur à raison du caractère insuffisant de sa démonstration des conditions d’application de l’article L. 442-1 1° du Code de commerce.

A ce propos, les exigences probatoires à l’œuvre en l’espèce semblent d’ailleurs diverger du standard probatoire habituellement relevé (Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, Lettre distrib. juil./août 2020 et notamment RLC N° 97, Septembre 2020, nos obs.).

En revanche, cette instance donne l’occasion de se pencher sur une problématique incidente.

Entendre par cela l’obligation contractée par un fournisseur, dans la continuité d’une relation commerciale préexistante entre lui et son client, d’avoir à rétribuer pour le futur l’intervention d’une Centrale de référencement, au prorata d’un chiffre d’affaires réalisé par ledit fournisseur notamment auprès d’un client qu’il facturait déjà par le passé.

Le sujet est d’autant plus propice à intrigue que ce chiffre d’affaires constitue le seul et unique que réalisera par le Fournisseur avec les affiliés de la Centrale.

Certes, le référencement se rejoue souvent d’une année sur l’autre entre fournisseurs et organismes référenceurs et il n’existe pas ad vitam aeternam un droit à être sélectionné.

Toutefois, si l’intervention de la Centrale a permis au fournisseur d’être référencé auprès de nouveaux affiliés et qu’il faille estimer licite le versement d’une rémunération à ce titre, en raison du caractère réel du service convenu, à le supposer exécuté, le débat peut encore et plus avant se focaliser sur les modalités de la rétribution et de son éventuelle disproportion manifeste soit au plan du taux, soit de son assiette.

Et ce d’autant plus que cette assiette n’est, de facto, constituée que du seul chiffre d’affaires réalisé auprès du client avec lequel le Fournisseur travaillait bien avant que n’intervienne la Centrale pour le sélectionner. Ne l’avait-il pas été, de fait, avec son client historique.

En présence de pareilles circonstances, l’office du Juge ne doit-il pas se déployer selon une dynamique à double, voir triple détente en quelque sorte, ce à quoi les plaideurs peuvent l’inviter, pour une appréciation plus aboutie de la disproportion manifeste et, finalement, plus pertinente ?

Les juridictions – spécialisées – traitant de ces sujets, sont en effet à même d’aborder ces questions selon une démarche elle aussi plus spécialisée que celle de juridictions qui ne le sont pas devenues et, ce faisant, non dotées du pouvoir juridictionnel pour statuer dans ce type de contentieux.

Au cas d’espèce le Fournisseur, bien que référencé auprès de 30 affiliés, dont celui avec lequel il commerçait déjà, n’avait finalement bénéficié d’aucun courant d’affaires avec les 29 affiliés, que nous qualifierons de « nouveaux », du périmètre du référencement.

Dans ce contexte et même si, pour des raisons propres à l’espèce, le courant d’affaires avec le client originel s’est fortement accru, il était pour le Fournisseur loin d’être inconvenant de se questionner sur la régularité de l’assiette de l’avantage consenti.

Si chaque dossier à ses circonstances propres, signalons toutefois, en relation avec cette même problématique, un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui, comme les premiers juges d’alors, avaient statué en sens inverse (Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, précité). Voilà une illustration de ce que les débats en la matière sont loin d’être définitivement épuisés.

Plus largement, la question ici abordée se rencontre fréquemment, notamment lorsqu’une Centrale de référencement ou de services s’immisce (ou entend s’immiscer) contre rétribution, dans la relation entre un fournisseur et ses clients existants, tant au plan interne qu’international.

Au niveau international, c’est le cas par exemple lors de demandes de rémunérations au titre de la réalisation de certaines prestations de services sur un périmètre supra national, européen par exemple, alors que pratiquement l’intégralité du chiffre d’affaires réalisé par le fournisseur dans les différents pays du périmètre concerné se trouve réalisé – et va parfois continuer à l’être – dans un seul d’entre ces pays, la France par exemple (à rappr. de l’obligation de transparence figurant à l’article L. 441-3 I 4° du Code de commerce suit à la loi ASAP).

Nous nous en tiendrons là, au plan de nos observations à la faveur de cette affaire qui, de par le sujet dont elle traite, appellerait bien d’autres remarques.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de  Juin 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Déséquilibre significatif, bonne foi, habitude et proportionnalité : non disruptif mais instructif.

Affaire Document Concept 87-23 c./ Xerox

Com., 6 avril 2022, Pourvoi n° 20-20.887

 

Un récent arrêt de la chambre commerciale de Cour de cassation apporte quelques éclairages intéressants pour l’analyse du déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce.

Les solutions rapportées sont de notre point de vue transposables, lorsqu’il sera question de faire application de cette même prohibition sur le fondement de l’article L. 442-1 I 2° du Code précité.

 

I. Faits et procédure.

La société Xerox (ci-après « Xerox » ou le « concédant ») et la société Document Concept 87-23 l’un de ses concessionnaires (ci-après « Concept » ou le « concessionnaire »), étaient liées depuis 2007, par des contrats successifs de concession à durée déterminée de trois ans renouvelables.

Le dernier renouvellement datait du 25 avril 2014, à effet du 30 novembre 2013, de sorte que le contrat expirait le 30 novembre 2016.

L’objet de ces différents contrats, souscrits en ligne par adhésion via un simple « clic » du concessionnaire (arrêt, point 10.), était de voir ce dernier proposer des contrats de maintenance des matériels Xerox, conclus directement entre le concessionnaire et ses clients utilisateurs.

Les opérations de maintenance étaient par la suite sous-traitées à Xerox, qui les facturait au concessionnaire.

Ayant eu à subir en 2015 le défaut de règlement de certaines de ses factures, Xerox se référant aux dispositions contractuelles, a suspendu ses prestations de maintenance dans le cadre de l’exception d’inexécution.

Reprochant à son concédant d’avoir mis en œuvre, de mauvaise foi, les dispositions des conditions générales des contrats de maintenance et, subsidiairement, de faire application de clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, le concessionnaire, alors en liquidation, l’a assigné en annulation des clauses litigieuses et en paiement de dommages-intérêts.

Par arrêt confirmatif du 17 juin 2020 (CA Paris, 17 juin 2020, 18/23452), la Cour d’appel de Paris devait rejeter ses demandes.

Sur pourvoi du concessionnaire, la Chambre commerciale casse l’arrêt ayant rejeté les demandes de Concept au titre du déséquilibre significatif de l’ex L. 442-6 I 2° C. Com (Com., 6 avril 2022, Pourvoi n° 20-20.887).

 

II. Problèmes – Solutions – Observations.

Nous identifions trois sujets.

1. Déséquilibre significatif et bonne foi.

Problème : La mise en œuvre par le concédant de clauses qui, selon le concessionnaire, ont eu pour effet de paralyser son activité commerciale et l’ont conduit au redressement judiciaire, est-elle de nature, lorsque ces clauses relèvent d’un déséquilibre significatif, à caractériser la mauvaise foi du concédant dans l’exécution du contrat, ici à l’occasion de l’exercice de l’exception d’inexécution ?

Solution : « il n’existe aucun lien d’indivisibilité entre l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, à le supposer caractérisé, et le non-respect d’une obligation de bonne foi » (arrêt, point 9.).

Observations : la Cour de cassation dément le postulat, qu’elle dit erroné, que renferme le moyen (« le moyen repose donc sur un postulat erroné ». Arrêt, point 9.).

Il n’y a pas corrélation entre, d’une part, le déséquilibre significatif entre droit et obligations et, d’autre part, l’obligation de bonne foi ou autrement énoncé la mauvaise foi.

Les deux notions étant étrangères l’une envers l’autre, il serait vain de les associer par essence et ipso facto.

Le rappel des faits (arrêt, point 6.), semble faire ressortir que le moyen de la mauvaise foi était soutenu à titre principal et le déséquilibre significatif, supposant l’existence d’une soumission, à titre subsidiaire.

La confusion des genres qui transparait ensuite dans l’énoncé du moyen (arrêt, point 8.), offre à la Cour l’opportunité d’une clarification quant à l’absence d’indivisibilité.

Cette clarification évitera de voir les débats en matière de déséquilibre significatifs troublés par des considérations qui, en elles-mêmes, leurs sont étrangères  (à rappr. Le déséquilibre significatif, LGDJ, 2021, S. Chaudouet, points 753 et 754).

Toutefois, rien ne s’opposerait, de notre point de vue, à ce que de telles considérations soient prises en compte, dans le cas – aggravé – de l’exécution de mauvaise foi de prérogatives contractuelles tombant sous le coup de la prohibition du déséquilibre significatif.

C’est semble-t-il ce que cherchait à faire reconnaître la partie victime, mais de manière trop fusionnelle aux yeux de la Cour de cassation.

 

2. Soumission et acceptation/adhésion antérieure.

Problème : Le renouvellement à plusieurs reprises d’un contrat d’adhésion souscrit en ligne, renfermant dans certaines de ses clauses des obligations susceptibles de caractériser un déséquilibre significatif, sans que la victime ne justifie à cette occasion avoir tenté en vain d’en négocier les conditions, s’oppose-t-il ipso facto à l’invocation ultérieure par la victime d’un tel déséquilibre ?

Solution : Non, répond la Cour de cassation, désapprouvant ainsi la Cour d’appel qui, « en se déterminant par des motifs impropres à écarter la caractérisation de la soumission ou de la tentative de soumission, en l’état des conditions de souscription des contrats et de l’impossibilité d’en modifier les clauses qui étaient invoquées, (…) n’a pas légalement justifié sa décision. » (arrêt, point 13.)

Observations : dans les circonstances et conditions de la souscription des contrats, la victime avait-elle, raisonnablement et effectivement, la possibilité de négocier les termes du contrat et notamment de modifier ses clauses ?

Il était en l’espèce question de clauses qui, dans les conditions générales du concédant, lui permettaient, aux dires du concessionnaire, pour l’une d’entre elles de suspendre les prestations de maintenance pour l’ensemble des contrats souscrits, quand bien même les impayés n’auraient concerné que certains d’entre eux et, pour l’autre de ces clauses, de suspendre l’exécution des commandes de nouveaux contrats de maintenance, paralysant ainsi l’activité commerciale du concessionnaire dans l’impossibilité de vendre ses machines en stock faute de service de maintenance.

Ces clauses avaient certes été acceptées en l’état, sans négociation, ce qui n’est pas contesté.

Mais pouvait-il raisonnablement en être autrement par une modification de leur contenu au vu des circonstances de la souscription du contrat qui les contenait ? L’automaticité du procédé de souscription permet d’en douter, tant il apparait illusoire encore de nos jours de prétendre négocier avec une « machine ».

En pareil contexte, faut-il considérer défaillante la victime dans la démonstration de ce qu’elle n’a pas, mais vainement, cherché à négocier, alors que, de fait, elle ne le peut pas.

Négatif, estime la Cour « en l’état des conditions de souscription des contrats et de l’impossibilité d’en modifier les clauses qui étaient invoquées ».

Voilà une solution teintée de pragmatisme à l’heure des contrats « clics », et de la multiplication des conventions acceptées par signatures électroniques, si ces dernières ne sont pas précédées d’une négociation effective.

Le moyen de droit pétri d’historique de l’acceptation passée des clauses litigieuses a donc été non convainquant. L’habitude, mauvaise car contra legem, ne fait pas la règle. Nemo auditur diront certains.

Par une rapide association d’idées, il nous revient aussi à l’esprit que, lorsqu’il s’agit d’apprécier un déséquilibre à partir d’une référence aux comportements passés au vu d’une habitude contractuelle, « au sens de pratique […] établie entre deux parties à un contrat », cette pratique « suivie  par les parties, qu’elle soit antérieure ou présente, ne peut servir de référentiel à partir duquel examiner une clause, pour la simple raison qu’on ne peut prendre ce que l’on apprécie comme référence à … ce que l’on apprécie » (Le déséquilibre significatif, LGDJ, 2021, point 333, S. Chaudouet).

Une acceptation passée n’est donc pas, selon l’arrêt, un référent comportemental pertinent qui avaliserait l’absence de soumission, tant originelle qu’actuelle.

Le constat du renouvellement de l’acceptation des clauses litigieuses, à l’occasion du renouvellement des conventions les contenant, n’encarcane donc pas la victime et ne saurait neutraliser l’application ultérieure de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce (ou à ce jour L. 442-1 I 2°).

La solution de cet arrêt qui, comme d’autres décisions traitant de l’acceptation d’une situation obligationnelle (CA Paris, 23 février 2022, n° 21/07731, Lettre distrib. 04/2022, nos obs.), de sa réitération ou sa permanence (sur l’accoutumance : Trib. com. Paris, 31 mai 2021, n° 2017025155 et n° 2017025159, Lettre distrib. 10/2021 ou RLC, Avril 2022, n° 115, p. 34 et s. nos obs.), dicte la nécessité d’une approche pragmatique en matière de caractérisation de la soumission.

 

3. Disproportion entre intensité des obligations et celle des contreparties en échange.

Problème : A supposer l’existence de contreparties à des obligations non réciproques, le juge doit-il se livrer à un examen concret de proportionnalité entre, d’une part, les droits de l’une des parties et d’autre part, les contreparties retirées par l’autre partie au titre du contrat ?

Solution : Oui, répond la Cour de cassation, tout en constatant que cela ne ressort pas de l’analyse de la Cour d’appel, qui s’est limitée à constater l’existence de ce qu’elle estimait être une contrepartie : « En se déterminant ainsi, sans examiner concrètement la proportion entre, d’un côté, la suspension de l’intégralité des contrats en cas d’impayés sur certains d’entre eux seulement et, de l’autre, les contreparties qu’elle a relevées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. » (arrêt, point 16.).

Observations : le débat était celui de l’équilibre par la proportionnalité entre, d’un côté, les droits du concédant à l’occasion d’impayés (qui n’auraient pas concerné la totalité des contrats souscrits) de même que de pouvoir suspendre tant les prestations de maintenance pour l’ensemble des contrats souscrits que l’exécution des commandes de nouveaux contrats de maintenance, et de l’autre, la contrepartie que constituait pour le concessionnaire, selon le concédant,  « la marge librement fixée par la société Concept, le chiffre d’affaires réalisé en conséquence sur les prestations de maintenance et l’avantage de trésorerie en résultant » et qui, ensemble, constituaient le « principal actif de la concession ».

Trois observations à cela :

– Tout d’abord, et comme souligné dans un précédent commentaire à la Lettre, le séquençage de la qualification suppose d’abord une approche analytique du contenu du contrat, clause par clause, qui consiste à identifier le déséquilibre créé par une clause litigieuse, puis une approche globale du contrat qui implique d’aller chercher dans le reste de son contenu et dans son économie générale si le déséquilibre créé par cette clause est utilement contrebalancé par d’autres clauses trouvées par ailleurs (T. com. Paris, 2 septembre 2019, n° 2017050625, Lettre distrib. 09/2019, S.C).

La Cour de cassation relève que la Cour d’appel avait constaté l’absence de réciprocité des droits et obligations contenus dans les clauses litigieuses (arrêt, point 15 : « 15. Pour statuer encore comme il fait, l’arrêt retient que les clauses litigieuses (…) et sans réciprocité »).

Fort de ce constat et afin d’apprécier si la présence dans le contrat de clauses déséquilibrées étaient rééquilibrées par ailleurs, la Cour d’appel s’est donc questionnée – mais insuffisamment – sur la contrepartie que pourrait opposer à son cocontractant, le bénéficiaire des droits au titre de cette clause.

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation exerce donc un contrôle sur la méthode d’appréciation du déséquilibre significatif adoptée par les juges du fond et rappelle la chronologie de leur office.

– Ensuite, l’exigence d’un examen concret de proportionnalité n’est ni surprenante ni inédite : l’article L. 442-6 I 2° C. Com. (devenu L. 442-1 I 2°) est un dispositif de promotion de l’équilibre dans les relations commerciales et de sanction en cas d’inobservation.

Cet équilibre ne saurait être garanti par le seul constat d’une contrepartie d’apparat, à la supposer existante, mais dont il faut examiner la densité. Cet impératif de proportionnalité ressort d’arrêts de la même Cour d’appel de Paris.

En effet, celle-ci a déjà jugé que « l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties » (Paris, 12 juin 2019, n°18/20323, Lettre distrib. 07-08/2019, S.C ; Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, Lettre distrib. 06/2018 ou RLC, juillet-Août 2018, n° 74, nos obs. ; Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166, Lettre distrib. 07-08/2013). L’arrêt de la Cour de cassation sonne comme un rappel à la Cour de Paris de ses propres solutions.

– Enfin, les facteurs retenus par la Cour de Paris, dont cette dernière aurait dû « concrètement examiner la proportion » selon l’arrêt de cassation, peuvent étonner en tant que contrepartie. Le premier d’entre eux serait « la marge librement fixée par la société Concept ».

Sauf erreur ou incompréhension par nous du cas d’espèce, un opérateur indépendant ne peut en principe se voir interdire de déterminer la marge commerciale qu’il entend pratiquer à l’aval et l’on n’est pas ici en présence d’un droit supplétif, mais d’ordre public.

Il nous apparaît difficile de prétendre que l’invocation de la jouissance de ce droit, incontournable, est une contrepartie.

Les deuxième et troisième facteurs que sont « le chiffre d’affaires réalisé en conséquence sur les prestations de maintenance et l’avantage de trésorerie en résultant », ne sont-ils pas tout simplement la traduction de l’exercice de l’activité économique prévue au contrat, quand bien même procure-t-elle au cocontractant un volant de trésorerie permis par le chiffre d’affaires incident réalisé ?

Ne manque pas non plus d’étonner, la référence au constat du fait matériel que « les prestations de maintenance constituent le principal actif de la concession », alors qu’une fois identifié le déséquilibre au titre d’une clause donnée et comme déjà mentionné, l’« approche globale du contrat (…) implique d’aller chercher dans le reste de son contenu et dans son économie générale si le déséquilibre créé par cette clause est utilement contrebalancé par d’autres clauses trouvées par ailleurs » (voir T. com. Paris, 2 septembre 2019, n° 2017050625, Lettre distrib. 09/2019, précité).

L’arrêt rapporté, bien que non disruptif selon nous, rappelle la nécessité du contrôle de proportionnalité de la contrepartie à la fin du séquençage de l’analyse du déséquilibre significatif.

L’office du juge s’arrête à ce stade et pas avant. L’effectivité du dispositif ne peut qu’en ressortir renforcée.

En définitive, la solution de cet arrêt s’oppose à ce que l’invocation d’une ou plusieurs contreparties – à la(les) supposer existante(s) – soit en soi suffisante à la justification des clauses querellées.

Nous y voyons un témoignage supplémentaire de la convergence d’analyse de la contrepartie sur le fondement de la prohibition du déséquilibre significatif, avec celle menée sur le fondement de la prohibition des avantages sans contrepartie ou moyennant une contrepartie manifestement disproportionnée d’un certain article L. 442-6 I 1° C. Com (voir T. com. Paris, 6 juillet 2021, n° 2016064825, Lettre distrib. 09/2021, nos obs.) devenu L. 442-1 I 1° dudit Code.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Mai 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Avantages tarifaires abusifs et contentieux des restitutions pour déséquilibre significatif.

Financière d’Aguesseau c./ AMC et autres

Cour d’appel de Paris, 23 février 2022, n° 21/07731

 

A l’occasion d’un litige opposant un fournisseur et deux sociétés d’un groupe de distribution, un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris examine des avantages tarifaires sur le fondement de la prohibition du déséquilibre significatif.

Aux termes d’une analyse affinée et compartimentée de la soumission, la Cour d’appel considère déséquilibrée l’obligation de paiement par un fournisseur de ristournes, ici conditionnelles, selon un échéancier d’acomptes fixé contractuellement.

Au regard de ses conséquences pratiques au plan des négociations commerciales dans le secteur de la grande distribution, d’où est issue l’espèce examinée, cet arrêt,  commenté par nos soins à la Revue Lamy de la Concurrence [1], mérite une attention particulière d’autant plus qu’il intervient après cassation et renvoi.

 

Faits et procédure

La société Achats Marchandises Casino, Centrale de référencement du groupe Casino, et la société Distribution Casino France (ensemble ici dénommées « Casino ») avaient obtenu d’un fournisseur d’articles de sport (société Espas)  des ristournes conditionnelles pour environ de 1 millions d’euros (intitulées  « CPV libres conditionnelles » pour 1,50% du CA, « CPV non alimentaires spécifique » pour 4,50% du CA, « Ristournes financières autres » pour 0,50% du CA et « Ristournes CPV optimisation marketing » pour 23% du CA).

Ce fournisseur s’était aussi acquitté de rémunérations de prestations des services de coopération commerciale.

Considérant les avantages précités injustifiés, il assignait Casino aux fins de leur restitution devant le Tribunal de commerce de Paris. Il en fut pour l’essentiel débouté (jugement du 20 mars 2017).

La Cour d’appel de Paris a confirmé la décision des premiers Juges, sauf pour un chef de demande pour lequel une restitution fut ordonnée à hauteur d’une centaine de millier d’euros (Paris, 9 janvier 2019, n° n° 17/09617).

L’arrêt d’appel a été cassé (Cass. Com., 3 mars 2021, arrêt n° 19-13.533), avec renvoi devant la même Cour de Paris, autrement composée. Les parties, remises dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt censuré, se sont à nouveau expliquées.

La Cour d’appel de renvoi vient de condamner le distributeur à restituer au fournisseur le montant des ristournes litigieuses, ainsi que les rémunérations au titre de la coopération commerciale, respectivement sur le fondement des articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6 I 1° du Code de commerce.

 

Problèmes

Les ristournes conditionnelles furent examinées sur le fondement du déséquilibre significatif de l’ancien article L. 442-6 I 2° du Code de commerce : le fournisseur avait-il été contraint de les verser sans qu’une réelle négociation n’ait eu lieu et, dans l’affirmative, leur paiement par anticipation selon un échéancier mensuel pouvait-il constituer un déséquilibre significatif (1er problème) ?

S’agissant des rémunérations du distributeur au titre des services de coopération commerciales, la question rituelle était celle du caractère justifié ou non de ces paiements au regard de l’ancien article L.442-6 I 1° du Code de commerce, à raison de la fictivité ou non des prestations commerciales concernées (2eme problème).

 

Solutions

  1. Sur les ristournes conditionnelles [2]

Après un rappel sous forme de chapeau de la solution générale (voir observations infra), la  Cour considère, au plan de la soumission (1er élément de l’infraction), que « si les premiers juges ont relevé que l’appelante a pu obtenir quelques modifications du contrat pré rédigé soumis par le distributeur sur des points précis tels le pourcentage appliqué aux remises [soulignement rajouté] ou le pourcentage dû pour une opération commerciale, néanmoins, il n’est nullement démontré que les ristournes [soulignement rajouté] litigieuses facturées pourtant pour un montant significatif ont fait l’objet d’une négociation effective. ».

Sur l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligation (2eme élément de l’infraction), la Cour s’interroge ensuite sur la contrepartie.

Elle relève que pour ces ristournes conditionnelles « associées à des conditions particulières de vente (CPV) », il convient de vérifier si ces ristournes « qui sont subordonnées à la réalisation de services résultant de conditions particulières, correspondaient à une contrepartie réelle et identifiée ».

Evoquant les modalités de règlement, notamment des ristournes « Optimisation Marketing » (23%), la Cour considère que « ce type de paiement par échéances régulières tend à démontrer que le paiement n’est en pratique pas conditionné par l’exécution d’obligations de la part du distributeur pouvant varier selon les périodes et/ou les besoins des parties. ».

De plus, « la facturation émise par le groupe Casino des « avoirs » dus par le fournisseur au distributeur au titre desdites ristournes ne mentionne aucune opération précise autre que « en exécution de l’accord commercial, RIST ESPAS SPORT PERMANENT 20 » et l’année concernée. ».

En outre, les pièces produites par le distributeur « pour démontrer la réalité des prestations délivrées en contrepartie des ristournes concernées » (en l’espèce des « extraits de planogrammes, des préconisations d’implantations et un catalogue de Noël en 2009 et 2010 »), « ne permettent pas de distinguer ces services des opérations « achat/vente » classiquement assumées par le distributeur et [soulignement rajouté] de ceux prévus à l’article 3-4 des accords de 2009 à 2012 prévoyant un assortiment qui doit permettre une « optimisation des linéaires et une constante adaptation aux besoins des consommateurs ».

Enfin et sur les autres ristournes confidentielles contestées (1,50% ; 4,50% et 0,50%) « le distributeur ne justifie d’aucun autre élément concret sur les prestations effectivement réalisées ».

In fine, la Cour considère qu’« au vu de ces éléments, il n’est pas prouvé que les prestations n’étaient pas déjà dues au titre des relations normales d’achat et de vente et qu’il s’agissait de véritables services, effectivement fournis et proportionnés au prix payé par le fournisseur. ».

  1. Sur les rémunérations de prestations de coopération commerciale [3]

Le premier jugement est confirmé sur le principe des restitutions en ce qui concerne le caractère fictif de services de coopération commerciale facturés par le distributeur, car rien ne permettait de distinguer à quelle opération cette facture correspondait.

La Cour défalque néanmoins du montant à restituer, une quote-part qui n’avait pas été payée par le fournisseur.

 

Observations

Intervenu après cassation et renvoi, cet arrêt mérite la plus grande attention des praticiens au plan de l’enseignement qu’il procure sur deux sujets, à savoir celui de l’échelle d’analyse de la soumission d’une part, et du diagnostic d’équilibre dans les droits et obligations d’autre part.

Certes, la position des magistrats du Quai de l’Horloge intervenue il y a un an [4], nous laissait déjà entrevoir les solutions de l’arrêt rapporté, a priori dénouement de cette longue affaire [5].

Si seuls les deux sujets précités donneront lieu à observations, d’autres points méritent d’être soulignés.

Citons par exemple celui de la mise en œuvre combinée des deux dispositifs visés au point 1° et 2° de l’ex article L. 442-6 (devenu art. L 442-1)[6].

A ce sujet, relevons que la Cour d’appel met en avant dans ses motifs le contenu d’un avis de la CEPC n° 08 121931 du 22 décembre 2008.

La Cour approuve ainsi la CEPC, d’avis qu’un distributeur ne pourrait imposer à un fournisseur la déduction sur facture des avantages précités, alors que l’obligation qui les conditionne n’aurait pas été exécutée et vérifiée et qu’il « pourrait se voir opposer plusieurs dispositions de l’article L. 442-6 I du code de commerce » [7].

L’affaire nous rappelle aussi que le fait, pour un fournisseur, de ne pas avoir précédemment contesté certains avantages financiers ne les rend pas à jamais non contestables et non répétibles [8].

Enfin, sur un plan strictement procédural, rappel est fait que la demande, en cours de procédure, des intérêts moratoires sur les demandes de condamnation en restitution de l’indu dès la première instance, ne constituent pas une prétention nouvelle et sont donc recevables.

Les observations qui succèdent se limiteront aux apports de l’arrêt à l’occasion du traitement, sur le fondement du déséquilibre significatif, des ristournes conditionnelles réglées selon un échéancier mensuel (voir l’énoncé du premier problème).[9]

 

Une solution générale et installée en matière de déséquilibre d’ordre tarifaire.

En avant-propos, relevons que l’arrêt rappelle en chapeau, la solution générale issue de « l’affaire Galec », dans laquelle était déjà en cause une ristourne (« RFA ») et où il avait été jugé que le principe de la libre négociabilité des conditions de vente et des tarifs n’est pas sans limite et se trouve encadré par les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce (dans sa version applicable au litige) qui prohibent les pratiques restrictives de concurrence.

Ainsi, l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants peut être sanctionnée au titre de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu’elle procède d’une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif [10].

 

Une approche analytique de la soumission.

Comme à l’accoutumée, avant de s’intéresser à l’existence même d’un déséquilibre significatif entre droits et obligations à raison du contenu de l’accord prévoyant ces ristournes litigieuses, la Cour vérifie s’il y a eu soumission.

Elle estime que malgré les « quelques modifications du contrat pré rédigé » (l’arrêt évoque des mentions manuscrites sur quelques sujets, mais moins significatifs que celui des ristournes litigieuses, dont le taux est particulièrement élevé pour l’une d’entre elles), soumis par le distributeur sur des points précis, tels le pourcentage appliqué aux « remises » ou le pourcentage dû pour une opération commerciale, « il n’est nullement démontré que les ristournes litigieuses facturées pourtant pour un montant significatif ont fait l’objet d’une négociation effective. ».

Ainsi peut-on en conclure qu’il peut y avoir défaut de négociation effective sur tel sujet en particulier (d’autant plus que celui-ci constitue un « poste d’importance » à savoir les ristournes d’un montant significatif), alors que certaines circonstances permettraient de considérer qu’il y a eu par ailleurs négociation sur tel(s) autre(s).

En l’espèce, au vu des caractéristiques propres aux ristournes controversées, comme leurs conditions d’application, notamment d’exigibilité, dont il n’est pas établi qu’elles « aient fait l’objet de la moindre discussion entre les parties », la Cour caractérise, pour ces ristournes, « la situation de soumission du fournisseur par rapport au distributeur Casino, qui dispose d’un fort pouvoir de négociation compte tenu des débouchés qu’il offre par le biais de sa centrale d’achat ».

La solution semble logique,  lorsqu’il est question de s’interroger, de manière « analytique, à l’échelle de la clause litigieuse » selon une formule qui n’est pas nôtre et que nous relayons, sur la soumission à des droits et obligations déséquilibrés résultant d’une clause en particulier « et non sur la soumission à un contrat pris en son entier » [11].

Dès lors et à raison de cet examen compartimenté de l’éventuelle soumission, ce n’est pas parce qu’auraient été négociées en vue de la conclusion d’un accord, certaines clauses tarifaires et/ou non tarifaires, qu’ipso facto toutes l’auront été pour autant.

Ce recadrage, suite à l’invitation formulée il y a un an dans cette affaire par la Haute Cour [12], incite à reconsidérer l’intérêt de certains échanges écrits entre les parties lors des négociations (annuelles) qu’ils singent parfois, à propos desquels l’on peut se demander s’ils ne sont pas notamment destinés à sauver l’apparence d’une réelle négociation et donc l’absence de soumission.

Il reviendra alors au Juge en cas de contentieux, dans le cadre d’une approche distributive, de déterminer ce qui a été effectivement négocié car négociable, de ce qui ne l’a pas été et donnant lieu à soumission.

 

Un déséquilibre à raison de l’absence de contrepartie.

La problématique est double, pour un défaut de contrepartie caractérisé à deux égards.

– Absence de contrepartie à l’obligation « pendente conditione ».

La difficulté à trait aux modalités de règlement de la ristourne, notamment à raison de la nature conditionnelle de l’avantage : l’obligation de s’acquitter mensuellement et par fraction d’une quote-part de la ristourne se justifiait-il par la réalisation de la condition posée au moment où l’acquittement est intervenu ?

Le sujet revêt une importance pratique de premier ordre, tant se rencontrent fréquemment des ristournes conditionnelles du type de celle querellée, dont le règlement s’opère par anticipation moyennant des échéanciers mensuels.

Le raisonnement de la Cour peut difficilement être pris à défaut : quand bien même devrait-elle être acquittée selon un échéancier (« acomptes »), la ristourne n’est pas due si la condition n’est pas réalisée au moment où le paiement de la quote-part doit intervenir.

Comme le précise l’arrêt, « les ristournes contestées (…) sont associées à des conditions particulières de vente (CPV) » dont les parties s’accordent pour dire qu’il s’agit de « ristournes conditionnelles », ce qui implique que leur mise en paiement par le biais de déduction sur les factures émises par le distributeur au titre d’ « avoirs » ou « ristournes » n’est déclenchée que si l’évènement conditionnel, c’est à dire l’obligation prévue par l’accord commercial en contrepartie, est effectivement intervenu. ».

La Cour d’appel complète sa motivation en citant l’avis précité de la CEPC, qui « a rappelé aux acteurs économiques que « incertaines par nature, les ristournes conditionnelles ne peuvent alors pas faire l’objet d’une déduction sur facture que pour autant que l’obligation qui les conditionne ait été exécutée et vérifiée ».

Or, pour la Cour « ce type de paiement par échéances régulières tend à démontrer que le paiement n’est en pratique pas conditionné par l’exécution d’obligations de la part du distributeur pouvant varier selon les périodes et/ou les besoins des parties. », ce qui paraît se vérifier en l’espèce en contemplation des mentions forts génériques dans « la facturation » de ces ristournes (entendre semble-t-il l’émission par le distributeur des demandes d’« avoirs ») qui ne visent « aucune opération précise » [13].

La Cour d’appel considère ainsi déséquilibrée l’obligation pour le fournisseur de s’acquitter de son obligation conditionnelle, comme si la réalisation de la condition était vérifiée, alors que rien n’est moins sûr.

A ce sujet, il nous apparaît que la technique employée est de surcroit préjudiciable au fournisseur au plan de sa trésorerie, puisqu’il est tenu de procéder à des paiements, alors que la condition qui les rend exigibles n’est pas vérifiée. La question de l’asymétrie dans les délais de paiement peut en outre se poser [14].

Il s’agit là d’une problématique connexe, d’ailleurs traitée dans « l’affaire Galec » précitée [15].

– Absence de contrepartie pure et simple.

Cette deuxième difficulté, indépendante de la précédente, tient à la contrepartie prévue en l’espèce : les prestations que le distributeur, créancier de la ristourne, était tenu de rendre pour prétendre à son droit à paiement étaient-elles, par leur nature, de réelles contreparties (ie « de véritables services »), ou distinctes de services par ailleurs prévus dans l’accord entre les parties, le cas échéant sous une rubrique différente ?

Une réponse, négative, à cette interrogation aurait seule suffit, de notre point de vue, pour remettre en cause l’obligation mise à la charge du fournisseur, ce qui nous aurait, de façon regrettable, privé de l’analyse menée par la Cour sur la contrepartie à l’obligation « pendente conditione ».

La solution rendue sur cette deuxième difficulté vient toutefois nourrir la motivation de la condamnation à restitution, à raison de ce que les prestations invoquées par le distributeur pour démontrer la réalité des prestations délivrées en contrepartie des ristournes concernées (en l’espèce, la mise en place d’une signalétique visuelle des rayons et d’un positionnement des produits étudié pour « orienter » le client, l’adaptation des produits sport à la saisonnalité, ainsi que la mise en application des guidelines du Livret établi en interne en 2007 intitulé « Sport permanent » via des planogrammes annuels) « ne permettent pas de distinguer ces services des opérations « achat/vente » classiquement assumées par le distributeur » [16] « et » [soulignement rajouté] « de ceux prévus à l’article 3-4 des accords de 2009 à 2012 prévoyant un assortiment qui doit permettre une « optimisation des linéaires et une constante adaptation aux besoins des consommateurs ».

Cette dernière proposition, de dimension comparative, nous transporte sur les problématiques générales de la superposition des services et, au-delà, à des doublons de rémunération, illustrées par la jurisprudence rendue sur l’ex article L. 442-6 I 1° et 2° [17].

Et pour la Cour d’appel d’en conclure qu’« il n’est pas prouvé que les prestations n’étaient pas déjà dues au titre des relations normales d’achat et de vente et qu’il s’agissait de véritables services, effectivement fournis et proportionnés au prix payé par le fournisseur. ».

 

Remarques conclusives

Cet arrêt de renvoi, d’autant plus riche d’enseignements et de rappels, que ces derniers s’inscrivent dans la voie tracée par la Cour de cassation, doit être perçu comme un arrêt important de ce début d’année 2022, au vu de son impact sur le déroulement de la négociation commerciale et, au-delà, des contestations engagées par les fournisseurs aux fins de restitution des avantages abusifs.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’avril 2022, à la Revue Concurrence ainsi qu’à la Revue Lamy de la Concurrence d’avril 2022. Sur mes autres contributions dans ces publications, dont certaines citées ci-dessous, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

 

[1] RLC, n° 115, Avril 2022.

[2] Au regard de l’ex article L. 442-6 I 2° Code Com.

[3] Au regard de l’ex article L. 442-6 I 1° Code Com.

[4] Cass. Com., 3 mars 2021, arrêt n° 19-13.533, CCC n° 5, Mai 2021, comm. 81, N. Mathey.

[5] Paris, 9 janvier 2019, n° 17/09617, Lettre distr. 02/2019, obs. S. Chaudouet ; Cass. com., 3 mars 2021, n° 19-13.533, Lettre distr. 04/2021, obs. Y. Idani.

[6]  Paris, 31 juillet 2019, n°16/11545, Lettre distr. 09/2019, obs. JM. Vertut.

[7] en particulier aux termes de l’avis, celle visant la soumission d’un partenaire commercial à des obligations de nature à créer un déséquilibre significatif.

[8] Paris, 8 février 2017, n° 15/02170 ; Paris, 30 mars 2021, n° 19/15655, Lettre distr. 05/2021, obs. JM. Vertut.

[9] Même si elle est rendue sur le fondement de l’article L. 442-6, I 2° du Code de commerce alors applicable, la solution de cet arrêt reste aujourd’hui pertinente au regard du nouvel article L. 442-1, I, 2° du Code précité.

[10] Paris, 1er juillet 2015, n° 13/19251, Lettre distrib. 07-08/2015, obs. JM. Vertut, et Com., 25 janv. 2017, n° 15-23547, Lettre distrib. 02/2017, obs. N. Eréséo ; A rappr.  Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, Lettre distrib. 06/2018 ou RLC n° 74, juillet-août 2018, obs. JM. Vertut; Trib. Com. Paris, 31 mai 2021, n° 2017025155 et n° 2017025159, Lettre distrib. 10/2021, obs. JM. Vertut.

[11] Paris, 9 janvier 2019, n° 17/09617, Lettre distr. 02/2019, obs. S. Chaudouet.

[12] Cass. Com., 3 mars 2021, précité, point 24 de l’arrêt.

[13] A rappr. Paris, 15 janvier 2015, n° 13/03832 et Cass. Com., 15 mars 2017, n° de pourvoi 15-18381 ; RLC n° 63, 07/08 2017, 3226, obs. JM. Vertut.

[14] A rappr. Avis CEPC n°15-27, Lettre distr. 12/2015, obs. A-C. Martin.

[15]  A rappr. Trib. Com. Lille, 6 janvier 2010, Lettre distr. 01/2010, obs. JM. Vertut, lors d’un des premiers contentieux à l’initiative du Ministre de l’Economie en matière de déséquilibre significatif, à propos de « RFA » payées par avoirs mensuels.

[16] A rappr. Paris, 2 février 2012, n° 09/22350 et Com. 10 septembre 2013, pourvoi n°12-21804 ; Paris, 8 février 2017, n° 15/02170 ; Paris, 19 avril 2017, n° 15/24221, Lettre distr. 05/2017, obs. N. Eréséo.

[17] Paris, 29 juin 2016, n° 14/02306, Lettre distr. Sept 2016, obs. S. Chaudouet ; Paris, 8 février 2017, n° 15/02170 ; Trib. com. Paris, 22 février 2021, n° 2016071676, Lettre distr. avril 2021, obs. S. Chaudouet.

 

Négociations 2022 : le Juge, troisième homme de la négociation.

Affaire ITM c./ JDE

Ordonnance de référé, Tribunal de Commerce de Paris, 2 février 2022, n° 2022002981

 

Les demandes de baisse de prix par l’acheteur ou de hausse par le vendeur, sont le point d’achoppement essentiel des négociations commerciales annuelles, en notamment celles pour 2022, sous tension toute particulière à raison du caractère actuellement inflationniste des coûts de production.

L’affaire ici rapportée nous en procure une illustration (Ord. référé. T. Com. Paris, 2 février 2022, n° 2022002981), dans laquelle il en est appelé à l’intervention rapide du Juge par l’une des parties.

Faits

La société Jacobs Douwe Egberts (JDE) fournisseur de café aux marques bien connues telles que L’or, Senseo, Tassimo, Jacques Vabre, Grand’Mère, Maxwell House et Velours Noir (source site internet LSA, 8 février 2022), et Intermarché (ITM), étaient liées par contrat au titre de l’année 2021.

Selon l’ordonnance rapportée, ce contrat stipulait le « maintien des conditions en place à défaut de signature d’un nouveau contrat à l’issue de l’année civile ou d’un accord pour la période transitoire ».

Nous comprenons que cette dernière période est celle entre la fin du contrat 2021 et la conclusion du nouvel accord pour 2022, au plus tard le 1er mars 2022. Faute d’accord sur les prix applicables à compter du 1er janvier 2022, JDE a cessé de livrer ITM dès le 4 janvier 2022, soit pendant la période transitoire précitée.

Invoquant une rupture brutale (sans préavis) de relation commerciale établie, un trouble manifestement illicite et/ou un dommage imminent du fait de cet arrêt de livraison, ITM assigne son fournisseur fin janvier en référé d’heure à heure devant le Tribunal de commerce de Paris, pour le voir condamné à le livrer à titre conservatoire, sous une astreinte de 547.000 euros par jour de retard.

Cette demande de reprise des livraisons doit se faire, selon ITM, « aux dernières conditions en vigueur (tarifaires et autres) jusqu’au plus proche des évènements suivants : la conclusion d’une convention annuelle entre les parties pour l’année 2022 ; ou l’écoulement d’un préavis du 18 mois (18) expirant le 30 juin 2023 ».

En défense, JDE qui concluait à titre principal au rejet des demandes d’ITM, concédait à titre subsidiaire que si livraison il devait y avoir sur ordre du Juge, celle-ci devait se faire « selon les conditions tarifaires du tarif 3-2021, transmis à la société ITM ALIMENTAIRE le 29 juillet 2021 et qu’elle prendra fin au 1er mars 2022 ».

L’ordonnance est très discrète quant au contenu des échanges entre les parties ayant conduit à la situation litigieuse, ce qui est contrariant pour l’observateur car les faits, très probablement bien documentés et débattus devant le Juge, ont toute leur importance en pareil cas.

Nous pouvons toutefois présumer que les rapports ont été « tendus » entre le fournisseur et la Centrale.

Nous apprenons aussi de l’ordonnance, que le fournisseur soutenait avoir « tenté en vain depuis 6 mois de renégocier les tarifs devenus intenables avec la flambée du cours des matières premières et qu’il n’avait pas eu d’autre choix, devant l’absence de rapprochement possible, que de suspendre les livraisons en janvier jusqu’à un nouvel accord pour 2022 ».

L’on peut encore deviner, au vu de la multitude des marques commerciales du fournisseur, de leur notoriété et du montant de l’astreinte journalière réclamée, l’importance du courant d’affaires en cause.

Par ailleurs, l’évocation, dans les chefs de demandes d’ITM, de la reprise des livraisons, aux dernières conditions en vigueur, ou l’écoulement d’un préavis du 18 mois expirant le 30 juin 2023, permet de présumer que la relation commerciale nouée entre les parties ne datait pas d’hier.

Relevons toutefois, parmi les trop rares informations de l’ordonnance que JDE soutenait, pour la convention 2021 signée entre les parties, avoir adressé une lettre de réserve à son client ITM sur « la clause léonine de maintien des prix sur une période transitoire » et que cette lettre avait été ignorée « volontairement » par ITM.

La presse spécialisée nous livre quelques informations complémentaires.

Aux dires d’ITM, la hausse de prix demandée par le fournisseur aurait été de 25% (source site internet LSA, 8 février 2022). Ce dernier a d’ailleurs estimé utile de faire valoir un droit de réponse face à la présentation de la situation donnée par ITM (source site internet LSA, 9 février 2022). Ambiance !

In fine, le Juge des référés a ordonné le rétablissement des livraisons.

 

Problème

Se posait la question du traitement par le Juge des référés, d’un désaccord entre les parties sur le prix des marchandises pendant la période de la négociation commerciale de janvier/février 2022, dans l’attente d’un accord devant intervenir au plus tard le 1er mars, et alors que le contrat cadre, qui était conclu pour l’année civile 2021, contenait une clause prévoyant un« maintien des conditions en place à défaut de signature d’un nouveau contrat à l’issue de l’année civile ou d’un accord pour la période transitoire ».

 

Solution

Par une motivation aussi succincte que l’est dans la temporalité la mesure qu’il ordonne, le Juge retient que « la convention signée étant la loi des parties, il y a lieu de rétablir les livraisons pour une période courte qui devra permettre de trouver un nouvel accord de tarif équilibré tenant compte de la réalité du marché ».

 

Observations

Loi Egalim 2, augmentation du prix des matières premières et intrants et plus généralement des coûts industriels etc : les négociations commerciales pour 2022 se sont avérées dans l’ensemble bien crispées, voir conflictuelles, pour celles et ceux qui les ont vécues, accompagnées ou observées.

Il n’est alors selon nous pas surprenant – bien qu’à déplorer pour des parties qui s’estiment ou se disent partenaires économiques – de voir ces dernières et alors que la période de négociations n’est pas encore clôturée, prendre une tournure judiciaire.

C’est le cas en l’espèce à raison d’un arrêt de livraisons, qui n’a pas pu être évité par la communion des intelligences respectives des parties à la relation commerciale, en vue de trouver dénominateur commun, ne serait-ce que temporaire, pour le courant d’affaires de la période des leurs négociations annuelles, qui doivent conduire à un accord, le cas échéant, avant le 1er mars. Quitte à ce que les désaccords durables se règlent par la suite, en référé le cas échéant et/ou au fond.

En l’espèce et sans prendre parti pour l’un ou l’autre des acteurs, signalons que le demandeur, ITM, n’en est pas à son coup d’essai.

Qui ne se souvient pas, dans le petit monde de la grande distribution, de son différend avec Coca-Cola à l’occasion des négociations commerciales 2020 (Ord. référé. Trib. Com. Paris, 16 janvier 2020, n° 202000169, Lettre distr. 02/2020, nos obs. et CA Paris, 26 novembre 2020, n° 20/02392, Lettre distr. 02/2021, nos obs.) où la même juridiction des référés, indépendamment du fond du droit, avait tranché au provisoire dans un litige opposant « Les Mousquetaires » avec cet autre fournisseur.

A ce jour et comme dans l’affaire d’il y a deux ans, le Président du Tribunal de commerce ordonne la reprise des livraisons le temps de trouver un accord, si accord il doit y avoir.

Les parties sont renvoyées dos à dos. Rien de plus si ce n’est, pour contraindre le fournisseur à assurer l’exécution de l’ordonnance, le prononcé d’une astreinte de 100.000 euros par jour de retard.

Ce montant est d’ailleurs assez éloigné de celui de l’astreinte demandée au Juge, à la différence du litige d’ITM avec Coca-Cola d’il y a deux ans, où l’astreinte ordonnée avait été de 460.000 euros, pour une astreinte sollicitée de 493.000 euros.

In fine – et la brièveté de l’Ordonnance invite à le considérer – le Juge répond simplement à la situation de blocage par une mesure de déblocage, mais pour un temps très court.

Il le précise : « la convention signée étant la loi des parties, il y a lieu de rétablir les livraisons pour une période courte qui devra permettre de trouver un nouvel accord de tarif équilibré tenant compte de la réalité du marché ».

Certes et rappelant que la convention tient lieu de loi entre les parties, il applique la clause de « maintien des conditions en place (…) pour la période transitoire », mais pas plus.

L’on peut imaginer que l’une et/ou l’autre parties au litige, en dépit de leurs écritures à n’en point douter explicites sur les faits ayant conduit à cette crise relationnelle, auront pu s’étonner d’une motivation aussi succincte de l’ordonnance, faisant peu cas, à tout le moins formellement, de données matérielles quant au déroulement des négociations.

Mais la brièveté de la motivation, que l’on peut deviner élaborée, notamment en ces temps marqués par une augmentation des coûts, en considération de cette conjoncture très haussière, n’enlève rien à son intérêt en l’espèce et au-delà.

Ainsi, pour le Juge, le nouvel accord de tarif devra être  « équilibré » et « tenant compte de la réalité du marché ».

Cette injonction, certes en référé, invite les parties à la sagesse et augure de ce que devrait être un prix d’équilibre pour le Juge. C’est là selon nous l’apport essentiel de l’affaire.

Dans l’attente, le Juge ordonne ainsi la reprise des livraisons sous quatre jours ouvrés de la signification de son ordonnance « aux conditions tarifaires provisoire de la convention signée entre les parties le 19 février 2021, et ce jusqu’à nouvel accord des parties sur un tarif applicable au 1er janvier 2022, sous astreinte de 100.000 € par jour de retard, dans la limite du 28 février 2022, terme auquel les parties devront avoir trouvé un accord pour les tarifs 2022 ».

Se devine alors, pour des litiges de ce type et à défaut d’accord ultérieur sur des prix qui ne peuvent être éternels, un débat de fond sur l’imputabilité de la rupture brutale de la relation commerciale établie (par exemple, à l’acheteur qui refuse toute augmentation, quand bien même raisonnable et/ou justifiée, ou au fournisseur qui entreprend cette dernière avec démesure).

Un tel débat nous semble toutefois en l’espèce peu probable, au vu des produits en présence et de la nécessité que pourront ressentir les acteurs un temps brouillés d’avoir à retravailler ensemble.

Enfin, l’affaire suggère une dernière réflexion, au plan de la durée du préavis en cas de rupture de relation commerciale établie.

Il n’est pas inconsidéré de présager que la durée du préavis telle que revendiquée par tel demandeur eu égard à l’ancienneté de la relation commerciale en cause et que ce demandeur considère comme souhaitable, nécessaire et justifiée à raison de la rupture dont il se dit victime du fait d’un refus d’approvisionnement, contient en germe, toute chose égale par ailleurs, un risque non négligeable pour lui : celui que cette même durée lui soit tôt ou tard opposée comme étant tout aussi justifiée en cas de rupture, dans le cadre d’une procédure en référé ou au fond (avec le cas échéant demande de restitution des avantages contestables s’il y a lieu), lorsqu’il sera lui-même l’auteur d’un déréférencement sans préavis ou moyennant un préavis trop bref.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Mars 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Rupture brutale de relation commerciale internationale établie : la compétence juridictionnelle française écartée.

Affaire Eurofood c./ Tnuva Alternative

Tribunal de commerce de Paris, 30 septembre 2021, n° 2020037442

 

1. Faits.

Une société française s’était vue concéder la distribution exclusive de ses produits dans l’Union Européenne et en Suisse par une société israélienne.

Cette dernière invoquant le défaut d’atteinte d’objectifs par son distributeur met fin au contrat.

Celui-ci l’assigne alors devant le Tribunal de commerce de Paris au titre de manquements contractuels et de rupture abusive.

La lecture du jugement fait ressortir des demandes sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La société israélienne soulève une exception d’incompétence du Tribunal de commerce de Paris et prétend que les juridictions compétentes son celles d’Israël. La société française conteste.

Aux termes de son jugement, le Tribunal de commerce de Paris se déclare incompétent territorialement (T. Com. Paris, 30 septembre 2021, n° 2020037442).

 

2. Problème.

Se posait ici la question de la compétence juridictionnelle du Tribunal de commerce de Paris pour statuer sur l’application de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dans un litige opposant une société étrangère et tierce à l’Union Européenne, défenderesse et auteure le cas échéant d’une rupture brutale, à une société française, demanderesse et victime de ladite rupture, alors que la convention liant les parties prévoyait que la livraison des produits avait lieu en Israël.

 

3. Solution.

Relevant que le lieu de livraison effective des marchandises ainsi que le domicile du défendeur sont situés en Israël, le tribunal fait droit à l’exception d’incompétence soulevée, au regard notamment des articles 42 et 46 du CPC.

 

4. Observations.

Les contentieux pour rupture brutale d’une relation commerciale établie dans le cadre d’une relation internationale donnent souvent lieux à d’intéressants débats tant en matière de droit applicable (rappr. dans le sens de la non application du droit français, Paris, 2 juin 2021, n° 17/16997, Lettre de la Distribution, Juillet Août 2021, nos obs ; voir aussi, sur l’application des articles L. 441-3 et L. 441-7 du Code de commerce, Paris, 30 mars 2021, n° 19/15655, Lettre de la Distribution, Mai 2021, nos obs.) que, comme en l’espèce, au plan de la compétence des juridictions françaises, devant lesquelles était attraite une société étrangère par une société française.

Signalons qu’en défense sur l’exception soulevée, la société française se prévalait pour justifier la compétence du Tribunal de commerce de Paris, de l’article 14 du Code civil qui prévoit un privilège de nationalité, parfois chahuté en doctrine, et qui dispose que « L’étranger (…) pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. ».

Sur ce seul point, sous toutes réserves, l’évacuation par le Tribunal de cette disposition pourrait apparaître un peu expéditive, motifs pris qu’en l’espèce et sur une question de compétence (et non de la loi applicable, rappr. Paris, 3 mars 2021, n° 19/09361, Lettre distrib. 04/2021, obs. C.M-G ou Paris, 2 juin 2021, n° 17/16997 précité), cet article n’aurait pas vocation à s’appliquer car le litige ne présenterait « aucun lien de rattachement envers la France, outre la nationalité du demandeur » (rappr. C. Bridge, Évolution du privilège de juridiction et risques juridiques : bilan et perspectives, RLDC, n° 139, 1er juillet 2016).

Pour le reste de son appréciation, le Tribunal rappelle que « seules les règles de conflit de juridiction doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, même si des dispositions impératives constitutives d’une loi de police sont applicables au fond du litige (Com. 24 nov. 2015, n°14-14924) ».

Il estime être en présence d’un contrat qui a pour objet la vente de produits et non d’un contrat dont l’exclusivité stipulée lui aurait conféré la nature d’un contrat de prestations de service et pour lequel, en cas de litige, la juridiction compétente, outre celle du lieu ou demeure le défendeur, pouvait aussi être celle du lieu de l’exécution de la prestation de service (art. 42 et 46 CPC), soit la France selon le demandeur.

Le Tribunal, évoquant l’arrêt « Granarolo » (CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-196-15, Lettre distrib. 09/2016, obs. F.L ; rappr. Com., 20 sept. 2017, n° 16-14.812, Lettre distrib. 10/2017, obs. F.L), bien que rendu à l’occasion de la mise en œuvre du règlement (CE) 44/2001 dit « règlement Bruxelles I » sur la compétence judiciaire, juge qu’« en l’espèce, le lieu de livraison a été contractuellement choisi en Israël ; dans un souci de cohérence avec la jurisprudence européenne, le tribunal considèrera en l’espèce, que la rupture brutale alléguée est de nature contractuelle. » (rappr. Paris, 9 sept. 2020, n° 19/1932, Lettre distrib. 10/2020, obs. F.L).

La matière ainsi qualifiée de contractuelle et le tribunal considérant que le lieu de livraison effective des marchandises ainsi que le domicile du défendeur étaient situés en République d’Israël, décline sa compétence territoriale en application des articles 42 et 46 du CPC.

D’où l’intérêt, en pareil cas pour la partie qui, dans la perspective d’un litige, préfèrerait débattre devant les juridictions françaises, de prévoir contractuellement une clause attributive de juridiction et, à y être, de droit applicable, ce qui n’était semble-t-il pas le cas dans l’affaire ici rapportée (jugement, point 9).

A supposer ensuite une condamnation par une juridiction française, il restera alors, mais c’est un autre sujet et non des moindres, celui de l’exécution du jugement en territoire étranger et hors UE, et pour laquelle il sera encore nécessaire, notamment en termes financier, que le jeu en vaille la peine.

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de janvier 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Note de suivi en date du 16.05.2023 : voir dans ce contentieux « Rupture brutale de relation commerciale internationale établie et défendeur hors UE : la délicate question de la compétence juridictionnelle. », à propos de l’arrêt de la 1er chambre Civile de la Cour de Cassation du 13 avril 2023, qui retient la compétence des juridictions françaises.

Délais de paiement : lignes directrices de la DGCCRF sur les sanctions.

Lignes directrices relatives à la détermination des sanctions pour dépassement des délais de paiement interprofessionnels

 

Contexte

On se souvient que la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi « Hamon ») a introduit des sanctions administratives, en lieu et place de sanctions jusqu’alors pénales, pour non-respect des délais de paiement plafond, fixées dans la numérotation actuelle, aux articles L. 441-10 et suivants du Code de commerce.

Le montant de la sanction administrative était initialement de 375.000 euros pour une personne morale par exemple. Sous les mêmes sanctions, ont été interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement (« délais cachés »).

Cette même loi a donné lieu à un décret d’application du 30 septembre 2014 pris pour la mise en œuvre de la modernisation des moyens de contrôle et des pouvoirs de sanctions de l’autorité administrative chargée de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Presque trois ans plus tard, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », a porté le montant maximal de l’amende pour les personnes morales à 2 millions d’euros.

La détermination des pouvoirs publics et du législateur à poursuivre la lutte contre les retards de paiement s’est ensuite manifestée à l’occasion de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance dite « loi Essoc », dont le droit à l’erreur nouvellement instauré n’a pas été étendu aux situations de retard de paiement (Pas de droit à l’erreur et Name and Shame renforcé : deux nouvelles mesures en matière de lutte contre les retards de paiement, Revue Lamy Droit des Affaires, déc. 2018, p. 51, nos obs).

Avec le même dessein, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », a renforcé le caractère dissuasif du « Name and Shame », puisque les entreprises sanctionnées pour des retards de paiement ont l’obligation de faire publier cette sanction à leurs frais dans la presse locale. Cette mesure vient s’ajouter à la publication systématique sur le site internet de la DGCCRF. Pour les manquements les plus graves, la publication dans d’autres titres de presse, par exemple spécialisée ou nationale, peut être imposée par la DGCCRF.

C’est ainsi que depuis bientôt une décennie, les agents de la DGCCRF sont compétents pour contrôler et sanctionner les entreprises contrevenantes.

Pour autant, ni l’actuel article L. 441-16 du Code de commerce indiquant le montant des sanctions, dont les dispositions se logeaient à l’origine dans l’article L. 441-6 VI du Code de commerce, ni l’article L. 470-2 sur les conditions dans lesquelles les sanctions sont prononcées, ne fixent de critères légaux permettant de fixer le montant de l’amende administrative pouvant être prononcée (sauf prise en compte de la réitération conduisant à un doublement de l’amende. à rappr. Communiqué du 18 novembre 2019, La DGCCRF sanctionne SFR à hauteur de 3,7 millions d’euros pour manquements réitérés aux délais de paiement légaux).

Certes, une volumineuse note d’information diffusée quelques mois après la Loi Hamon apportait des précisions sur les nouveaux moyens d’action et pouvoirs de sanction de la DGCCRF, mais elle ne traitait pas de l’évaluation du montant des amendes (note d’information de la DGCCRF d’octobre 2014 sur l’application des dispositions de la loi relative à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce sur les pratiques commerciales restrictives de concurrence. Cette note annulait et remplaçait une précédente n° 2014-149 du 6 août 2014 note sur le même sujet, commentée à la Lettre. Lettre distr. Sept. 2014, N.E).

De plus, très tôt et à propos de ses nouveaux pouvoirs d’injonction et de sanction, la DGCCRF avait-elle évoqué des lignes directrices et notamment une éventuelle « doctrine » de l’Administration (Les nouveaux pouvoirs de la DGCCRF issus de la loi Hamon, N. Homobono, Directrice générale de la DGCCRF, AJ Contrats d’affaires – Concurrence – Distribution 2014 p.144). Certains auteurs et Confrères appelaient encore récemment de leurs vœux un tel document (Ombres et lumières du dispositif de sanctions administratives des retards de paiement interentreprises, N. Pétrignet, A. Le Bourdon, BRDA, 15-16/21).

Huit ans se donc sont écoulées et voilà ces lignes directrices mises en ligne le 2 décembre 2021.

 

Observations

Ce document vient expliciter les conditions dans lesquelles sont prononcées par la DGCCRF par l’intermédiaire de ses directions régionales (DREETS) dans les conditions fixées à l’article L. 470-2 du Code de commerce, les sanctions à l’encontre des entreprises dont les délais de paiement fournisseurs dépassent les plafonds légaux visés au Code de commerce (et au Code de la commande publique).

Cette communication, qui sera utile aux entreprises contrôlées et à leur Conseils, expose en trois temps le cadre juridique de l’enquête, son déroulement avec un point spécifique sur la question des recours administratifs et/ou contentieux et, enfin, les modalités de détermination de l’amende.

Au plan du déroulement de l’enquête, les lignes directrices indiquent notamment que durant une phase contradictoire, l’entreprise contrôlée est invitée à présenter toute observation et à produire tout document de nature à justifier les retards de paiement constatés.

A cet égard, l’entreprise peut par exemple indiquer que certains retards correspondent à des avoirs ou fournir des preuves que les retards sont liés à des litiges sérieux portant sur la prestation principale du contrat. Mais a contrario, des arguments liés à des manquements au formalisme des factures ou à la transmission trop tardive de la facture par le fournisseur, n’enlèveront pas aux retards de paiement constatés leur caractère illicite s’il n’est pas prouvé que les factures ont été réclamées.

Au plan de la détermination du montant de l’amende, il est indiqué que cette détermination « procède à la fois d’une méthodologie harmonisée entre les différentes DREETS et d’une analyse au cas par cas tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce conformément aux principes de proportionnalité et de personnalité des peines. » (si plusieurs délais légaux sont en cause, les amendes sont calculées séparément).

Outre cette indication générale est exposé le cheminement qui est celui des contrôleurs, étant rappelé que, sauf exception, le contrôles portent sur une période d’un an correspondant au dernier exercice clos et que les factures intragroupes sont, en opportunité, exclues du périmètre du contrôle.

Ce faisant, les contrôleurs calculent d’abord lieu le « montant de base » de l’amende à partir principalement du montant de la rétention de trésorerie générée par les manquements.

Ce calcul est ensuite ajusté en tenant compte de la taille de l’entreprise et de l’importance relative du retard par rapport au délai légal maximum prévu, afin d’apprécier la gravité de la pratique.

Vient ensuite la prise en compte de la réitération, le cas échéant, puisque le contrevenant s’expose aux termes de la loi à voir son amende doublée en pareil cas.

Puis il est vérifié que le montant total de la sanction ne dépasse pas le maximum légal de 2 millions d’euros (ou 4 millions si réitération).

Un dernier point a trait à la prise en compte de la situation financière de l’entreprise contrevenante lors de la commission des manquements, au plan de la détermination du montant de l’amende ou de la capacité de l’entreprise à s’acquitter en tout partie de l’amende.

La démarche ainsi entreprise n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, celle que l’on peut relever dans d’autres lignes directrices pour le calcul d’amendes pour d’autres infractions de nature économique.

On songe notamment aux lignes directrices en matière de calcul des amendes en droit de la concurrence, tant au niveau interne (à rappr. Communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires du 31 juillet 2021, abrogeant le Communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires du 16 mai 2011), qu’au niveau de l’Union (à rappr. Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003), bien que chacun des textes ayant donné lieu aux lignes directrices précitées fassent état de critères légaux de fixation des amendes (voir aussi art.  L 621-15, III ter du Code monétaire et financier fixant des critères légaux en matière de sanction de l’AMF et Paris, 19 décembre 2019, RG n° 19/00495), ce qui, mis à part le critère de la réitération, n’est pas le cas pour les amendes en cas de retard de paiement.

Sans contester, bien au contraire, l’intérêt de ces récentes lignes directrices de la DGCCRF au plan de la quantification du risque de sanction en cas de contrôle, peut-être y a-t-il là le point de départ à quelques réflexions ?

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Décembre 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Négociations commerciales et règlement des factures fournisseurs : de ces financements qui peuvent parfois poser problème selon les circonstances de leurs mises en œuvre.

Nous nous étions penchés sur cette question, incidemment, à l’occasion de l’un de nos précédents articles.

Le magazine Capital a rapporté cette affaire sur son site le 30 novembre 2021 dans un article « Mr Bricolage condamné à une lourde amende pour ses contrats « déséquilibrés » avec ses fournisseurs », pour lequel nous avons été contacté aux fins de donner quelques éclairages techniques.

Cette affaire récente s’inscrit dans la lignée d’autres qui l’ont précédé sur le sujet des règlements, souvent asymétriques, entre les créances et dettes réciproques des acteurs de la relation commerciale et sur la problématique du financement de leurs activités respectives.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Enquêtes : de la confidentialité inopposable aux enquêteurs.

Selon un communiqué mis en ligne ce jour, mercredi 10 novembre 2021, les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence ont procédé hier, après autorisation d’un Juge des Libertés et de la Détention, à des opérations de visite et saisie inopinées auprès de plusieurs entreprises, ainsi qu’au domicile de certains de leurs collaborateurs, afin de déterminer si elles ont mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire.

L’Autorité indique qu’à ce stade, ces interventions ne préjugent bien évidemment pas de la culpabilité des entreprises concernées par les pratiques présumées, que seule une instruction au fond permettra le cas échéant d’établir, et qu’elle ne fera aucun autre commentaire ni sur l’identité des entreprises visitées ni sur les pratiques visées.

Les problématiques rencontrées à l’occasion de telles opérations sont nombreuses.

Sans qu’il ne soit ici question d’un lien quelconque avec les opérations ci-dessus, dont nous apprenons l’existence en lisant le communiqué précité, cette actualité nous donne l’opportunité de revenir sur le sujet plus général de la confidentialité de certaines pièces issues d’une enquête, mais étrangères à la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, bénéficiant d’un régime de confidentialité spécifique.

L’affaire ci-dessous rapportée en donne une illustration (Cass. crim., 19 octobre 2021, pourvoi n° 20-85.644).

1. Faits et procédure

Aux fins d’établir si la société Swarovski France et des sociétés du même groupe se livraient à des pratiques anticoncurrentielles, le rapporteur général de l’ADLC a saisi sur requête en juin 2019, le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) en application de l’article L. 450-4 du code de commerce (enquête dite « lourde »), d’une demande aux fins d’autorisation d’opérations de visite et de saisie dans les locaux des sociétés précitées.

Le JLD a autorisé la mesure et les opérations sont intervenues. Swarovski France a fait appel de l’ordonnance autorisant ces mesures et a formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie devant le premier président de la Cour d’appel de Paris.

Celui-ci a annulé l’ordonnance du JLD, avec entre autres motifs, qu’il avait été transmis par l’ADLC à l’appui de la demande d’ordonnance aux fins de visite et saisie, un contrat contenant une clause de confidentialité, obtenu par l’ADLC dans le cadre des pouvoirs d’enquête qu’elle tient de l’article L. 450-3 du code de commerce (enquête dite « simple »).

L’ADLC a alors formé un pourvoi devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 19 octobre 2021 et après réunion des moyens de l’ADLC, casse et annule l’ordonnance du premier président ).

2. Problème

Lorsqu’il examine le bienfondé d’une demande d’autorisation aux fins de visite et saisie, le Juge doit-il s’abstenir d’analyser des contrats obtenus par les enquêteurs dans le cadre d’une enquête simple et pouvant laisser présumer une infraction aux règles de concurrences, au motif que ces contrats comportent une clause de confidentialité ?

3. Solution

La solution, qui figure au point 23 de l’arrêt, est que « le juge ne pouvait s’abstenir d’analyser les contrats de distribution (…) au motif qu’ils contiennent une clause de confidentialité, dès lors que ces documents ont été régulièrement obtenus par l’Autorité de la concurrence dans le cadre des pouvoirs d’enquête qu’elle tient de l’article L. 450-3 du code de commerce. »

4. Observations

Toutes les confidentialités n’ont pas le même degré de valeur à l’occasion ou en suite d’une enquête et l’on aurait pu anticiper, sans trop se risquer, la réponse ici donnée par la Cour de cassation dans cette affaire, étrangère à la thématique de la confidentialité dans la relation avocat/client (à rappr. Visites domiciliaires, saisies et pratiques anticoncurrentielles : scellés fermés provisoires et autres problématiques de déroulement des opérations. RLC n° 96, Juillet-Août 2020, nos obs. ; Cass. Crim, 4 mars 2020, n° 18-84.071, Lettre distrib. Mai 2020, nos obs.).

La solution ici rapportée méritait-t-elle vraiment d’ailleurs le présent commentaire, tant elle paraissait devoir s’imposer ?

Pourtant et pour dire mal fondée l’autorisation des opérations de visite et de saisie et annuler l’ordonnance initiale du JLD, l’ordonnance du premier président indiquait, entre autres motifs, que « la légalité de la production, par l’Autorité de la concurrence, des contrats entre (…) interroge dès lors que ces documents comportent une clause de confidentialité ».

Par ce motif, l’ordonnance fleurtait avec la solution, bien que non formellement exprimée, d’une confidentialité s’imposant entre les parties et primant sur le droit pour l’autorité poursuivante, de faire état des pièces recueillies dans l’exercice régulier et légalement organisé de ses prérogatives d’enquête.

La motivation était d’autant plus surprenante, à tout le moins selon l’éclairage procuré par le moyen du pourvoi. Selon ce moyen, pour écarter la présomption d’abus de position dominante retenue par le JLD sur le fondement de contrats litigieux et annuler l’autorisation, le premier président avait relevé que lesdits contrats comportaient une clause de confidentialité, en sorte que « la légalité de [leur] production (…) sans l’accord de la société Swarovski France interroge[ait] ».

Fallait-il alors entendre par cela qu’il eut été nécessaire de solliciter l’accord de la partie à visiter – motifs pris de la confidentialité en cause – avant de divulguer le contenu du document litigieux au JLD, afin d’obtenir de sa part une ordonnance autorisant la mesure d’enquête lourde dans les locaux de la société visitée ?

L’approche reviendrait à avoir dotés les enquêteurs pouvoirs d’enquête forts dont l’entrave est sanctionnée à divers titres et, dans le même temps, permettre aux auteurs présumés de pratiques anticoncurrentielles visées par les mesures d’enquête de refuser, pour des motifs de confidentialité tels ceux de l’affaire ici rapportée, que lesdits enquêteurs fassent usage des pièces recueillies, comme ici dans le cadre d’une enquête simple. L’observation vaut tout autant pour les enquêtes lourdes.

Pour mémoire et afin de garantir l’effectivité de ces enquêtes, les personnes enquêtées ne peuvent s’y opposer, sauf notamment, à risquer la sanction pour obstruction à l’enquête (à rappr. Droit d’opposition en matière de visites domiciliaires versus obligation de soumission aux inspections : l’improbable conciliation à l’aune de l’obstruction. RLC n° 89, Décembre 2019, nos obs. ; ADLC, 22 mai 2019, n° 19-D-09, Lettre distrib. Juin 2019, nos obs.).

L’impératif d’effectivité de l’enquête vise aussi à garantir l’effectivité de la procédure qui lui est subséquente. Ainsi, la confidentialité ici invoquée en tant que parade aux pouvoirs d’enquête et à l’utilisation des éléments qui en sont issus, n’est donc qu’un moyen de défense illusoire.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Novembre 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

 

Abus dans la négociation commerciale : l’accoutumance de la victime n’est pas une cause exonératoire.

A l’entame des négociations commerciales pour 2022, deux jugements du Tribunal de Commerce de Paris du 31 mai dernier méritent un bref commentaire (Trib. Com. Paris, 31 mai 2021, RG n° 2017025155 et n° 2017025159).

1. Faits et procédure

L’affaire opposait le Ministre, demandeur, à la Supercentrale Inca (Intermarché Casino Achat) ainsi qu’à des sociétés de ses groupes fondateurs, soit diverses sociétés du groupe Casino dont les centrales AMC (Casino) et SAS ITM Alimentaire International.

Etaient en cause des pratiques constatées à l’occasion des négociations commerciales pour 2015 dans le secteur « parfumerie-hygiène ».

Le Ministre prétendait que dès le mois de mai 2015, il avait été demandé à douze ou treize fournisseurs une réouverture des négociations débouchant sur des demandes de rémunérations additionnelles sans contrepartie et que cette pratique était constitutive d’une tentative de soumission ou une soumission à un déséquilibre significatif (art. L. 442-6 I 2° Code com.).

Les montants en cause,  dans les deux décisions rendues, atteignaient 11.414.000 euros et 17.130.000 euros.

En l’espèce, les fournisseurs concernés relevaient de groupes internationaux de distribution (Colgate, Henkel, Bic, L’Oréal etc).

Le Ministre sollicitait, entre autres, la cessation des pratiques et la condamnation des parties poursuivies au paiement d’une amende civile de 2 millions.

A l’occasion de ses deux jugements en date du 31 mai 2021, le Tribunal de Commerce de Paris fait droit aux demandes du Ministre.

 

1. Problème

Bien que ces jugements puissent ouvrir le champ des réflexions sur une multitude de problématiques, dont certaines seront aperçues dans les observations ci-dessous, l’attention se focalisera sur l’existence de situations ou circonstances pouvant faire ressortir une certaine résignation de la part de fournisseurs, face aux pratiques abusives en matière de négociations ici dénoncées par le Ministre.

D’où la question : l’accoutumance des fournisseurs aux pratiques dénoncées est-elle une cause d’exonération de l’auteur de la pratique ?

Cette question, nous le concédons, peut apparaitre audacieusement naïve, mais elle mérite d’être posée, puisque certains arguments que l’on pourrait deviner et parfois non moins naïf, y invitent.

 

2. Solution

L’on anticipe sans trop se risquer la réponse qui y est donnée par le Tribunal :

« Enfin, dans son analyse fournisseur par fournisseur qui sera détaillée ci-dessous, le tribunal ne se laissera pas abuser par une forme d’accoutumance observée chez certains industriels, qui peuvent déclarer par exempte « ça se passe toujours comme ça,..,. C’est un risque que nous prenons en compte… Il s’agit de dynamiser la relation… », déclarations qui ne sont pas de nature à exonérer forcément la grande distribution de sa responsabilité éventuelle à cet égard ».

 

3. Observations

Outre le fait marquant de la condamnation, pour l’heure singulière, d’une Supercentrale, au titre des pratiques restrictives (à rappr. Assignation de l’enseigne Intermarché pour des pratiques commerciales abusives, dont la centrale internationale de service Agecore, Communiqué de presse Min. Eco, 19 février 2021, n° 689, https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/assignation-de-lenseigne-intermarche-pour-des-pratiques-commerciales-abusives-0 ; Relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs : Bruno LE MAIRE et Agnès PANNIER-RUNACHER ont décidé d’assigner le mouvement E.LECLERC pour des pratiques commerciales abusives commises par sa centrale d’achat belge, Communiqué de presse Min. Eco, 22 juillet 2019, n° 1354, https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/relations-commerciales-entre-distributeurs-et-fournisseurs-bruno-le-maire-et-agnes-pannier), ces deux jugements contiennent d’intéressants développements sur les problématiques classiques en matière de déséquilibre significatif, telles la caractérisation ou pas de la soumission ou de la tentative de soumission (raisonnement par indices au nombre desquels la menace de déréférencement d’une partie des produits ou d’arrêts de commandes plus ou moins explicite, le cas échéant suivi d’effets ; rappel de ce que le principe de la négociation commerciale n’est pas sans limite, comme notamment souligné dans l’arrêt « Galec » de 2015 de la Cour de Paris (CA Paris, 1er juillet 2015, RG n° 13/19251, Lettre distr. Juil/août 2015, nos obs., et Com. 25 janv. 2017, n°15-23547, Lettre distr. Fév. 2017, N.E).

A ce propos, le Tribunal constate que la grande distribution, et donc notamment Intermarché (ou Casino selon le jugement), et Inca, se trouve dans la situation de « gate keeper » au sens d’une étude d’un cabinet de consultant produite par le Ministre, « cette position de force s’expliquant par le contrôle du linéaire, et donc de l’accès au consommateur final ».

Dans l’affaire ici rapportée, après une analyse au cas par cas, l’existence de la soumission a été retenue dans certaines relations et pas dans d’autres.

Ces deux décisions nous rappellent aussi que l’article L. 442-6 I 2° s’applique aux pratiques (à rappr. Trib. Com. Paris, 6 juillet 2021, RG n°2016064825, Lettre distr. Sept. 2021, nos obs ; Paris, 16 mai 2018, RG nº 17/11187, Lettre distr. juin 2018 ou RLC n°74, juillet-août 2018, nos obs), ici en matière de renégociations postérieures aux négociations annuelles arrêtées au 1er mars (à rappr. Paris, 16 mai 2018 précité).

La même juridiction a aussi récemment appliqué le dispositif aux pratiques antérieures à la négociation commerciale, en tant que prérequis auxdites négociations annuelles (Trib. Com. Paris, 22 février 2021, RG n° 2016071676, note S.C).

Soulignons enfin l’intérêt porté par le Tribunal au plan de la recherche de contrepartie à la rémunération additionnelle demandée.

Comme souligné récemment dans la Lettre, cette quête de contrepartie, qui relève maintenant d’une démarche habituelle des juges – notamment depuis l’arrêt Galec précité – fait ressortir une convergence d’analyse en matière de déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2° et d’avantage sans contrepartie au sens de l’ex article L. 442-6 I 1° Code com. (à rappr. Trib. Com. Paris, 6 juillet 2021, précité) et que le contenu du nouvel article L. 442-1 dudit Code issu de l’Ordonnance du 24 avril 2019 ne devrait pas contrarier.

Pour en revenir à la solution rapportée, il est vrai qu’une réponse affirmative à la question posée aurait conduit de fait à légitimer la pratique, l’assimilant ainsi à une sorte d’usage ou coutume non contra legem ou, à tout le moins à une pratique commerciale certes abusive mais habituelle et qu’il reste, bon gré mal gré, préférable d’endurer pour que ne soit pas mise à mal la relation d’affaires.

L’habitude d’une pratique illicite ne rend pas pour autant celle-ci licite et l’accoutumance n’est, pour l’heure, pas au nombre des facteurs permettant de voir écarter l’application de l’article L. 442-6 I 2° ou 1° du Code de commerce.

La remarque vaut selon nous pour l’article L. 442-1 I 1° et 2° du même code dans sa version issue de l’ordonnance du 24 avril 2019.

La clairvoyance du Tribunal sur ce sujet est de bon aloi. Cette solution nous parait cohérente même en cas de consentement de la partie subissant la pratique.

Est-il nécessaire de rappeler le caractère d’ordre public des dispositifs sur ces questions avec ce que cela emporte ?

En effet et à moins que ladite partie, à ses risques et périls, ne cède pas à la tentative de soumission à un déséquilibre significatif, cette partie, une fois disciplinée, s’exécute.

Pour autant, l’infraction n’en est pas moins constituée et le fait d’avoir volontairement cédé ne saurait écarter l’application du texte, sauf à vouloir le rendre totalement inutile.

Dans la même veine des circonstances qui pourraient être présentées, au détour d’une affaire, comme un fait justificatif ou une cause d’exonération, il a par exemple été jugé par la Cour de Paris que la situation de concurrence exacerbée entre les distributeurs, la recherche d’un meilleur prix d’achat, la rétrocession consécutive aux consommateurs des meilleurs prix obtenus, de même que la discrimination tarifaire subie, ne justifient pas la pratique en cause (Paris, 16 mai 2018, préc.).

De même et comme récemment jugé par le même Tribunal de commerce, lorsqu’il est question de s’intéresser à l’éventuel rééquilibrage du déséquilibre une fois ce dernier identifié, l’avantage concurrentiel qui, selon le distributeur en cause, permettait au fournisseur qui adhérait à un dispositif litigieux d’augmenter son chiffre d’affaires, n’a pas été constitutif d’un facteur de rééquilibrage (Trib. Com. Paris, 6 juillet 2021, préc.).

Les auteurs de pratiques abusives seront alors mieux inspirés à titre préventif de les faire évoluer, plutôt que de parier, à des fins défensives, sur des thèses telles que celle de la victime consentante ou de l’état de nécessité de violer la loi, compliquées à faire reconnaître au vu de la finalité des textes en cause.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

 

Codes d’usages alimentaires et droit de la concurrence.

L’Institut des Usages de la Faculté de Droit de Montpellier a organisé un colloque le 30 septembre 2021 sur le thème des Usages de l’Agroalimentaire.

Aux côtés d’Universitaires, de praticiens de divers univers ainsi que de Confrères, je suis intervenu sur le sujet des « Codes d’usages et Droit de la Concurrence ».

Le contenu de ma contribution est à présent disponible ici : Codes d’usages alimentaires et droit de la concurrence.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Contrepartie : de la convergence d’analyse de l’avantage sans contrepartie et du déséquilibre significatif.

Sous l’angle de l’examen des contreparties, une affaire récente (Trib. com. Paris, 6 juillet 2021, n° 2016064825), fait à nouveau ressortir certaines convergences dans l’analyse menée par les juges des déséquilibres issus de la négociation commerciale, sur le fondement des textes prohibant l’avantage sans contrepartie et le déséquilibre significatif.

1. Faits.

Jusqu’en janvier 2012, le secteur du bricolage bénéficiait d’un régime dérogatoire aux dispositions de la loi LME en matière de délai de paiement.

L’alignement sur le droit commun s’est traduit par un raccourcissement des délais de paiement des fournisseurs, ce qui a augmenté les besoins en fond de roulement des magasins et généré des problèmes de trésorerie pour ces derniers.

Afin de faciliter le règlement des factures dans les délais légaux de droit commun, MR BRICOLAGE a alors mis en place un système d’affacturage inversé avec une banque allemande (DZB Bank).

Le dispositif a donné lieu à des conventions entre MR BRICOLAGE, les magasins de l’enseigne, les fournisseurs ayant adhéré au système, et DZB Bank.

L’adhésion au dispositif DZB Bank donnait le droit au fournisseur d’être payé dans un délai de 10 à 20 jours date d’émission de sa facture, au lieu du paiement légal à 45 jours fin de mois, soit un raccourcissement des délais de paiement d’au maximum 50 jours (soit 60j moins 10j).

Le fournisseur s’obligeait à appliquer un taux d’escompte de 1,4% du montant HT de sa facture ainsi qu’à payer une commission de ducroire et de paiement centralisé de 1,4% du montant TTC de ladite facture.

Ces droits et obligations étaient prévus dans le contrat annuel de référencement conclu entre le fournisseur et MR BRICOLAGE, même s’ils n’y étaient pas détaillés du fait d’un renvoi, au détour d’un de ses paragraphes, au contrat conclu avec la banque.

A l’issue d’une enquête menée fin 2013 et sur 2014, le Ministre de l’Economie a estimé que MR BRICOLAGE avait soumis ou tenté de soumettre les fournisseurs à adhérer à ce système d’affacturage inversé, adhésion qui, selon le Ministre, créait un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au profit de MR BRICOLAGE et de ses adhérents et au détriment des fournisseurs.

Le Ministre a saisi le Tribunal de Commerce de Paris, en fondant ses demandes notamment sur les deux dispositifs du Code de commerce essentiels de lutte contre les avantages abusifs soit, en l’espèce, au principal pour l’un (L. 442-6 I 2° – déséquilibre significatif) et au subsidiaire pour l’autre (L. 442-6 I 1°- avantage sans contrepartie ou disproportionné).

 

2. Problèmes et solutions.

Certains problèmes ont spécifiquement trait à l’examen des faits sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° en matière de déséquilibre significatif.

Nous retiendrons par exemple celui de l’applicabilité de l’article L. 442-6 I 2° y compris en cas d’intervention d’un établissement financier tiers pour mettre en œuvre la pratique litigieuse, « aucune distinction n’étant faite par le texte du code de commerce », « l’équilibre des droits et obligations des parties pouvant être modifié par des pratiques non prévues dans la convention écrite ».

Pointons aussi celui de la caractérisation de la soumission tirée de l’absence de négociation effective, moyennant une analyse par indices :

– indice structurel d’abord, au regard de la position du distributeur sur son marché (10%) et dont « la force commerciale est de toute évidence supérieure à celle d’un nombre important de fournisseurs » ;

– indice comportemental ensuite, au vu des circonstances de l’adhésion – bien que non obligatoire en soi – au mécanisme de paiement proposé, « au moment des négociations annuelles de référencement (…) c’est-à-dire à un moment où le fournisseur est vulnérable », sur la base d’auditions menées auprès d’un échantillon de fournisseurs entendus lors de l’enquête.

Au plan indiciaire, nous relevons que si le Tribunal ne manque pas de rappeler que les intentions du législateur ont été de sanctionner « non pas tant un résultat, à savoir le déséquilibre en tant que tel, qu’un comportement, c’est-à-dire la soumission ou la tentative de soumission à ce déséquilibre et qu’il en résulte qu’il ne peut s’inférer du seul contenu de clauses dont l’analyse conduirait à conclure à un déséquilibre, la caractérisation de la soumission », la charge financière constatée pour le fournisseur, facteur d’un déséquilibre supporté par ce dernier du fait des obligations proposées, permet de conclure qu’il ne pouvait y souscrire que s’il y était contraint.

La soumission se déduit alors en partie du déséquilibre du montage («  Attendu que la plupart des fournisseurs ont expliqué au cours des entretiens réalisés par le Ministre que le dispositif DZB était inutilement coûteux et donc financièrement pénalisant, le coût du dispositif étant sans commune mesure avec l’avantage procuré par le raccourcissement du délai de paiement de 45 jours fin de mois à 10-20 jours ; qu’il en résulte qu’un fournisseur ne souscrirait à un tel montage s’il ne subissait pas de fortes pressions le conduisant à se sentir obligé d’adhérer »). En pareilles circonstances, le résultat de la soumission a pu alors aussi compter au nombre des éléments de sa caractérisation.

Enfin et lorsqu’il est question de s’intéresser à l’éventuel rééquilibrage du déséquilibre une fois ce dernier identifié, l’avantage concurrentiel qui, selon le distributeur, peut permettre au fournisseur qui adhère au dispositif d’augmenter son chiffre d’affaires, ne constitue pas un facteur d’un tel rééquilibrage. Cet éventuel avantage, qui ne se traduit pas par une obligation contractuelle du distributeur, n’est pas une contrepartie contractuelle.

Un avantage de fait et incident, même réel, n’est donc pas un facteur de rééquilibrage. Le Tribunal indique notamment qu’« à s’interroger sur la valeur d’une contrepartie non contractuelle, hypothétique et vraisemblablement non durable, le tribunal ne peut que répondre que cette valeur est indéfinissable et ne peut donc pas être prise en considération pour examiner si le déséquilibre créé par le dispositif DZB est rééquilibré ; », et d’en conclure que « Attendu que MR BRICOLAGE ne fait valoir aucune clause du contrat de référencement qui aurait été négociée avec les fournisseurs en contrepartie du dispositif DZB ».

Mais outre les sujets précités à l’aune de l’article L. 442-6 I 2°, le jugement invite selon nous à y voir une convergence dans l’examen de ces déséquilibres issus de la négociation commerciale, qu’il soit conduit sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2°, à ce jour L. 442-1 2° (déséquilibre significatif) ou L. 442-6 I 1°, à ce jour L. 442-1 1° (avantage sans contrepartie ou disproportionné).

 

3. Observations.

Une telle convergence n’a de notre point de vue rien de véritablement étonnant lorsqu’il est question de s’intéresser aux contreparties.

Si chacune des pratiques précitées répond à une définition qui lui est spécifique – et l’on pense notamment à la soumission ou la tentative de soumission propre au délit civil de déséquilibre significatif − les deux dispositifs ont une communauté d’objectif à savoir lutter contre les avantages abusifs lors des négociations commerciales, soit en tant que tels (art. L. 442-6 I 1°), soit en tant que résultats de droits et obligations soustrait à une réelle négociation du fait de l’existence d’une soumission ou d’une tentative de soumission.

Les mêmes faits peuvent d’ailleurs être poursuivis, cumulativement, sur divers fondements de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce (Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, Lettre distrib. 06/2018 ou RLC n° 74, juillet-août 2018, nos obs).

Comme déjà relevé, le Ministre fonde d’ailleurs entre autres ses demandes sur les deux dispositifs, au principal pour l’un et au subsidiaire pour l’autre.

Tout en respectant la lettre de l’article L. 442-6 I 2°, cette convergence s’illustre dans les passages du jugement consacrés à l’analyse du déséquilibre en lui-même et à son éventuel rééquilibrage par des contreparties (« Attendu que le tribunal examinera si les droits et obligations des fournisseurs et de MR BRICOLAGE relatifs au paiement dans le cadre du système centralisé DZB Bank créent un déséquilibre significatif entre les parties, et si le déséquilibre éventuel est rééquilibré par des contreparties ; ». Rappr. Com., 25 janv. 2017, n°15-23547 : Lettre distrib. 02/2017, N.E ; Paris, 1er juillet 2015, n° 13/19251 : Lettre distrib. 07-08/2015, nos obs. ; T. Com. Paris, 24 sept. 2013 : Lettre distrib. 11/2013 ; Paris, 12 juin 2019, n°18/20323, Lettre distrib. 07-08/2019, S.C. ; Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, préc.).

Pour rappel, le sujet de l’existence de la contrepartie est de longue date au cœur du dispositif de l’article L. 442-6 I 1° et se retrouve de plus fort dans l’article L. 442-1 I 1° issu de l’ordonnance du 24 avril 2019.

La convergence se loge aussi dans l’examen de la valeur de la contrepartie et de son coût, tout comme dans celui de l’utilité du service examiné.

A titre d’exemple sur la valeur, le Tribunal se livre à une approche comparative de cette valeur à propos du taux d’escompte litigieux (« le taux d’escompte prévu dans les contrats de référencement conclus entre le fournisseur et MR BRICOLAGE est donc beaucoup plus coûteux que le recours à l’escompte bancaire, beaucoup plus coûteux que les découverts bancaires, et souvent plus coûteux que les taux d’escompte proposés par les fournisseurs proposant l’escompte dans leurs propres conditions »).

De même et s’agissant du coût de la commission de paiement centralisé, le Tribunal estime que « payer de l’ordre de 0,7% du montant des factures pour avoir un interlocuteur unique pour tout avantage est à l’évidence bien coûteux ; ».

De même et sous le prisme de l’utilité du service, que l’on rencontre dans certaines affaires jugées sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° ancien (rappr. Paris, 2 févr. 2012, et Com., 10 sept. 2013, n° 12-21804, qui relève « Le décalage entre les données fournies et ce dont auraient besoin les fournisseurs pour que le service soit véritablement utile ».), le Tribunal considère que la garantie apportée au fournisseur en contrepartie de la commission de ducroire est en l’espèce « d’une utilité discutable ».

De cette critique peut être rapprochée celle tenant, en l’espèce, à l’intérêt contestable pour certains fournisseurs du service de paiement centralisé au regard du caractère « particulièrement lourd du fait de procédures administratives et comptables spécifiques à respecter ».

Cette affaire récente, comme d’autres qui l’ont précédé, fait donc ressortir un grand nombre de points communs au niveau de l’analyse par les juges des déséquilibres issus de la négociation commerciale, en sorte que les solutions issues de contentieux menés sur le fondement de l’un ou l’autre des textes précités peuvent effectivement documenter les débats dans le cadre de contentieux menés sur le fondement alternatif ou cumulatif de ces textes.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cette décision est intégré à la Lettre de la distribution du mois de septembre 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

 

Evénement : les usages de l’agroalimentaire.

L’Institut des Usages de la Faculté de Droit de Montpellier organise un colloque le 30 septembre 2021 sur le thème des Usages de l’Agroalimentaire.

Aux côtés d’Universitaires, de praticiens de divers univers ainsi que de Confrères, j’aurai le plaisir d’intervenir sur le thème des « Codes d’usages et Droit de la Concurrence ».

L’actualité législative nationale (Proposition de loi sur les créations culinaires, Loi EGALIM,…) ou encore celle liée à politique internationale (Pacte de politique alimentaire urbaine de Milan), régionale (Pacte régional pour une alimentation durable en Occitanie) de même que professionnelle (candidature de l’Association des bistrots et terrasses de Paris, de la baguette, pour le classement au patrimoine immatériel de l’UNESCO) confirment l’intérêt d’étudier le rôle des usages dans le domaine agroalimentaire.

Plus généralement, la filière agroalimentaire, définie traditionnellement comme englobant les industries de transformation des denrées agricoles végétales ou animales, présuppose une production desdites denrées et entraîne leur consommation subséquente.

Partant, l’étude des usages de l’agroalimentaire, permet d’ouvrir des débats coutumiers dans une acception large.

Afin d’en cerner tous les contours ou à tout le moins de s’y risquer, une approche par phase a été retenue en conviant autour de la « table » universitaires, avocats, professionnels de l’agroalimentaire, détenteurs et promoteurs des savoir-faire gastronomiques.

Les usages dans la phase de production (I), distribution (II) et enfin consommation (III) seront ainsi les piliers de cette journée dédiée à la place des usages dans le cycle de l’agroalimentaire.

Programme du colloque : les usages de l’agroalimentaire

 

 

 

Rupture brutale d’une relation commerciale internationale établie : le droit français écarté.

1. Faits.

Deux sociétés françaises du secteur de l’organisation de voyages touristiques et implantées en France sont liées par un contrat de représentation et de services à une société grecque, implantée en Grèce, et assurant à la demande des premières la réception sur place des touristes en visite au pays d’Appolon.

Les sociétés françaises sont placées en redressement judiciaire et une partie de leurs actifs est repris par deux autres sociétés ainsi que les contrats avec la société grecque.

Quelques temps plus tard, la société grecque assigne les deux sociétés françaises aux fins de condamnation à dommages et intérêts pour inexécution contractuelle sur le fondement de l’article 1147 ancien du Code civil et rupture brutale de relation commerciale établie sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Les contrats, ne contenant aucune clause de droit applicable, ouvraient au grec la faculté de revendiquer l’application du droit français et aux français d’en contester l’application.

En première instance, les sociétés françaises sont solidairement condamnées à payer plusieurs centaines de milliers d’euros sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5°, les premiers juges ayant fait application de cette disposition.

Dans un arrêt du 2 juin dernier (CA Paris, 2 juin 2021, n° 17/16997), la Cour d’appel réforme le premier jugement et considère qu’est applicable la loi grecque, qu’il s’agisse des demandes sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° que celles sur fondées sur l’article 1147 du Code civil.

Sur ce dernier fondement, la Cour décide de la réouverture des débats en invitant les parties à leur communiquer la loi grecque et à conclure regard de cette loi.

 

2. Problèmes.

Sur la responsabilité pour rupture brutale  d’une relation commerciale établie :

En l’absence de désignation par les parties, françaises d’une part, grecque d’autre part, du droit français comme droit régissant leur relation contractuelle pour la réalisation de prestations de services exécutées en Grèce par la partie grecque, établie en Grèce et qui revendique la réparation d’un dommage subi en Grèce du fait de la rupture brutale de la relation commerciale, l’article L. 442-6 I° 5, est-il une loi de police, pouvant servir de fondement à une action en justice engagée en France à l’encontre des parties françaises ?

Sur la responsabilité contractuelle :

Dans les mêmes circonstances de fait et de droit que ci-dessus, hormis la problématique de loi de police qui ne semble pas être ici pertinente s’agissant de l’article 1147 du Code civil, cette dernière disposition peut-elle servir de fondement à une action en justice engagée en France à l’encontre de ces mêmes parties françaises ?

 

3. Solutions.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

« A supposer même l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce comme étant une loi de police, la Cour doit déterminer en tout état de cause, s’il existe un lien de rattachement de l’opération avec la France au regard de l’objectif de protection poursuivi par le texte précité qui garantit à toute entreprise française établie en France un préavis suffisant lorsque son partenaire, qu’il soit français ou étranger, décide de rompre les relations établies.

Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que les contrats signés entre les parties sur lesquels la société [grecque] fonde ses demandes ne comportaient aucune clause sur la loi applicable entre les parties, ces contrats portaient sur des prestations de services exécutées en Grèce par la société [grecque] établie en Grèce et qui revendique la réparation d’un dommage subi en Grèce du fait de la rupture brutale de la relation commerciale.

Les dispositions de l’article L 442-6, I, 5° du code de commerce n’ont dès lors pas, en l’espèce, vocation à s’appliquer dans les relations entre les parties en tant que loi de police. ».

L’application du droit français ne s’imposant pas faute de « rattachement » suffisant, la Cour dit alors le droit grec applicable aux termes de la méthode conflictuelle, telle qu’elle résulte du règlement « Rome I » ou « Rome II ».

Sur la responsabilité contractuelle au titre du manquement contractuel

Au regard du seul règlement « Rome I » cette fois-ci, la Cour juge qu’« il n’est pas contesté que les contrats signés entre les parties ne comportaient aucune clause sur la loi applicable entre les parties, en sorte que la société [grecque] étant établie en Grèce, la loi grecque est applicable ».

 

4. Observations.

L’intérêt premier de l’affaire tient à l’applicabilité ou non de l’article L. 442-6 I 5°, en tant que loi police, à raison notamment de la nationalité française de l’une des parties au litige, soit ici les auteurs de l’éventuelle rupture, alors que nulle clause ne désigne ce droit.

En pareille hypothèse, cet arrêt invite à se détacher de l’idée, assez communément répandue, selon laquelle l’article précité serait ipso facto applicable.

Paraphrasant l’arrêt, retenons qu’il convient de rechercher si l’article L.442-6, I, 5° est applicable à titre de la loi de police et, à défaut, de mettre en œuvre la méthode conflictuelle prévue par le règlement « Rome I » ou le règlement « Rome II ».

D’où, après un rappel sommaire mais bien venu par la Cour, de ce que sont les lois qui répondent à la qualification de loi de police la solution est que, faute de lien de rattachement de l’opération avec la France, l’article L. 442-6 I 5° si âprement revendiqué par les victimes de rupture, ne doit pas s’appliquer (rappr. Paris, 3 mars 2021, n° 19/09361, Lettre distrib., 05/2021, obs. C. Mouly-Guillemaud).

Le reste n’est que l’application au cas d’espèce, pour la détermination du droit applicable aux litiges rencontrés, de la méthode conflictuelle des règlements « Rome I » et/ou « Rome II ».

La Cour évoque brièvement l’arrêt « Granarolo », à propos d’un litige à caractère international relatif à une rupture brutale des relations commerciales de longue date au regard du règlement (CE) 44/2001 dit « règlement Bruxelles I » sur la compétence judiciaire et dont il ressort le caractère autonome, au plan du régime procédural de l’action en indemnisation, de l’interprétation des notions de « matière contractuelle » et de « matière délictuelle », sans égard aux qualifications dans l’ordre interne (CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-196-15, Lettre distrib. 09/2016, obs. F-L) et la reprise de sa solution un an plus tard par la Cour de cassation (Com. 20 sept. 2017, n° 16-14.812, Lettre distrib. 10/2017, obs. F-L).

La Cour rappelle que « cependant, la CJUE ne s’est pas prononcée sur la nature contractuelle ou délictuelle de l’action précitée en matière de conflit de loi ».

Mais, en l’espèce, elle laisse la question ouverte en ne s’appesantissant pas sur la nature juridique de l’action en responsabilité de l’auteur de la rupture, à raison de la communauté de solutions auquel conduit l’application de la méthode conflictuelle pour la détermination du droit applicable.

Car pour la Cour « (…) quelque soit le fondement, contractuel ou délictuel, de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie exercée par la société [grecque], la loi grecque est applicable, soit en tant que lieu de résidence du prestataire de service [grec] à défaut de loi choisie par les parties au sens de l’article 4 §1 b) du règlement Rome I, soit en tant que loi du pays où le dommage est survenu, au sens de l’article 4 §1 du règlement Rome II. ».

La loi grecque s’impose aussi pour le traitement de la demande en réparation du manquement contractuel, cette fois-ci au regard des dispositions du seul règlement « Rome I ».

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juillet 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Avantage sans contrepartie et frais de participation à un appel d’offres.

Le sujet de la contribution financière demandée à un candidat pour sa participation à un appel d’offres a été abordé par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 mai 2021 (RG n° 19/06400) sous l’angle de sous l’angle de l’ex article L. 442-6 I 1° du Code de commerce qui prohibe l’obtention d’un avantage injustifié ou manifestement disproportionné.

 

1. Faits et procédure.

Une société assurait une prestation de surveillance et gardiennage de dix neufs magasins de la société Monoprix depuis 2002.

En 2013, un contrat-cadre à durée indéterminée vient formaliser cet état de fait.

En 2015, Monoprix lance un appel d’offres pour la prestation. Un préavis de rupture de deux dans est donné à la société de gardiennage dans l’hypothèse où sa candidature ne serait pas retenue à l’issue de l’appel d’offres.

Elle l’est pour 11 points de vente et une nouvelle grille tarifaire, de niveau moindre, est appliquée pour le futur de la relation pour l’ensemble du « marché Monoprix », c’est-à-dire aux prestations tant au titre de points de vente retenus qu’à celles des 8 qui ne le sont pas.

Un nouveau contrat-cadre à durée indéterminée est établi pour la prestation sur les 11 points de vente, résiliable avec un préavis de trois mois.

L’arrêt indique que le prestataire doit s’acquitter d’une « rétro-commission » de 1,5% du chiffre d’affaires de la première année auprès de la société du Groupe Casino organisant l’appel d’offres, ce que fait le prestataire.

Deux ans plus tard, ce prestataire se voit notifié un préavis de résiliation de près de cinq mois, donc dans le respect des termes contractuels, alors qu’un deuxième appel d’offres est lancé.

Le prestataire n’est pas retenu et le contrat est résilié au terme du préavis. La relation commerciale cesse.

Le prestataire assigne alors Monoprix et formule plusieurs demandes dont celle au titre de la rupture brutale de relation commerciale établie moyennant un préavis qu’il estime trop court.

Il en est débouté dans la mesure où l’article L. 442-6 I 5° n’était pas applicable, la relation commerciale étant devenue précaire en 2015, du fait de la mise en concurrence régulière depuis la mise en place de la sélection des partenaires sur appel d’offres.

Le partenaire est aussi débouté de sa demande sur le fondement du déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2°, faute pour lui d’établir la soumission à l’obligation d’appliquer des prix plus bas, tant pour les prestations au titre des points de vente retenus que pour ceux qui ne l’ont pas été, donc pendant le préavis de rupture pour ces derniers.

Les juges ajoutent que l’obligation de pratiquer une baisse de tarif sur l’ensemble du marché Monoprix a été compensée par une durée de préavis « particulièrement longue » par rapport à l’ancienneté de la relation, alors que n’était pas constaté un état de dépendance économique du prestataire, qui réalisait 11% de son chiffre d’affaires avec Monoprix.

Nous ne reviendrons pas sur ces deux sujets, qui mériteraient probablement quelques observations, et nous concentrerons sur celui du versement de la rétro-commission de 1,5% sur le chiffre d’affaires de la première année suite à l’appel d’offres de 2015 et pour lequel le prestataire tentait de faire valoir qu’il s’agissait d’un accaparement par le Groupe Casino d’une somme correspondant au CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi) qu’il avait obtenu. Il en est débouté.

 

2. Problème.

Le paiement par un prestataire de service d’une somme intitulée « rétro commission » à hauteur d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé sur la première année d’activité avec son client, auprès d’une société du Groupe de ce dernier ayant organisé l’appel d’offres à l’issue duquel le prestataire a été sélectionné, est-il constitutif de l’obtention d’un avantage injustifié au sens de l’article L. 442-6 I 1° ?

 

3. Solution.

Visant l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce dans sa version alors applicable (« Sur l’obtention d’un avantage injustifié : la rétro-commission perçue le 15 septembre 2015. Aux termes de l’article L. 442-6 1° du code de commerce dans sa version applicable aux faits de l’espèce, il est sanctionné le fait d’obtenir… (…) »), la Cour juge qu’« Il ressort du courriel adressé par la société PSI à la société Monoprix en date du 25 juin 2015 (…) que la société PSI avait connaissance du fait qu’elle devrait des frais administratifs au titre de la participation à l’appel d’offres à hauteur de 1,5 % de son chiffre d’affaires sur la 1ere année. La somme versée au groupe Casino, dont il n’est pas contesté et que c’est ce dernier qui a organisé l’appel d’offres de 2015 sur le gardiennage des magasins Monoprix, correspond bien aux frais administratifs prévus et non à une rétrocession déguisée du CICE comme le prétend la société PSI. (…) ».

 

4. Observations.

Probablement à raison du montant de la somme payée au titre de cette « rétro commission » (13.735,98 euros) sans commune mesure avec les autres montants sollicités dans le cadre de la procédure, dont 1.720.000 euros du chef de la rupture brutale, soulignons qu’aucune demande subsidiaire ne semble avoir été formulée au titre du caractère disproportionné de cette rémunération, ce qui aurait pu être envisageable, pour qui aurait voulu discuter du montant de ces « frais administratifs » sous l’angle de la disproportion manifeste.

Mais le jeu n’en valait peut-être pas ici la chandelle.

Dans l’absolu toutefois, leur détermination par rattachement au chiffre d’affaires réalisé avec le prestataire ne va pas de soi, alors selon nous qu’il s’agit de frais d’organisation d’une procédure d’appel d’offres, dont on ne perçoit pas en l’état le caractère nécessairement variable (rappr. sur l’approche de la valeur de l’avantage en fonction des coûts, Paris, 30 mars 2021, n° 19/15655, nos obs. Lettre de la Distribution, Mai 2021).

Au-delà de cette affaire et du montant en cause, assez limité, il ne peut être exclu qu’une rémunération proportionnelle dépasse largement les coûts réellement engagés pour organiser un appel d’offres (rappr. en matière de déséquilibre significatif, Trib. com. Paris, 22 fév. 2021, Lettre distrib. 04/2021, S. Chaudouet).

Il est vrai qu’en l’espèce et alors qu’était avancé un grief de récupération par le Groupe Casino du montant du CICE obtenu par le prestataire, une commission fixe pour des frais administratifs d’un montant correspondant à celui du CICE n’aurait pas été du meilleur effet pour Monoprix, si tant est que la commission ainsi perçue ait correspondu à une telle pratique, ce qui a été avancé à tort aux termes de l’arrêt.

En outre, l’arrêt ne nous éclaire pas sur ce qu’il y a lieu d’entendre par chiffre d’affaires réalisé « sur la 1ère année » et dont on peut supposer qu’il ne s’agit que du chiffre d’affaires des magasins retenus au titre de la prestation, car il pourrait être singulier d’assoir aussi cette commission sur la quote-part du chiffre d’affaires réalisé en cours du préavis au titre de la prestation de gardiennage pour les magasins non retenus.

La Cour mène donc son analyse sous le visa de l’article L. 442-6 I 1°, sur le seul plan du caractère justifié de l’avantage « quelconque » comme visé dans l’article précité, pour décider qu’il l’est et qu’il a donc une contrepartie, la rétro-commission « ouvrant droit à la participation à la procédure d’appel d’offres ».

Ces considérations mises à part, la solution appelle aussi quelques remarques au plan de la contrepartie en elle-même.

Dans le contexte de l’affaire, il apparait que les échanges à l’occasion de l’appel d’offres ont eu lieu avec le directeur des achats et frais généraux du groupe Casino auquel appartient Monoprix.

L’avantage consenti pour l’organisation d’un appel d’offres confié par un acheteur dans le cadre de sa propre procédure d’achat, à une entité de son groupe d’appartenance, lui permet de sélectionner le fournisseur le mieux disant et d’écarter les autres.

On est ici au cœur du processus fonctionnel interne de l’acheteur mis en place pour lui et avant tout pour lui. En cette occasion, le fournisseur sélectionné vient ainsi financer une organisation aux termes de laquelle ce même fournisseur aura été choisi.

The « winner takes all » – le gagnant rafle tout et paie aussi pour ceux qui n’auront pas été pas sélectionnés, tout comme ceux qui ne le sont pas aujourd’hui et qui le seront demain paieront pour ceux qui seront alors écartés.

La charge financière d’une composante de la fonction achat se trouve ainsi, en tout ou partie, transférée par l’acheteur sur les vendeurs ou les prestataires de services pour une tâche qui relève de l’organisation qu’il a décidé de mettre en place.

D’un point de vue rationnel, l’on peut d’ailleurs se questionner sur l’intérêt d’un soumissionnaire à payer pour être mis en compétition et à devoir baisser ses prix s’il veut être choisi, quand bien même remporterait-il in fine l’appel d’offres.

La voie conduisant un partenaire économique à rémunérer l’autre du seul fait d’avoir été choisi, ou celle consistant à devoir rétribuer un partenaire en contrepartie de l’accomplissement de toute fonction inhérente à sa propre activité ou ne traduisant que le respect de ses obligations légales (rappr. Com. 18 oct. 2001, n° 10-15.296, à propos d’avantages en nature par mise à disposition de personnels intérimaires pour la réalisation de l’inventaire physique) ou contractuelles, appelle à la vigilance.

La regrettable banalité de certaines pratiques ne leur confère pas pour autant un caractère licite.

L’utilité du versement d’un avantage ne peut ipso facto découler de toute décision ou tâche accomplie dans le cadre d’une relation.

C’est ainsi que dans des relations d’achat-revente entre fournisseur-distributeur, ont été depuis longtemps stigmatisés au plan de leur utilité les avantages au titre d’actions accomplies dans l’intérêt exclusif ou quasi exclusif de celui qui reçoit l’avantage correspondant ou des personnes pour lesquelles il agit (rappr. Paris, 2 févr. 2012, Lettre distrib. 03/2012, nos obs. ; Caen. 18 mars 2008, n° 06/03554).

En règle générale et au-delà de cette affaire, attention à ne pas considérer que tout avantage supporté par un partenaire est pour ce dernier une charge profitable du fait même de l’existence de la relation.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Avantages sans contrepartie dans un contexte international : solutions (assez) classiques.

Au plan des pratiques restrictives de concurrence, les avantages sans contrepartie ou dont le montant est exagéré eu égard à la contrepartie fournie, de même que les avantages à caractère rétroactifs, peuvent être illicites entre opérateurs dont l’un n’est pas présent sur le territoire national.

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 mars 2021 nous en procure une illustration.

A noter dans cette affaire, l’intéressante confrontation de règles contractuellement arrêtées pour la contestation des factures sous 15 jours à compter de leur réception avec celles de la prescription quinquennale en matière commerciale.

Signalons aussi au passage la singularité du litige mixant droit des pratiques restrictives de concurrence et problématiques de droit civil dans le cadre d’une action oblique : les créanciers (étrangers) d’un fournisseur (étranger) d’un distributeur (français), faisaient valoir la créance de leur propre débiteur en liquidation judiciaire aux Etats-Unis, à raison de prestations de services contestables du distributeur au plan de la règlementation française.

 

Faits et procédure :

Une société américaine était fournisseur du distributeur français Conforama et ce faisant son créancier.

Ce fournisseur était par ailleurs débiteur d’une autre société américaine ainsi que d’une société italienne.

Dans le cadre d’une action oblique, ces deux derniers créanciers ont fait valoir à l’encontre de Conforama la créance de leur débiteur, en liquidation judiciaire aux Etats-Unis.

Conforama a alors opposé à ses deux poursuivants une compensation au titre de la créance qu’elle disait détenir à l’encontre de son ancien fournisseur.

Cette créance avait donné lieu à l’émission de trois factures dont deux en 2005 et une en 2006, au titre de la réalisation de services de coopérations commerciales par Conforama (notamment des services de « présence des produits en magasins » dans 90% des points de vente ou des services de « réalisation d’études et d’analyse de marché ») au bénéfice de son ancien fournisseur.

L’arrêt commenté ne le précise pas expressément, mais on devine de certains passages de l’exposé des faits, un débat devant les premiers juges sur le caractère fondé ou non des facturations de Conforama relatives à sa coopération commerciale.

Le Tribunal de commerce de Paris avait en effet jugé que les créances de Conforama au titre de la coopération commerciale étaient en partie fondées, tout en considérant que certaines facturations ne l’étaient pas.

En appel, il était soutenu que les contrats de coopérations commerciales de 2005 et 2006 et les factures subséquentes, n’étaient pas conformes aux dispositions des articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 du Code de commerce, que Conforama n’apportait aucune justification permettant de vérifier la réalité, la nature et la valeur des prestations mentionnées sur les trois factures précitées et que ces dernières, dépourvues de contrepartie, ne pouvaient être opposées au fournisseur ou aux poursuivants afin de compensation entre créances et dettes réciproques.

La Cour d’appel déboute Conforma de ses demandes de compensation.

Nous nous arrêtons sur quelques points de droits qui ont donné lieu à débat devant les juges d’appel.

 

Problèmes :

C’était en premier celui droit applicable à la relation entre Conforama et son fournisseur américain (1).

Ensuite et dans le cas d’une application de notre droit, se posait la question de la charge de la preuve de la réalisation des obligations spécifiques et de la réalité des services fournis (2).

Outre la question de la portée de l’absence de contestation des factures par le fournisseur et donc de la réalité des prestations facturées (3), signalons l’intéressante problématique de la combinaison de règles contractuellement arrêtées pour la contestation des factures sous 15 jours à compter de leur réception avec celles de la prescription quinquennale en matière commerciale (4).

Nous en terminerons sur quelques remarques tenant au formalisme défaillant de Conforama au plan de la transparence, ou relatives à l’appréciation du prix payé par le fournisseur pour les prestations litigieuses, à l’aune de leur coût pour le distributeur qui les rend (5).

Signalons que les solutions sont données sur le fondement des dispositions légales antérieures aux modifications opérées par l’Ordonnance du 24 avril 2019.

 

Solutions :

 

1. Sur l’application du droit français.

« La juridiction française étant saisie d’une contestation portant sur des factures relatives à des contrats signés entre une société française et une société américaine, il appartient au juge français de rechercher la loi applicable au litige en se fondant sur ses propres règles de conflit régissant les obligations contractuelles, en l’espèce la convention de Rome du 19 juin 1980, compte tenu des dates auxquelles les contrats litigieux ont été signés, nonobstant la nationalité américaine de son co-contractant, ladite convention ayant un caractère universel

(…) C’est sur la base de cette règle de conflit et sans faire référence à leur caractère de loi de police, que les premiers juges ont retenu l’application de l’article L.441-3 du code de commerce, en vigueur à l’époque des faits (…) et ont fait application de l’article L. 441-7 du même code régissant le contrat coopération commerciale. ». (points 146 et 152).

 

2. Sur la charge de la preuve de la réalisation des obligations spécifiques et de la réalité des services fournis.

« Il résulte de ces dispositions impératives qu’en matière de contrats de coopération commerciale la charge de la preuve de la réalisation des obligations spécifiques et de la réalité des services fournis pèse sur le distributeur et que la seule production de factures ne suffit pas pour justifier de leur réalisation (…)

C’est dès lors à juste titre et à la lumière des dispositions légales applicables à l’époque des faits que les premiers juges ont, par des motifs précis et pertinents que la cour adopte, analysé les contrats de coopération commerciale signés entre la société Conforama France et la société Mab Ltd, comme des conventions soumises à ces dispositions impératives et considéré que les factures produites, ainsi que les justificatifs fournis ne respectaient pas lesdites dispositions et que la société Conforama ne rapportait pas la preuve des prestations concernées (…)

et que Conforama n’a pas fourni les éléments justifiant la réalisation des services qu’elle a facturés à Mab Ltd, alors qu’elle y est obligée par les articles 1315 du code civil et L.442-6, III du code de commerce.». (points 155, 156 et 157)

 

3. Sur l’absence de contestation des factures par le fournisseur et donc de la réalité des prestations facturées.

« L’absence de contestation des factures relève, tout comme la forclusion invoquée pour former une contestation, de la discussion au fond sur l’action oblique engagée par la société ICV, et n’est pas une condition de recevabilité de ladite action. » (point 133)

et « (…) C’est en vain que la société Conforama soutient que la société Mab Ltd aurait accepté lesdites factures, notamment en validant deux avoirs sur la facture n°73943 du 24 mars 2006 relative à la coopération commerciale des 3ème et 4ème trimestre 2005, et en validant un paiement de 300.000 € le 30 juin 2006, ou serait forclose à les contester pour n’avoir pas respecté le délai de 15 jours fixé contractuellement, alors que les dispositions applicables relèvent d’une réglementation impérative qui ne peuvent être écartées, même d’un commun accord.» (point 157)

 

4. Sur la combinaison d’un délai de forclusion pour la contestation des factures sous 15 jours à compter de leur réception avec les règles de la prescription quinquennale en matière commerciale.

« La forclusion de quinze jours résultant de l’article 4.2 sus rappelé, ne constitue pas un délai de prescription. Elle concerne le délai pour contester chacune des factures à compter de leur réception. Elle est distincte de la prescription des obligations en matière commerciale, prévue à l’article L.110-4 du code de commerce, ou de celle prévue à l’article 2254 du code civil, dont le délai est de cinq ans depuis la loi du 17 juin 2008, retenue ci-dessus à l’encontre de la société HPRE pour déclarer son action oblique prescrite » (point 119)

et « Dès lors, la discussion sur l’aménagement conventionnel de la prescription, qu’il soit ou non admis compte tenu de la date des faits, est sans intérêt pour le présent litige, et inopérant » (point 121).

En outre « L’absence de contestation des factures relève, tout comme la forclusion invoquée pour former une contestation, de la discussion au fond sur l’action oblique engagée par la société ICV, et n’est pas une condition de recevabilité de ladite action. » (point 133)

 

5. Sur le formalisme défaillant au plan de la transparence et l’appréciation de la disproportion manifeste de l’avantage obtenu au titre de prestations.

Sur le formalisme non transparent :

« Pour retenir l’inopposabilité des factures litigieuses, les premiers juges ont fait application de l’article L.442-6, II du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, qui dispose que ʺ sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité : a) De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale ʺ ; (…)

et qu’en outre, en l’espèce, compte tenu de la date très tardive de l’émission desdites factures, clairement rétroactives, et de leur imprécision sur les prestations concernées, ces factures ne pouvaient ni avoir date certaine, ni être régularisées a posteriori, ces irrégularités ayant été en outre confirmées par la lettre de la DRCCRF du 14 mars 2008 qui a retenu que ʺ  les factures de coopération commerciale des années 2005 et 2006 ne respectent pas les règles de transparence imposées par l’article L.441-3 du code de commerce et que les contrats de coopération commerciale 2006 ne sont pas conformes aux dispositions de l’article L.441-7 du code de commerce (absence de précision du contenu des services proposés dans le contrat cadre avant le 15 février, contrat d’application rédigé a posteriori pour le service de présence sur internet) ʺ, (…) ». (point 157)

– Sur le caractère manifestement disproportionné de l’avantage obtenu au titre de prestations :

« Les premiers juges ont également relevé que les prestations facturées faisaient ressortir un taux moyen de coopération commerciale de 14 % dépassant même 20 % pour certains produits, taux particulièrement élevé dont les premiers juges ont retenu à juste titre le caractère manifestement disproportionné, au regard notamment du peu de références considérées et du coût relatif de ces prestations pour Conforama. » (point 158).

 

 

Analyse :

 

 1. Sur le droit applicable.

Aucune loi n’était spécialement désignée dans l’accord entre les parties, au-delà de la référence conventionnelle dans le  « contrat fournisseur » de Conforama aux « principes généraux du droit tels qu’appliqués aux relations commerciales internationales ainsi que par les usages en matière de commerce international » ou dans ses CGA qui contenaient des stipulations similaires, et notamment par les Principes Unidroit.

Cette référence se veut tout de même assez universelle et peut s’avérer aléatoire dans son aboutissement !

La Cour oppose à Conforama, qui ne souhaitait pas voir le droit français appliqué, une autre universalité, celle visée dans l’article 2 au titre évocateur (« Caractère universel ») de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, alors applicable, disposant que « La loi désignée par la présente convention s’applique même si cette loi est celle d’un État non contractant ».

Cette approche universaliste était-elle d’ailleurs utile, alors que les parties n’avaient même pas désigné un droit national donné, à raison notamment de la nature particulière et supérieure des textes à appliquer (rappr.Com., 8 juil. 2020, 17-31.536 : Lettre distrib. 09/2019, obs. F. Leclerc ; Paris, 9 janv. 2019, n° 18/09522 ou T.com. Paris, 2 sept. 2019, n°2017050625 : Lettre distrib. 09/2019, obs. S. Chaudouet ; CEPC Avis n° 19-7), dont la Cour donne ici la mesure lorsqu’elle rappelle que « le non-respect des règles de transparence imposées par les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce dans leur version applicable aux faits du litige constitue non seulement un délit pénal » (point 154) ?

Au vu de cette Convention (art. 3 §1, 4 §1 et 2), la Cour rappelle que « la convention de Rome accorde une importance cruciale à l’autonomie de la volonté, en laissant en vertu de la règle de base énoncée à l’article 3§1, la liberté de choix aux parties ».

Toutefois et comme souligné par la Cour, en l’absence de choix des parties, le droit applicable est déterminé sur le fondement de l’article 4 de ladite convention qui prévoit comme critère fondamental l’application de la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (point 149).

En application de cette règle et selon la Cour, les premiers juges avaient à juste titre retenu l’application du droit français auxdits contrats de coopération commerciale, distinct des contrats « Fournisseurs », en indiquant que «la prestation en cause est rendue sur le territoire français et qu’en l’absence de dispositions contractuelles autres, elle relève en conséquence de la loi française » (point 150).

Pour la Cour, « il résulte en effet des éléments versés au dossier et notamment de l’objet desdits contrats, à savoir la promotion commerciale par le biais de publicité ou de catalogues mis à la disposition des clients ou sur internet, de visibilité des produits en magasin dans toute la France, que les contrats litigieux avaient le plus de liens étroits avec la France » (point 151).

Enfin et même si l’affaire rapportée traite d’une action à l’encontre d’un distributeur français suite à l’obtention par celui-ci d’avantages abusifs de part d’un fournisseur étranger, le sujet renvoie à la problématique, d’actualité, de l’application du droit français à d’éventuelles pratiques restrictives commises par des centrales étrangères vis-à-vis de fournisseurs français (Communiqués du Ministère de l’Economie du 19 février 2021, n° 689 et du 22 juillet 2019, n° 1354), alors que les nouvelles dispositions de l’article L. 441-3 issue de la loi ASAP du 7 décembre 2020, obligent dorénavant à mentionner dans la convention écrite, la rémunération supportée par le fournisseur au titre des accords internationaux, facilitant ainsi la détection des avantages abusifs lors de négociations dans un contexte international (Lettre distrib. 03/2021, nos obs.).

 

2. Sur la charge de la preuve de la réalisation des obligations spécifiques et de la réalité des services fournis.

Elle pèse sur celui qui a perçu l’avantage litigieux.

La solution est classique et s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence précédente. Inutile d’y revenir (Cass. com., 3 mars 2021, n°19-13.533 et 19-16.344 ; Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, 07-08/2020, nos obs et RLC sept. 2020, 3881, nos obs).

 

3. Sur l’absence de contestation des factures par le fournisseur et donc de la réalité des prestations facturées.

La non-contestation des factures au titre des avantages litigieux n’est pas de nature à priver leur auteur de son droit à les contester après coup, à l’inverse de ce que soutenait le bénéficiaire de l’avantage, qui prétendait que son fournisseur avait « renoncé à les contester et s’est ainsi reconnue débitrice des sommes facturées » (point 131).

La solution n’est pas nouvelle (Paris, 8 févr. 2017, n° 15/02170) et n’est, de notre point de vue, qu’une incidence de la solution visée au-dessus au plan de la charge de la preuve, qui ne pourrait se voir neutralisée à raison de la non contestation des factures ou même de leur paiement.

Une solution contraire aurait comme conséquence de priver de toute effectivité les règles d’ordre public en matière de pratiques restrictives et notamment celles relatives aux abus dans la négociation.

 

4. Sur la combinaison d’un délai de forclusion pour la contestation des factures sous 15 jours à compter de leur réception avec les règles de la prescription quinquennale en matière commerciale.

Au regard des autres sujets, assez communs, abordés par l’arrêt, ce point est probablement le plus intéressant.

Les accords examinés prévoyaient une clause aux termes de laquelle le fournisseur disposait « à peine de forclusion », d’un délai de 15 jours ouvrables à compter de la réception de chaque facture pour en contester, si besoin est, tout ou partie des éléments.

À peine d’irrecevabilité, les contestations devaient être formulées par LRAR (…). Passé le délai précité et à défaut de contestation, il était stipulé que la créance au titre de la facture sur le fournisseur serait réputée certaine, liquide et exigible et pourrait donner lieu à paiement par compensation (…) (point 118).

La Cour juge que la prévision d’une telle clause pour enfermer le délai de contestation des factures n’enferme pas l’action en justice dans un tel délai, « ladite forclusion n’étant pas une déchéance du droit d’agir en justice, mais une déchéance du délai pour contester la nature des prestations facturées ou leur quantum, dont la validité est en outre discutée au regard du droit applicable à la contestation des factures » (point 120).

La présence de ce type de clause n’apportera donc pas l’immunité aux auteurs d’abus.

 

5. Sur le formalisme défaillant au plan de la transparence, et l’appréciation de la disproportion manifeste de l’avantage obtenu au titre de prestations.

– Sur le formalisme non transparent :

La Cour sanctionne la pratique sur le fondement de l’article L. 442-6 II, au motif de la rétroactivité des factures émises au titre des prestations et de leur caractère imprécis.

Elle adopte l’analyse faite par la DGCCRF, non partie à la procédure, au vu des articles relatifs au formalisme en matière de facturation (L. 441-3) et sur la convention écrite (L. 441-7).

La condamnation aurait pu aussi, de notre point de vue, se fonder sur le seul article L. 442-6 I, sous-jacent dans le raisonnement de la Cour, notamment lorsqu’elle constate que le distributeur n’a pas fourni les éléments justifiant de la réalisation des services facturés (V. point 157).

La violation du formalisme, tout comme celle des règles de fond, convergent ainsi vers la sanction.

– Sur le caractère manifestement disproportionné de l’avantage obtenu au titre de prestations :

Forte du constat du défaut de justification par Conforama des éléments établissant la réalisation des services facturés, la Cour aurait pu estimer inutile de s’intéresser au prix facturé pour les prestations concernées.

Elle relève toutefois le caractère excessif de leur prix au regard de leur coût relatif pour Conforama (point 158).

Qu’il faille entendre par coût « relatif », un coût en soi modéré, ou un coût inférieur au montant de l’avantage consenti en contrepartie du service, signalons que la référence au coût des services donnant lieu à avantage se rencontre assez fréquemment dans les critères d’appréciation de la disproportion manifeste (sur ce critère, voir Paris, 2 février 2012, n°12-21804 : Lettre distrib. 03/2012, nos obs. voir l’arrêt ; CEPC, Avis n°15-21 ; T. Com. Paris, 22 février 2021, n° 2016071676 : Lettre distrib. 04/2021, obs. S. Chaudouet).

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Signature des accords commerciaux au 1er mars 2021 et fin des négociations annuelles : repos ou répit ?

C’est enfin signé, et souvent dans les derniers jours de février, voire même hier, lundi 1er mars 2021 au soir.

Il est tellement dommage que ce 1er mars 2021 ne soit pas tombé pas un vendredi, comme il y a deux ans, débouchant sur un week-end bien mérité pour les responsables Grands Comptes et les acheteurs.

Car dès ce jour, mardi 2 mars 2021 au matin, sans transition, c’est une autre ère qui s’ouvre : celle de l’exécution proprement dite des accords.

Boucler ses négociations commerciales au 1er mars, avec signature de la convention annuelle pour l’année qui s’annonce, est en effet à la fois une contrainte légale, mais encore une source de soulagement tant pour les responsables commerciaux côté fournisseurs, que pour les acheteurs côté distributeurs. Mais il y a tout de même un après…

Dans un court article publié le 4 mars 2019, au lendemain de la date fatidique du 1er mars, nous nous penchions sur cette question de l’après 1er mars.

Deux ans ont passé et le sujet reste d’actualité. Nous y revenons.

En effet, d’ores et déjà et sans qu’il faille attendre les premières évolutions de la relation commerciale en cours de période, certains comptes clés et leurs acheteurs ont peut-être fait l’expérience de l’impact de la « loi ASAP » du 7 décembre dernier, qui impose depuis peu au sein du nouveau point 4° du I de l’article L. 441-7 du Code de commerce, de faire la lumière dans la convention écrite sur « l’objet, la date, les modalités d’exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d’un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié ». Autrement dit, que la teneur des accords des « accords internationaux » y soit rapportée.

Sans vouloir même effleurer le traitement du sujet de la conciliation du séquençage des négociations commerciales « France » avec les négociations commerciales « Europe », ces accords, qui ne sont pas forcément signés avant le 1er mars doivent – et devront si ce n’est fait – venir abonder le contenu de la convention originelle.

Plus classiquement et passé le 1er mars, comme nous l’évoquions déjà par le passé, le traitement des affaires courantes et le suivi de l’exécution de l’accord initial peut malheureusement conduire à reléguer au second plan les problématiques de révision de l’accord annuel lorsque les parties, au travers de leur pratique quotidienne, procèderont de fait à des modifications ou à des adjonctions à leur convention initiale, sans pour autant formaliser ces évolutions.

On songe par exemple à la prévision en cours d’exercice, de services supplémentaires à rendre par le distributeur, à la révision du contenu des services initiaux ou de leurs prix, au contenu du référentiel, à l’octroi d’une ristourne conditionnelle de fin d’année alors que l’objectif de chiffre d’affaires à réaliser n’a pas été pleinement atteint à raison du défaut de livraison de certains produits commandés, du recul général du marché etc.

L’année 2020, qui restera celle où laquelle le COVID aura fait irruption dans les relations d’affaires, confirme qu’il peut y avoir un réel écart entre les projections initiales avant le 1er mars et les réalisations effectives de l’après.

L’absence de formalisation des évolutions peut être le résultat d’une méconnaissance des règles applicables au-delà de la seule nécessité de « signer » au plus tard au 1er mars, d’une certaine indolence des parties passée la période de crispation des mois de négociation précédents, voire d’une confiance dans l’interlocuteur d’en face sur la mise en œuvre d’engagements pris en cours de relation, par téléphone ou lors d’une réunion de suivi commercial.

Au plan de la forme d’abord et passé le 1er mars, les parties devront donc songer à prévoir des avenants à leur convention en cas de modification de l’accord initial. Ces derniers devront répondre aux exigences du II de l’article L. 441-3 du Code de commerce (à savoir un avenant écrit qui mentionne l’élément nouveau le justifiant), à tout le moins pour les conventions relevant de cet article mais encore de l’article L. 441-4, qui s’y « superpose », en ce qui concerne les produits de grande consommation.

Il ne s’agit finalement que d’une traduction, in concreto, du principe de « transparence dans la relation commerciale » proclamé dans l’intitulé même du chapitre Ier du titre IV du livre IV du Code de commerce, sous lequel se range la section 2 sur « la négociation et la formalisation de la relation commerciale ».

Il existe sur ce sujet un enjeu en droit des pratiques restrictives de concurrence, s’agissant de la régularité formelle de la convention qui doit continuer à retranscrire fidèlement même après le 1er mars et sur toute sa durée, l’accord des parties, sous peine de sanction administrative en cas d’infraction, mais encore en droit des obligations.

Au plan du fond et de l’évolution du contenu de la négociation commerciale ensuite, la renégociation notamment tarifaire, entre fournisseurs et clients de la grande distribution, n’est pas exempte d’un certain cadrage, alors que les réouvertures de négociations, passées la signature des accords commerciaux annuels, sont de plus en plus fréquentes.

Les parties, qui s’estiment à tort et trop souvent libérées des contraintes règlementaires passé le 1er mars, seront donc avisées de ne pas remiser leur accord initial jusqu’à la fin de la période contractuelle, et de songer à le réactualiser en cas d’évolution des conditions initialement convenues.

Alors, plus qu’un au revoir aux prochaines négociations de fin 2021 pour 2022, c’est très probablement un « à bientôt » qu’il faut préférer.

Jean-Michel Vertut – Avocat

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Mars 2021 et à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

 

Pour approfondir :

Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.

Et précédemment sur des points plus ciblés :

Voir sous l’onglet Publication, dans la rubrique Autres publications, mes trois contributions à la Revue Lamy de la Concurrence des mois d’avril 2017, de juillet/août 2017 et de juillet/août 2018.

Sur la forme de l’accord des parties : Le formalisme de l’article L. 441-7 et la preuve de la modification de l’accord des parties.

Sur le fond de l’accord des parties : Réouverture des négociations tarifaires en cours d’exercice : la cour d’appel de Paris balise la pratique des demandes de baisses de prix ou de « budgets » additionnels.

Sur la transparence dans les relations commerciales : Précision et transparence : une relation aux multiples enjeux dans le cadre des pratiques restrictives de concurrence et des relations commerciales en général.

 

Négociations 2021 et produits agricoles et alimentaires : impatience des députés sur la construction du prix en « marche avant ».

Dans une tribune parue le 18 février 2021 et rapportée ce jour sur le site de la France Agricole, une soixante de députés expriment leurs grandes craintes sur les demandes de déflation des enseignes de la grande distribution et s’inquiètent quant à leurs conséquences sur la rémunération des agriculteurs.

Ils rappellent :

« La construction du prix doit se faire en « marche avant » : le prix d’un produit alimentaire doit se construire sur la base de ces coûts de production pour s’imposer à l’industriel, puis à la grande distribution, et non pas l’inverse !« 

Tant aux termes des règles bien ancrées qui encadrent depuis longtemps la négociation commerciale que de celles, plus récentes, notamment issues ou dérivées de la Loi Egalim, le prix d’achat final est un point d’aboutissement de la négociation et non le ou un point de départ de celle-ci.

Cela ne joue d’ailleurs pas que pour les produits agricoles ou alimentaires.

Malgré tout, les mauvaises habitudes de négociation ont la vie dure !

Les auteurs de la tribune indiquent soutenir pleinement les démarches initiées par Julien Denormandie, Ministre de l’agriculture, et Agnès Pannier-Runnacher, Ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie, afin de faire appliquer la Loi Egalim.

Ils rajoutent :

« Nous réfléchissons d’ores et déjà aux propositions législatives qui, de toute évidence, s’avèrent nécessaires. »

Avis : Il ne faudra pas s’étonner si d’une part, les sanctions tombent et, d’autre part, la loi sur durcit encore !

 

Jean-Michel Vertut – Avocat

 

Sur cette tribune : JusteRépartitionValeurNégociationsTribune18février2021

A rapprocher de :

Indicateurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire : premiers éclairages de la DGCCRF.

 

 

 

 

 

Intermarché c./ Coca-Cola : échec des négociations 2020 pour désaccord sur le prix et procédure de référé.

Les demandes de baisse de prix, souvent dogmatiques (à rappr. Des demandes de baisse de prix qui ne passent pas. M. Salset, France Agricole, 01.02.2021), peuvent d’autant plus rester en travers de la gorge des industriels qui les subissent qu’elles sont couplées à une baisse des volumes et qu’elles s’accompagnent, de surcroît, d’un passage en force.

L’affaire ici rapportée (Cour d’appel de Paris, 26 novembre 2020, RG n° 20/02392), qui avait été l’un des temps forts des négociations commerciales pour 2020 (Ord. référé. Trib. Com. Paris, 16 janvier 2020, RG n° 202000169, Lettre distrib Février 2020 ou Revue Concurrences, n° 2 2020, nos obs.), nous en procure une illustration.

Faits et procédure :

Suite à un désaccord lors des négociations de fin d’année quant aux conditions tarifaires et de distribution applicables pour 2020 avec la centrale SAS ITM Alimentaire International (ITM), la SAS Coca Cola European Partner France (Coca) a arrêté de livrer ITM à compter du 2 janvier 2020.

Ce désaccord est intervenu après qu’en août 2019, ITM ait notifié à Coca un déréférencement de 18 produits à compter du 1er octobre 2019, puis ensuite davantage, ce qui allait se traduire en une baisse du chiffre d’affaires prévisionnel de 38% avec ITM selon Coca ou de 20% selon ITM.

Vu l’importance de la valeur des ventes concernées entre les deux opérateurs, soit 165 millions pour 2019, il était question pour Coca, de subir une régression de chiffre d’affaires de l’ordre de 33 millions en base annuelle (si diminution de 20%).

ITM considérait néanmoins que le déréférencement était annoncé de longue date et qu’il n’aboutissait pas nécessairement à une baisse des volumes compte tenu des reports qui pourraient s’opérer sur d’autres produits de la marque.

Les parties ont par la suite, mais sans succès, tenté de trouver un terrain d’entente pour 2020, Coca proposant un accord « transitoire » pour janvier et février 2020 fondé sur une baisse « des volumes » de 6% (donc semble-t-il inférieur à la baisse de chiffre d’affaires prévue, même s’il ne s’agit que d’une supposition de notre part, car il est fait état dans l’ordonnance d’abord de chiffre d’affaires puis de volumes), moyennant une hausse tarifaire de 2,7% sur janvier et février 2020, le temps de trouver un accord pour le nouvel exercice.

ITM lui opposait une demande de « déflation » de 2,4%. L’arrêt d’appel nous en dit davantage en précisant qu’ITM soutenait que l’accord proposé revenait à imposer une hausse du prix triple net de 37% par rapport au tarif de 2019 et une dégradation des conditions de paiements, le délai étant réduit à 30 jours au lieu des 45 jours habituels.

Le bras de fer dans la négociation persistant, Coca notifiait par courriel à ITM le 24 décembre 2019, un arrêt total de ses livraisons au 2 janvier 2020, soit un préavis de 9 jours.

L’arrêt d’appel se veut plus précis que l’ordonnance sur la teneur de la notification : Coca s’étonnant d’avoir reçu des commandes pour des livraisons à compter du 2 janvier 2020, avait rappelé à ITM que compte tenu de l’absence de signature d’un accord, il n’y aurait plus de prix convenu à compter du 1er janvier 2020, et qu’à défaut d’accord, seules ses CGV et tarifs 2020 s’appliqueraient.

Alors et afin de s’assurer qu’il n’y aurait pas de litige lors du paiement des factures correspondantes et procéder aux livraisons, Coca invitait ITM à lui confirmer par retour et par écrit si, dans ce contexte ITM, souhaitait annuler ou maintenir ses commandes.

Dans l’attente d’une confirmation – qui ne viendra pas – Coca décidait de suspendre provisoirement la livraison de ces commandes.

Invoquant une rupture brutale et totale d’une relation commerciale établie, constitutive d’un trouble manifestement illicite et source d’un dommage imminent, ITM assignait aussitôt Coca à titre conservatoire, en référé d’heure à heure pour l’audience du 14 janvier 2020 à se tenir devant le Président du Tribunal de Commerce de Paris, afin qu’il soit enjoint à Coca de reprendre ses livraisons « jusqu’au plus proche des évènements suivants » à savoir, soit « la conclusion d’une convention annuelle entre les parties pour l’année 2020 » (hypothèse d’un accord entre les parties), soit « l’écoulement d’un préavis de 24 mois expirant le 31 décembre 2021 » (en cas de désaccord entre les parties à l’issue de la période des négociations pour 2020). ITM sollicitait aussi une astreinte de 493.000 euros par jour de retard dans les livraisons.

Au vu des circonstances (ancienneté de 30 ans des relations commerciales remontant à 1989, part de marché de Coca sur le marché des colas à hauteur de 75% à 90%, chiffre d’affaires en cause de 165 millions pour 2019 entre Coca et ITM), Coca fut condamnée le 14 janvier 2020 à reprendre ses livraisons sous une astreinte de 460.000 euros par jour de retard suivant la signification de l’ordonnance – soit un quantum correspondant au chiffre d’affaires journalier réalisé ITM avec Coca en 2019.

Pour le Tribunal, « le refus de vente et la livraison à partir de janvier 2020 annoncé avec 9 jours (dont 5 ouvrés) de préavis entraînant une rupture de stock dans le réseau de la SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL et le risque de perte de clientèle relève d’une rupture abusive et d’un abus de position dominante par Coca Cola ».

In fine, les mesures ordonnées par le Tribunal n’ont pas été celles demandées. Le dispositif de l’ordonnance n’indiquait au demeurant pas expressément à quelles conditions devaient s’effectuer les livraisons, même si ses motifs font ressortir qu’il s’agissait des conditions contractuelles de 2019.

Coca en était quitte pour deux mois de livraisons à des conditions qui n’étaient pas celles proposées à titre transitoire à ITM, bien que sur une période assez courte, à savoir celle durant laquelle se déroulent les négociations commerciales annuelles, en principe jusqu’au 1er mars.

Début mars 2020, la presse spécialisée annonçait qu’ITM et Coca étaient parvenues à un accord pour les négociations commerciales 2020 (LSA en ligne, 4 mars 2020, Y. Puget).

Selon l’arrêt commenté, les livraisons ont repris dès le 17 janvier 2020. Tout est finalement allé très vite pour s’entendre.

Toutefois, le 29 janvier 2020, Coca a interjeté appel aux fins de voir infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance intervenue : les parties allaient donc à nouveau s’affronter quant à l’imputabilité de l’arrêt des livraisons et sur l’existence – ou non – d’un trouble manifestement illicite et/ou d’un dommage imminent, causé(s) par cette situation, à laquelle le juge des référés a mis fin à titre provisoire, dans un contexte d’éventuels d’abus de position dominante de Coca et de rupture commerciale de relations commerciales établies.

Problème :

Identifiant le « cœur » de l’affaire à l’absence d’accord pour la période s’écoulant entre la fin de l’année civile et le 1er mars, puisqu’en l’espèce les accords entre les parties régissaient l’année civile et qu’à la fin de chaque année civile, alors que les parties sont en cours de négociation pour l’année suivante, la question se pose « de ce qu’il advient en l’absence d’accord pour la période transitoire de janvier et février ».

Autrement présenté, la question soumise au juge des référés, juge de l’évidence, était celle de savoir si, en raison de l’absence d’accord des parties sur les prix pour la période transitoire de janvier et février 2020, Coca pouvait refuser toute livraison (ou comme elle entendait le faire en l’absence d’accord sur les prix pour la nouvelle année, décider d’appliquer ses seuls tarifs et CGV), aucune vente n’étant possible sans accord sur la chose et le prix, sans contrevenir aux dispositions de l’article L 442-1 du code de commerce (rupture brutale) et sans, ce faisant, abuser de sa position dominante et si ce refus constituait un trouble manifestement illicite ou causait un dommage imminent, seules hypothèses où le juge des référés dispose d’un pouvoir en présence de contestation sérieuse.

Solution :

Pas de trouble manifestement illicite : La Cour juge que « la contrainte dans laquelle se trouvent les parties à la fois de rechercher un accord, de ne pas continuer à vendre si un accord n’a pas été trouvé mais aussi de ne pas rompre unilatéralement et sans préavis leurs relations commerciales, le tout sous peine de sanctions pénales et administratives et de réparation de préjudice, interdisent de considérer, au stade des référés, le refus d’accepter de nouvelles commandes sans que le prix en soit préalablement convenu, comme manifestement illicite au regard de ces injonctions contradictoires. De même l’imputabilité de la non conclusion d’un accord et des moyens de pressions utilisés dans les négociations par l’une ou l’autre des parties, partant, de la rupture des relations commerciales relève des juges du fond. ». Exit donc le pouvoir juridictionnel du juge référés sur cette question.

Mais un dommage imminent : La Cour juge que « En revanche, il est suffisamment établi, comme le démontrent les faits qui se sont produits entre le 2 janvier et le 17 janvier 2020 date à laquelle les livraisons ont repris, que l’arrêt brutal des livraisons de la marque Coca Cola dans les magasins Intermarché constitue un dommage certain au distributeur s’agissant d’un produit qui est peu substituable, comme le démontre (…) et pour lequel les études confirment que la rupture de stocks peut entraîner une part non négligeable des consommateurs à changer d’enseigne pour en trouver (…). Si la loi n’impose pas aux parties de parvenir à un accord, elle sanctionne l’abus dans la relation commerciale. L’arrêt brutal des livraisons, en pleine négociation, à une période que la société Coca Cola sait cruciale pour les distributeurs et sur des produits qu’elle sait non substituables, cause avec l’évidence requise en référé à la société ITM un dommage d’abord imminent puis effectif qui justifie que le juge des référés du tribunal de commerce de Paris ait pris, sur le fondement manifeste de l’article 873 alinéa 1 (…), la seule mesure susceptible d’y mettre fin, soit la reprise des livraisons, dans l’attente d’un aboutissement des négociations ou d’une décision du juge du fond sur le prix applicable à la période transitoire. »

Analyse :

Houleuses : C’est le qualificatif qui s’impose lorsqu’on évoque les négociations pour 2020 entre Coca et ITM. C’est aussi celui qui semble adapté aux négociations pour cette même année entre les autres membres de l’alliance européenne AgeCore (Agecore’s war with Coca-Cola spreads to Belgium, www.retaildetail.be, 10 février 2020, S. Van Rompaey), qui regroupe Intermarché Eroski en Espagne, Conad en Italie, Colruyt en Belgique et Coop Suisse (sur cette Centrale internationale de services, voir  Commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs, Mercredi 4 septembre 2019, compte rendu n° 96).

Le sujet des accords ou « désaccords » européens pouvant d’ailleurs renvoyer à la problématique plus large des négociations européennes. Nous renvoyons à ce propos aux nouvelles dispositions introduites dans l’article L. 441-3 du Code de commerce à l’occasion de la Loi ASAP du 7 décembre 2020.

Entre autres points évoqués par ce litige, vient celui de la rupture brutale de relations commerciales établies et de la procédure de référé (à rappr. Com. 10 nov. 2009, n° 08-18.337, CCC, Avril 2020, n° 93, N. Mathey ; Com. 3 mai 2012, pourvoi n° Q 10-28.366 ; Cass. com., 24 juin 2020, n° 19-12.261, à rappr. sur cette affaire Lettre distrib. Octobre 2020 ou Revue Concurrences, n° 4 2020, nos obs.).

L’intérêt particulier de cette affaire est de combiner une problématique de rupture, avec celle de l’exercice éventuel d’un abus de position dominante d’un fournisseur et d’un désaccord sur le prix dans le contexte des négociations commerciales de fin d’année.

L’ordonnance de référé avait ordonné la reprise des livraisons sur le fondement de l’article 873 alinéa 1 du CPC (en faisant référence à l’alinéa 2 à raison d’une erreur de plume relevée par la Cour), selon une motivation qui pouvait sembler assez sibylline sur la matière du référé, à savoir le trouble manifestement illicite, le dommage imminent, ou les deux.

Les précisions récemment apportées par la Cour sont donc les bienvenues. Celle-ci confirme l’ordonnance entreprise, mais sans en adopter les motifs relatifs au trouble manifestement illicite, ne retenant ainsi que le seul fondement du dommage imminent.

Il est vrai que la caractérisation d’un trouble manifestement illicite avec l’évidence du référé pouvait apparaître plus tourmentée.

Il nous semble néanmoins que, si la Cour s’est refusée à rentrer dans un débat sur l’imputabilité de la rupture à l’une ou l’autre des parties, elle n’en a pas moins considéré l’opposabilité à Coca de l’argument tenant au caractère « peu substituable » voire « non substituable » de ses produits, au point que l’absence de ces derniers dans les linéaires soit de nature à amener une part non négligeable des consommateurs à changer d’enseigne.

La caractérisation d’un dommage imminent a donc été ici plus propice que le trouble manifestement illicite pour ordonner le maintien des livraisons en présence d’un désaccord sur le prix.

Sans qu’il soit indispensable de choisir entre les deux fondements précités, il semblerait que le dommage imminent, simple question de fait relevant de l’appréciation souveraine du juge des référés, soit plus aisé à faire valoir pour autant que les conditions en soient vérifiées, que le trouble manifestement illicite, notion de droit soumise au contrôle de la Cour de cassation (Droit judiciaire privé, n° 631, 11eme édition, LexisNexis, L. Cadiet, M. Jeuland).

L’existence d’un trouble manifestement illicite suggère une confrontation propice à un débat au fond, alors que les parties se renvoient ici la balle de l’imputabilité de l’échec de la négociation, donc du défaut de conclusion d’un accord, et ce faisant de la rupture de la relation commerciale.

Mais sur le plan des principes, rien n’interdit d’invoquer ce dernier fondement comme l’a fait ITM (à rappr. Paris, 26 janvier 2017, n° 15/18120).

Et pourquoi ne pas s’interroger alors, sous réserve du contenu qui nous est inconnu de la convention entre Coca et ITM pour 2019 (quant à la possibilité de modifier en cours de période contractuelle les éléments essentiels de la relation tels le nombre de produits référencés, les prix d’achat négociés, les incidences des modifications du « plan d’achat » sur lesdits prix etc.), sur la légitimité de la demande de maintien – ou quasiment – des conditions jusqu’alors arrêtées entre les parties et, ce faisant, sur un éventuel et autre trouble manifestement illicite qu’il aurait pu être aussi être question de faire cesser en tant qu’acte perturbateur de l’une des parties et de dommage subi par l’autre ?

En effet, les paramètres initiaux de la relation commerciale ayant été sérieusement modifiés, l’on pourrait suggérer une autre appréciation du désaccord tarifaire.

D’une part, la modification substantielle par ITM du nombre de produits déréférencés à compter d’octobre 2019 et l’importante perte de chiffre d’affaires consécutive pour Coca sur le dernier trimestre de l’année (nonobstant un débat sur l’existence d’éventuelles remises de gamme et du caractère sensible de ce sujet pour des entreprises éventuellement en position dominante) puis, d’autre part, l’exigence par ITM des anciennes conditions de prix ou de conditions assez voisines, peuvent convoquer un autre type de mise en balance, ou pondération, des droits intérêts ou légitimes du demandeur (ITM) par rapport au droits légitimes du défendeur (Coca), qui a pu d’ailleurs songer, mais sans aller jusqu’à les formuler, à des demandes reconventionnelles.

Car dans cette affaire, il aurait pu paraître singulier d’exiger de son fournisseur un quasi maintien des prix, alors que ces derniers avaient peut-être été consentis à raison d’un niveau de référencement plus large, et donc de chiffre d’affaires prévisionnel bien supérieur.

De même, quid de la rupture partielle de la relation commerciale établie suite au déréférencement de produits représentant selon ITM ou Coca, entre 20% et 38% du chiffre d’affaires prévisionnel, moyennant un préavis donné en août 2019 pour le 1er octobre suivant malgré l’hypothétique situation selon laquelle, pour ITM « le déréférencement n’aboutissait pas nécessairement à une baisse des volumes compte tenu des reports qui pourraient s’opérer sur d’autres produits de la marque » ?

Quid encore si, au hasard d’un concours de qualification, les mêmes faits causaient d’un dommage imminent à l’une des parties et à l’autre un trouble manifestement illicite, voir un dommage imminent ?

Voilà de quoi nourrir la réflexion dans d’autres litiges voisins.

Certes, en pratique et sauf à être totalement éconduit à l’occasion d’un déréférencement intégral pour désaccord sur le prix, il est difficile, a fortiori pour un fournisseur lambda – qui n’est donc pas Coca – de faire machine arrière sur les prix convenu l’année d’avant.

Et si finalement ITM avait pris Coca de vitesse dans ce contentieux d’heure à heure, bien qu’il soit en effet peu probable de voir un fournisseur, y compris Coca, agir contre son distributeur en pareil contexte eu égard à sa volonté de voir in fine la relation perdurer.

A défaut d’avoir obtenu la réformation de la décision, le maintien de son appel par Coca, entre temps rabiboché avec son client, lui aura permis de mieux connaître la marge de manœuvre dont il dispose compte tenu du degré de substituabilité de son produit dans l’éventualité d’une autre négociation houleuse. L’enseignement peut aussi être profitable aux fournisseurs en situation similaire.

Mais au-delà des réflexions que cette affaire suscite au plan des fondements de la procédure de référé, il serait de notre point de vue exagéré d’en étendre sa portée sans tenir compte de ses facteurs sous-jacents.

Le litige aura néanmoins mérité que l’on s’y arrête, car il se veut emblématique des tensions entre fournisseurs et distributeurs à l’occasion des négociations annuelles, dans lesquelles le juge est devenu un acteur du jeu de la négociation commerciale.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Février 2021 et à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Voir aussi sur cette affaire :

Négociations 2020, désaccord sur les conditions tarifaires et rupture brutale de relations commerciales établies : Coca-Cola et Intermarché « condamnés » à s’entendre.

Juridictions non spécialisées et pratiques anticoncurrentielles : alléguer n’est pas ipso facto demander.

Quelle est la marge de manœuvre pour le demandeur qui souhaiterait évoquer l’existence éventuelle d’une pratique anticoncurrentielle devant une juridiction non spécialisée, sans encourir l’irrecevabilité de sa demande ?

C’est à cette question que répond la Cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 3 décembre 2020 (RG n° 19/02161), écartant toute approche dogmatique ou formelle.

 

1. Faits et procédure.

La société Openhealth/Celtipharm (ci-après « Open ») reprochait à son concurrent, la société IMS Health (ci-après « IMS »), des faits de concurrence déloyale dont certains, notamment des actions en justice, avaient des fins anticoncurrentielles.

Open avait saisi le Tribunal de commerce de Nanterre, juridiction non spécialisée en matière de « PAC ». Celui-ci avait écarté la fin de non-recevoir soulevée par IMS.

En appel devant la Cour d’appel de Versailles, Open soutenait que cette Cour était apte à juger de l’ensemble des actes de concurrence déloyale dont elle était saisie. IMS invoquait à nouveau cette fin de non-recevoir.

Selon IMS, Open était irrecevable et, en tous les cas, mal fondée à poursuivre les conséquences dommageables de prétendus actes anticoncurrentiels dont IMS se serait soi-disant rendu l’auteur, dès lors que l’appréciation de ces conséquences supposerait préalablement d’analyser les prétendus actes anticoncurrentiels, ce qui ne relevait pas du pouvoir juridictionnel de la Cour d’appel. IMS lui demandait d’écarter toutes les demandes d’Open « s’apparentant » à une demande fondée sur des pratiques anticoncurrentielles, de même que tous les griefs d’Open fondés sur des pratiques anticoncurrentielles.

Open lui opposait que l’étendue de la saisine de la juridiction était fonction des demandes de l’appelante, et qu’aucune de ses demandes n’était fondée sur l’article L. 420-2 du C. com. Elle soutenait que l’évocation de pratiques anticoncurrentielles n’était qu’un argument et non un moyen ou une demande. Ainsi, cet argument ne saisissait pas la juridiction, qui ne l’est que par un moyen repris dans le dispositif.

Le rappel de la procédure effectué par la Cour fait en effet ressortir qu’Open avait, dans ses conclusions, demandé à la Cour de se déclarer matériellement compétente pour juger de l’ensemble des actes de concurrence déloyale dont elle est saisie et de dire recevables ses demandes fondées sur les articles 1382 et 1134 anciens du Code civil, et nullement les articles L. 420-1 et s. La Cour d’appel de Versailles confirme le premier jugement.

 

2. Problème.

A l’occasion d’un litige relatif à des faits dont le traitement juridictionnel n’est pas dévolu à des juridictions spécialisées en matière de pratiques anticoncurrentielles, l’évocation de telles pratiques alors que la juridiction saisie n’est pas au nombre des juridictions spécialisées, emporte-t-elle ipso facto, irrecevabilité de la demande ?

 

3. Solution.

L’allégation d’un fait de pratique anticoncurrentielle, si elle n’est suivie d’aucune déduction d’ordre juridique, constituant un simple moyen de fait, est un point de l’argumentation qui ne lie pas le juge quant à la qualification qu’il convient de donner aux demandes en justice qu’il doit trancher.

 

4. Analyse.

L’introduction d’une action en justice pour des faits de pratiques anticoncurrentielles doit s’effectuer devant les juridictions spécialisées, seules dotées d’un pouvoir juridictionnel pour statuer dans ces litiges. Il en va de même s’agissant de certains litiges en matière de pratiques commerciales abusives.

La Cour d’appel de Paris est seule compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions.

Au-delà de son apparente simplicité, la mise en œuvre de cette règle de compétence peut parfois s’avérer complexe, notamment lorsque les faits concernés relèvent à la fois d’une matière spécialement dévolue à certaines juridictions tel l’examen des pratiques anticoncurrentielles, et d’un domaine que les juridictions autres que spécialisées ont le pouvoir de traiter, tel l’examen de faits constitutifs d’une faute de concurrence déloyale.

C’est dans ce contexte factuel empreint de mixité des faits que s’inscrit la présente affaire.

L’enjeu était de savoir si, de l’allégation d’un fait de pratiques anticoncurrentielle découle, ipso facto, le défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie si cette dernière n’est pas l’une des juridictions spécialisées, comme c’était le cas en l’espèce pour le Tribunal de commerce de Nanterre.

Autrement dit, quelle est la marge de manœuvre pour le demandeur qui souhaiterait évoquer l’existence éventuelle d’une pratique anticoncurrentielle devant une juridiction non spécialisée, sans encourir l’irrecevabilité de sa demande ?

C’est à cette question que répond la Cour de Versailles, dans un arrêt où elle se garde de toute approche dogmatique ou formelle.

La Cour ne se contente pas de simplement relever qu’il a été allégué une pratique anticoncurrentielle, pour mécaniquement décider de l’irrecevabilité de la demande.

Cette allégation d’un fait de pratique anticoncurrentielle, « si elle n’est suivie d’aucune déduction d’ordre juridique, constituant un simple moyen de fait, est un point de l’argumentation qui ne lie pas le juge quant à la qualification qu’il convient de donner aux demandes en justice qu’il doit trancher ».

En l’espèce, le fait que le demandeur « fasse état de pratiques anticoncurrentielles dans le corps de ses conclusions ne saurait fonder l’incompétence (entendre fin de non-recevoir) de la juridiction commerciale saisie, s’il n’est présenté aucune demande au titre des pratiques anti-concurrentielles et si les demandes ne doivent pas être requalifiées comme portant sur de telles pratiques ».

La Cour pose donc des limites que le demandeur ne doit pas franchir s’il entend éviter l’irrecevabilité et, incidemment précise le champ des possibles lorsqu’il souhaite contextualiser sa demande.

La Cour relève au demeurant dans sa motivation que le dispositif des conclusions de l’appelant et ex demandeur, ne visait pas les articles L. 420-1 et s. du Code de commerce et portait sur des faits de concurrence déloyale.

En aurait-il été autrement si ces articles avaient été expressément visés ? Il ne nous semble pas au vu de la solution précitée et son application au cas d’espèce.

Cette approche pragmatique peut d’ailleurs être rapprochée de celle relevée dans un récent jugement qui, après analyse des données d’un litige commercial à l’occasion duquel étaient aussi évoquées des pratiques restrictives, avait finalement estimé que le fondement de la demande était contractuel (Résiliation de contrat, PRC et clause attributive de juridiction : question de fondement. Trib. com. Paris, 1er sept. 2020, Lettre distrib. 10/2020, nos obs.).

Ces solutions, si elles témoignent d’un refus du juge de s’enfermer dans un dogmatisme excessif lorsqu’il apprécie son pouvoir juridictionnel (ou sa compétence, rappr. Lettre distrib. 10/2020, préc.), peuvent néanmoins conduire à s’interroger sur l’utilité d’exciper devant des juridictions non spécialisées, de pratiques dévolues aux juridictions spécialisées (pratiques anticoncurrentielles ou pratiques commerciales abusives), puisque lesdites pratiques ne pourront y être discutées, sous peine de voir la demande irrecevable.

Et quand bien même le demandeur, tout en retenue, ne les discuterait-il pas devant la juridiction non spécialisée saisie, nous pouvons nous interroger sur l’opportunité d’alléguer, a fortiori nommément, de telles pratiques au vu de la marge de manœuvre assez étroite dont dispose ce demandeur.

La preuve incombant à ce dernier, affirmer sans pouvoir établir ne l’expose-t-il pas, pour un intérêt incertain, à se voir opposer une fin de non-recevoir qui peut le cas échéant faire mouche selon l’appréciation du juge ? Le rapport coût avantage de la simple allégation pourrait alors apparaître assez dissuasif.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de janvier 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

 

Pratiques abusives et ex article L. 442-6 I C. com. : correction par la nullité et « éclairage rétroactif » du nouvel article L. 442-4.

La Cour d’appel de Paris a jugé dans un arrêt récent (Paris, 22 octobre 2020, n° 18/02255) que la victime d’une pratique abusive relevant de L. 442-6 I du Code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019, peut engager une action en nullité de la clause ou du contrat affecté, pour contrariété à l’ordre public.

  • « S’il est vrai que l’article L.442-6 I du code de commerce mentionne uniquement l’engagement de la responsabilité civile de l’auteur de la pratique, cette disposition spéciale n’interdit pas à la victime d’une pratique visée par ce texte de demander la nullité de la clause ou du contrat contraire à l’ordre public. (…) En conséquence, la société (…) ne peut soutenir que la société (…) n’est pas fondée à revendiquer l’annulation des clauses litigieuses ».

La Cour d’appel a de même jugé dans cet arrêt, que l’ex article L. 442-6 I peut être appliqué à la lumière de sa « nouvelle » rédaction, logée dans l’article L. 442-4 du Code de commerce tel qu’issu de l’Ordonnance précitée.

  • « (…) L’article L. 442-4 du code de commerce issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ouvre expressément l’action en nullité de la clause créant un déséquilibre significatif au profit de la partie victime d’un tel déséquilibre et que ce nouveau texte apporte un éclairage rétroactif aux anciennes dispositions ».

Ci-dessous un bref commentaire.

1. Quant à la sanction par la nullité de la clause ou du contrat.

La Cour ne fait que rappeler la solution, consacrée par la Cour de cassation selon laquelle la partie victime (en l’occurrence d’un déséquilibre significatif) au sens de l’article L. 442-6 I 2°, est fondée à faire prononcer la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre, s’agissant d’une clause illicite qui méconnaît les dispositions d’ordre public de ce texte.

Un tel pouvoir n’appartient pas en effet au seul Ministre de l’Economie (Com., 30 sept. 2020, n° 18-11.644 et n° 18-25.204 (2 arrêts) : Lettre distrib. 11/ 2020, M-P. Bonnet-Desplan. Pour l’un des arrêts d’appel dans ces affaires en matière de nullité sollicitée par une partie, Paris, 11 oct. 2017, n° 15/03313, Lettre distrib. 12/2017, S. Chaudouet. Rappr. en matière d’avantages sans contrepartie relevant de l’article L. 442-6, I, 1°, Com., 4 mars 2020, n° 17-17148 : Lettre distrib. 04/2020, S. Brena et Paris, 24 mars 2011, n° 10/02616 : Lettre distr. 04/2011 et RLDA n° 61, juin 2011, p. 35, nos obs., ou, au plan de la nullité de conventions contrevenant aux dispositions d’ordre public relevant de l’ancien article L. 441-7, Saint-Denis, 5 juillet 2019, n°18/00110, Lettre distrib. 10/2019, nos obs.).

Signalons qu’en l’espèce, ce n’est pas l’intégralité de l’article renfermant la clause qui se trouve annulée, mais les seuls paragraphes qui, au sein de ces articles, posaient problème.

2. Quant à la prise en compte de la réforme issue de l’ordonnance du 24 avril 2019.

Entendre par cela, l’impact de la réforme au plan du traitement des situations abusives qui lui sont antérieures.

La Cour d’appel juge que les dispositions de l’ex article L. 442-6 I du Code de commerce pourront être appréhendées à la lumière des nouvelles dispositions logées dans le nouvel article L. 442-4 du même Code.

On se souvient que la réforme introduite par l’ordonnance précitée a ouvert, expressément, à la victime d’un déséquilibre significatif, désormais prévu à l’article L. 442-1, outre l’action en responsabilité, la demande de nullité (rappr. Lettre distrib. 11/2020, préc.).

Si le principe de la non rétroactivité de la loi nouvelle demeure, l’évolution du droit est ici prise en compte pour appréhender des situations passées.

Une motivation de ce type n’est pas nouvelle. On se rappelle, par exemple, de deux arrêts de la Cour de cassation en matière sociale qui, à la suite de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, avait jugé pour des conventions antérieures à son entrée en vigueur, que « Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et L. 1221-1 du code du travail ; Attendu que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ; » (Soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103 et 21 sept. 2017, n° 16-20.104 : RJDA, 12/17, p. 899, note D. Mainguy. Rappr. Com., 6 déc. 2017, n° 16-19.615).

En pratique, il semble donc que les contentieux pendants devant la Cour d’appel de Paris, de même que ceux qui viendraient à être introduits sur les anciennes dispositions de l’article L. 442-6, aient vocation à être éclairés par les nouvelles dispositions de l’article L. 442-4 tel qu’issu de l’ordonnance du 24 avril 2019.

Moyennant l’apport de cette précision sur cet « éclairage rétroactif aux anciennes dispositions » – qui n’était pourtant pas nécessaire en l’espèce pour prononcer la nullité au vu des solutions déjà données à ce sujet par la même Cour et consacrées par la Cour de cassation – il y a lieu de penser que la Cour d’appel a elle aussi souhaité éclairer les futurs plaideurs.

On se souvient encore que figuraient au nombre des objectifs de l’ordonnance du 24 avril 2019, ceux du recentrage de la liste des pratiques commerciales restrictives autour de trois pratiques générales et de la précision des définitions des trois pratiques commerciales restrictives héritées de l’article L. 442-6 et énumérées au nouvel article L. 442-1 (cf. Rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 24 avril 2019, p. 7).

L’arrêt s’inscrit dans cette logique (rappr. Paris, 31 juill. 2019, n° 16/11545 ; L.442-1 I 1°et 2° (ex. L.442-6 I 1° et 2°) : Lettre distrib. 09/2019, nos obs.).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de décembre 2020 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Voir aussi sur ces sujets :

Centrales et avantages pour services dénués de consistance : prescription et dialectique de la preuve.

Services de centrales et rémunérations injustifiées : le formalisme de la convention écrite et le droit des contrats à la rescousse.

Ordonnance du 24 avril 2019 et avantages financiers non fondés (L. 442-1 C. com) : concurrence ou complémentarité des moyens pour des restitutions ?

Sur mes autres contributions à la Revue Lamy de la Concurrence, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Autres publications.

Centrales et avantages pour services dénués de consistance : prescription et dialectique de la preuve.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Voir aussi sur ces sujets :

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Sur mes autres contributions à la Revue Lamy de la Concurrence, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Autres publications.

Indicateurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire : premiers éclairages de la DGCCRF.

 

I. Contexte de ces lignes directrices

Assurer une meilleure répartition de la valeur créée par les filières agricoles et agroalimentaires entre tous les acteurs de la chaîne de production. Tel est notamment l’objectif de la Loi Egalim voté il y a presque deux années.

Pour atteindre cet objectif, cette loi a renversé le processus de construction du prix payé aux producteurs, en s’appuyant sur les coûts de production effectifs et a imposé la prise en compte d’indicateurs de ces coûts ou des prix des produits agricoles et alimentaires, dans les contrats conclus entre les différents acteurs de la chaine agroalimentaire.

La DGCCRF a publié le 27 juillet dernier des lignes directrices sur les indicateurs Egalim, établies en concertation avec le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, afin d’éclairer les acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire sur les modalités d’application de ce dispositif.

Après un rappel de la réglementation (art. L. 631-24, L. 631-24-1, L. 631-24-3 du Code Rural et de la Pêche Maritime et L. 443-4 du Code de Commerce), ce document traite de sa mise en œuvre, au plan de la « prise en compte » des indicateurs. Cinq sujets sont abordés.

Traduisant la logique de fixation du prix en « marche avant » voulue par la loi Egalim dès le stade amont, c’est-à-dire depuis la relation entre le producteur et le premier acheteur, les points abordés ont essentiellement traits au mécanisme de « cascade » au stade aval de la relation fournisseur-distributeur, visé à l’article L. 443-4 C. Com.

Rappelons que la « cascade » est aussi prévue au CRPM.

Tout d’abord, à l’article L. 631-24-1 de ce Code, pour la prise en compte d’indicateurs au plan des critères et modalités de détermination du prix au sein des contrats pour la revente des produits agricoles par le premier acheteur ou de produits transformés comprenant un ou plusieurs produits agricoles. Cet article s’intéresse aussi à la prise en compte d’indicateurs dans le cas où le prix d’acquisition initial était déterminé.

Ensuite, à l’article L. 631-24-3 prévoyant un mécanisme dans le même esprit, adapté au contexte des relations entre les producteurs et leurs coopératives agricoles, leurs OP ou AOP avec transfert de propriété, ou à celui entre les producteurs et les entreprises avec laquelle ils sont liés par contrat d’intégration.

 

II. Problématiques abordées

1. Peut-on considérer que le terme « existent » signifie que les indicateurs doivent être pris en compte dans les relations à l’aval (fournisseur-distributeur) dès lors qu’ils ont été rendus publics et sont donc accessibles à tous les opérateurs ?

2. Que signifient les termes (clarification) « y font référence et explicitent les conditions dans lesquelles il en est tenu compte pour la détermination des prix » ?

3. Le distributeur peut-il, en se fondant sur l’article L. 443-4 du code de commerce, demander à son fournisseur une transparence totale sur le coût d’achat de ses matières premières agricoles (par une demande détaillée de ses prix d’achats) ?

4. Quelles sont les sanctions encourues par un premier acheteur qui s’approvisionnerait en produits agricoles auprès d’un producteur étranger et qui conclurait avec ce dernier un contrat écrit non-conforme aux dispositions des articles L. 631-24 du CRPM et L. 443-4 du code de commerce ?

5. Même question pour le cas d’un opérateur autre que le producteur qui effectue une revente à son client établi à l’étranger ?

 

III. Eléments de solutions

1. Sur la première question : dans une logique de sécurité juridique, le terme « existent » signifie que les opérateurs peuvent facilement avoir accès aux indicateurs mentionnés. Nous verrons dans l’analyse en quoi cela peut consister.

2. Sur la deuxième question : la réponse se fait en trois temps.

– D’abord, la DGCCRF rappelle que le terme « prix », au sens de l’article L. 443-4 C. Com., vise le « prix tarif » tel qu’il résulte du « document contractuel » que constituent les CGV du fournisseur (article L. 441-1 C. Com), socle unique de la négociation commerciale, de même que le prix convenu à l’issue de la négociation commerciale dans le cadre des conventions uniques (articles L. 441-3 et L. 441-4 C. Com) pour tous secteurs et pour les conventions portant sur des produits de grande consommation. Il en est de même pour les conventions des articles L. 441-7 et L. 443-2 C. Com.

– Cette précision apportée, qui n’est que le rappel du texte, la DGCCRF se penche ensuite sur la détermination des indicateurs à prendre en compte dans le cas des « produits alimentaires comportant plusieurs produits agricoles » (produits transformés).

Sur un plan général, la DGCCRF rappelle que le choix des indicateurs revient avant tout aux opérateurs. Ces derniers sont les mieux placés pour déterminer les indicateurs correspondant le mieux aux produits qu’ils « fabriquent », à charge pour ces opérateurs de pouvoir « justifier que le choix » de ces indicateurs est « effectivement pertinent ». La balle est dans le camp des fabricants.

Plus spécifiquement pour les indicateurs à prendre en compte dans le cas des produits alimentaires transformés, la DGCCRF opte pour une « optique pragmatique et opérationnelle » « conforme à l’esprit de la loi EGALIM ».

Cet esprit de la loi, traduit dans l’article L. 443-4 C. com, sera ainsi rappelé par la DGCCRF, dans sa réponse à la troisième question : « l’article L. 443-4 du code de commerce exige que soient référencés les indicateurs dans la chaîne contractuelle, que la filière soit responsabilisée et que tout au long de la chaîne d’approvisionnement, les contrats aval indiquent soit les indicateurs prévus dans le contrat entre le producteur et son acheteur, soit les indicateurs des prix des produits agricoles concernés. Il s’agit de l’objectif majeur des états généraux de l’alimentation et de la loi EGALIM. Il s’agit notamment de s’assurer que chaque co-contractant n’augmente pas exagérément ses marges au détriment de l’amont qui ne verrait pas se répercuter la valeur jusqu’à son niveau ».

A cette fin, « seuls les produits agricoles principaux doivent être référencés et pris en compte dans la détermination du prix ».

Les opérateurs pourraient ainsi mentionner les indicateurs retenus « par ordre d’importance » ou « réellement déterminants » dans la construction du prix.

Le choix ainsi opéré des indicateurs retenus devra être « explicité et justifié » dans le contrat (donc dans les CGV, puisque celles-ci sont considérées comme un contrat dans la réponse à la première question et, quoi qu’il en soit, parce que l’article L. 443-4 C. com oblige à y cette expliciter ce choix ; la convention unique etc.).

– Enfin, est admise la situation dans laquelle il ne serait pas possible d’expliciter les indicateurs ou, plus concrètement, celle dans laquelle le vendeur « ne pourrait pas tenir compte des indicateurs » – on suppose référencés – pour des « raisons légitimes ». La DGCCRF apporte des compléments d’information à ce sujet. Nous y reviendrons.

3. Sur la troisième question : la DGCCRF indique que c’est à l’opérateur qui détermine le prix de ses produits de se référer soit aux indicateurs choisis dans les contrats précédents soit, en l’absence de ces indicateurs, de choisir les indicateurs qu’il considère comme les plus pertinents, et le justifier dans ce cas.

Mais pas de transparence excessive à ce sujet sur la détermination de leurs prix par les industriels. La loi n’exige pas de donner la formule de prix ou la construction précise des coûts de production, mais simplement de fournir des indicateurs et d’expliciter comment il en est tenu compte.

4. Sur la quatrième et cinquième questions : dans le cas de l’approvisionnement en produits agricoles d’un premier acheteur auprès d’un fournisseur étranger, la DGCCRF estime que les dispositions des articles L. 631-24 et suivants du CRPM et L. 443-4 C. Com. peuvent ainsi être considérées, sous réserve de l’appréciation souveraine des juges, comme des lois de police applicables à toute situation présentant des éléments de rattachement au territoire français (lieu d’établissement de l’acteur économique en France, marché français concerné pour l’écoulement des marchandises, etc.).

En flux inverse, c’est à dire en cas de revente à un client établi à l’étranger par un opérateur qui n’est pas producteur (un transformateur par exemple), l’article L. 443-4 s’applique et les CGV de l’opérateur, lorsqu’elles sont disponibles, doivent mentionner les indicateurs (sauf dans le cas d’appel d’offres émanant d’organismes étrangers, l’achat à intervenir n’ayant pas lieu sur la base des CGV).

 

IV. Analyse de ces orientations

Notre parti pris est celui de souligner, de manière générale, les points intéressants au plan pratique de ces lignes directrices, malgré l’impression qu’elles pourraient parfois donner, mais peut-être injustement, d’enfoncer des portes ouvertes.

Quelques remarques alors sur les réponses apportées, regroupées par idées clés.

1. Multiplicité des sources d’indicateurs.

C’est ce que nous retenons de la réponse à la première question, qui interroge sur la condition du caractère « public » des indicateurs, pour pouvoir – et devoir – être pris en compte.

Ce caractère ne résulte pas, expressément, du texte lui-même. On se souvient pourtant qu’un tel caractère avait été prévu à l’article L. 441-6 I al. 6 C. Com. issu de la loi Sapin II du 9 décembre 2016, à propos du ou des indices « publics » de coût de production en agriculture et de prix de vente aux consommateurs des produits alimentaires auxquels il pouvait être fait référence pour la fixation des critères et modalités de détermination du « prix prévisionnel moyen proposé par le vendeur au producteur de ces produits agricoles », devant être mentionné aux conditions générales de vente.

Néanmoins, ce dispositif, dont les effets n’ont pas été remarquables, préfigurant l’actuel article L. 443-4, était d’une portée plus limitée, puisqu’il ne se rapportait qu’aux produits alimentaires comportant un ou plusieurs produits agricoles non transformés « devant faire l’objet d’un contrat écrit » (contrats dit « LMAP » comme pour le lait de vache) et ne visait que le contenu des CGV et non aussi, notamment, la convention unique.

Dorénavant, la condition d’existence des indicateurs, probablement moins sujette à débat que celle de leur publicité, est satisfaite lorsque que les opérateurs peuvent facilement y avoir accès.

La fourniture d‘exemples par la DGGCRF de la provenance de ces indicateurs existant est appréciable (diffusion par une interprofession, par l’OFPM ou tout autre organisme ; contenu du contrat avec le producteur) et l’on peut conclure à une grande multiplicité dans les sources d’indicateurs. Mais attention, cet avantage de multiplicité a son revers : celui de rendre fautif les opérateurs qui n’auront pas pris en compte des indicateurs qui pourtant « existent ».

Autrement dit, l’absence de prise en compte des indicateurs dans les CGV et le contrat ne sera « excusable » que par leur inexistence.

L’argument de la méconnaissance d’un indicateur qui, peu connu, était pourtant accessible, risque d’être peu audible en cas de contrôle.

De même et à raison des risques de sanction encourus, l’on peut craindre que certains opérateurs utilisent, pour la bonne forme, des indicateurs certes existants, mais inadaptés et donc inefficaces.

En relation avec ce dernier cas de figure, l’on pourrait d’ailleurs débattre sur le point de savoir, à l’occasion d’une relation donnée, si un indicateur bien que diffusé, mais de fait véritablement inadapté ou devenu tel (indicateur trop général ou peu actualisé par exemple) par rapport à la finalité recherchée par la loi, qui est celle de la valorisation ou de la revalorisation du prix, peut être considéré comme un indicateur réellement existant.

Certaines clauses pourraient éventuellement appréhender la substitution d’indicateurs en pareil cas. Toute approche utilitaire ne devrait en tout cas pas être bannie, si l’on veut que la démarche ait un sens.

Reste enfin à savoir si cette dernière situation pourrait être appréhendée par le cas visé dans la dernière problématique de la deuxième question, sur laquelle nous allons revenir (voir « La notion « expliciter » les conditions dans lesquelles il est tenu compte des indicateurs pour la détermination des prix englobe-t-elle l’hypothèse où il n’est pas possible d’expliciter ? ») et qui, selon la DGCCRF « fait concrètement référence à l’hypothèse dans laquelle un vendeur ne pourrait pas tenir compte des indicateurs pour des raisons légitimes ». A voir.

2. Multiplicité des situations de « prise en compte ».

Cette multiplicité ressort de la structure de la deuxième réponse, elle-même multiple.

Multiplicité d’abord dans les supports de la négociation commerciale pour la détermination du prix, annoncé dans le tarif ou convenu à l’issue de la négociation et mentionné dans l’accord négocié, à savoir CGV et conventions, elles aussi multiples (conventions du régime général pour le cas où un produit agricole ou alimentaire ne serait pas classifié en « PGC », conventions PGC, conventions MDD, convention du régime spécifique pour certains produits agricoles dont la liste est fixée à l’article D. 441-2 du C. Com.).

Multiplicité ensuite dans les choix d’indicateurs offerts aux opérateurs – et donc liberté de ces derniers – à charge pour eux de pouvoir justifier « dans le contrat » (y compris dans les CGV que la DGCCRF désigne comme « document contractuel » – voir aussi le texte de l’article L. 443-4 C. Com.), de la pertinence du choix opéré. Les opérateurs devront faire preuve de réalisme sur la question. Ils sont d’ailleurs invités à une approche « pragmatique et opérationnelle » qui doit être « conforme à l’esprit de la loi Egalim ».

Multiplicité enfin dans les choix de traitement des situations complexes, où l’objectif de la loi asservit les moyens employés.

Cela s’illustre, exemple à l’appui, à l’occasion du choix des indicateurs devant être pris pour référence, explicités et pris en compte dans le cas des produits transformés à base de produit agricoles.

En pareil cas, l’obligation ne portera que sur les indicateurs relatifs aux produits agricoles principaux entrant dans la composition du produit alimentaire.

Mais il est un cas de figure plus complexe, qui correspond à l’hypothèse où il ne serait pas possible d’expliciter les indicateurs ou celui dans lequel le vendeur « ne pourrait pas tenir compte des indicateurs » pour des « raisons légitimes ». On devine ici une logique d’exception.

Il faut alors retenir que ce vendeur « pourrait dans ses CGV » – ce qui pourrait suggérer une faculté de silence sur ce point – « préciser les raisons légitimes justifiant que les indicateurs n’ont pas été pris en compte dans la détermination de son prix ». Quoi qu’il en soit, le défaut de prise en compte des indicateurs dans la détermination de « son prix » par le vendeur « devra être expressément expliqué et justifié dans le contrat (les CGV, les conventions uniques, etc.) ». Préférons plutôt cette approche à celle du silence.

Nous ne nions pas être troublés par cette dernière référence aux CGV, au vu de notre précédente remarque. Quoi qu’il en soit, nous retiendrons, puisque cela est indiqué dans l’article L. 443-4 du C. Com et repris dans les lignes directrices, que dès lors que les indicateurs sont utilisés dans le contrat – ce qui répond tout de même l’exigence de principe – l’utilisation de ces indicateurs devra y être explicitée.

Le contrat par la suite établi devra ainsi expliquer et motiver une telle entorse à la règle, par la mise en avant de raisons légitimes. On pressent le contrôle des motifs d’une situation que le législateur ne souhaite plus, à savoir notamment un prix déconnecté des coûts.

La situation est à risque et quelques précisions complémentaires et exemples auraient permis de mieux l’appréhender :

Que pourrait-on entendre par raisons légitimes ?

Quid d’indicateurs existant au plan des principes, mais inadaptés au cas particulier, car de caractère trop générique ou ne reflétant pas l’actualité des données économiques du moment (à rappr. Stopper la « crise du prix payé aux éleveurs », La France Agricole, 2 septembre 2020, L. Pouchard, évoquant les demandes des éleveurs du Massif central au Ministre de l’Agriculture, de mise en place d’un « outil officiel d’observation du marché bovin regroupant l’ensemble des indicateurs économiques utiles aux négociations, actualisés chaque semaine », ou la publication sur Twitter par la Fédération Nationale Bovine, des indicateurs hebdomadaires de marché) ?

Qu’en est-il pour les innombrables fruits et légumes non produits en France et revendus à l’état ou entrant dans la fabrication de produits transformés, etc.

3. Confidentialité préservée de la construction du prix.

La réponse à la troisième question n’appelle pas ici de plus amples commentaires. Qui dit indicateurs dit indications mais pas inquisition.

La loi ne doit pas servir d’alibi pour la satisfaction d’objectifs étrangers à ceux qui sont les siens, tels que rappelé par la DGCCRF dans sa réponse (à rappr. Produits à marque de distributeur (MDD) et transparence des coûts du fournisseur, nos obs. RLDC, n° 79, janvier 2019, p. 13 et s).

4. Applicabilité éployée.

A l’occasion de la réponse donnée à la quatrième et cinquième questions, la DGCCRF opte pour une application large de la règlementation dans le cadre de contrats commerciaux internationaux.

Certes, l’article L. 631-24 du CRPM, en son point I, vise les contrats de vente de produits agricoles « livrés » sur le territoire français, dont ce même point I précise qu’ils sont régis par les dispositions du présent article.

Mais il est vrai que l’article L. 443-4 ne vise pas expressément ce critère de la livraison sur le territoire français, même s’il renvoie à l’article L. 631-24 du CRPM, mais en son seul point III, qui ne traite pas de ce sujet.

Se pose alors la question de la combinaison des deux articles et/ou celle de l’autonomie du point III de l’article L. 631-24 CRPM par rapport au point I de ce même article, lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article L. 443-4 du C. Com.

On note pourtant que la DGGCRF rappelle que l’objectif de la loi EGALIM est celui de la responsabilisation de « l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire française sur le prix payé aux producteurs », ces derniers ayant généralement été perçus, nous semble-t-il, comme les producteurs français, outre qu’ils font eux aussi partie de « l’ensemble des acteurs ».

En outre et à tout le moins pour les produits importés, et notamment du « végétal », la référence dans le point III de l’article L. 631-24 CRPM aux interprofessions, à l’OFPM ou à France Agrimer, dans le cadre de l’élaboration des indicateurs ne milite-t-elle pas pour des indicateurs applicables à des produits des seules filières françaises de métropole et d’outre-mer ?

La loi Egalim n’avait-elle pas pour objectif de corriger les abus dans la répartition de la valeur entre les acteurs amont du monde agricole français et les opérateurs de l’aval, et non de protéger, si noble en soit la cause, les agriculteurs des autres pays.

A moins peut-être que la préservation de notre agriculture passe aussi par la revalorisation des agricultures étrangères, et pour le coup le renchérissement des achats fait à l’étranger ? Mais nous spéculons.

Quoi qu’il en soit et malgré les éclaircissements procurés par la DGGCRF, le talon d’Achille de ce dispositif demeure pour l’heure sa relative complexité. La période de rodage s’avère longue. Bien que vertueux, il reste encore difficile à mettre en œuvre, tant au plan des indicateurs à élaborer le cas échéant puis à choisir, qu’à celui de la capacité de ces derniers à satisfaire les différents intervenants dans la chaîne d’approvisionnement, et notamment les plus puissants lorsqu’il s’agit de discuter du partage du gâteau.

N’oublions pas non plus l’importance des coûts de transaction que vont devoir supporter les acteurs sur ces sujets complexes.

La montée en compétence technique – et bien plus encore la bonne volonté des acteurs et la communication entre ces derniers – sera aussi une condition indispensable à la réussite de la nouvelle construction du prix.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article est intégré à la Lettre de la distribution du mois de septembre  2020 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Chaîne d’approvisionnement alimentaire : la CEPC apporte sa deuxième pierre à l’édifice d’un équilibre dans la contractualisation « amont » sur les produits agricoles.

Dans la continuité d’un premier avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, saisie par une Organisation de Producteurs à propos d’un contrat de fourniture de lait, précédemment commenté (avis 17-11, Lettre distrib. 12/2017, nos obs.), la Commission, à nouveau saisie par une Organisation de Producteurs, s’est encore penchée, à la faveur d’un Avis 20-1 du 10 mars dernier, sur ce type de contrat très particulier et assez symptomatique des tensions pouvant exister entre les acteurs des filières agricoles, sous fond de débat récurrent sur la valorisation des productions (à rappr. Communiqué de la CEPC du 19 juin 2009).

 

1. Les faits.

En l’espèce, l’avis de la CEPC était sollicité sur deux clauses et deux pratiques.

La première clause stipulait que le producteur s’engageait à exécuter de bonne foi son engagement de livraison en fournissant à l’acheteur des quantités de lait « correspondant au cycle de production de son cheptel ».

La deuxième, selon la partie à l’origine de la saisine, rendrait impossible la modification du circuit de collecte du lait.

Au plan des pratiques, la première concernait l’absence de prise de position déterminée de l’acheteur suite à la demande d’un producteur sous contrat, de pouvoir diminuer le volume de la production que ce dernier s’est engagé à lui livrer.

La deuxième visait l’absence de réponse à la demande formulée par le producteur, de voir procéder à des changements du circuit de collecte du lait tel que résultant du contrat.

 

2. Les problèmes.

D’où les questions ci-après posées par l’OP, permettant de jauger de la plus ou moins grande liberté pour un producteur d’organiser ses débouchés et, finalement, de s’émanciper un peu et toutes proportions gardées, de son acheteur :

– une clause d’approvisionnement formulée dans les termes suivants : « le producteur s’engage à exécuter de bonne foi son engagement de livraison en fournissant à l’acheteur des quantités de lait correspondant au cycle de production de son cheptel » ne vient-elle pas créer une obligation d’exclusivité non clairement consentie ?

– une clause qui rend impossible la modification du circuit de collecte est-elle légale ?

– un courrier de l’acheteur qui laisse une discussion ouverte pour diminuer le volume du producteur et qui ne répond pas à la demande de changement du circuit de collecte est-il légal ? Le refus de principe de l’acheteur pour que les producteurs prennent en charge les opérations de collecte est-il légal ?

 

3. Les solutions.

Lorsqu’un contrat de fourniture de lait fait explicitement référence à la fourniture de quantités correspondant à un « cycle de production du cheptel », les clauses prévoyant des engagements minimums de volume annuel devraient expressément stipuler le caractère exclusif de la relation. En effet, le cycle de production d’un cheptel ayant des conséquences sur sa capacité de production, et par conséquent sur l’engagement de volume consenti, cette référence peut – en combinaison avec d’autres modalités du contrat – créer une exclusivité d’approvisionnement empêchant le producteur d’envisager de nouveaux débouchés. Pour la CEPC, cette clause est de ce chef insuffisamment précise au plan de la liberté du producteur.

Par ailleurs, la clause prévoyant l’organisation de la collecte par l’acheteur en dehors de tout engagement de régularité ou de récurrence des passages organisés à sa seule initiative, est nulle si elle ne prévoit pas un délai de prévenance suffisant dans la fixation des horaires et du rythme de collecte. Une telle clause pourrait également être sanctionnée sur le fondement du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (C. com., art. L. 442-1) au constat  que le producteur ne peut pas organiser d’activités parallèles, anticiper des capacités de stockage et de production (cheptel) supplémentaires, alors qu’il est contractuellement tenu par un engagement de volume et une disponibilité permanente au regard d’une cadence de collecte qui dépend de l’acheteur, sans contrepartie réelle à ces contraintes.

Enfin, la proposition de l’acheteur de diminuer l’engagement minimum de volume annuel du producteur pour lui permettre de développer et de diversifier ses activités, tout en refusant d’envisager une modification des conditions et du rythme des collectes de lait peut constituer un manquement de l’acheteur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat, alors que la prévision du rythme de collecte est essentielle à l’organisation de l’activité du vendeur. Pour que la discussion (à propos de la demande formulée par le producteur) soit considérée de bonne foi de la part de l’acheteur, ce dernier doit tirer les conséquences de sa proposition de baisse de volume sur la fréquence de collecte. En l’espèce, il n’est pas apparu pour la CEPC, que les termes du courrier de l’acheteur faisaient ressortir une volonté de négocier la modification éventuelle de clauses, qui ne permettent pas en l’état au vendeur d’envisager un développement de ses activités. C’est la combinaison d’un refus de modification de la collecte, de la proposition d’une diminution du volume contractuel et du flou inhérent à la clause de collecte qui permet d’évaluer la position de l’acheteur dans la négociation.

 

4. Analyse.

A titre liminaire, l’avis souligne que si les faits portés à la connaissance de la CEPC ainsi que la saisine sont antérieurs à l’ordonnance du 24 avril 2019, les dispositions de l’avis ne sont pas remises en cause par les modifications de la réforme.

Alors au demeurant que la contractualisation dans le secteur du lait de vache, obligatoirement écrite entre un producteur et son premier acheteur, est régie depuis une dizaine d’année par les articles R. 631-7 et s. du Code rural et de la pêche maritime (issus d’un décret du 30 décembre 2010 pris pour l’application de l’article L. 631-24 du même code dans le secteur laitier), le contenu de l’avis, au plan des questions abordées en matière de contenu de la relation contractuelle ou de pratiques, ne nous semble pas non plus remis en cause à l’aune des dispositions de la Loi Egalim en octobre 2018 (cf. nouveaux art. L 631-24 et s).

On rappelle que cette loi est venue apporter, entre autres, des modifications au régime de la contractualisation entre producteur et premier acheteur, et instaurer par exemple un régime de construction du prix « en marche avant », c’est-à-dire initié par les producteurs, à partir des coûts de production (mais pas que), notamment lorsque le prix n’est pas déterminé (voir art. L. 631-24 III avant dernier al. ; à rappr. « Améliorer le revenu des éleveurs est plus qu’une question de prix ! » par H. Dion (Caplait), A. Ecoiffier (Association Laitière Jura-Bresse), F. Eyraud (Danone Produits Frais), R. Gavoille (OP Sud-Ouest-Laitier), D. Lecuir (OP. des Trois Vallées), P. Poncet (OP Danone Sud-est), Les Echos 26 février 2020). La mise en œuvre concrète des nouvelles dispositions ne va d’ailleurs pas sans poser des difficultés techniques, à commencer par la problématique des indicateurs à prendre en compte pour les critères et modalités de détermination du prix (art. L 631-24 III, avant dernier al.). Elle peut parfois se heurter, au dire de certaines OP, à des comportements abusifs acheteurs (rappr. « Les accords-cadres doivent être conclus au plus vite », La France Agricole, 27 mai 2020). Mais la problématique d’une meilleure valorisation des productions peut aussi passer par une optimisation des débouchés, d’où l’intérêt de l’avis.

Pour mieux approcher les problématiques abordées par l’avis en connaissance du contexte et des enjeux de la relations éleveurs/acheteurs, lesquels sont parfois des industriels de l’agroalimentaire qui disposent d’un maillage territorial de producteurs pour leur approvisionnement en lait, regroupés au sein d’Organisations de Producteurs parfois dédiées ou d’Associations d’Organisations de Producteurs, nous suggérons une lecture combinée de l’actuel commentaires avec un précédent, suite à un premier avis de la CEPC rendu sur ce type de contrat (avis 17-11, préc.).

Deux observations pour deux problématiques.

La première, structurelle, l’autre contractuelle, les deux tendant en fin de compte vers une plus grande fluidité, à défaut de mobilité, des producteurs entre les laiteries et une souplesse dans la relation qu’ils sont en droit – ou pas – de nouer avec différents acheteurs, allégeant ainsi à leur égard leur dépendance relative, au demeurant souvent assez forte.

Au plan structurel d’abord, il convient ici de saluer l’intervention, auprès de la CEPC, des OP (ou des AOP).

En effet, leur montée en puissance est nécessaire pour que l’amont de la filière soit mieux en mesure de peser dans les négociations commerciales avec les premiers acheteurs. Si le chemin restant à parcourir pour un rééquilibrage des relations est encore long, la démarche consistant à voir une OP saisir la CEPC sur un contrat ou suggérer la modification de certains comportements, va dans le sens souhaité.

La deuxième observation concerne le contenu des contrats.

Problématique de droit de la concurrence mises à part (rappr. Avis ADLC 17-D-12 du 26 juillet 2017 dans le secteur de l’approvisionnement de betteraves), la diversification de ses débouchés, en toute sécurité juridique pour un producteur, lors de la vente de la production du lait de son cheptel, sans se heurter à une obligation exclusivité de fourniture, suppose que cette dernière, si elle existe, soit sans équivoque et moyennant contrepartie.

La CEPC en appelle donc à la clarté des clauses.

Clarté, mais aussi harmonie entre ces dernières, en vue du but à atteindre, en l’occurrence permettre à l’éleveur qui le souhaite, de prendre ses dispositions notamment en matière de collecte pour pouvoir effectivement s’intéresser à de nouveaux débouchés auprès d’autres acheteurs, dans l’intérêt d’une meilleure valorisation de sa production.

Dans la production de lait, le sujet de la collecte est capital. Sans modification d’un certain mode de collecte, pas de diversification possible.

Une collecte dont les modalités sont soumises au bon vouloir d’une seule partie ne va pas dans le sens recherché. Cette idée ressortait déjà de l’avis 17-11, qui précisait que « la même considération s’applique à l’effet cumulé de ces clauses stipulées dans un seul et même contrat ».

La CEPC indique que l’on retrouve une situation comparable dans le présent avis, à savoir une clause de modification du rythme de la collecte au seul bénéfice de l’acheteur.

En conséquence, l’absence de préavis contractuel rend abusive la clause qui soumet la modification du rythme de collecte à volonté d’une seule des parties.

Enfin et lorsqu’il se voit adressé une demande de modification de collecte de la part de son producteur, l’acheteur doit s’abstenir de louvoiements, au risque de se voir reprocher de faire preuve d’un manquement à la bonne foi dans l’exécution de la convention.

Signalons enfin, pour mémoire, que la CEPC évoque certaines stipulations du contrat examiné (clause pénale économiquement dissuasive pour le producteur, clause de livraison, clause de force majeure permettant de considérer comme force majeure des circonstances non extérieures à l’acheteur par exemple). Ces clauses, selon la CEPC, renforcent l’impression de déséquilibre constatée à l’examen des dispositions relatives à l’organisation de la collecte du lait. Mais il n’en est pas dit davantage sur leur contenu.

Peut-être est-ce prémonitoire d’une prochaine saisine ?

Intéressant avis donc qui, comme celui qui l’a précédé (avis 17-11), apporte sa pierre à l’édifice de la contractualisation agricole et souligne indirectement l’intérêt pour les producteurs de se regrouper en OP, pour « porter » en commun leurs problématiques, lorsqu’ils constatent quelques déséquilibres ou asymétries dans les droits et obligations des parties ou dans la négociation commerciale (saisine de la CEPC, du médiateur des relations commerciales agricole, etc.).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé, est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin  2020. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Chaîne d’approvisionnement en produits agricoles et alimentaires : en avant la transparence.

La loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, instaure de nouvelles obligations en matière d’information sur les produits agricoles et alimentaires.

A divers titres, les activités des acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, depuis la production, en passant par la transformation, jusqu’à la distribution, mais encore celles de la prestation de service en RHF et CHR, pourront s’en trouver impactées.

Nous nous limiterons à citer les thématiques concernées.

1. Informations transverses :

– Informations générales : modalités de détermination, par décrets, des règles de mise à disposition du public en ligne par le responsable de la première mise sur le marché, des inscriptions de toute nature relatives aux denrées alimentaires préemballées, et « open data » concernant ces données en cas de retrait ou de rappel des produits.

– Vente à distance : communication au consommateur, préalablement à la conclusion d’un contrat conclu à distance portant sur des denrées alimentaires, des informations exigées par le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, de manière lisible et compréhensible, sur le support de vente à distance ou communication sans frais par tout autre moyen approprié.

2. Informations spécifiques :

Produits à base de cacao : indication du pays d’origine pour les produits à base de cacao, à l’état brut ou transformé et destinés à l’alimentation humaine.

– Viandes et RHF : indication par les établissements proposant des repas à consommer sur place, à emporter ou à livrer, du pays d’origine ou du lieu de provenance pour les plats contenant un ou plusieurs morceaux de viande bovine, de viandes porcines, ovines et de volailles, au sens entendu par les règlements UE visés dans la loi précitée.

– Utilisation de dénominations « animales » pour certains produits qui n’ont pas cette propriété : interdiction de l’utilisation des dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales (à noter qu’un décret fixera la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n’est pas possible).

– Fromages fermiers : information du consommateur sur les fromages fermiers dont l’affinage est effectué en dehors de l’exploitation agricole.

– Vins et CHR : indication, de manière lisible, sur leurs cartes ou sur tout autre support, de la provenance et, le cas échéant, la dénomination de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée des vins mis en vente sous forme de bouteille, de pichet ou de verre, par les exploitants d’établissements titulaires d’une licence de débit de boissons à consommer sur place ou à emporter ou d’une licence de restaurant.

– Miels : enfin et pour les miels composés de mélange en provenance de plus d’un Etat membre de l’Union Européenne ou d’un pays tiers, les amateurs se féliciteront de la mention des pays d’origine de la récolte, indiqué par ordre pondéral décroissant sur l’étiquette. Ces précisions mettront un terme, au moins pour ce produit, à l’ineptie de la mention du type « UE et non UE », soit le degré zéro de l’information en ce qu’elle permettait d’avoir la certitude que les abeilles n’avaient pas transformé le pollen en miel sur la planète Mars. Les moins cyniques diront qu’elle permettait, à tout le moins, d’être conscient que le miel n’était pas nécessairement produit en France ou dans un autre pays de l’UE.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Visites domiciliaires, saisies et pratiques anticoncurrentielles : scellés fermés provisoires et autres problématiques de déroulement des opérations.

Dans un arrêt du 4 mars dernier, la Cour de cassation est venue préciser et rappeler une série de points intéressant le régime des visites domiciliaires (Cass. Crim. 4 mars 2020, n° 18-84.071).

Bien que rendues dans le cadre de visites et saisies pour la recherche de preuves en matière de tromperie, les solutions sont, de notre point de vue, transposables à d’autres types d’enquêtes, de concurrence notamment.

Elles confortent les services d’enquête dans le choix des conditions matérielles de leurs investigations.

La pratique des scellés fermés provisoires y est jugée valable.

L’est aussi l’exigence de l’emploi d’un tableau numérique (informatique) a contenu imposé par les enquêteurs, à précisément renseigner dans l’objectif de l’expurgation des documents devant être écartés des pièces saisies pour cause notamment de secret des correspondances avocat-client.

Sans grande surprise, la saisie non sélective des fichiers est validée.

Enfin, le Juge de la Liberté et de la Détention est en droit d’opposer un refus de se déplacer en cas de difficulté lors du déroulement des opérations de visites et saisies, s’il estime que serait vain, au vu des circonstances, un tel déplacement, en vue de régler la difficulté.

Afin de mieux cerner le sujet, quels sont les faits ayant conduits à ces solutions. Quels étaient les problèmes rencontrés ? Comment ces derniers ont-ils été traités ?

 

1. Faits et procédure.

Fin 2015, en application de l’article L. 215-18 du Code de la consommation, dans sa version applicable à l’époque des faits (article abrogé à l’occasion d’une ordonnance du 14 mars 2016), le JLD de Nanterre, saisi sur requête du chef du service national des enquêtes de la DGCCRF, autorise des opérations de visite et saisie au siège social de la société Renault, ainsi que dans certains de ses établissements de la région parisienne.

Le JLD délivre à cette occasion une commission rogatoire aux JLD de Versailles et d’Evry pour désigner les chefs de service territorialement compétents pour nommer les OPJ devant assister aux opérations et les contrôler le cas échéant. Les visites se déroulent sur deux jours, début janvier 2016.

Des messageries sont saisies de manière globale et des messages protégés par la confidentialité des correspondance avocats/client se trouvent inclus dans les fichiers saisis.

En présence de cette difficulté, les enquêteurs procèdent alors à une mise sous scellé fermé provisoire, des fichiers de données informatiques retenus en vue d’être saisis par les enquêteurs.

Cette pratique, avant que l’inventaire et la saisie ne soient définitifs, vise à permettre la suppression des documents protégés, identifiés au préalable par les requérants.

A cette fin, les enquêteurs remettent à Renault un « tableau numérique », dont les rubriques doivent être renseignées à bref délai ce à quoi Renault, selon les enquêteurs, ne procède pas correctement et dans le respect des exigences qu’ils avaient formulées en termes renseignement des « champs » à compléter, Renault préférant identifier les documents litigieux à expurger des saisies, grâce à la fonction de recherche du logiciel de messagerie Outlook (Microsoft). Renault liste ainsi 25.000 résultats, et donc autant d’expurgations potentielles.

Les visites et saisies s’effectuant sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées, Renault sollicite aussi l’intervention du JLD afin qu’il se rende sur les lieux visités et suspende les visites en cours.

Le JLD estimant impossible l’exercice d’un contrôle concret des revendications en cause vu leur nombre, considère inutile toute visite sur les lieux avant la clôture des opérations et refuse de se déplacer.

Les visites poursuivies et terminées, Renault interjette appel des ordonnances ainsi que du déroulement des opérations de visites et de saisies devant le premier président de la Cour de Versailles, en vue de l’annulation des saisies et la restitution des documents y afférent.

Son recours est rejeté par ordonnance du 25 janvier 2018. Renault forme alors un pourvoi dont les moyens, au plan du déroulement des visites, étaient notamment fondés sur la violation des articles L.215-18 ancien du Code de la consommation (relatif aux enquêtes sur autorisation judiciaire en matière de conformité et sécurité des produits et services), 6, 8 et 13 de la CEDH (visant les principes du procès équitable, du droit au respect de la vie privée et du droit à un recours effectif), 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (visant le secret des correspondances avocat-client), 56 du CPP (visant notamment la mise sous scellés fermés provisoires des objets et documents saisis en cas de difficultés, dans l’attente de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs), et L. 450-4 du Code de commerce (relatif aux pouvoirs d’enquête lourde en matière de liberté des prix et de la concurrence).

Le pourvoi est rejeté.

 

2. Problèmes.

L’affaire faisait poindre quatre problématiques :

– D’abord, la pratique, comme en l’espèce, des scellés fermés provisoires avant saisie définitive, en vue d’un examen contradictoire ultérieur, aux fins notamment de protéger le secret des correspondances avocat-client, est-elle attentatoire aux droits fondamentaux des personnes visitées ?

– Ensuite, en cas de remise par les enquêteurs à la personne visitée, dès le jour de la saisie, d’un tableau sous format numérique, dont les rubriques sont à renseigner précisément afin d’identifier les fichiers à expurger des saisies provisoires, son défaut de renseignement ou son renseignement partiel, fait-il encourir le rejet de la demande d’annulation et de restitution des documents saisis, faute d’avoir mis les enquêteurs en mesure d’identifier précisément dans les scellés les documents dont la saisie est contestée, quand bien même comme en l’espèce, eut-il s’agit de correspondances couvertes par le secret professionnel avocat-client et que ces dernières eussent été identifiables par d’autres moyens que celui exigé par les enquêteurs, tel un outil de recherche dans une messagerie ?

– Par ailleurs, la pratiques de saisies non sélectives – ou globales – de fichiers de messageries susceptibles de contenir des éléments intéressant l’enquête, est-elle en soi constitutive d’une atteinte aux garanties fondamentales de la partie visitée appelées à jouer durant l’enquête, notamment au regard du principe de proportionnalité des mesures ?

– Enfin, un JLD pouvait-il, comme en l’espèce, refuser de se déplacer sur les lieux de la saisie aux fins de mener un contrôle effectif de ce que les pièces saisies étaient réellement couvertes par la confidentialité des correspondances avocat-client, au motif qu’il lui était impossible en l’état et compte tenu des circonstances (25.000 pièces concernées par une revendication), de mener un tel contrôle ?

 

3. Solutions et analyse.

Comme indiqué en propos introductifs, les solutions rendues confortent les services d’enquête dans le choix des conditions matérielles de leurs investigations.

Au vu de la portée pratique des sujets abordés par l’arrêt, notre parti pris est celui de rapporter l’analyse opérée par le juge d’appel et la Cour de cassation, au travers de leur motivation, reléguant ici notre point de vue à un plan secondaire.

Aussi et pour approfondir certains des sujets abordés par l’arrêt, tel celui des saisies par scellés fermés provisoires, nous renvoyons à la doctrine autorisée dont, entre autres, une contribution qui, bien que non récente, n’en reste pas moins d’une lecture à conseiller à raison de son caractère à la fois pratique et documenté (A. Marie, les enquêtes réalisées par les agents de la DGCCRF en matière de pratiques anticoncurrentielles : point d’actualité après la réforme de l’ordonnance du 13 novembre 2008, RJDA 10/2014, p. 707 et s ; RJDA 11/2014, p. 779 et s. voir principalement cette deuxième partie ; à rappr. T. Fossier, Déroulement des visites domiciliaires : la balle dans le camp des entreprises…, RLDC, N°42, p. 3 et s., Janv-Mars 2015 ; ou plus récemment, B. Ruy, Le point sur les visites domiciliaires : la fin d’un espoir ? RLDC, N° 63, p. 15 et s., 1er juillet 2017. Pour une espèce récente avec scellés fermés provisoires : cf. Paris, Ord. 11 décembre 2019, RG n°17/20112).

– Sur la pratique des scellés fermés provisoires précédant la saisie définitive :

Après avoir relevé que la procédure du scellé provisoire ne porte aucune atteinte aux droits fondamentaux, et notamment aux droits de la défense, il est jugé que la requérante n’établit pas de grief à l’appui de sa demande de nullité.

La confection de scellés provisoires, suivie d’un délai accordé à l’occupant des lieux pour lui permettre de signaler aux enquêteurs les documents protégés par la confidentialité des correspondances avocat-client devant échapper à la saisie, puis d’un examen contradictoire en présence de représentants de l’entreprise visitée et de ses conseils, avant qu’il ne soit procédé aux scellés définitifs, avait réservé les droits de l’entreprise visitée et ne lui avait causé aucun grief.

A la faveur de cet arrêt, cette technique s’ancre donc davantage dans les pratiques en matière d’investigation.

– Sur l’utilisation par l’entreprise de la fonction de recherche prévue dans un logiciel de messagerie électronique (en l’espèce Microsoft Outlook) à partir des noms des cabinets d’avocats conseils de l’entreprise à fin d’identifier – à suffisance ou pas – les éléments protégés au titre de la confidentialité des correspondances avocat-client :

Cette fonction qui, à partir de mots clef ou d’acronymes a généré un très grand nombre de résultats, ne satisfait à la preuve qui incombe à la personne visitée, puisqu’il ne suffit pas qu’un courrieI émane d’un avocat ou lui soit adressé pour être couvert par la confidentialité et fonde à suffisance ses revendications faites à partir de cette recherche, de voir certains fichiers expurgés de la saisie.

Il appartient en effet à l’entreprise visitée de préciser quels courriers étaient protégés et d’en justifier.

La Cour de cassation approuve ainsi la décision du premier président ayant conclu que l’entreprise visitée n’avait pas rapporté la preuve, qui lui incombait, de ce qu’il avait été opéré une saisie de documents de nature à porter atteinte au principe de la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client.

Certes, l’entreprise visitée ne contestait pas avoir pu identifier (ce que nous comprenons comme ayant été en mesure d’identifier) les éléments qu’elle estimait protégés par la confidentialité avocat-client, mais n’avait pas mis les enquêteurs en mesure d’en expurger les scellés provisoires, faute d’avoir fourni certaines informations qui lui étaient demandées (à savoir le nom du fichier d’inventaire, le nom du fichier, le chemin d’accès dans l’inventaire et le chemin d’accès dans la messagerie).

Il nous apparaît ainsi que la marge de manœuvre des entreprises visitées soit des plus réduite, à la fois pour rapporter la preuve de la confidentialité revendiquée, qu’en ce qui concerne les modalités de l’administration d’une telle preuve, lorsqu’une forme précise est imposée par les enquêteurs.

La collecte informatique largement paramétrée dans le cadre d’une saisie globale (voir ci-dessous), place l’entreprise l’ayant subi dans une situation parfois irréaliste au plan des vérifications ciblées des éléments non saisissables, alors que celle-ci ne peut faire un usage convaincant, aux yeux des contrôleurs, des outils alternatifs de vérification qui sont les siens.

Outre la question de la proportionnalité des saisies, l’on est en droit de se questionner sur l’égalité des armes lorsque la partie saisissante fixe seule l’ampleur des saisies et les uniques modalités formelles des éventuelles revendications.

En l’occurrence et en suite d’une saisie globale, la pratique de la saisie moyennant un scellé fermé provisoire, en ce qu’elle facilite au moins dans l’esprit, l’expurgation de certains fichiers, ne conduit-elle pas dans les circonstances de l’espèce à un affaiblissement dans l’exercice des droits fondamentaux de la partie saisie ?

– Sur la saisie par copie intégrale des fichiers de messagerie :

La Cour de cassation approuve le premier président d’avoir considéré que l’individualisation sur place aux cours des opérations, des seuls messages pertinents en les analysant un a un, bien que techniquement possible, s’avérait difficilement envisageable au risque de paralyser le fonctionnement de l’entreprise et de réduire l’efficacité de l’enquête.

L’ordonnance énonce en effet qu’un fichier de messagerie doit être regardé comme étant un fichier informatique indivisible, qui peut être saisi dans son entier s’il est susceptible de contenir des éléments intéressant l’enquête.

Il est donc nécessaire d’en préserver l’intégrité et l’authenticité des éléments de preuve, ce que garantit davantage la saisie globale des messageries dans lesquelles a été constatée la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation, évitant ainsi de créer sur l’ordinateur des éléments qui n’existaient pas ou d’altérer des métadonnées des fichiers.

Ainsi, la copie intégrale des fichiers de messageries, sans individualisation de chaque message, leur saisie dans leur globalité dès lors qu’ils contiennent des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements présumés, ne méconnaissent pas les exigences de l’article 8 de la CEDH, ces mesures étant prévues par la loi qui permet aux enquêteurs de saisir tous documents ou supports d’information en rapport avec les agissements prohibés visés par l’autorisation et où elles demeurent proportionnées.

Soulignons toutefois que, selon l’ordonnance du premier président de la Cour de Versailles, la messagerie électronique doit être dite « insécable » dès lors que les documents de messagerie litigieux, issus d’un logiciel de messagerie électronique, sont stockés dans un fichier unique pour l’ensemble des services fournis à l’utilisateur et que la sélection message par message aurait pour effet de modifier les références électroniques des fichiers déplacés et d’en affecter l’authenticité. Quand la technologie fait le droit… Mais – et c’est peut-être lueur d’espoir – ce qu’une technologie peut conduire le droit à dire, une autre le cas échéant, pourrait l’amener à le dédire.

La Cour de cassation approuve finalement les motifs de l’ordonnance du premier président qui, aux termes de son appréciation souveraine, apprécie que les données saisies n’étaient ni divisibles, ni étrangères au but de l’autorisation accordée.

– Pour ce qui est enfin du refus du JLD se déplacer dans le cadre du déroulement des visites :

Au vu des circonstances de l’espèce, la Cour de cassation estime qu’un tel refus est légitime, au vu de l’inutilité d’une telle démarche (à rappr. Cass. crim. 9 mars 2016, n°14-84566 : Lettre distrib. avril 2016, nos obs.).

Voilà donc un arrêt fort instructif à divers titres pour les entreprises un jour ou l’autre confrontées à une visite domiciliaire, et qui souhaitent d’ores et déjà s’y préparer.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous quelques variantes, est intégré à la Revue Lamy Droit de la Concurrence N° 96, Juillet Août 2020 et Actualités du droit du 3 juin 2020.

Sur mes autres contributions à la Revue Lamy de la Concurrence, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Autres publications.

 

Distribution internationale et arbitrage : extension de la clause compromissoire à des non signataires.

A la différence de la situation du compromis où, une fois le litige né, les parties peuvent se soumettre à l’arbitrage en pleine connaissance de cause, l’acceptation d’une clause compromissoire à l’occasion de la signature d’un contrat de distribution internationale, peut avoir des conséquences délétères pour l’une, bénéfiques pour l’autre.

En témoigne cette affaire jugée par la Cour d’appel de Versailles (Versailles, 12 mars 2020, n° 19/07463).

 

1. Faits et procédure.

En avril 2007, la société américaine Stanley Assembly Technologies (SAT), société du groupe Stanley Black et Decker, et la société espagnole Euro Herramientas (EH) ont signé un contrat de distribution des produits Stanley en Espagne et au Portugal, pour une durée d’un an, contenant une clause de renouvellement chaque année par accord exprès écrit entre les parties.

Ce contrat renfermait une clause compromissoire prévoyant que tout « litige, controverse ou réclamation découlant de ou se rapportant au présent accord ou à la violation, à la résiliation ou à l’invalidité de celui-ci sera définitivement réglée selon les règles du présent contrat, l’American Arbitration Association alors en vigueur par un ou plusieurs arbitres nommés conformément auxdites règles. Le lieu d’arbitrage sera Hardford Connecticut. Les dispositions de cet article resteront en vigueur après la résiliation du contrat. »

En octobre 2008, SAT a informé EH que l’accord ne serait pas renouvelé en 2009.

Estimant que la relation s’était poursuivie par la suite mais sans contrat écrit avec une autre société du groupe, la société anglaise Stanley Works Limited (SWL), EH assigne celle-ci en juillet 2018 devant le Tribunal de commerce de Versailles en se prévalant d’une clause attributive de juridiction figurant au bas de ses factures, pour faire valoir ses droits à son encontre de SWL.

Selon EH en effet, si le contrat avait été signé avec SAT, elle avait néanmoins entretenu par la suite une relation contractuelle avec SWL, comme cela résultait de factures émises par ses soins au nom de SWL avec mention d’une adresse à Trappes (adresse de SAT). Son seul et véritable interlocuteur, en dépit des mentions faites au contrat de distribution de 2007, était donc SWL agissant par sa « succursale » domiciliée à Trappes et inscrite au registre du commerce de Versailles.

En conséquence, la clause compromissoire prévue au contrat de 2007 était selon EH, manifestement inapplicable, dans la mesure où SWL n’était pas partie à ce contrat, et qu’il aurait existé avec cette dernière un contrat « oral », « distinct » du contrat de distribution conclu en 2007 avec SAT.

SWL soulève alors in limine litis une exception d’incompétence du Tribunal saisi, au profit du tribunal arbitral de l’AAA et le Tribunal de commerce de Versailles se déclare incompétent par un jugement du 27 septembre 2019.

EH interjette appel en saisissant le premier président de la Cour de Versailles, afin d’être autorisée à assigner à jour fixe, et l’affaire est évoquée dès janvier 2020.

Sans qu’il ne soit à ce stade tranché sur le fond du litige, on en voit l’enjeu premier, procédural, pour le demandeur : si la clause compromissoire n’est pas applicable dans le litige EH / SWL, celui-ci est jugé à Versailles par une juridiction étatique. Dans le cas inverse, c’est dans le cadre d’un arbitrage institutionnel aux à Hartford, Connecticut, Etats-Unis.

 

2. Problème.

Après avoir rappelé que le litige relève des règles sur l’arbitrage international sachant que le contrat d’avril 2007 a été conclu entre deux sociétés, l’une américaine (SAT) et l’autre espagnole (EH) et que la société attraite par la société espagnole devant la juridiction française est britannique (SWT), la question posée était de savoir si la clause compromissoire inscrite dans le contrat de 2007 conclu entre SAT et EH est ou non manifestement inapplicable aux rapports liant EH à SWL.

 

3. Solution.

Au vu des éléments du dossier, la Cour considère que SWL est intervenue auprès de EH dans le cadre de l’exécution du contrat de distribution d’avril 2007, qu’il existe un lien entre la clause compromissoire et l’action engagée par EH, que la clause peut s’étendre aux parties impliquées dans l’exécution du contrat et aux litiges qui peuvent en résulter.

 

4. Commentaire.

Au-delà du contentieux d’espèce, cet arrêt est une illustration de ce que la clause compromissoire peut s’appliquer rationae personae à d’autres que ses seuls signataires.

Si des tiers peuvent se trouver attraits devant un tribunal arbitral alors qu’ils ne l’auraient pas souhaité, d’autres n’hésitent pas à invoquer l’existence d’une telle clause afin d’échapper à la justice étatique et à délocaliser, parfois bien loin, le contentieux.

Il convient avant tout de rappeler que l’art. 1506 1° CPC en matière d’arbitrage international renvoie à l’application de la règle de l’article 1148 CPC relatif à la convention d’arbitrage, qui dispose que lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est « manifestement nulle ou manifestement inapplicable ».

La convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères le 10 juin 1958 (art. II, point 3) dispose quant à elle que le tribunal d’un Etat contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu un compromis ou sont convenues d’une clause compromissoire, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, « à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée ».

Ces dispositions, visées dans l’arrêt, sont le point de départ de la question classique en droit de l’arbitrage international, de l’application ou de l’extension de la clause compromissoire, à des parties non signataires du contrat qui la renferme.

Un exemple nous en est ici donné dans une situation typique où la défenderesse, qu’il s’agisse de la partie contractante ou de celle exécutante, font partie d’un même groupe.

La Cour de cassation, dans un arrêt 27 mars 2007 publié aux Bulletins, a posé que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (arrêt « ABS », Civ. 1er, 27 mars 2007, n° 04-20842, Bull. 2007, I, N°129) faisant de « l’implication » le critère de l’extension au tiers de la clause compromissoire.

L’arrêt de la Cour de Versailles s’inscrit dans cette veine. En l’espèce, il est relevé que les commandes et correspondances entre EH et SWL étaient adressées à SAT à Trappes, que la Cour désigne, assez curieusement, comme étant la « succursale » de la société SWT, alors qu’il s’agit d’une société distincte.

La Cour relève aussi que les factures émises par la société EH concernent les clients visés en annexe au contrat de distribution et que les commissions sont prélevées avec des taux correspondant à ceux convenus dans le contrat de distribution de 2007.

Enfin, EH ne verse aucun courriel ou autre pièce qui démontrerait l’existence d’une relation contractuelle distincte de celle générée par le contrat de distribution précité.

Au vu de ces éléments d’implication de SWL dans l’exécution du contrat, la Cour considère applicable la clause compromissoire dans le litige entre SWL et EH.

La Cour souligne en outre que le fait que le contrat ait été résilié depuis 2007 n’y change rien, d’une part à raison de ce que le contrat prévoyait expressément que la clause survivrait après l’expiration du contrat et que, d’autre part et de façon générale, la clause compromissoire n’est pas liée à l’inexistence du contrat, sa caducité ou sa résiliation, et « reste intacte ainsi que ses effets » (principe d’autonomie de la clause. cf. art. 1447 al. 1er CPC en arbitrage interne et sur renvoi à cet article opéré par l’art. 1506 CPC dans le cas d’un arbitrage international).

De même et pour la Cour, la question du conflit entre la clause compromissoire et la clause attributive de compétence est sans incidence dans la mesure où s’il est établi que la clause compromissoire est « manifestement applicable », « seul critère à apprécier par le juge de l’Etat », celui-ci doit se déclarer incompétent.

On soulignera l’emploi, peut-être précipité car ce n’est pas ce dont il est disposé dans l’article 1148 CPC, de « manifestement applicable » en lieu et place de « manifestement inapplicable », outre que cela ne revient pas au même.

 

5. Points de vue pratique.

Deux points de vue pratiques relativement à ce type de de litige.

A un premier niveau, pour une partie, la clause compromissoire ne s’accepte pas sans un minimum d’anticipation quant à ses conséquences lorsqu’il s’agira pour elle, le cas échéant, de faire valoir ses droits dans un futur parfois perçu comme très hypothétique et lointain, ou qu’il serait inconvenant à ses yeux d’évoquer au moment même de la naissance de la relation contractuelle.

Il n’est aussi point interdit d’imaginer que parfois, la clause compromissoire puisse relever d’une stratégie visant à rendre par exemple plus complexe et coûteuse une action en justice et à dissuader les demandeurs d’agir.

A un deuxième niveau, s’impliquer dans les affaires d’autrui peut aussi conduire, dans certaines circonstances, à se voir attrait à son corps défendant dans une procédure arbitrale rendue obligatoire aux termes d’une clause compromissoire contenue dans le contrat conclu par un autre (ou comme en l’espèce à la revendiquer bien volontiers).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’avril 2020. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Négociations 2020, désaccord sur les conditions tarifaires et rupture brutale de relations commerciales établies : Coca-Cola et Intermarché « condamnés » à s’entendre.

L’affaire, emblématique des tensions entre fournisseurs et distributeurs à l’occasion des négociations annuelles, avait été révélée au mois de janvier dernier notamment par la presse spécialisée (LSA n° 2586, 16 janvier 2020, n° 2586, p. 14).

Suite à un désaccord lors des négociations de fin d’année quant aux conditions tarifaires et de distribution applicables pour 2020 avec la centrale SAS ITM Alimentaire International (ITM), la SAS Coca Cola European Partner France (Coca) a notifié à ITM l’arrêt de ses livraisons à compter du 2 janvier 2020.

Ce désaccord intervient après qu’en août 2019, ITM ait elle-même notifié à Coca un déréférencement (que l’on suppose effectif en 2020) d’une partie de ses produits, qui allait se traduire en une baisse du chiffre d’affaires de 39% avec ITM selon Coca ou de 20% selon ITM.

Vu l’importance de la valeur des ventes concernées entre les deux opérateurs, soit 165 millions pour 2019, il était question pour Coca, de subir une régression de chiffre d’affaires de l’ordre de 33 millions (si diminution de 20%).

Les parties ont par la suite mais sans succès, tenté de trouver un terrain d’entente pour 2020, Coca proposant un accord « transitoire » fondé sur une baisse « des volumes » de 6% (donc semble-t-il inférieur à la baisse de chiffre d’affaires prévue, même s’il ne s’agit que d’une supposition de notre part, car il est fait état dans l’ordonnance d’abord de chiffre d’affaires puis de volumes), moyennant une hausse tarifaire de 2,7% sur janvier et février 2020, le temps de trouver un accord pour le nouvel exercice. ITM lui opposait une demande de « déflation » de 2,4%.

Le bras de fer dans la négociation persistant, Coca a notifié le 24 décembre 2019 à ITM, l’arrêt total de ses livraisons au 2 janvier 2020, soit un préavis de 9 jours.

Invoquant la rupture brutale et totale d’une relation commerciale établie, constitutive d’un trouble manifestement illicite et source d’un dommage imminent, ITM l’assignait aussitôt à titre conservatoire, en référé d’heure à heure pour l’audience du 14 janvier à se tenir devant le Président du Tribunal de Commerce de Paris, afin qu’il soit enjoint à Coca de reprendre ses livraisons « jusqu’au plus proche des évènements suivants » à savoir, soit « la conclusion d’une convention annuelle entre les parties pour l’année 2020 » (hypothèse d’un accord entre les parties), soit « l’écoulement d’un préavis de 24 mois expirant le 31 décembre 2021 » (en cas de désaccord entre les parties à l’issue de la période des négociations pour 2020)

ITM sollicitait aussi une astreinte de 493.000 euros par jour de retard dans les livraisons.

Au vu des circonstances (ancienneté des relations commerciales remontant à 1989, part de marché de Coca sur le marché des colas à hauteur de 75% à 90%, chiffre d’affaires en cause de 165 millions pour 2019 entre Coca et ITM), Coca est condamnée à reprendre ses livraisons sous une astreinte de 460.000 euros par jour de retard suivant la signification de l’ordonnance – soit un quantum correspondant au chiffre d’affaires journalier réalisé ITM avec Coca en 2019.

Pour le Tribunal, « le refus de vente et la livraison à partir de janvier 2020 annoncé avec 9 jours (dont 5 ouvrés) de préavis entraînant une rupture de stock dans le réseau de la SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL et le risque de perte de clientèle relève d’une rupture abusive et d’un abus de position dominante par Coca Cola ». In fine, les mesures ordonnées par le Tribunal ne sont pas celles demandées.

La lecture du dispositif de l’ordonnance n’indique pas expressément à quelles conditions doivent s’effectuer les livraisons, même si ses motifs précisent qu’il s’agit des conditions contractuelles de 2019.

Coca en est quitte pour deux mois de livraisons à des conditions qui ne sont pas celles proposées à titre transitoire à ITM, bien que sur une période courte, à savoir celle durant laquelle se déroulent les négociations commerciales annuelles, en principe jusqu’au 1er mars.

Rien de très original dans cette mesure car, en général et faute de s’être accordés sur des conditions transitoires au 31 décembre, c’est ainsi qu’opèrent fournisseurs et distributeurs sur les deux premiers mois de l’année, ces deux mois (60 jours) ayant visiblement inspiré le Tribunal pour la période de reprise de livraison et du cours de l’astreinte.

Au cas présent, la période de négociation va donc, de fait et par ordre du Juge, exceptionnellement s’étaler jusqu’à mi-mars.

Difficile, à première vue de dire qui sort gagnant de cette première manche, le juge n’ayant pas souhaité mettre sur la tête de Coca l’épée de Damoclès de la mesure initialement sollicitée (Affaire Coca-Cola/Intermarché : la justice prône l’apaisement, LSA, 16 janvier 2020, Y. Puget) et qui aurait amené la marque d’Atlanta, soit à devoir conclure une convention annuelle, le cas échéant à des conditions ne lui convenant pas, soit à devoir respecter un préavis de rupture de 24 mois, si tant est que cette période ne soit pas théorique au vu des intérêts commerciaux en jeu à raison notamment de la nature des produits concernés ou de la part de marché des acteurs sur leurs marchés respectifs.

Le pire est toutefois évité pour le fournisseur au vu des demandes formulées par son client.

Pour l’heure, les protagonistes de cette négociation douloureuse ont maintenant, sous l’effet de cette décision, deux mois pour s’entendre.

Reste à savoir qu’elle sera l’issue de leurs discussions et s’ils entendent nous priver, bien que l’on ne doute pas qu’il s’agisse là de leur objectif premier, de la perspective d’intéressants débats en matière, par exemple, d’imputabilité de la rupture ou de durée du préavis.

Sur ce dernier point, l’on note que le préavis sollicité par ITM était de 24 mois, ce qui nous renvoie à la problématique de l’application des nouvelles dispositions issues de l’ordonnance du 24 avril dernier en matière de rupture brutale de relations commerciales établies faisant notamment état d’une période de préavis de 18 mois (nouvel art. L. 442-1) et sur les questions que génèrent ce « nouveau » préavis. Mais il s’agit là d’un autre sujet (à rappr. « Réforme de la rupture brutale… quelle réforme ? », Lettre dist. Mai 2019, obs. C.M-G).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois de février 2020. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Produits de Grande Consommation et convention écrite : le décret est paru.

Ce décret du 19 décembre 2019 qui, dans sa version finale et publiée, s’est fait attendre, est paru ce jour au J.O.R.F.

Ce texte a pour objet de créer l’article D. 441-9 du code de commerce qui fixe la liste des produits de grande consommation, définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation, par référence à certaines classes de produits du règlement (CE) n° 1749/1999 du 23 juillet 1999, pour lesquels la convention écrite mentionnée au I de l’article L. 441-3 de ce code doit être conforme aux dispositions de l’article L. 441-4 du même code.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Pour nos alertes sur la loi Egalim et les textes pris pour son application :

Ordonnance du 24 avril 2019 et convention écrite non obligatoire : nouvelles précisions de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales.

Politique tarifaire : le bridage « Loi Egalim » phytos en ordre de marche.

Facturation, délais de paiement et réforme suite loi EGalim : alerte 4.

Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3.

Communications des CGV, négociation et réforme suite loi EGalim : alerte 2.

Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.

La vente de fruits et légumes frais destinés à la revente à l’état sort de la contractualisation obligatoire « LMAP » mais pas de la problématique de la contractualisation.

Loi EGalim : l’encadrement des promotions et la terminologie promotionnelle dans l’alimentaire décryptés par la DGCCRF.

 

Pour une approche plus élargie :

Réouverture des négociations tarifaires en cours d’exercice : La Cour d’appel de Paris balise la pratique des demandes de baisses de prix ou de « budgets » additionnels. (Revue Lamy Droit de la Concurrence N°74, Juillet Août 2018)

Circuits longs et partage de la valeur dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire : vers un « Soft Power » des consommateurs plus efficace que la règlementation ? (Revue Lamy Droit de la Concurrence N°68, Janvier 2018)

Contractualisation : De la complexité à l’efficacité ? (Agralimentation, Juin 2017)

Le formalisme de l’article L. 441-7 et la preuve de la modification de l’accord des parties. (Revue Lamy Droit de la Concurrence N°60, Avril 2017)

La marge de manœuvre des fédérations professionnelles et organisations interprofessionnelles dans la mise en œuvre de la clause de renégociation de prix pour les produits alimentaires rappelée par la CEPC. (Revue Lamy Droit de la Concurrence n° 59, Mars 2017)

 

Pour plus d’informations, voir onglet Publications.

 

 

 

 

 

Réactions à chaud inappropriées sur WhatsApp lors d’une visite domiciliaire pour suspicion de pratiques anticoncurrentielles : 1,84 d’amende.

Même si les faits n’ont pas été commis à l’occasion de visites domiciliaires en France, la sanction prononcée par l’autorité nationale de concurrence néerlandaise (Authority for Consumers & Markets), donne tout de même à réfléchir au plan des risques d’obstruction à enquête, à l’occasion de perquisitions diligentées sur notre territoire.

Cette autorité vient en effet d’annoncer le prononcé d’une amende de 1,84 millions d’euros à l’encontre d’une entreprise visitée, dont les employés, en cours d’investigation, avaient quitté un groupe de discussion constitué sur le système de messagerie instantanée WhatsApp et effacé leurs conversations, qui auraient pu contenir des preuves en relation avec lesdites investigations.

Dans cette affaire, l’entreprise ayant reconnu les faits et pleinement coopéré aux investigations au sein du « matériel » effacé, et cela dans une mesure allant au-delà des exigences, la sanction initialement fixée à 2,3 millions a été diminuée de vingt pour cent.

En relation avec la problématique de l’obstruction, nous signalons notre analyse à la Revue Lamy Concurrence n° 89, du mois de décembre 2019 (Droit d’opposition en matière de visites domiciliaires versus obligation de soumission aux inspections : l’improbable conciliation à l’aune de l’obstruction) et en extrait dès le 19 décembre 2019 sur Actualités du Droit – Wolters Kluwer.

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

A rapprocher de : Manœuvres sur messageries lors de visites domiciliaires pour suspicion de pratiques anticoncurrentielles : gare à l’obstruction.

Délais de règlement : du péril à ne pas modifier ses pratiques après une amende.

On dit qu’un homme ou une femme averti(e) en vaut deux, mais ce n’est pas systématiquement vérifié, y compris en matière de délais de règlement.

Dans un communiqué du 18 novembre 2019, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) a annoncé la condamnation de la société SFR à hauteur de 3,7 millions d’euros pour manquements réitérés aux délais de paiement légaux.

Les entreprises doivent s’assurer qu’elles respectent les délais de règlement légaux et, pour celles qui auraient déjà fait l’objet d’une sanction pour non-respect de ces derniers, y porter encore plus attention : une amende, une fois intervenue, n’est pas un gage de tranquillité future, presque bien au contraire.

Et cela concerne toutes les entreprises, car le risque de sanction ne pèse pas uniquement sur celles de la taille de l’acteur mentionné dans le communiqué précité, comme cela ressort de la liste des condamnations prononcées, disponible sur le site de la DGCCRF.

L’arsenal de lutte contre les retards de règlement s’est, on le sait, récemment alourdi (voir in-fine). Les conséquences commencent à s’en faire sentir.

Rappelons en outre que le Code de commerce sanctionne aussi toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement.

Ainsi, les pratiques qui, de facto, auraient pour ambition de contourner la règlementation ou d’imaginer des mises en conformité apparentes à celle-ci, ne sont pas de bon augure pour ceux qui s’y livrent (par exemple, stratégie de retards dans le point de départ de la computation des délais et autres « ralentissement » abusifs).

Un récent avis n° 19-11 de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, s’inscrivant dans la continuité de précédents sur ces questions de rallongement des délais de paiement (avis n° 19-5 et avis n° 19-6), indique ainsi que :

« Lorsqu’une facture est soumise aux délais de paiement du code de commerce, son destinataire ne peut la rejeter ou en refuser le paiement au motif que celle-ci ne comporterait pas une « donnée métier », quand bien même celle-ci serait obligatoire ou contractuellement prévue. Il s’expose en effet aux sanctions encourues en cas de dépassement des délais de paiement légaux ou de pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement tels que plafonnés par le code de commerce. ».

Enfin, les retardataires ne doivent pas perdre de vue que l’existence d’un tel dispositif de sanction sera, pour les fournisseurs parfois longtemps frustrés par les paiements tardifs durant la relation commerciale (sauf signalement anonyme, ce qui n’est jamais à exclure), une arme à déclenchement différé une fois que ceux-ci seront plus libres pour demander des comptes et déposer ouvertement plainte, notamment en cas d’arrêt abusif ou brutal de la relation commerciale. Et c’est alors tout un discret système, non vertueux, qui risque de devoir être remis en cause.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Pour plus d’informations en lien avec ces questions, se reporter à nos précédentes actualités :

Facturation, délais de paiement et réforme suite loi EGalim : alerte 4.

Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3.

Délais de paiement et Distribution : des Direcctes très actives.

Retards de paiement : le nouveau droit à l’erreur ne joue pas.

Retards de paiement : vers un possible renforcement du Name and Shame.

 

Ordonnance du 24 avril 2019 et convention écrite non obligatoire : nouvelles précisions de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales.

Saisie sur la question du domaine d’application de l’obligation d’établir une convention écrite sur le fondement de l’article L. 441-7 du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019, la CEPC vient de rendre un avis sur le fondement des nouveaux articles L. 441-3 et L. 441-4 issus de l’ordonnance précitée (régime « général » ou régime « PGC »).

Cet avis n°19-10 du 19 septembre dernier, récemment mis en ligne sur le site de la CEPC, s’inscrit dans la continuité de deux avis de 2013 et 2016 sur des questions similaires (voir in fine note (1)).

1. Contexte de l’avis.

Selon les faits rappelés par l’avis, la relation commerciale mettait en présence un exploitant de complexes cinématographiques et certains de ses fournisseurs, grossistes et fabricants de produits alimentaires et boissons.

A l’occasion du déploiement de son activité, l’exploitant commercialisait deux catégories de produits.

Il vendait d’une part des produits qui étaient transformés dans les points de vente (tels que pop-corn, boissons mises en gobelets, etc.) et, d’autre part, revendait en l’état d’autres types de produits achetés à ses fournisseurs (boissons en bouteille, friandises conditionnées en sachet, glaces, etc.).

Pour cette dernière activité, agissait-il pour autant en tant que distributeur au sens des textes précités, cette qualité le plaçant dans l’obligation de disposer d’une convention écrite conclue avec son fournisseur ?

2. Portée pratique de l’avis.

2.1. Même si l’avis est dédié pour l’essentiel à la problématique de la revente en l’état de produits achetés (boissons en bouteille, friandises conditionnées en sachet, glaces, etc.), il est intéressant de relever que la CEPC constate, sans formuler d’observations ou de réserves à ce sujet, que le professionnel vend des produits de la première des deux catégories ci-dessus, en suite d’une transformation dans le point de vente.

C’est le cas pour les boissons mises en gobelets, peut-être moyennant un simple changement de conditionnement, probablement en suite d’un achat en vrac ou moyennant des conditionnements plus volumineux.

Sauf à ce qu’il soit confectionné sur le point de vente au fil des besoins, ce qui n’est pas précisé, cela pourrait être aussi le cas du pop-corn livré prêt à consommer (sous réserve que cette situation soit ici envisageable) et vendu par la suite au cornet ou en seau selon des quantités variables choisies par le consommateur.

Quoi qu’il en soit, la situation est à conserver à l’esprit. En effet, au-delà des faits de l’espèce, un grand nombre de produits sont commercialisés sans que ne soit modifiée leur nature intrinsèque, le seul changement opéré touchant à leur allotissement ou leur conditionnement en fonction de la demande. On pense notamment aux ventes sous forme de parts ou de portions ou quantités individualisées.

L’évocation, même furtive dans l’avis, de cette modalité de commercialisation, nous renvoie à une solution déjà incidemment évoquée dans un de ses avis de 2016 (avis 16-6. note infra).

La CEPC considérait alors que, pour des produits alimentaires non destinés à être transformés mais reconditionnés dans les points de vente avec des emballages spécifiques, l’article L. 441-7 du Code de commerce n’avait pas vocation à s’appliquer « dans la mesure où il ne s’agit pas de revente de produits en l’état ».

2.2. Pour en revenir au cœur du sujet traité par l’avis, à savoir la revente en l’état de produits dans le cadre d’une activité commerciale qui, au principal, est celle d’une prestation de service (ici visionnage de films dans une salle spécialement aménagée), la CEPC transpose pour l’essentiel les solutions précédentes, et notamment celle de son avis n° 16-6, et considère que la revente, dans les conditions décrites par la partie saisissante, ne rentre pas dans le champs d’application des articles L.441-3 et L. 441-4 nouveaux, du Code de commerce.

Au cas particulier, la CEPC opère comme elle l’avait fait dans son avis 16-6, en soulignant le caractère « accessoire » de la revente des produits alimentaires en l’état, à ceci près que dans ce précédent avis, la revente apparaissait « comme un élément accessoire d’une prestation de service globale », alors que dans l’avis ici rapporté, la vente de prestations de restauration et de produits alimentaires ou boissons en l’état au sein du complexe cinématographique, par les exploitants de ceux-ci, constitue en principe « une activité accessoire à leur activité principale ».

La CEPC reconnaît ainsi plus nettement l’existence de deux activités, tout en prenant le soin de souligner le caractère subordonné de l’activité accessoire à l’activité principale « destinée à une clientèle ayant acheté par ailleurs une place de cinéma ».

C’est d’ailleurs aux conditions relevées en l’espèce, souligne-t-elle, que les exploitants de complexes cinématographiques ne sont pas des distributeurs ou des prestataires de services au sens des articles L. 441‑3 et L. 441-4 du code de commerce et n’ont donc pas à établir de convention annuelle ou pluriannuelle avec leurs fournisseurs de produits alimentaires ou de boissons, même dans le cas où ceux-ci sont revendus en l’état dans leurs établissements.

L’enseignement est intéressant à prendre en compte dans d’autres univers. On songe par exemple à ce que l’on désigne parfois, dans le jargon opérationnel, sous le terme de « marchés spéciaux » (ex. réseau de stations-services exploités par les compagnies pétrolières etc.).

En revanche et probablement pour confiner la portée de la solution ainsi donnée, la CEPC prend le soin de préciser que la solution n’est pas transposable aux situations dans lesquelles la vente de prestations de restauration et de produits alimentaires ou boissons en l’état, serait effectuée non par l’exploitant du complexe cinématographique lui-même, mais par un tiers.

En pareil cas, bien que l’activité restauration et de revente en l’état soit intimement favorisée par l’implantation de l’exploitation tierce dans l’enceinte du complexe cinématographique, il conviendrait à notre avis de n’y voir, ni plus ni moins, qu’une activité tierce ou et indépendante de celle de l’exploitant du complexe.

Ce tiers et ses fournisseurs se verront alors tenus d’établir une convention écrite dans le cadre des fournitures produits destinés à être revendus en l’état, sauf peut-être à considérer, par référence aux avis 13-01 et 16-6 (voir note ci-dessous), que les reventes en l’état de produits alimentaires par le tiers apparaissent comme un élément accessoire d’une prestation de service globale. Une session de rattrapage en quelque sorte…

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

(1) Avis n°13-01 relatif à une demande d’avis d’une fédération professionnelle dans le secteur de l’hôtellerie, Lettre. dist. oct. 2013 ; Avis n° 16-6 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur l’application des dispositions de l’article L. 441-7 du code de commerce dans les relations entre une centrale de référencement et les membres d’un réseau. A rappr. : Avis du 22 décembre 2008, n°08112801, à propos des produits destinés à être transformés par l’opérateur les ayant acquis. Voir aussi plus récemment l’Avis n° 16-7 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats sur l’application de l’article L. 441-7 du code de commerce aux relations entre un fabricant d’appareils domotiques et des installateurs, artisans électriciens, Lettre dist. mars 2016, L.B., ou Avis n° 18-10 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur l’obligation de conclure un contrat écrit entre un grossiste en produits de la pêche et un client restaurateur, Lettre dist. déc. 2018, M.A.

Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois de novembre 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Services de centrales et rémunérations injustifiées : le formalisme de la convention écrite et le droit des contrats à la rescousse.

Le litige ici rapporté opposait Profima, une centrale de référencement basée à La Réunion, ayant pour mission de référencer les fournisseurs pour le compte de grandes surfaces. Celle-ci avait conclu avec un fournisseur, Sofexi, le 22 mars 2007 puis le 29 février 2008, des contrats cadre de coopération commerciale, pour la fourniture de marchandises aux supermarchés à enseigne Carrefour (Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, 5 juillet 2019, RG n° 18/00110).

En exécution de ces contrats, la centrale avait émis des factures au cours de l’année 2009, que Sofexi s’est refusé d’honorer, en invoquant la nullité des accords pour non-respect des dispositions de l’article L. 441-7 du Code de commerce dans sa version applicable aux moments des faits (voir à ce jour et depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, les articles  L. 441-3 et L. 441-4 nouveaux du Code de commerce).

Signalons que l’arrêt fait référence à la seule loi du 2 août 2005 en faveur des PME dite « loi Dutreil » applicable en l’espèce à l’accord 2007. Cette loi a introduit dans le code de commerce un article spécifique à la coopération commerciale et instauré les « services distincts » de ceux figurant dans le contrat de coopération commerciale.

La loi du 3 janvier 2008, dite « loi Chatel », a par la suite instauré l’obligation d’établir une convention écrite dans l’article L. 441-7 consacré précédemment à la seule coopération commerciale. Cette dernière loi n’est pas nommément citée, mais apparaît avoir été applicable à la convention commerciale de 2008.

L’arrêt ici rapporté, loin de n’avoir qu’un intérêt historique dans au plan des contentieux des services de centrales et de rémunérations injustifiées, est doublement intéressant.

En l’espèce, il déporte le traitement de ce type de litige, depuis le fondement des pratiques abusives interdites (avantage sans contrepartie voire déséquilibre significatif, sur lesquels nous nous interrogions dans notre veille précédente), vers celui du formalisme et de la force obligatoire des contrats (II). Un tel mouvement permet que ces litiges soient tranchés par des juridictions non spécialisées (I).

 

I. Sur la procédure.

Dans le cadre de l’appel interjeté par Sofexi de la décision du Tribunal Mixte de Commerce de Saint-Denis du 2 avril 2014 (RG n° 12/00969) l’ayant condamné au paiement des factures, la Cour d’appel de Saint-Denis avait soulevé d’office le moyen de l’irrecevabilité de l’appel au regard des articles L. 442-6 et D 442-2 à 4 du Code de commerce, attribuant compétence au Tribunal de Commerce et à la Cour d’appel de Paris (cf. annexe 4-2-1 à l’article D. 442-3).

Dans son arrêt avant dire droit du 27 novembre 2015, la Cour relevait que Sofexi fondait ses prétentions « notamment » sur les dispositions de l’article L. 442-6 du Code du Commerce et que ce faisant, l’appel était irrecevable comme étant porté devant une juridiction incompétente « et ce nonobstant les autres fondements avancés à l’appui de ses prétentions ».

Rappelons que pareille solution a vécu depuis le revirement issu des arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 mars 2017 (Cass. com. 29 mars 2017, n° 15-17659, Lettre distr. avril 2017. C.M-G), dont l’un était d’ailleurs intervenu dans un contentieux de rupture brutale de relations commerciales établies sur l’Ile de la Réunion et ayant conduit à une saisine du Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce.

Depuis lors, les cours d’appel saisies de recours contre des décisions rendues par des tribunaux de commerce non spécialisés doivent, en vertu de l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, statuer sur les demandes des parties tout en relevant d’office l’excès de pouvoir commis par ces tribunaux.

L’arrêt avant dire droit de la Cour d’appel de Saint-Denis a par la suite été cassé (Cass. com. 20 sept. 2017, n° 16-13.144), au motif qu’« en statuant ainsi, alors qu’un litige dans lequel une partie invoque la violation de l’article L. 441-7 du code de commerce ne relève pas des juridictions spécialement désignées à l’article D. 442-3 de ce code et qu’elle avait constaté que la société Sofexi précisait que ses prétentions étaient uniquement fondées sur les articles 1134 du code civil et L. 441-7 du code de commerce, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (à rappr. Cass. com. 18 sept. 2019, n° 18.10225 et n° 17-19.653, Lettre distr. oct. 2019, C.M-G).

« Notamment » disait la Cour d’appel avant dire droit. « Uniquement » lui a rétorqué la suprême Cour. La Cour d’appel était donc à juste titre dotée du pouvoir de statuer sur les faits.

Il semble pourtant, à la seule lecture de l’arrêt du 5 juillet dernier, que les moyens développés par l’appelante aient été très inspirés des contentieux en matière de services « fictifs » fondés sur l’article L. 442-6 I 1° ancien du Code de commerce.

Cette disposition, a fortiori depuis ses modifications issues de la loi relative à la consommation du 17 mars 2014 certes non applicable à l’époque des faits, ne se situait-elle pas à la croisée des chemins du formalisme et des pratiques abusives, alors d’ailleurs que jusqu’à l’ordonnance du 24 avril dernier, la convention écrite devait indiquer les obligations auxquelles se sont engagées les parties « dans le respect des articles L. 441-6 et L. 442-6 » (nota : la référence aux pratiques abusives maintenant logées, notamment, dans l’article L. 442-1 nouveau du Code de commerce, est maintenue dans le nouvel article L. 441-3 du Code de commerce sur la convention écrite en régime dit « général »).

Mais la Cour de cassation a retenu que l’action était en l’espèce fondée sur l’article L. 441-7 et 1134 du code civil. La Cour d’appel « non spécialisée » devait alors s’exécuter : dans l’arrêt ici rapporté, la Cour de Saint-Denis, juridiction de recours non spécialisée, juge dans le style pourrait-on dire, d’une juridiction spécialisée, évitant ainsi la délocalisation d’un contentieux à quelques 10.000 kilomètres. Voilà qui ouvre le champs des choix procéduraux.

 

II. Sur le fond.

Avant de livrer son analyse du bienfondé ou non des créances de Profima au titre des services facturés, la Cour d’appel de Saint-Denis, citant la « circulaire Dutreil » de 2005 dans la continuité de la loi dont elle tire son nom, devait rappeler que « les services de coopération recouvrent des actions de nature à stimuler au bénéfice du fournisseur la revente de ses produits au consommateur par le distributeur, et notamment (…). Ils ne peuvent donc pas recouvrir d’autres aspects de la relation commerciale, et notamment les modalités de vente ».

La Cour rajoutant, selon la formule consacrée, que le service doit être « détachable de l’achat vente », qui est « la fonction naturelle » du distributeur. L’examen des accords s’ensuit.

– S’agissant de l’année 2007, Profima s’était engagée pour le compte de Carrefour à l’égard de la Sofexi à assurer dans le cadre d’un accord de coopération commerciale, « la présence d’un certain nombre de produits en catalogue, leur mise en avant en magasin et lors de communications événementielles, le nombre de produits pour les magasins devant être définis en l’annexe 1 ».

Ce service devait être facturé à hauteur de 3,5 % du chiffre d’affaires H.T. La Cour relève que cette annexe 1 n’avait pas été complétée, en sorte que la nature exacte des services rendus n’était pas mentionnée puisque les produits concernés n’étaient pas identifiés, de même que la date de réalisation des services, puisqu’en l’absence de précisions sur les produits concernés, le rétroplanning publicitaire joint en annexe 2 ne pouvait être utilisé (voir récemment, sur la problématique de la facturation de prestations de services et de leur contestation, Cour d’appel de Paris, 31 juillet 2019, n° 16/11545, Lettre distr. Sept. 2019, nos obs.).

En outre, dans le cadre de « conditions particulières à l’accord commercial de l’année 2007 », Profima s’était engagée à faire bénéficier Sofexi « d’une classification et d’un positionnement spécifique pour chacun des produits sélectionnés afin de les présenter de la façon la mieux adaptée à leurs caractéristiques, en assurer le suivi et permettre à la société Sofexi de lui proposer un ou plusieurs nouveaux produits ». Le service ainsi fourni devait être facturé 3% du chiffre d’affaires annuel H.T.

Comme pour les précédents services, le détail du ou des assortiments devaient figurer en annexe 1, laquelle était restée vierge à cet égard. Ainsi selon la Cour, la nature exacte des services rendus n’était pas déterminée, puisque les produits concernés par l’assortiment n’étaient pas identifiés.

Ces mêmes conditions particulières prévoyaient enfin que le distributeur « mette en œuvre les moyens nécessaires afin de favoriser la vente de ses produits et atteindre des objectifs fixés moyennant le versement de ristournes par palier de chiffre d’affaires ».

A nouveau, la Cour constatait que les moyens mis en œuvre n’étaient pas définis et qu’une ristourne était prévue « dès un chiffre d’affaires zéro » (i.e. semble-t-il, à compter du premier euros). Le service rendu n’étant pas précisé, la ristourne ainsi définie n’était pas détachable de l’achat vente (sur la problématique des ristournes, à rappr. Cour d’appel de Paris 22 mars 2017, n° 14/26103, Lettre distr. mai 2017, nos obs. ou Cour d’appel de Paris, 31 juillet 2019, n° 16/11545, Lettre distr. Sept. 2019, nos obs.).

Fort de cette analyse, qui aurait pu, peu ou prou, être celle livrée sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° par une juridiction spécialisée, les factures dont le paiement était sollicité en exécution des accords de 2007 (…), lesquelles ont été établies « en exécution de conventions qui contreviennent aux dispositions légales d’ordre public » ne pouvaient être utilement invoquées à l’appui d’une demande en paiement.

La Cour donne raison à Sofexi, sur le fondement de l’article 1134 ancien du Code Civil et L. 441-7 du Code de commerce.

Il s’agit d’une application littérale du premier de ces articles, qui disposait que les conventions « légalement formées » tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites : les conditions de l’article L. 441-7 du Code de commerce n’ayant pas été respectées, les convention discutées n’étaient pas « légalement formées » et ne tenaient pas lieu de loi entre les parties (« Par conséquent les factures dont le paiement est sollicité en exécution des accords de 2007 (…) établies en exécution de conventions qui contreviennent aux dispositions légales d’ordre public ci-dessus rappelées ne peuvent être utilement invoquées à l’appui d’une demande en paiement »). CQFD.

– S’agissant de l’année 2008, Profima n’est pas plus heureuse dans le recouvrement de ses factures.

La Centrale, qui s’était engagée sur un service de référencement de Sofexi auprès des magasins, en contrepartie duquel cette dernière s’engageait à lui payer une « commission » annuelle égale à 1% du chiffre d’affaires annuel H.T, est déboutée au motif que « le référencement qui consiste au cas d’espèce en une simple présentation du fournisseur aux magasins n’est pas détachable de l’achat vente qui est la fonction naturelle du distributeur. ».

A l’occasion d’un banal contentieux de factures impayées, la « vieille lune » de la qualification du référencement en tant que service facturable, resurgit sous les rayons du beau soleil de l’Ile de la Réunion, qui pourrait venir réchauffer les contentieux de Métropole.

La convention 2008, comme auparavant celle de 2007, prévoyait la mise en œuvre des moyens nécessaires afin de favoriser la vente de ces produits et atteindre des objectifs fixés moyennant le versement de ristournes par palier de chiffre d’affaires.

A partir d’un même constat qu’en 2007 (cf. ci-dessus) tirés du défaut de définition de ces moyens, c’est la même sanction. La facture n’est pas reconnue fondée.

Le dernier service débattu était celui de « présentation de nouveaux produits », au titre duquel et moyennant l’octroi par le fournisseur d’un « budget annuel » en guise de rémunération, les magasins s’engageaient à assureur la présence de ces nouveautés au sein des linéaires, dans un délai maximum d’un mois à compter de la demande du fournisseur « selon une liste précise qui devait être annexée à la convention ».

La Cour constatait que l’annexe 1 devant identifier les nouveaux produits proposés à la vente et concernés par ce service n’avait pas été établie et annexée à la convention. En outre, le prix du service qui devait être rendu, n’était pas indiqué dans la convention. La facture est non due.

Même solution donc pour ces trois sujets relatif à l’année 2008 (facturation de ristournes sur chiffre d’affaires, d’une commission de référencement, d’un budget relatif à l’introduction de nouveaux produits), motif pris de la contravention aux dispositions légales d’ordre public logées dans l’article L. 441-7 ancien du Code de commerce.

La numérotation des articles a changé, les lois se sont enchainées depuis les faits mais, au lendemain de l’ordonnance du 24 avril 2019 dans la continuité de la loi Egalim, bon nombre des enseignements de cette affaire sont transposables sous les nouveaux textes.

Nous le voyons, le contentieux des pratiques restrictives offre toujours d’intéressants développements. Aux praticiens de les prendre en compte.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

 

Ordonnance du 24 avril 2019 et avantages financiers non fondés (L. 442-1 C. com) : concurrence ou complémentarité des moyens pour des restitutions ?

L’ordonnance du 24 avril 2019 portant réforme du titre IV, traduit une volonté des pouvoirs publics d’aborder les différentes pratiques restrictives selon une approche qui, bien que minimaliste au plan de la formulation de ce qui relève de l’interdit, n’en est pas moins ferme.

Non sans une note un brin provocatrice et contestataire de l’actuelle occupation de l’espace tant judiciaire que médiatique par le « déséquilibre significatif », les deux – et seuls – outils de lutte des abus de la négociation logés aux points 1° et 2° de l’article L. 442-1 du Code de commerce, nous amènent à imaginer ce que pourrait-être le futur de la mise en œuvre du dispositif de règlement de compte entre les parties, en suite d’avantages financiers injustifiés.

Un récent arrêt de la Cour de Paris du 31 juillet dernier (n° 16/11545), nous rappelle d’ailleurs que les justiciables n’opposent pas nécessairement les deux outils précités.

 

I. Le passé – bref retour en arrière.

Les vingt dernières années ont vu le nombre des pratiques abusives s’accroitre régulièrement.

A la veille de l’ordonnance du 24 avril 2019, nous en dénombrions treize titre du point I de l’article L. 442-6, dont certaines se déclinaient de surcroît au travers de situations énumérées de manière non limitatives (L. 442-6 I 1°).

A celles-ci, il fallait adjoindre les prohibitions visées au point II de l’article, concernant les clauses ou les contrats qui, eux-mêmes traduisaient l’existence d’autres pratiques.

Souvenons-nous pourtant qu’à la veille des « Assises du commerce et de la distribution », première grand-messe consacrée, entre autres, aux déséquilibres amont-aval, à la toute fin de la décennie 1990-2000 (Lettre. janv. 1999 ; « Marge arrière et transparence des pratiques commerciales », Les Echos, 13.01.2000, nos commentaires), ayant accouchée de la loi NRE, l’article L. 442-6 I ne visait que cinq pratiques.

La NRE a notamment introduit dans le point I de l’article précité, le délit civil d’obtention ou tentative d’obtention d’un partenaire commercial d’un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, ainsi que celui d’abus de la relation de dépendance dans laquelle est tenu un partenaire ou de sa puissance d’achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées.

Le point II se voyait quant à lui enrichi d’un dispositif de sanction, par la nullité de certains arrangements contractuels, dont ceux visant le bénéfice rétroactif de remises ou ristournes ou d’accords de coopération commerciale, ou le paiement d’un droit d’accès au référencement préalablement à la passation de commande.

La suite est bien connue : l’article L. 442-6 s’est au fil des réformes étoffé pour, à la veille de la l’ordonnance du 24 avril dernier, viser treize pratiques.

On retiendra, entre autres, à l’occasion de la LME de 2008, l’instauration de l’interdiction de la soumission ou la tentative de soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Ce dispositif se substituait à celui de l’abus de puissance d’achat introduit par la NRE, mais dont la mise en œuvre s’avérait des plus complexes, donc inefficace.

La décennie 2010/2020 allait alors être celle des contentieux en matière de déséquilibre significatif, inaugurés par les assignations « Novelli » visant neufs distributeurs à enseignes de renom, alors que s’ouvraient les négociations commerciales 2010.

Impliquant à l’origine les puissants acteurs de la Grande Distribution, ce contentieux n’a jamais perdu de sa vigueur à leur encontre, tout en s’étendant à de nouveaux acteurs dotés d’une puissance économique hors norme sur leurs secteurs respectifs. On songe notamment aux plateformes internet de réservations hôtelières ou à celles de vente par ce même moyen (Min. de l’Economie c./ Amazon. Trib. Com. Paris, 2 sept. 2019, Lettre dist. sept. 2019, S.C.).

Pendant cette dernière décennie, la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales a toutefois continué son travail d’analyse des pratiques au regard de l’article L. 442-6 I 1°, soulignant par exemple le caractère « large » de la lettre de l’article L. 442-6 (cf. Avis 17-3, CEPC, Avis n°17-3, « Coopération commerciale sans contrepartie et déséquilibre significatif », Lettre dist. avril 2017).

Si traditionnellement, c’est-à-dire avant l’instauration du déséquilibre significatif, le contentieux de l’article L 442-6 I 1° apparaissait comme étant celui du Ministre qui par son action, a pu amorcer le contentieux entre les parties, ce premier fondement a par la suite été assez délaissé, de notre point de vue, par l’Administration au profit du contentieux pour déséquilibre significatif.

L’article L. 442-6 I 1° devait ainsi entrer dans une période de relative léthargie au plan judiciaire, bien que de temps à autre ponctuée d’affaires initiées par des victimes de pratiques abusives, notamment à l’occasion de contentieux de rupture brutale assortis de demande en restitution d’avantages indûment versés à raison de services fictifs ou dont la rémunération était disproportionnée (V. not. Paris, 24 mars 2011, Lettre dist. avril 2011 et Cass. com., 11 septembre 2012, n° 11-14.620 et n° 11-17.458 : Lettre dist. avril 2011, nos obs. ; RLDA, n° 61, Juin 2011, nos obs..), outre les éventuels règlements de comptes par voie d’accords aussi amiables que discrets.

Mais l’outil du L. 442-6 I 1° (L. 442-I 1°) par la NRE et récemment toiletté ne serait-il pas au point de sortir de période sa torpeur ?

 

II. Le présent – L’actualité.

1. C’est en règle générale et avant tout, au plan judiciaire, celle des affaires de déséquilibres significatifs toujours essentiellement l’initiative du Ministre (rappr. supra Trib. com. Paris, 2 sept. 2019).

On rappelle que ces actions ont parfois conduit au contrôle du prix convenu (Com. 25 janv. 2017, n° 15-23.547, obs. N.E, Lettre dist. fév. 2017  ; Cons. Constit. Décision n° 2018-749, QPC du 30 novembre 2018, Lettre dist. déc. 2018, obs. N.E).

Et le Ministre ne désarme pas. On songe notamment au contentieux engagé par lui cet été à l’encontre du mouvement E. Leclerc pour des pratiques commerciales abusives commises par sa centrale d’achat belge, avec demande de condamnation à hauteur de 117,3 millions (Communiqué du Ministre de l’Economie du 22 juillet 2019, n° 1354).

Mais, dans cette actualité, les acteurs privés ne sont pas de simples spectateurs.

En témoigne le contentieux ici rapporté où les deux fondements de l’ex L. 446 I 1° et 2° sont invoqués par le fournisseur (signalons au passage que le litige n’est pas dénué d’intérêt au plan des problématiques de rupture de relations commerciale établie qu’il aborde, telles que l’arrêt des relations commerciales pour des produits d’arrivage ainsi que des produits permanents, la dépendance économique sans exclusivité ; l’existence d’un appel d’offres etc.).

– En l’espèce, les demandes du fournisseur au titre du déséquilibre significatif sont rejetées, faute pour celui-ci d’avoir pu démontrer l’élément constitutif de soumission ou de tentative de soumission à l’occasion de la négociation commerciale avec son client, une enseigne de la grande distribution de produits de bricolage. L’absence de démonstration de la soumission : c’est là le premier obstacle auquel les demandeurs vont s’exposer.

Alors que le Ministre n’intervenait pas ici, par exemple aux fins de solliciter le prononcé d’une amende civile et que les clauses discutées, du moins au vu des éléments de l’arrêt qui semblent plutôt relier les demandes en restitution au non-respect de l’article L. 442-6 I 1° à raison de prétendus avantages sans contrepartie, l’on peut s’interroger sur l’objectif pertinent de la prétention sur le fondement de L. 442-6 I 2°, que les éléments de l’arrêt ne nous permettent pas d’identifier précisément.

– S’agissant des prétentions du fournisseur fondées sur l’article L. 442-6 I 1°, il était question de remises de fin d’années et de rémunération de prestations de services.

Selon la Cour, les appelantes ont échoué à établir la réunion cumulative de trois conditions de la pratique restrictive de concurrence dénoncée, à savoir le partenariat commercial, l’existence d’un avantage quelconque et le défaut de service commercial effectivement rendu ou la disproportion manifeste au regard de la valeur du service rendu.

. Pour ce qui est des ristournes, à propos desquelles le fournisseur reprochait au distributeur d’appliquer un taux de remise sur la base d’un pourcentage calculé par référence à l’intégralité du chiffre d’affaires, la Cour considère qu’elles sont accordées au regard d’un taux déterminé à l’annexe des conventions et du chiffre d’affaires effectivement réalisé au cours du mois précédent, de sorte qu’elles dépendent des quantités effectivement commandées par le distributeur. L’avantage accordé correspondait donc à une contrepartie.

La circonstance que le taux s’applique globalement et pas spécifiquement par produit n’était pas en soi un avantage dépourvu de contrepartie « dans le contexte décrit ci-dessus » .

. Pour ce qui est des prestations facturées par le distributeur, que le fournisseur considérait comme ne correspondant à aucun service réel ou ne tenant pas compte de la valeur réelle de la prestation, la Cour d’appel constate que les contrats faisaient ressortir que les services rendus par le distributeur moyennant rémunération, étaient des services de  « mise en avant en catalogue, mise en avant sur internet, mise en avant permanente dans les magasins, l’annexe 3 précisant les services choisis par le fournisseur et leur coût », en sorte que le fournisseur ne pouvait soutenir que la rémunération du distributeur était dépourvue de contrepartie, le taux de la rémunération étant par ailleurs défini chaque année entre les parties.

Selon la Cour, la contrepartie à la rémunération était effective, alors que le fournisseur ne démontrait aucunement que cette rémunération était excessive. Il est en outre indiqué dans l’arrêt que les conditions d’exécution du contrat étaient inopérantes en l’espèce.

Pareil verdict au plan des prestations facturées, peut appeler trois observations, sous réserves des circonstances et des pièces versées au dossier par les parties et qui nous sont inconnues.

En premier lieu et de manière générale, le seul énoncé dans un convention annuelle, surtout s’il s’agit d’une convention cadre, d’intitulés de services, contreparties apparentes d’une rémunération précisée, ne traduit pas ipso facto la quantification et la définition précise de ces derniers.

La notion de « mise en avant », en elle-même assez évasive, a souvent été prise à défaut à l’occasion de la jurisprudence passée (cf. par ex. CA Paris 29 juin 2016, n° 14/09786 et 14/02306 : Lettre dist. sept. 2016). Mais peut-être ces « mises en avant » étaient-elles décrites avec précision en d’autres endroits de la convention, par exemple, dans l’annexe 3 citée par la Cour, quitte à ce que certains éléments, inconnus lors de sa conclusion, soient ensuite déterminés par contrat d’application.

Notre deuxième remarque se rapporte à la reconnaissance du caractère effectif de la contrepartie de la rémunération, que la Cour semble déduire du seul contenu du contrat, en indiquant que les « conditions d’exécution », que nous comprenons comme étant leur vérification, étaient inopérantes en l’espèce.

L’approche ne manque pas de surprendre, alors que le dispositif légal en vigueur au moment des faits visait les avantages au titre d’un service commercial « effectivement rendu » ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du « service rendu ». Signalons qu’il en ira de même dans le dispositif issu de l’ordonnance du 24 avril dernier, qui prévoit que « les pratiques sont appréhendées de la négociation à l’exécution du contrat » (cf. Rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 24 avril 2019, p. 7).

La troisième remarque tient au caractère non excessif de la rémunération, dont l’affirmation pourrait sembler bien emportée, en l’absence d’examen de la consistance de services et de leur exécution.

A l’occasion d’affaires passées, la Cour d’appel avait pu apparaître à ce sujet plus regardante (Paris, 24 mars 2011, n° 10/02616, préc. ; Paris, 29 juin 2016, n° 14/02306, préc.: «  (…), il (en l’espèce une Centrale) lui appartient de justifier la réalité des opérations qu’elle a décrites dans ses factures, ce qu’elle ne fait pas en l’espèce, ne pouvant se borner à dire que ces opérations ont servi à la société (…). Que la preuve qui lui incombe n’est manifestement pas faite de ce que les services ainsi rémunérés sont distincts des services prévus et rémunérés dans les conditions générales de vente des fournisseurs et que, si ces services sont distincts, ils sont également réels, Considérant que le moyen tiré de la disproportion du prix, dont la démesure n’est pas expliquée, s’avère sans objet. Considérant que l’action en répétition de l’indu doit être accueillie à hauteur de la somme de 797.795 Euros»).

2. Mais l’arrêt rapporté n’est finalement qu’une espèce dans laquelle les deux moyens du L. 442-6 I 1° et 2° sont avancés pour appréhender des situations différentes.

Or, ce qui nous occupe ici tient plus d’un questionnement sur la mise en œuvre de la réforme, lorsque les deux fondements sont susceptibles d’être employés pour le rééquilibrage d’une situation tarifaire anormale, au sens le plus large qu’il soit.

Le point I de l’article L. 442-1, siège des nouvelles pratiques abusives visant à lutter contre les déséquilibres dans la relation commerciale se veut épuré, selon l’objectif de simplification voulue par la loi Egalim s’agissant des pratiques de l’article L. 442-6 (cf. art. 17 I. 6° de la loi du 30 octobre 2018).

Il l’est d’ailleurs à l’extrême, le nouveau dispositif n’étant à une disposition près (le déséquilibre significatif) pas plus fourni que ce qu’il ne l’était il y a près de vingt ans avec la loi NRE, puisque les pratiques contenues dans le point I de l’article L. 442-6 dans sa version de 2001 ont quasiment toutes été abrogées au fil du temps (à l’exception du délit civil d’obtention ou tentative d’obtention d’un partenaire commercial d’un avantage sans contrepartie ou moyennant une contrepartie disproportionnée et abstraction faite de la rupture brutale ou la participation à l’interdiction de vente hors réseau, pour l’avenir contenues ailleurs que dans le point I précité).

A l’heure actuelle et pour ce qui est de la lutte contre les avantages injustifiés, la notion de « partenaire commercial » été remplacée par celle, plus large, de l’« autre partie ».

Celle d’un « avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu » par celle, plus accueillante, d’« avantage ne correspondant à aucune contrepartie ».

Enfin, le caractère manifestement disproportionné ne s’apprécie plus au regard de la valeur « du service rendu » mais de celle de la « de la contrepartie consentie », dénotant le caractère commutatif du dispositif.

Car la notion de contrepartie est au centre du dispositif, quel que soit la qualité des parties dans le cadre d’activités de distribution, de production ou de service (cf. Rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 24 avril 2019, p. 7).

A cette pratique originelle, élargie dans son périmètre, se rajoute le délit civil du déséquilibre significatif, lui-même élargi dans son domaine : comment combiner l’approche de ces pratiques dans le cadre d’un débat sur la valeur ?

 

III. Le futur – la question du choix des moyens.

La réduction du nombre des interdictions, présentée dans le rapport au Président de la République comme un recentrage (cf. Rapport précité, p. 6), ne doit pas se comprendre comme un adoucissement du dispositif de lutte.

En témoigne – dans la continuité du mouvement de durcissement des sanctions et notamment de l’amende civile initié par les précédentes lois – la suppression à l’occasion de la réforme de la référence à la proportionnalité de la sanction aux avantages tirés du manquement dans la limite de 5% du chiffre d’affaires de l’auteur des faits (cf. Rapport précité, p. 8).

Pour ce qui relève des composantes du prix jusqu’au « triple net » et dans la perspective d’une démarche préventive pour de putatifs auteurs d’abus, ou corrective pour leurs éventuelles victimes, on en revient plutôt, avec l’idée d’un recentrage, à ce qui est essentiel, sans se disperser.

L’on pourrait certes s’employer à ranger les pratiques qui ne sont plus mentionnées en tant que telles dans la loi sous la définition des pratiques maintenues. Mais est-ce vraiment si important, alors que certains dispositifs n’ont été que très peu mis en œuvre ?

Le choix des pouvoirs publics de maintenir dans les deux seuls dispositifs de lutte contre les pratiques abusives (rupture brutale et participation à la violation de l’interdiction de revente hors réseau mis à part) une prohibition, large, des avantages sans contrepartie ou manifestement disproportionné qui, à la différence de l’interdiction du déséquilibre significatif, n’exige pas la démonstration d’une soumission ou d’une tentative de soumission, laisse aux victimes le choix des armes, au mieux de leurs intérêts.

La tentation d’opposer sans nuance la police des avantages ou de leur valeur (L.442-1 I 1°) à celle des clauses (L.442-1 I 2°) est peut-être critiquable, d’autant que ce dernier dispositif s’est immiscé dans sur le terrain du premier (voir Com. 25 janv. 2017et Cons. Constit. Décision n° 2018-749 précités).

Mais il n’en demeure pas moins que les deux outils ont certes leurs terrains de prédilection respectifs, leurs subtilités ou particularités de mise en œuvre, même s’ils peuvent, à certains égards, s’alimenter mutuellement.

Et tout n’est pas à réécrire. Les acteurs, à tout le moins ceux pour lesquels ces dispositifs ont été imaginés et ceux auxquels ils peuvent être appliqués – et leurs juristes – doivent en avoir conscience.

Le contexte juridique ou médiatique du moment et les problématiques « transverses » pourront aussi être des éléments à prendre en considération.

Les deux dispositifs, très accueillant, viennent à notre rencontre avec leur raison d’être, leur histoire et leur cortège de doctrine et de jurisprudence, à l’initiative du Ministre ou des parties.

Pour ces dernières, la vengeance est un plat qui se mange froid, souvent après avoir été éconduites et pour le coup plus enclines à restaurer un équilibre dont elles ont été privées en demandant des comptes à leur ancien partenaire.

Alors, concurrence, complémentarité, peut-être subsidiarité de ces dispositifs ? Pour autant que cette question soit pertinente, à chacun de voir le moment venu, en amont lors des négociations et après coup lors des règlements de compte.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article est intégré à la Lettre de la distribution du mois de septembre 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Visites domiciliaires et entreprises tierces : l’article L. 450-4 C. Com. à l’épreuve de la CEDH.

Les droits de la défense vus sous l’angle de l’égalité des armes et du droit à un recours effectif auront été récemment malmenés dans le cadre d’une procédure de recours contre le déroulement d’une visite domiciliaire incidente, mais la cour de cassation vient de les restaurer à l’occasion d’un arrêt du 13 juin dernier (Cass. Crim. 13 juin 2019 – Pourvoi 17-87.364).

 

1. Le contexte.

Dans l’affaire ici rapportée, une entreprise avait fait l’objet d’une enquête « lourde », sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce, suite à une ordonnance du JLD de Paris en date du 24 mai 2014 autorisant les visites et saisies dans ses locaux, sur requête des services de l’ADLC.

La requête de l’ADLC s’inscrivait dans la lignée de l’exécution de précédentes visites et saisies autorisées par ordonnance du JLD de Bobigny en octobre 2013 auprès d’acteurs du secteur.

Des pièces et documents saisis au cours de ces OVS pouvaient en effet laisser présumer que l’entreprise précitée, pourtant non concernée par la première vague de visites domiciliaires en 2013 avait pu, elle aussi, participer aux pratiques qui avait donné lieu à ces premières visites.

Pour motiver sa requête afin d’être autorisée à procéder à de nouvelles visites au sein de l’entreprise non concernée par visites domiciliaires initiales, l’ADLC avait produit au JLD de Paris un certain nombre de pièces extraites des saisies pratiquées lors des visites de 2013 (extraits de cahier de notes et autres tableaux etc).

Munis de l’ordonnance obtenue pour l’exécution de la mesure, les enquêteurs n’ont toutefois pas estimé nécessaire de notifier à l’entreprise visitée tant les procès-verbaux des OVS de 2013, que l’inventaire de pièces alors saisies et qui, précisément, avaient conduit l’ADLC à envisager une seconde vague d’OVS (OVS incidentes).

 

2. La controverse.

Le cadre ainsi posé, le débat portait sur l’interprétation qu’il convenait de donner à l’alinéa 12 de l’article L. 450-4 alinéa 12 du Code de commerce, relatif au recours porté devant le premier président de la Cour d’appel, contre le déroulement des opérations de visite.

On le rappelle, ce recours est ouvert, notamment, à la personne à l’encontre de laquelle a été prise l’ordonnance d’autorisation de visites et saisies, mais aussi « aux personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations ».

Ce recours doit être intenté « dans un délai de dix jours » à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’inventaire pour la personne à l’encontre de laquelle a été prise l’ordonnance ou, « pour les personnes n’ayant pas fait l’objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l’inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs (…) ».

Au demeurant et bien que cela ne ressorte ni de l’arrêt d’appel ni de celui de la Cour de Cassation, l’article précité, en son alinéa 10, dispose qu’une copie du procès-verbal et de l’inventaire, remis à l’occupant des lieux ou à son représentant, doit également être « adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception aux personnes mises en cause ultérieurement par les pièces saisies au cours de l’opération ».

L’information obligatoire des tiers ultérieurement mis en cause, se veut ainsi la condition première pour l’exercice de leur droit à recours contre l’exécution d’une visite qui les mets, de manière consécutive, en situation d’auteur présumé.

Dans ces conditions, difficile de prétendre que la notification du PV de visite et d’inventaire des pièces saisies pendant les premières visites de 2013 et remis à l’entreprise initialement visitée dès la fin des opérations pour l’ouverture de son droit de recours sous 10 jours, n’ait pas lieu d’être notifié avec la même finalité à l’entreprise tierce par la suite visée par une ultérieure ordonnance.

Ladite entreprise, si elle n’était pas en cause au jour des visites initiales, accède suite aux premières visites, aux rang des parties à l’entente présumée et au peu enviable statut de « mis en cause » dès que sa situation, au regard des faits présumés, conduit à diligenter à son encontre une enquête lourde.

Plus généralement, si sa culpabilité ne peut être préjugée au stade des visites initiales ou incidentes qui la concerne, toute entreprise visitée n’en est pas moins touchée par une présomption de participation à des pratiques pouvant être illicite que seule une instruction au fond permettra, le cas échéant, d’établir.

L’entreprise, cible de visites et saisies incidentes, donc différées car consécutives à sa suspicion au vu des éléments recueillies lors de premières visites, ne devrait-elle pas comme les entreprises initialement visitées, être, mise en situation de pouvoir mettre en action son droit à recours effectif le plus rapidement possible, si sa mise en cause est, elle aussi, effective ?

En effet, l’article L. 450-4 alinéa 12 du Code de commerce, pris à la lettre, ne confère pas à la partie requérante (l’ADLC), un droit discrétionnaire à différer le moment à partir duquel cette notification doit effectivement survenir, faisant elle-même courir le délai de recours.

On pourra certes objecter que, bien que précisant un point de départ de la computation du délai de recours à partir de la notification du PV et de l’inventaire, le texte s’avère assez lacunaire quant au moment où cette notification doit intervenir effectivement.

Cette imprécision relative fait néanmoins la part belle à l’ADLC, décisionnaire du moment de la notification, et donc de l’ouverture du recours, et ce au détriment de l’entreprise concernée.

Le texte redevient en revanche précis, lorsqu’il fixe comme le point de départ ultime de computation du délai de recours de 10 jours un deuxième genre de notification, mais de griefs cette fois-ci. On se situe déjà à un stade bien avancé la procédure pour ce qui est des charges qui pèsent sur l’entreprise.

En l’état, l’entreprise ayant fait l’objet d’une visite incidente et pouvant tout de même se considérer comme suspectée donc en cause  (n’oublions pas que sa visite a pu s’accompagner de la pose de scellés, de la saisie de diverses pièces ou de messageries à laquelle n’aura pas pu s’opposer sauf à commettre une obstruction. A rappr. Enquête et instructions P.A.C : appréciation extensive de l’obstruction, ADLC, 22 mai 2019, n° 16-D-19, Lettre distr. Juin 2019, nos commentaires), ce que la notification de grief viendra entériner – ne peut engager son recours contre les OVS initiales avant que ne survienne l’une ou l’autre des notifications (PV ou notification de grief) sur lesquelles l’ADLC garde la main.

Paradoxalement, les entreprises initialement visitées auront quand à elles pu intenter un tel recours dès la notification de l’ordonnance (recours contre l’ordonnance. Art. 450-4 al. 6), ou la fin des opérations et la remise du PV et de l’inventaire (recours contre le déroulement. Art. 450-4 al. 12).

A la limite du kafkaïen, l’entreprise visitée pourra donc former un recours à la fois contre l’ordonnance incidente la concernant et le déroulement des opérations ordonnées (Art. 450-4 al. 6 et 12), alors qu’elle ne sera pas en mesure d’engager un tel recours contre le déroulement des visites originelles qui ont permis sa mise en cause.

Malgré ce, l’ADLC ne prétendait-elle pas devant la Cour d’appel, prenant tout de même appui sur quelques exactitudes :

« qu’au stade des visites et des saisies, il n’est pas possible d’établir une incrimination à l’encontre d’une entité visitée puisque les investigations ont pour objet de vérifier la réalité de présomptions d’infractions ou au contraire de les infirmer. Ce n’est qu’au terme du processus d’instruction qu’une éventuelle notification de griefs aurait pour objet de poursuivre W… pour avoir contrevenu aux règles de la concurrence. Dès lors, l’appelante n’ayant pas encore le statut de mise en cause, il en résulte que l’ADLC n’avait pas à lui notifier le PV de visite et saisie et l’inventaire dressés dans les locaux de F… et S… . ».

Habilement présentée aux fins de contester la mise en cause, le moyen n’en restait pas moins fragile dans sa justification, alors que Cour d’appel allait juger dans son arrêt, qu’il existe des « présomptions simples » d’agissements prohibés :

« Au stade de l’enquête préparatoire, il est simplement demandé au JLD de retenir des présomptions simples d’agissements prohibés. Dès lors, c’est à bon droit que le JLD de PARIS a relevé de telles présomptions à l’encontre de la société W… et a rendu une ordonnance de visite et de saisie dans ses locaux ».

Mais la Cour d’appel emboite le pas de l’ADLC et fait peu de cas des moyens de l’entreprise visitée qui, s’estimant sans anxiété démesurée « en cause », soutenait dans les termes suivants qu’elle aurait dû se voir notifier PV de visite et saisies et inventaires antérieurs de manière concomitante à sa propre visite :

« Elle (l’ADLC) aurait dû procéder à cette notification au plus tard le jour des OVS de mai 2014 dans les locaux de W… ou, à tout le moins, annexer à la requête dans leur intégralité les procès-verbaux et les inventaires de visite et de saisie chez F… et S…., ce qui aurait permis à W…d’exercer effectivement son droit au recours au moment des OVS de mai 2014. ».

Ses moyens vont faire mouche devant la Haute Cour.

 

3. La solution.

La Chambre criminelle casse l’arrêt d’appel en donnant une interprétation selon nous conforme aux principes du procès équitable consacré à l’article 6 de la CEDH qui, au demeurant, dispose aussi du « droit d’être informé, dans le plus court délai (…) d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ».

Ainsi et aux termes de l’interprétation que donne la Cour de cassation de l’article L. 450-4 du code de commerce, il sera dorénavant nécessaire aux enquêteurs de retenir que :

« (…) le procès-verbal et l’inventaire établis lors d’opérations de visite et de saisie doivent être notifiés aux personnes n’ayant pas fait l’objet de ces opérations mais qui sont mises en cause au moyen de pièces saisies lors de celles-ci et qui disposent d’un recours sur leur déroulement devant le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge les a autorisées ;

(…) se trouve mise en cause au sens de ce texte la personne visée par une demande d’autorisation de procéder dans ses locaux à des opérations de visite et de saisie sur le fondement de pièces saisies au cours d’une précédente visite domiciliaire effectuée chez un tiers ;

Que le procès-verbal et l’inventaire dressés à l’issu de ces opérations antérieures doivent être annexés tant à la requête qu’à l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention qui doit être notifiée au moment de la visite, assurant ainsi l’exercice du droit à un recours effectif de la personne mise en cause ».

 

4. Les éventuelles perspectives.

Cette solution, semble pouvoir être de nature à ouvrir des horizons nouveaux en matière de recours.

On songe notamment, hors visites et saisies incidentes, aux recours d’une entreprise tierce non concernée par des précédentes OVS et qui se voit notifier des griefs à l’issue de la phase non contradictoire d’une instruction qui, à un instant donné vient à la cibler, alors même que la notification de grief n’a d’ailleurs pas encore été rédigée. Ici comme ailleurs, la conception précède la réalisation.

L’arrêt rapporté nous instruit en effet, notamment, sur le fait que mise en cause et notification de grief ne se confondent pas.

Alors et sauf vouloir prétendre que la notification de grief n’a pas été précédée d’un choix de « mise en cause » en phase non contradictoire de l’instruction (auditions, examen de pièces etc.), dans le cadre des diligences préparatoires à la phase contradictoire, pour quelle bonne raison notre entreprise devrait-elle nécessairement attendre, parfois des mois et des mois, sa notification de griefs pour pouvoir engager son recours contre des visites domiciliaires tierces la mettant en cause ?

Une fois encore, la situation pourrait mettre la lettre de l’article L. 450-4 du Code de commerce, à l’épreuve des principes du procès équitable.

A suivre.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article est intégré à la Lettre de la distribution des mois de juillet-août 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Politique tarifaire : le bridage « Loi Egalim » phytos en ordre de marche.

Contexte

Parce que cela relève de sa nature même et comme dans tout secteur, la dynamique tarifaire conçue par les vendeurs (fabricants, importateurs, exportateurs) à l’égard de leurs acheteurs (utilisateurs en aval, distributeurs, utilisateurs professionnels et non professionnels), peut notamment conduire à associer à la vente des produits, des clauses commerciales visant à fidéliser les clients, à récompenser les ventes effectuées en aval par ces derniers ou encore à réduire les coûts de stockage.

Au titre des mesures en faveur d’une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal, la loi Egalim du 30 octobre dernier a, entre autres, prohibé certaines pratiques commerciales à l’occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques (PPP).

C’est toute la chaîne d’approvisionnement qui est impactée : depuis les mises en productions et les structures tarifaires du fabriquant, combinant parfois batterie de « RRR » et autres promotions destinées à résorber les surproductions, à l’agriculteur et ses déclinaisons (coopératives et regroupements divers), qui peuvent par exemple être tentés d’acquérir plus de produits que nécessaires pour profiter d’offres commerciales attractives.

Ces différentes pratiques (rabais, ristournes, marges arrières, etc.) peuvent conduire à la vente de produits dont l’usage ne répond ni aux besoins réels des utilisateurs, ni aux principes de la protection intégrée des cultures pour parvenir à une utilisation des pesticides compatibles avec le développement durable (cf. Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable).

Il a donc été question dans la loi Egalim, d’éviter toute incitation commerciale, de quelque nature que ce soit, à utiliser des produits phytopharmaceutiques de façon inappropriée.

La loi Egalim

Il en est résulté un texte instituant une nouvelle pratique commerciale prohibée (art. 76 de la loi du 30 octobre 2018) :

« A l’occasion de la vente de produits biocides définis à l’article L. 522-1, les remises, les rabais, les ristournes, la différenciation des conditions générales et particulières de vente au sens du I de l’article L. 441-6 du code de commerce ou la remise d’unités gratuites et toutes pratiques équivalentes sont interdits. Toute pratique commerciale visant à contourner, directement ou indirectement, cette interdiction par l’attribution de remises, de rabais ou de ristournes sur une autre gamme de produits qui serait liée à l’achat de ces produits est prohibée ».

Nous ne commenterons pas ici cet article, dont les auteurs de constructions tarifaires complexes, n’auront pas manqué de relever le caractère particulièrement accueillant au niveau des pratiques qu’il prohibe.

Les manquements à l’interdiction précitée seront passibles d’une amende administrative dont le montant pouvant atteindre 15.000 € pour une personne physique et 75.000 € pour une personne morale.

L’interdiction des remises, rabais et ristournes s’appliquera à tous les établissements, c’est-à-dire à tout fabricant et vendeur situé sur le territoire national et à tout importateur.

Retenons juste que ce sont quasiment tous les outils de la négociation commerciale, directs ou indirects impactant le prix, qui sont concernés, et que la rémunération de services n’est toutefois pas expressément visée. Sur ce dernier point et au vu des informations dont nous disposons – de source ici non révélée – une certaine incertitude demeure néanmoins.

Il va falloir, quoi qu’il en soit, apprendre à travailler différemment lors de la commercialisation de ces produits et réussir à combiner développement durable et commerce.

 Le décret

Jusqu’alors, la mesure n’était pas fonctionnelle : un décret était attendu pour préciser les catégories de produits concernés par le nouveau dispositif, pour une application de la loi au 1er octobre 2019 aux contrats conclus ou renouvelés après cette date. Autrement dit, à la rentrée pour les prochaines tarifications (art. 96 de la loi du 30 octobre 2018).

Une consultation publique a d’ailleurs été menée au cours du premier semestre dans le cadre de l’élaboration de ce décret, qui vient d’être publié au J.O du 27 juin 2019 (1).

Le décret du 26 juin 2019 (2) prévoit que les catégories de produits concernés sont les produits relevant des types 14 et 18 définis par le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides.

Rappelons au passage que l’objectif du règlement précité était celui d’harmoniser la législation de l’U.E relative à la vente ou à l’utilisation de produits biocides, tout en garantissant des niveaux de protection élevés de la santé humaine et animale et de l’environnement.

Selon ce règlement, les produits biocides sont classifiés au sein de quatre grands groupes (groupe 1 : désinfectants ; groupe 2 : produits de protection ; groupe 3 : produits de lutte contre les nuisibles ; groupe 4 : autres produits) qui, ensemble, couvrent 22 types de produits différents.

Les « types » 14 et 18 visés par le décret relèvent du groupe 3 « produits de lutte contre les nuisibles » qui en regroupe 7 au total .

Ces deux types de produits correspondent aux :

« rodenticides » (produits utilisés pour lutter contre les souris, les rats ou rongeurs, par d’autres moyens qu’en les repoussant ou en les attirant)

« insecticides, acaricides et produits utilisés pour lutter contre les autres arthropodes » (produits utilisés pour lutter contre les arthropodes (tels que les insectes, les arachnides et les crustacés), par d’autres moyens qu’en les repoussant ou en les attirant).

Outre les produits ne relevant pas de ces deux types, sont aussi maintenus en dehors du périmètre de la pratique commerciale prohibée, les produits biocides admissibles à la procédure d’autorisation simplifiée conformément à l’article 25 du règlement européen de 2012. Entendre par cela, de façon plus prosaïque, les produits les moins nocifs qui répondent à certains critères, notamment les produits qui ne contiennent pas de substances préoccupantes ou de nanomatériaux.

En bref

Le temps semble venu pour les intervenants de la chaîne d’approvisionnement en produits « phytos » relevant des types de produits ciblés par le décret – et cela a sans nul doute déjà commencé – de repenser leurs politiques et systèmes tarifaires, sauf à revoir la formulation de leurs produits dans le cadre d’approches « environmentally friendly by design » plus poussées et parfois même plus sincères, où l’absence de nuisance à l’environnement sur le long terme – contrainte incontournable mais salutaire – sera aussi un levier de stimulation commerciale et de valeur, pour un retour sur investissement.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

(1) Décret du 26 juin 2019 relatif aux pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides. Soulignons la publication simultanée d’un décret relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides.

(2) La disposition du décret est prévue à l’art. R. 522-16-1 nouveau du Code de l’environnement, non encore inséré sur Légifrance au jour de la rédaction de cette alerte.

Manœuvres sur messageries lors de visites domiciliaires pour suspicion de pratiques anticoncurrentielles : gare à l’obstruction.

Les pratiques d’obstruction aux investigations ou à l’instruction de procédures ouvertes devant les autorité de concurrence étant de nature à les mettre en échec, elles sont sanctionnables en elles-mêmes.

Ainsi, l’art. 23 § 1 du règlement 1/2003 prévoit notamment la possibilité pour la Commission de sanctionner les entreprises qui ne coopèreraient pas dans le cadre d’inspections. Le dispositif a été mis en œuvre à quelques reprises par la Commission.

Au niveau national et depuis l’ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, le deuxième alinéa du point V de l’article L. 464-2 du Code de commerce instaure une sanction pécuniaire pouvant atteindre 1% du chiffre d’affaires, « Lorsqu’une entreprise a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées (…) ».

Il a fallu attendre fin 2017 pour voir ce dispositif appliqué par l’ADLC (déc. 17-D-27 – recours pendant devant la Cour d’appel de Paris) à propos d’une obstruction tenant au manque de coopération et de fourniture des informations demandées par les rapporteurs en charge d’une instruction. L’affaire se situait hors « OVS ». La sanction avait été lourde (30 millions).

L’affaire ici rapportée (Autorité de la Concurrence, 22 mai 2019, n°19-D-09) vise cette fois-ci des incidents intervenus à l’occasion du déroulement de visites et saisies ordonnées par le JLD du TGI de Nanterre, qui avait autorisé le rapporteur général de l’Autorité à faire procéder auxdites visites sur un site à Boulogne-Billancourt et, moyennant délivrance d’une commission rogatoire au JLD du TGI de Bordeaux, sur un site à Mérignac.

Ces visites ont été marquées par deux incidents : un bris de scellés sur le site de Boulogne et une altération du fonctionnement d’une messagerie, plus précisément de la réception des courriels.

Cette décision est intéressante car elle participe de la délimitation de la pratique d’obstruction. A l’heure ou nous commentons cette décision ayant sanctionné l’entreprise à une amende de 900.000 euros, il n’est pas indiqué sur le site de l’ADLC si ladite décision est frappée d’un recours.

Au plan des principes, l’Autorité rappelle que l’infraction d’obstruction est une « infraction autonome », définie par la loi, sanctionnant le non-respect des obligations qui pèsent sur l’entreprise faisant l’objet d’une investigation ou d’une instruction.

Selon l’Autorité (déc. point 48), « l’obstruction peut « notamment » résulter de la fourniture par l’entreprise de renseignements incomplets ou inexacts, ou de la communication de pièces incomplètes ou dénaturées. ».

Mais son domaine est on ne peut plus large : « Dans un souci d’explicitation, le législateur a estimé utile de préciser certains des cas dans lesquels une obstruction pourrait être, le cas échéant, constatée par l’Autorité. Cette énumération n’est toutefois pas limitative et l’obstruction recouvre tout comportement de l’entreprise tendant, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement des investigations ou de l’instruction. Tel est bien le cas, sans contestation possible, des pratiques visées en l’espèce, qu’il s’agisse du bris de scellé ou de l’altération de réception de courriels sur le compte d’un salarié au cours d’une OVS ». Le domaine de l’incrimination est donc interprété de façon extensive.

S’agissant du bris de scellé, l’Autorité précise que « le seul fait du bris de scellé fait disparaître l’effet de sauvegarde de celui-ci et suffit donc à constituer l’infraction » (déc. point 63) : c’est dit ! Nous pourrons néanmoins être amusé, voire attendri, par la tentative d’explication donnée par le contrevenant sur ce bris de scellés et qui amène l’Autorité à préciser qu’il « importe ainsi peu que le bris de scellé ait pu être commis par négligence par un salarié à la recherche de friandises » (déc. point 64).

En ce qui concerne l’altération du fonctionnement de la messagerie, qui retient plus ici notre attention, les faits sont intéressants car ils évoquent des comportements de dissimulation, que l’ADLC qualifie de « manœuvres » (déc. point 70).

Les agents de l’Autorité avaient en effet relevé durant les OVS, que des salariés avaient fait obstacle à la réception de courriels sur la messagerie d’un de leurs collègues, notamment pendant la fouille sommaire de son ordinateur, le faisant ainsi sortir de la « chaîne de courriels active au moment de l’opération » (déc. point 13) ou de « la chaîne active des destinataires au moment de l’opération », afin de ne pas attirer l’attention des agents sur ces messages (déc. point 14).

Concrètement et sur les consignes du salarié visité, responsable hiérarchique (déc. point 70), il avait été question pour un salarié présent dans les lieux visités mais non personnellement visé par les recherches des enquêteurs et autorisé à conserver et utiliser son ordinateur, de convenir avec d’autres salariés situés sur d’autres sites, de ne plus mettre en copie de leurs échanges la personne dont l’ordinateur faisait l’objet d’une fouille sommaire, alors que ce dernier l’avait été jusqu’à présent depuis le début des investigations.

A la différence d’un bris de scellé, le réflexe, bien qu’inapproprié, peut se comprendre : on imagine mal ces salariés, en connaissance de cause, continuer à adresser à leur collègue visité des messages à caractère le cas échéant anticoncurrentiel. La coopération à l’enquête peut-elle tout de même avoir quelques limites ou faut-il commettre ou continuer à commettre, sous les yeux mêmes des enquêteurs, ce qui pourrait le cas échéant, après analyse au fond des données saisies, s’apparenter à un flagrant délit de pratique anticoncurrentielle ? Mais il y a là, tout de même, obstruction.

En outre et si en l’espèce, l’incident d’altération se rapporte au seul compte de messagerie du salarié visité et donc aux seuls courriels entrants dans sa boite aux lettres électronique, ou qui auraient dû y entrer s’ils y avaient été adressés en l’absence des manœuvres (déc. points 18, 69 à 71), on peut toutefois s’inquiéter, au détour d’un passage de la décision, de relever qu’« il est par conséquent établi que ces comportements constituent une entrave volontaire au bon déroulement de l’OVS qui se déroulait sur le site de Mérignac » (déc. point 73).

La nécessité d’un « bon déroulement de l’OVS … sur le site » et l’impératif d’efficacité des pouvoirs d’enquêtes, combinés à une définition accueillante de la pratique d’obstruction, peuvent-elles – voire doivent-elle – conduire à l’immobilisation par ailleurs, durant toute la visite, de la totalité moyens et ressources de l’entreprise, quand bien même ces derniers n’auraient-ils pas été ciblés et jusqu’à ce qu’ils le soient le cas échéant.

La question peut se poser sous l’angle de la protection du droit à ne pas s’auto-incriminer, à tout le moins s’agissant du comportements des salariés émetteurs de courriels qui ne seront pas parvenus à un collègue visité, faute de lui avoir été adressés.

Par transitivité, la notion « chaîne de courriels active au moment de l’opération », revient à faire de ces salariés pourtant non personnellement concernés par l’OVS, des maillons de ladite chaîne et ce faisant des acteurs de l’obstruction.

Toutefois, l’ADLC cantonne ici son reproche à la réception des courriels sur le compte de messagerie du salarié ciblé (déc. point 70).

Cette approche se veut similaire à celle relevée dans l’affaire EPH e.a./Commission. Il était en l’espèce question de pratiques de défaut du maintien des blocages de comptes de messageries pour en garantir l’accès exclusif aux inspecteurs pendant l’inspection, mais aussi de détournement des courriels entrants vers un serveur, ayant valu à l’entreprise une amende de 2,5 millions (Commission européenne, 28 mars 2012, EPH e.a., COMP/39793, conf. par Trib. UE, 26 nov. 2014, EPH e.a./Commission, aff. T-272/12, point 53).

Mais la montée en puissance dans l’application du dispositif de lutte contre l’obstruction, rapproché à certaines des réactions à chaud constatées au sein de sites visités et qui, sans aller jusqu’au bris de scellés, participent de la dissimulation des éléments potentiellement saisissables, ne font-elles pas craindre une irritation des enquêteurs et une possible extension de ce qui peut relever de manœuvres obstructives (rappr. considérant n° 32 de la Directive 2019/1 du 11 décembre 2018, dite Directive ECN+, JOUE 14.01.2019) ?

Pour l’heure, les entreprises souhaitant se préparer à l’éventualité d’une visite domiciliaire pourront, à la faveur de la grille d’analyse procurée par cette affaire, affiner la teneur des directives délivrées à leurs personnels sur les comportements à adopter en pareille situation.

Une choses est sûre : ne pas briser des scellés, bien sûr, et éviter de jouer au plus malin avec les enquêteurs.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.

Soldes 2020 : 4 semaines.

la Loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Loi Pacte) est venue modifier le régime des soldes.

A l’occasion des travaux menés sur le projet de loi, il avait en effet été constaté :

– une moindre performance du résultat des soldes, dû aux ventes privées commençant avant la date officielle des soldes, aux promotions tout au long de l’année et à la croissance du e-commerce,

– une demande forte des représentants du com­merce pour concentrer les réductions de prix sur un temps plus court et renforcer leur impact.

Aux termes de l’article L. 310-3 du code de commerce tel que récemment modifié, les soldes auront ainsi lieu, pour l’année civile, durant deux périodes d’une durée minimale de trois semaines et d’une durée maximale de six semaines chacune.

La fixation des dates et heures de début et de fin de ces périodes se fait par voie d’arrêté du ministre chargé de l’économie.

L’arrêté en question, en date du 27 mai, est paru au journal officiel du 29 mai 2019. Il fixe à quatre semaines la période des soldes, au lieu de six jusqu’alors. Cet arrêté entrera en vigueur le 1er janvier 2020.

En pratique donc :

– les prochaines soldes d’été resteront régies par les dispositions jusqu’alors existantes, soit six semaines.

– les prochaines soldes d’hiver (et les soldes d’été et d’hiver suivantes) se verront quant à elles appliquer la nouvelle durée de quatre semaines.

Attention : les produits annoncés comme soldés devront, comme aujourd’hui, avoir été proposés à la vente et payés depuis au moins un mois à la date de début de la période de soldes considérée.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Voir aussi :

Prix promo : l’essentielle problématique du prix de référence.

Loi EGalim : l’encadrement des promotions et la terminologie promotionnelle dans l’alimentaire décryptés par la DGCCRF.

Facturation, délais de paiement et réforme suite loi EGalim : alerte 4.

Il s’agit de la dernière de nos alertes en vue de la nécessaire prise en compte, sur certains sujets sélectionnés, des dispositions issues de la réforme du titre IV par l’ordonnance du 24 avril 2019.

Dans la continuité de notre alerte précédente, traitant entre autres de l’harmonisation à l’occasion de  de la règlementation commerciale et fiscale au plan de l’émission de la facture (« Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3 »), nous abordons succinctement la problématique des contournements de la règlementation sur les délais de paiement.

Si cette règlementation n’a pas été modifiée en soi sur le fond par l’ordonnance, la question du point de départ des délais de paiement, elle-même liée à celle de la date l’émission de la facture, appelle quelques observations débouchant sur une mise en garde.

 

1. Contexte

Nous rappelons que les délais de paiement courent à compter de la date d’émission de la facture.

Jusqu’alors, selon le code de commerce, le vendeur était tenu de « délivrer la facture dès la réalisation de la vente », alors que le code général des impôts prévoit que la facture est, en principe, « émise dès la réalisation de la livraison ».

Dorénavant et pour les factures émises à compter du 1er octobre 2019, il ne sera plus question dans la règlementation commerciale, de la délivrance de la facture « dès la réalisation de la vente », mais « dès la réalisation de livraison ».

Dans le même temps, la lutte menée contre les retards de paiement se poursuit et s’intensifie, facilitée depuis quelques années par la possibilité dont dispose la DGCCRF d’infliger des amendes administratives, ensuite publiées sur son site internet dans le cadre d’une démarche de « name and shame ».

Ces montants ont été revus à la hausse avec la Loi Sapin II de décembre 2016. Les premières sanctions dépassant 500.000 euros commencent à tomber, comme le rappelle un récent communiqué de Bercy en date du 6 mai 2019 (n° 1204), accompagné d’un message des plus explicites de la part d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie :

« La lutte contre les retards de paiement interentreprises constitue un enjeu majeur pour le bon fonctionnement de l’économie. Les retards de paiement sont en effet à l’origine des difficultés de trésorerie d’une PME sur quatre et les privent de 19 milliards d’euros de trésorerie (…). C’est inacceptable ! C’est pour ces raisons que j’ai demandé à la DGCCRF de poursuivre de manière déterminée ses contrôles des délais de paiement. (…) C’est un signal fort adressé aux mauvais payeurs : les sanctions prononcées seront dorénavant à la hauteur des dommages qu’ils induisent sur l’économie. ».

Et le Ministre dispose encore d’une confortable marge de manœuvre puisque les sanctions peuvent atteindre 2 millions d’euros (à rapprocher : « Pas de droit à l’erreur et Name and Shame renforcé : deux nouvelles mesures en matière de lutte contre les retards de paiement », J-M. Vertut, Rev. Lamy Droit Aff. n° 143, déc. 2018 ou Rev. Lamy Droit Conc. n° 77, Nov. 2018).

De surcroît, les récidivistes doivent aussi garder à l’esprit que le maximum de l’amende encourue est porté à 4 millions d’euros pour une personne morale, en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

 

2. Rappels et entrée en vigueur.

Attention aux apparences.

La nouvelle donne, applicable en octobre prochain, ne va pas nécessairement modifier la pratique des entreprises qui, en règle générale et s’agissant des vente de biens, émettent et adressent leur facture simultanément à l’expédition des produits.

En revanche, la seule référence à la « réalisation de livraison » peut favoriser – et c’est déjà parfois le cas – certains comportements qui, directement ou indirectement, retardent le moment de l’émission par le créancier de sa facture, donc celui de la computation du délai de paiement.

Accessoirement, le décalage de facturation occasionnée retarde aussi l’encaissement de la TVA pour le Trésor Public.

Préserver les apparences en payant dans le respect du délai légal, tout en usant de procédés qui, de facto, reportent le point de départ de la computation : Tel est, sous une forme ou une autre, la voie parfois employée.

Gare toutefois à ces pratiques bien audacieuses, surtout sur un sujet aussi surveillé que les délais de paiement.

Car, outre les contrôles purement arithmétiques et directs de leurs délais de paiement calculés à partir de la date d’émission de la facture, les débiteurs pourront s’exposer, de plus en plus il faut le craindre et donc l’anticiper, à des contrôles indirects, plus affinés, dans la mesure où sont aussi interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement.

Ils ne peuvent donc s’estimer à l’abri des sanctions administratives au seul motif qu’ils payent en deçà du délai plafond, si le respect du délai de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture n’est qu’artificiel.

Illustrations.

Deux récents avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales viennent illustrer le propos sous fond d’articulation de la règlementation en matière de facturation avec celle sur les délais de paiement.

Les sujets sont d’ailleurs intimement liés, comme on peut encore davantage le constater avec la règlementation issue de l’ordonnance du 24 avril, qui consacre à ces sujets une section spécifique et commune intitulée « La facturation et les délais de paiement ».

Il est question dans ces avis de clauses et pratiques conduisant à décaler la date d’émission de la facture, et donc à rallonger de facto les délais de règlement.

On rappelle que l’article L. 441-6 VI alinéa 2 du code de commerce, devenu l’article L. 441-9 du code de commerce depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, dispose que sont prohibées les clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder le point de départ des délais de paiement, sous peine des mêmes sanctions administratives que celles prévues pour le non-respect en soi des délais de paiement légaux.

Le premier de ces avis (n° 19-5) décrit une pratique, reposant sur une clause contenue dans des conditions générales d’achat, consistant pour un débiteur à refuser des factures d’un prestataire de services, au motif qu’il existe un écart de plus de sept jours ou de plus de dix jours selon les cas, entre la date d’émission et la date d’arrivée de la facture à payer. La facture est alors retournée au prestataire pour mise en conformité de sa date d’émission.

Le débiteur avançait comme justification de cette façon de procéder que, selon le code général des impôts, la date d’émission de la facture constitue une mention légale obligatoire et doit donc être exacte et correspondre à la date d’envoi effectif de la facture à son destinataire.

L’argument n’a pas convaincu la CEPC, qui décide que « la clause, comme la pratique consistant à substituer à la date d’émission identifiée à la date d’exécution du service, une autre date postérieure correspondant à celle à laquelle la facture provient au client, ont pour effet de retarder, sans justification légitime le point de départ des délais de paiement, de sorte que leur auteur est passible des sanctions administratives prévues à l’article L. 441-6-VI. ».

Le deuxième avis (n°19-6) se penche quant à lui sur des pratiques mises en œuvre dans le cadre d’un marché de travaux privés, qui aménagent les modalités de facturation.

Sur les mêmes fondements légaux que ceux de l’avis précédent, la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales rappelle que « l’émission de la facture relève de la responsabilité de l’entrepreneur » et s’intéresse au décalage de facturation que génère pour le vendeur, la procédure de paiement instaurée par l’acheteur.

En l’espèce, « le fait de prévoir un pourcentage d’achèvement des travaux très élevé et la nécessité de l’émission par le maître d’œuvre d’un certificat de paiement après vérification de la bonne exécution des travaux pour que l’entrepreneur puisse émettre sa facture est susceptible de contrevenir à l’article L. 441-6 VI alinéa 2 du code de commerce qui prohibe les clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement ».

Voilà donc, pour les deux débiteurs à l’origine de ces pratiques, deux avertissements sans frais, puisque la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales n’est pas dotée de pouvoir de sanction. D’autres peuvent aussi s’en inspirer.

Alors que la lutte contre les retards de paiement reste une priorité pour les pouvoirs publics, les débiteurs ont tout intérêt à élargir leur périmètre de vigilance sur ces questions – entendre par cela surveiller non seulement leurs délais de règlement mais encore leurs pratiques en matière de paiement – s’ils ne veulent pas se voir reprocher des contournements dans l’application de la règlementation.

Pour nos trois premières alertes :

Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.

Communications des CGV, négociation et réforme suite loi EGalim : alerte 2.

Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3.

Après nos deux premières alertes concernant l’application, immédiate ou à brève échéance de certaines dispositions issues de l’ordonnance du 24 avril 2019, qu’en est-il de cette ordonnance au plan des règles de facturation ?

 

1. Contexte

Nous rappelons que l’article 17 de la Loi du 30 octobre 2018 dite Loi EGalim, a habilité le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance, à clarifier les règles de facturation, en les harmonisant avec les dispositions du code général des impôts, et à modifier les sanctions applicables aux manquements à ces règles.

Le sujet de la facturation est toujours délicat car il est, pour les parties, un point de convergence d’un certain nombre de risques règlementaires (nécessité de régularité au plan juridique, fiscal et comptable), financiers (nécessité d’être payé si possible dans les délais), relationnels (nécessité d’éviter autant que faire se peut les litiges en matière de facturation). Une facturation établie selon les règles contribue aussi à l’image de l’entreprise.

Pour les moins graves d’entre elles, les irrégularités, bien que sanctionnables, relèvent davantage d’occasions manquées de bien faire que de comportements délibérément contraires à la loi.

En revanche, d’autres pratiques peuvent s’avérer bien plus préoccupantes, soient qu’elles sont sanctionnables sur le fondement même des règles de facturation, soit que l’instrument de la facture peut être pris en compte en tant qu’élément matériel pour la qualification d’infractions distinctes. Nous ne les évoquons pas ici.

 

2. Rappels et entrée en vigueur.

Harmonisation entre le code de commerce et le code général des impôts.

Les règles de facturation relatives aux achats de produits ou de prestations de service pour une activité professionnelle ont été jusqu’alors notamment encadrées par les dispositions de l’article L. 441-3 de code de commerce, ainsi que par l’article 289 du code général des impôts (qui définit les modalités de facturation pour les personnes assujetties à la TVA).

Il était néanmoins des plus troublant dans un état de droit – et non sécurisant au plan juridique – de constater que deux codes qui s’intéressent à l’activité économique et la création de richesses, l’un pour la favoriser et l’encadrer, l’autre pour transformer, partiellement s’entend, le produit de ces richesses en impôts divers, adoptent une approche différente du fait générateur d’une pièce aussi essentielle que la facture.

Pour rappel, l’article L. 441-3 du code de commerce dans la version que nous connaissions disposait que, « sous réserve » des deuxième et troisième alinéas du I de l’article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture « dès la réalisation de la vente » ou la prestation de service.

L’article 289 du code général des impôts dispose, quant à lui, que la facture est en principe, émise « dès la réalisation de la livraison » ou de la prestation de services. Ce même code précise par ailleurs ce qu’il faut entendre par « la livraison » d’un bien, à savoir « le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire » (art. 256 II. 1° du CGI).

Avec l’ordonnance du 24 avril dernier, le code de commerce renvoie aux dispositions du code général des impôts s’agissant de la date d’émission de la facture et fixe donc à la réalisation de la livraison, le fait générateur de cette émission (à noter que les dispositions contenues dans l’article L. 441-3 du code de commerce se retrouvent, moyennant quelques modifications, dans un nouvel article L. 441-9).

Nous en resterons-là au plan de notre rappel sur cette harmonisation des deux codes.

Celle-ci ne devrait d’ailleurs pas, a priori, révolutionner les habitudes opérationnelles du plus grand nombre, l’émission de la facture étant de manière assez répandue au sein des organisations logistiques,  concomitante à l’expédition des marchandises vendues, avec ou sans clause de réserve de propriété d’ailleurs.

Clarification et sanction.

Plus impactant et inquiétant, selon nous, se veut le sujet de la clarification des règles de facturation. Au demeurant et de notre point de vue, la clarification ressort plus de l’harmonisation code de commerce/code général des impôts, que de ce qui suit.

– D’ici peu en effet, soit dès le 1er octobre 2019, les factures vont devoir contenir deux mentions supplémentaires, à savoir :

  • l’adresse de facturation de l’acheteur et du vendeur si celle-ci est différente de leur adresse,
  • le numéro de bon de commande s’il a été préalablement établi par l’acheteur.

L’ajout de ces précisions concernant les mentions obligatoires en matière de factures a pour objectif d’accélérer leur règlement et ainsi participer à l’objectif général de réduction des délais de paiement.

Ces nouvelles mentions seront obligatoires et leur défaut,  à l’instar des autres manquements en matière de contenu des factures, donnera lieu à une amende administrative pouvant atteindre 75.000 euros pour un personne physique et 375.000 euros pour une personne morale.

Cette sanction administrative se substitue à la sanction pénale existant jusqu’alors.

Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas : comme nous le rappelions dans une alerte précédente tenant l’objectif d’efficacité du nouveau dispositif de sanction, qui dit amende administrative dit prononcé de cette amende par l’Administration, avec recours possible devant les tribunaux administratifs, sans que ce recours ait pour effet de suspendre l’obligation de paiement de l’amende prononcée.

Encore faut-il, qui plus est, qu’un tel recours se justifie pour des manquements aussi formels.

– Il est quoi qu’il en soit permis d’être réservé sur la véritable la valeur ajoutée de ces exigences supplémentaires strictement formelles, en vue d’amener les acheteurs retardataires à payer dans les délais. Car, ici comme ailleurs, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Il semble en effet que si certains acheteurs éditent déjà des bons de commandes numérotés et reçoivent de leurs fournisseurs une facture mentionnant ce numéro, ce n’est pas pour autant qu’ils s’en acquittent à la date convenue et en tout cas dans le délai légal plafonné.

Des mauvais payeurs audacieux ne vont-ils pas, par ailleurs, dans la relation avec tel fournisseur ou le cas échéant en cas de contrôle de l’Administration, songer à prétexter qu’ils n’ont pas payé dans les délais au motif que la facture adressée ne comportait pas le numéro de commande (ou le bon numéro de commande).

Le contenu de notre prochaine alerte, faisant état d’un récent avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, nous amène à penser que cette situation n’est pas aussi insolite qu’il n’y paraît.

En outre, le comble serait de voir un créancier sanctionné pour un défaut de mention sur sa facture du numéro de la commande émise par son client et, dans le même temps de voir ce dernier mis hors de cause parce qu’il n’a pas pu payer la facture en question dans l’ignorance de ce numéro. Mais ne sommes-nous pas trop cyniques ?

Enfin, n’omettons pas la situation dans laquelle certains débiteurs s’appuieront sur cette obligation en opérant un rappel à la loi, pour appliquer des pénalités forfaitaires à raison du défaut d’indication sur la facture du numéro de bon de commande qu’ils ont émis.

– L’on est en revanche moins réservé sur les contraintes, certaines, risques d’amendes administratives à la clé, que ces nouvelles mentions vont mettre à la charge des fournisseurs, lorsqu’ils se situeront dans des situations visées par les nouvelles obligations instaurées par l’ordonnance.

Au-delà de la collecte des données pertinentes pour parvenir à établir correctement les factures et des possibles développements informatiques et reformatages des factures pour, parfois, y mentionner jusqu’à le cas échéant quatre adresses, si l’on considère que le processus de facturation se déroule de l’émission à la réception du document (adresse du vendeur – adresse du lieu d’émission de sa facture – adresse de l’acheteur – adresse du lieu destination de la facture), d’autres questions ne manqueront pas de se poser.

Quid par exemple, de la facture mentionnant expressément l’adresse du débiteur, mais expédiée à sa demande par simple courrier postal, à une adresse tout à fait différente, en France ou à l’étranger ?

Quid aussi des adresses électroniques en cas d’envoi des factures par courriel auprès de destinataires tiers, dont l’identification se limite à une adresse e.mail indiquée par l’acheteur à son vendeur ?

Et qu’en est-il des plateformes informatiques opérant au niveau international,  accessibles à un nom de domaine donné, dont le serveur est qui plus est situé hors de France, et sur lesquels le fournisseur est tenu d’aller renseigner les éléments de sa facturation ?

Comme nous l’avons évoqué ces derniers jours sur d’autres problématiques, d’éventuelles précisions de l’Administration de nature à aider les acteurs à se mettre en conformité, seront d’autant plus appréciées qu’elles interviendront rapidement, alors que ces nouvelles dispositions sont applicables aux factures émises dès le 1er octobre, soit tout juste un peu plus de quatre mois à compter de maintenant, en ce comprise la période estivale.

A très bientôt pour notre alerte 4.

Pour nos deux premières alertes :

Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.

Communications des CGV, négociation et réforme suite loi EGalim : alerte 2.

 

Jean-Michel Vertut – Avocat

Communications des CGV, négociation et réforme suite loi EGalim : alerte 2.

Cette deuxième alerte s’inscrit dans la continuité de celle du 7 mai 2019 intitulée « Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1. ». Elle la complète sur la problématique des communications par le fournisseur de ses CGV, laquelle mérite une alerte spécifique.

Les observations qui suivent peuvent supposer, selon le lecteur, une lecture préalable de notre alerte précédente qui présente, notamment et de manière sommaire, la nouvelle architecture des conventions écrites. Nous y renvoyons.

1. Contexte

Alors que la fin du premier semestre se profile, on sait que la question des CGV et de leur communication va revenir rapidement sur le devant de la scène dès la rentrée prochaine, du moins dans l’univers de la distribution, notamment pour les négociations 2020 avec les enseignes.

La question de cette communication se pose quoi qu’il en soit de manière générale, outre les relations de distribution, donc sans perspective d’une relation encadrée selon la nouvelle architecture propre à ce type de relation.

Il convient de se préparer dès maintenant à traiter de cette question.

En effet et si de facto, certaines dispositions bien qu’immédiatement applicables, n’ont pas vocation pour l’heure à tenir lieu de problématique imminente (la communication des CGV en vue de la négociation des accords annuels pour 2020), d’autres peuvent en revanche, d’un jour à l’autre, être source d’inquiétude et de risque pour les fournisseurs (demande de communication des CGV).

Nous retiendrons alors que les nouvelles contraintes en matière de communication des CGV, sont visées par deux fois dans la réforme.

Ces contraintes poursuivent toutes deux un objectif de transparence dans la relation commerciale (sur ce sujet : « Précision et transparence : une relation aux multiples enjeux dans le cadre des pratiques restrictives de concurrence et des relations commerciales en général », JM. Vertut. RLC Juil-Août 2017, n° 3226).

 

2. Rappels et entrées en vigueur.

Le contenu des CGV est fixé au nouvel article L. 441-1 du code de commerce qui dispose que « les conditions générales de vente comprennent notamment les conditions de règlement, ainsi que les éléments de détermination du prix tels que le barème des prix unitaires et les éventuelles réductions de prix. ».

Nous retrouvons peu ou prou, une rédaction, qui moyennant tout de même quelques variantes sur le fond, rappelle l’existant jusqu’alors quant au contenu des CGV, bien que l’emploi de l’adverbe « notamment » invite à quelques réflexions.

Nous ne les proposons pas ici, dans la mesure où nous avons pris le parti de cibler davantage, au sein de nos alertes, la thématique de l’entrée en vigueur (voir notre alerte 1).

Ces CGV « dès lors » qu’elles sont établies, constituent comme par le passé le « socle unique de la négociation commerciale ».

Il s’infère a contrario de cette précision que le défaut d’établissement de CGV exclut, en fait et en droit, qu’elles puissent constituer le socle, a fortiori unique, de la négociation commerciale.

En pareille hypothèse, il faudra alors composer avec la réalité et par exemple, démarrer la négociation à partir des conditions d’achat ou du contrat proposé par l’acheteur.

Cela étant rappelé et partant de l’hypothèse qu’un fournisseur dispose de CGV, la question de leur communication est évoquée par l’ordonnance à deux moments clés de la possible relation d’affaires entre un fournisseur (ou prestataire de service) et sa clientèle.

 

Communication obligatoire des CGV sur demande de communication d’un acheteur dans le cadre des relations d’affaires en général.

Depuis une quinzaine de jours, avec la publication de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, le défaut ou refus de communication par un fournisseur de ses CGV demandées par un client dans le cadre d’une activité professionnelle, se trouve sanctionné par une amende administrative.

Le montant de cette nouvelle amende est de 15.000 euros pour une personne physique et de 75.000 euros pour une personne morale.

Pour mémoire, le fait de ne pas communiquer ces CGV était sanctionné avant 2008 par une amende pénale de 15.000 euros. Depuis lors, la sanction est civile et consiste dans l’engagement de la responsabilité civile du fournisseur ou, de manière assez théorique en l’espèce, en une amende civile, pour autant que la DGCCRF en réclame le prononcé à l’occasion d’un contentieux judiciaire.

Objectif d’efficacité du dispositif oblige, qui dit amende administrative dit prononcé de cette amende par l’Administration suite à un plainte d’un acheteur par exemple, avec recours possible devant les tribunaux administratifs, sans que ce recours ait pour effet de suspendre l’obligation de paiement de l’amende prononcée.

La nouvelle ordonnance veut que dès maintenant et « dès lors que les conditions générales de vente sont établies »,  elles doivent être communiquées sur un support durable, si elles sont demandées par un acheteur dans le cadre d’une activité professionnelle.

Ici donc, pas plus que par le passé, pas de communication obligatoire pour le vendeur sans demande préalable d’un acheteur, sauf situations particulières, telles celles pouvant dériver d’un contrat. On songe par exemple à l’engagement pris par un vendeur aux termes d’un contrat cadre, de communiquer systématiquement ses nouvelles CGV à son cocontractant acheteur en cas d’évolution de ces dernières. En pareil cas, leur défaut de communication serait constitutif d’une faute simplement contractuelle.

Cela étant et plus encore aujourd’hui au regard du caractère parfois assez expéditif des procédures débouchant sur des amendes civiles, les vendeurs devront à l’avenir, prendre au sérieux toute demande de communication qui leur parviendront (par exemple en cours d’année ou en septembre ou octobre en vue des négociations annuelles de fin d’année).

La remarque vaut même en dehors de toute relation de distribution, dans la mesure où l’obligation de communication vise les négociations commerciales en général.

L’élaboration de conditions générales de vente dites catégorielles, pour autant qu’elles soient établies avec soin, peut alors constituer un outil intéressant pour tenter de limiter le périmètre de la communication et, ce faisant, restreindre le droit de regard des acheteurs sur le contenu de conditions générales destinées à des catégories d’acheteurs autres que celle dont ils relèvent.

Il y a là un vrai sujet pour les fournisseurs, qui renvoie à celui de la tarification et des barèmes de réduction de prix (barèmes d’écart etc.).

 

Communication des CGV dans le cadre des relations de distribution.

– Les relations de distribution relevant des relations d’affaires, les observations qui précèdent concernant la demande de communication, sont ici transposables.

On rappelle aussi qu’en présence d’une relation de distribution, le fournisseur avait l’obligation de prendre l’initiative de communiquer ses CGV dans un certain délai (le fameux délai de 3 mois avant le 1er mars), afin que puisse s’engager la négociation avec son acheteur sur la base desdites conditions. Pareille obligation n’était pas applicable dans la relation entre un fournisseur et un grossiste.

Le principe d’une obligation de communication a été maintenu, mais sa mise en œuvre évolue, de même que les conséquences de son non-respect.

Si au plan de la formalisation de la négociation, le régime « général » (ou hors produits de grande consommation) n’impose plus, à la différence du régime spécifique instauré pour les produits de grande consommation, que soit rappelé dans l’accord commercial le barème des prix unitaires (le tarif), le fournisseur, tant en régime « général » que « PGC », reste tenu de communiquer ses CGV, mais selon nous dès lors qu’il en a établi, du moins si l’on suppose que la disposition sur l’obligation de communication des CGV en vue de formaliser la négociation commerciale doit se faire à la lumière de la nouvelle section intégrée dans le code de commerce consacrée aux conditions générales de vente (à rapprocher de la note DGCCRF n° 2014-185).

Mais ce ne serait pas, pour l’heure, la seule et unique interprétation possible de ces textes très récents. D’éventuelles clarifications de la part de la DGCCRF ne pourront qu’être appréciées.

– Cette communication doit intervenir dans un « délai raisonnable » avant le 1er mars en régime « général ». Elle devra en revanche, comme par le passé, avoir lieu au plus tard le 30 novembre en régime « PGC ».

A cet égard, et alors que la règlementation antérieure ne prévoyait pas que le défaut de transmission par le fournisseur de ses CGV dans le délai imparti soit sanctionné en tant que tel (note DGCCRF précitée), les nouvelles règles prévues pour les manquements aux dispositions de la convention écrite (en régime « général » ou régime « PGC »), semblent être de nature à pouvoir sanctionner le défaut d’une telle communication automatique.

L‘article L. 441-6 nouveau du code de commerce dispose en effet que « tout manquement aux dispositions des articles L. 441-3 [règles sur la convention en « régime général »] à L. 441.5 [dont l’article L. 441-4 sur la convention en régime « PGC »] est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75.000 € pour une personne physique et 375.000 € pour une personne morale ».

Le régime « général » contenu à l’article L. 441-3 disposant que le fournisseur reste tenu de communiquer ses CGV dans un délai raisonnable avant le 1er mars, le défaut de communication dans un tel délai – et a fortiori l’absence pure et simple de communication – constitue un non-respect de l’article L. 441-3 précité, et donc un manquement.

Le raisonnement est transposable s’agissant de la communication des CGV, au plus tard le 30 novembre, en vue des négociations devant aboutir à l’établissement d’une conventions du régime « PGC ».

– Même si l’ordonnance instaure déjà une sanction administrative pour le vendeur en cas de non-communication sur un support durable des CGV lorsqu’elles sont établies par lui et qu’un acheteur lui en a formulé la demande (voir ci-dessus), l’éventualité d’une application littérale par les services de contrôles du dispositif de sanction d’une obligation inhérente au séquençage de la négociation commerciale dans le cadre d’une relation de distribution, ne doit pas être pris à la légère.

A moins d’une incompréhension, il y aurait alors deux occasions et risques de sanctions administratives – avec qui plus est deux niveaux d’amende variant d’un à cinq – selon que le défaut de communication des CGV établies interviendrait suite à une demande de l’acheteur, ou qu’il s’opèrerait dans le cadre du séquençage de la négociation commerciale en vue des accords commerciaux annuels dans l’univers de la distribution.

Cette sévérité ou, à tout le moins, cet écart dans le montant de la sanction, peut susciter l’étonnement.

Dans l’attente de toute information le cas échéant complémentaire de la DGCCRF sur le nouveau dispositif qui, sauf erreur, n’avait pas vocation à durcir le régime applicable en matière de communication des CGV dans la perspective de la formalisation de la convention écrite, les fournisseurs rétifs aux risques de sanction communiqueront leurs CGV en temps requis dans la perspective de la négociation des accords pour 2020.

Rendez-vous très bientôt pour une troisième alerte.

Jean-Michel Vertut – Avocat

Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.

1. Contexte.

L’article 17 de la Loi du 30 octobre 2018 dite Loi EGalim, a habilité le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance, à la modification du titre IV du livre IV du code de commerce, relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

Ce titre contient l’essentiel des règles qui gouvernent la négociation commerciale. Il traite aussi de sujets tels celui des délais de paiement ou de la facturation, même si en ce domaine d’autres règles sont contenues au code général des impôts.

En outre et pour ce qui est de la vente des productions agricoles au stade amont, il convient notamment de se reporter aux dispositions du code rural et de la pêche maritime, récemment modifié.

Des modifications annoncées par la Loi EGalim sont donc intervenues voici une quinzaine de jours, avec l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.

Il appartient maintenant aux professionnels et à leurs conseils d’intégrer au mieux ces nouvelles règles à leurs pratiques.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous diffusons à compter d’aujourd’hui et dans les jours qui suivent, quelques alertes, en concentrant nos propos sur les problématiques d’entrée en vigueur.

L’alerte de ce jour traite de la prise en compte, parfois dès maintenant, de la nouvelle règlementation dans la stratégie contractuelle, notamment des fournisseurs.

 

2. Rappels et entrées en vigueur.

Pour les accords annuels en cours.

Les accords annuels 2019, conclus au plus tard au 1er mars dernier, restent régis par les règles en vigueur avant la publication de l’ordonnance. C’est l’application du principe général de non rétroactivité de la loi intégré dans les premiers articles du code civil.

Pour l’avenir et si l’on laisse de côté les accords sur les véritables MDD relatif à des produits spécifiques, la principale distinction à opérer en matière de formalisation de la négociation commerciale ne sera plus fonction de la qualité du revendeur (distributeur ou grossiste), comme cela résultait de la Loi Macron d’août 2016, mais de la nature des produits que ces revendeurs achètent et commercialisent.

Une nouvelle architecture contractuelle voit donc le jour pour les accords commerciaux 2020, moyennant un régime « général » applicable entre tous fournisseurs et distributeurs (y compris les grossistes), complété d’un régime pour les produits de grande consommation ou « PGC », applicables entre tous fournisseurs de ce type de produits et leurs distributeurs (sauf les grossistes).

Les produits « PGC » sont, au sens de l’ordonnance, des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation. Même si les définitions marketing nous permettent d’approcher cette catégorie de produits, leur liste « légale » sera fixée par voie de décret, non paru à ce jour.

A parution, il pourra être intéressant de constater les arbitrages le cas échéant effectués pour certains types de produits. On songe par exemple aux produits qui mettent en œuvre des produits « systèmes » et des « consommables ». Pris isolément, un système en lui-même pourrait ne pas être considéré comme un produit de grande consommation, alors que les consommables permettant son fonctionnement peuvent l’être. Alors, régime général pour l’un ? Régime PGC pour l’autre ? Régime unique par la notion de principal et d’accessoire  ? A suivre.

Pour les accords pluriannuels en cours.

Une attention particulière est requise pour les conventions en cours à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance et dont la durée est supérieure à un an. Entendre par cela les accords pluriannuels.

On se souvient que la pluri annualité des accords a été rendue possible avec la Loi Sapin II du mois de décembre 2016, dans la limite de trois ans.

Ces conventions pluriannuelles – biennales ou triennales – assez rares à notre connaissance dans l’univers de la Grande Distribution, et qui seraient encore en cours d’exécution au 1er mars 2020, se verront appliquer les nouvelles dispositions à compter de cette date.

Il y aura donc, parce que la loi le prévoit, application de la loi nouvelle aux contrats en cours. Les acteurs devront alors s’assurer de leur conformité passé cette date en s’y préparant rapidement.

En soi et à tout le moins s’agissant de produits ne relevant pas des « PGC », ceci ne devrait pas relever d’une extraordinaire complexité dans la mesure où les conventions du régime général se trouvent assouplies par comparaison à ce qu’elles étaient jusqu’alors, dans le cadre de la relation fournisseur-distributeur relevant de l’ancien article L. 441-7 du code de commerce.

Pour les avenants aux accords en cours (annuels ou pluriannuels).

En ce domaine, fournisseurs et distributeurs doivent immédiatement intégrer, à la façon d’un réflexe, la nouvelle donne dans leur pratique.

Les nouvelles dispositions concernant les avenants aux contrats en cours, qu’il s’agisse des accords annuels 2019 ou pluriannuels, conclus sous l’empire de la loi ancienne, sont dès maintenant applicables.

On se souvient que la faculté de modifier la convention des parties par voie d’avenant avait été entérinée tant par la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales et ce depuis longue date (par exemple : Avis du 22 décembre 2018, Avis n° 09-09, Avis n° 17-07, Avis n° 17-10), que par la loi de manière biaisée  (art. L. 442-6 I 12° à l’occasion de la Loi Hamon), ainsi que par les juridictions (CA Paris, 16 mai 2018, RG n° 17/11157. « Réouverture des négociations tarifaires en cours d’exercice : la cour d’appel de Paris balise la pratique des demandes de baisses de prix ou de « budgets » additionnels ». JM. Vertut. RLC Juil-Août 2018, n° 3425 ; à rapprocher « Le formalisme de l’article L. 441-7 et la preuve de la modification de l’accord des parties », JM. Vertut. RLC Avril 2017, n° 3169 ).

Désormais, tout avenant (modification, adjonction ou suppression à l’accord des parties par rapport aux conditions initialement négociées) à une convention écrite actuellement en cours, devra répondre à deux conditions. Il en ira de même, évidemment, pour les conventions futures.

L’avenant devra, d’une part, être établi par écrit, ce qui en soi ne surprend pas s’agissant de modifier une convention elle-même écrite et, d’autre part, se trouver justifié par un élément nouveau.

Bien qu’évoquée  il y a une décennie dans un Avis n° 09-09 de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciale qui, sur la question de la remise en cause des négociations juste après la signature du contrat au 1er mars, visait alors « un élément nouveau ou une condition particulière nouvelle et significative [qui] le justifie », il s’agit au travers de cette deuxième condition (l’élément nouveau), plus novatrice que ne l’est la première (l’écrit), de s’assurer notamment que l’avenant ne traduise pas une renégociation totale du contrat, autrement dit qu’il ne remette pas en cause son économie générale.

L’écrit, matérialisant l’avenant, devra donc expressément mentionner « l’élément nouveau le justifiant ».

Les parties devront donc expliquer la raison de leur(s) avenant(s). Elles ne pourront se contenter d’en exposer leurs seuls contenus financiers ou obligationnels.

Sous toute réserve et sauf à ce que l’élément nouveau puisse se résumer au rappel de la seule volonté, nouvelle, des parties, en vue de modifier l’accord initial – ce qui en soi rendrait sans objet la condition d’élément nouveau puisque d’évidence un avenant suppose une volonté nouvelle des parties – il y a fort penser que cet élément soit de nature objective.

Si tel devait être le cas et alors que jusqu’à présent le recours à des avenants n’était pas en soi proscrit, leur possibilité expresse, parfois apparentée à un assouplissement du régime de la convention écrite, tempère l’idée d’un tel assouplissement, à raison du rajout de la condition supplémentaire de l’élément nouveau.

Les éventuelles précisions de la DGCCRF seront donc les bienvenues sur cette question, d’autant que les manquements à cette nouvelle règle sont, dès maintenant, sanctionnables par une amende administrative.

Pour qui connaît les évolutions parfois très fréquentes, des conditions initialement négociées ne serait-ce que pour s’adapter aux conditions de marché, la simplification des dispositions relatives aux conventions écrites reste ici toute relative.

Dans ces circonstances, seul le recours à la faculté qui est donnée de prévoir dans la convention écrite, les types de situations dans lesquelles et les modalités selon lesquelles des conditions dérogatoires de l’opération de vente sont susceptibles d’être appliquées, permettra, dans le périmètre posé par les parties, d’éviter le formalisme de la modification de la convention initiale par avenant.

Mais attention, cette faculté, inspirée de celle introduite pour les grossistes dans la Loi Macron de 2015, n’est prévue que pour le régime général. Elle n’est pas une solution universelle, puisque les modifications résultant de situations non visées au titre des conditions dérogatoires, nécessite de recourir à un avenant. Elle ne vise, en outre, que les modifications des conditions de l’opération de vente des produits.

Rendez-vous très prochainement pour mon alerte n° 2 sur un autre sujet.

Jean-Michel Vertut – Avocat

La vente de fruits et légumes frais destinés à la revente à l’état sort de la contractualisation obligatoire « LMAP » mais pas de la problématique de la contractualisation.

Un décret du 11 avril 2019, paru au  J.O du 13 avril 2019, vient d’abroger les dispositions du code rural et de la pêche maritime (CRPM) relatives aux contrats de vente de fruits et légumes frais entre producteurs et premiers acheteurs.

Pour rappel, en application de l’article L. 631-24 de ce même code dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche  dite « LMAP » et d’un décret du 30 décembre 2010 modifié par un autre décret le 15 septembre l’année suivante, l’achat de fruits et légumes destinés à la revente à l’état frais, quelle que soit leur origine, livrés sur le territoire français, devait obligatoirement faire l’objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs. Ces décrets ont été codifiés aux articles R. 631-11 à R.631-14 du CRPM.

Après retour d’expérience, il est toutefois ressorti que le dispositif de la contractualisation n’était que très peu utilisé par les acteurs du secteur. Ces derniers ont notamment fait valoir que la durée minimale de trois ans imposée par voie règlementaire pour les contrats portant sur ces produits était difficile à respecter. En effet, selon eux, la très grande variabilité des cycles de production pour des produits périssables ne leur permettait pas de s’engager sur le long terme.

A l’occasion des travaux parlementaires de la Loi Egalim, le Ministre de l’Agriculture d’alors, Stéphane Travert, a d’ailleurs rappelé que la contractualisation avait pu se solder par des échecs, notamment dans le secteur des fruits et légumes.

Une contractualisation efficace ne peut être qu’une contractualisation adaptée. Il est donc apparu souhaitable, dès l’étude d’impact de la Loi Egalim, de procéder à des adaptations règlementaires, et notamment d’abroger les articles R. 631-11 à R. 631-14 qui avaient rendu ici obligatoire la contractualisation écrite.

C’est chose faite avec le décret du 11 avril 2019. Mais attention : dans ce secteur, la contractualisation ne relève pas d’une époque révolue au plan légal, économique et commercial.

En effet, si jusqu’à la Loi Egalim, le cadrage de contenu de la contractualisation ne concernait que les produits des secteurs où la contractualisation avait été rendue obligatoire – dont celui des fruits et légumes frais – le nouvel article L. 631-24 du CRPM voit avec la Loi Egalim, son champs d’application élargi à tout contrat de vente conclu sous forme écrite de produits agricoles livrés sur le territoire français, que la contractualisation ait été rendue obligatoire dans le secteur ou non.

De même, la Loi Egalim prévoit que la conclusion de contrats de vente (et le cas échéant des accords-cadres avec les O.P ou A.O.P dites « sans transfert de propriété » mandatée(s) par ses membres pour négocier la commercialisation de ses produits) mentionnés à l’article précité, pourra notamment être rendue obligatoire en cas d’accord interprofessionnel étendu ou en l’absence d’un tel accord, par un décret en Conseil d’Etat.

Dans cette dernière hypothèse un tel décret préciserait les produits ou catégories de produits concernés en priorisant les produits sous signes d’identification de la qualité et de l’origine. Il semble qu’il faille y voir un appel à la qualité des productions.

Même si pour l’heure et s’agissant des fruits et légumes frais, le recours à des décrets n’apparaît pas des plus logique au vu justement de l’abrogation du décret instaurant la contractualisation obligatoire en 2010, la possibilité d’une intervention ultérieure des pouvoirs publics n’a pas disparu, à défaut d’accord interprofessionnel étendu. La balle serait-elle alors dans le cas des interprofessions ?

La Loi EGalim attribue quoi qu’il en soit à ces dernières ce qui, à certains points de vue, peut relever d’une position privilégiée pour faire avancer le vaste chantier de la contractualisation, mais dans le même temps d’une très (ou trop) lourde tâche. La grande variété des productions en fruits et légumes rend par exemple à tout le moins complexe l’élaboration par ces organisations interprofessionnelles d’indicateurs pertinents et crédibles, de même que leur diffusion, aux fins de la détermination du prix.

Surtout et c’est probablement là-dessus qu’il faudra réfléchir, même si la contractualisation à elle seule ne pourra tenir lieu de solution miracle pour régler tous les problèmes de la filière et notamment ceux du monde agricole (voir notamment le secteur du lait de vache où l’on ne peut pas vraiment affirmer que la contractualisation obligatoire a permis de solutionner la question du revenu des éleveurs), elle reste un outil intéressant à bien des égards dans les relations avec l’aval au regard des besoins exprimés à ce stade (cf. Circuits longs et partage de la valeur dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire : vers un « Soft Power », des consommateurs plus efficace que la règlementation. JM. Vertut, Revue Lamy Concurrence, n°68, janvier 2018).

Mais le sujet nous renvoie déjà à un autre. Celui du renforcement de l’organisation économique de la production et de la formation des intervenants de l’amont à la marchandisation de leurs productions.

Jean-Michel Vertut – Avocat

Ventes transfrontalières en Europe : interdit d’interdire.

«  La décision de ce jour permet de veiller à ce que les détaillants et les consommateurs puissent profiter pleinement d’un des principaux avantages du marché unique : la capacité de faire son marché dans toute l’Europe à la recherche d’un plus large éventail de produits et des meilleurs prix. »

Ces propos sont tirés d’une déclaration de Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de concurrence, à la faveur d’un communiqué de presse du 25 mars 2019 traitant de la condamnation de l’équipementier Nike, qui vient de se voir infliger une amende de 12,5 millions d’euros pour avoir interdit aux vendeurs de vendre en dehors de leur territoire des produits dérivés sous licence, dans d’autres pays au sein de l’EEE.

Pour ces produits, Nike agit en tant que donneur de licence sur les droits de propriété intellectuelle et octroie des licences à des tiers, qui sont alors habilités à les fabriquer et les distribuer. C’est compte tenu du rôle joué par Nike en tant que donneur de licence pour la fabrication et la distribution de ces produits dérivés sous licence, que la Commission sanctionne l’entreprise.

À l’issue de son enquête, la Commission a en effet conclu que les accords de licence et de distribution non exclusives de Nike violaient les règles de concurrence, l’équipementier ayant imposé à ses preneurs de licence plusieurs mesures directes ou indirectes restreignant leurs ventes hors de leur territoire.

La Commission a conclu que les pratiques illégales de Nike, qui ont duré pendant environ 13 ans (du 1er juillet 2004 au 27 octobre 2017), ont segmenté le marché unique et empêché les preneurs de licence en Europe de vendre les produits par-delà les frontières, au détriment, en fin de compte, des consommateurs européens.

Doit-on encore le rappeler ? Sauf dans certaines situations particulières, les entreprises basées en Europe sont libres de commercialiser leurs produits – y compris en ligne – auprès de qui bon leur semble dans l’Espace Economique Européen.

En cette matière, toute restriction, directe ou indirecte, est contraire à l’article 101 § 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Outre qu’ils sont interdits, les accords ou décisions anticoncurrentiels sont nuls de plein droit.

Pour une précédente actualité sur cette question voir : Prix de revente en ligne dans l’électronique grand public, l’électroménager et l’informatique : la Commission U.E s’intéresse aux algorithmes et aux restrictions des ventes transfrontalières.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Négos 2019 et facturations consécutives : nécessité de conformité.

Les négociations sont terminées. Les avantages financiers consentis sous forme de réductions de prix acquises à la date de la vente et qui lui sont directement liés, doivent se traduire dans la facturation du fournisseur.

Gare notamment aux facturations en prix net ou aux factures qui, même « remisées », n’en resteraient pas moins incomplètes.

Quand bien même les factures 2018 seraient-elles correctes, le fournisseur doit s’assurer que l’évolution éventuelle de ses conditions commerciales sur 2019, par client, sont prises en compte. Les défaillances sont passibles de sanctions pénales.

Il s’agit d’un enjeu de transparence, toujours générateur de risques et de contentieux.

Pour approfondir sur la question de la transparence voir : Précision et transparence : une relation aux multiples enjeux dans le cadre des pratiques restrictives de concurrence et des relations commerciales en général.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Négos 2019 : place aux contrôles !

Intermarché, Carrefour et Système U auraient été visités par la DGCCRF. Ces contrôles porteraient sur la vérification de certains contrats (Source LSA).

Quand le risque de contrôles ultérieurs – ici immédiat – devient l’allié implicite du fournisseur et amplifie pour lui le champ du possible dans la négociation.

Je vous renvoie à mon actualité du lundi 4 mars : Fin des négociations annuelles et signature des accords au 1er mars : Un soulagement en trompe l’œil.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Fin des négociations annuelles et signature des accords au 1er mars : un soulagement en trompe l’œil.

C’est enfin signé, et souvent dans les dernières heures de février, voir même vendredi 1er mars au soir : le week-end aura été bien mérité pour les responsables Grand Comptes et leurs acheteurs.

Boucler ses négociations commerciales au 1er mars, avec signature de la convention annuelle pour l’année qui s’annonce est en effet à la fois une obligation légale, mais encore une source de soulagement tant pour les responsables commerciaux côté fournisseurs, que pour les acheteurs côté distributeurs. Mais il y a tout de même un après…

Passé le 1er mars, le traitement des affaires courantes et le suivi de l’exécution de l’accord initial peut malheureusement conduire à reléguer au second plan les problématiques de révision de cet accord lorsque les parties, au travers de leur pratique quotidienne, procèderont de fait à des modifications ou à des adjonctions à leur convention initiale, sans pour autant formaliser ces évolutions.

On songe par exemple à la prévision en cours d’exercice, de services supplémentaires à rendre par le distributeur, à la révision du contenu des services initiaux ou de leurs prix, au contenu du référentiel, à l’octroi d’une ristourne conditionnelle de fin d’année alors que l’objectif de chiffre d’affaires à réaliser n’a pas été pleinement atteint à raison du défaut de livraison de certains produits commandés, du recul général du marché etc.

Cette absence de formalisation peut être le résultat d’une méconnaissance des règles applicables au-delà de la seule nécessité de « signer » au plus tard au 1er mars, d’une certaine indolence des parties passée la période de crispation des mois de négociation précédents, voire d’une confiance dans l’interlocuteur d’en face sur la mise en œuvre d’engagements pris en cours de relation, par téléphone ou lors d’une réunion de suivi commercial.

Au plan de la forme d’abord, les parties passée la date fatidique du 1er mars, doivent songer à prévoir des avenants à leur convention en cas de modification de l’accord initial. Il existe sur ce sujet un enjeu en droit des pratiques restrictives de concurrence, s’agissant de la régularité formelle de la convention qui doit continuer à retranscrire fidèlement même après le 1er mars et sur toute sa durée, l’accord des parties, sous peine de sanction administrative en cas d’infraction, mais encore en droit des obligations.

Au plan du fond et de l’évolution du contenu de la négociation commerciale ensuite, la renégociation notamment tarifaire, entre fournisseurs et clients de la grande distribution, n’est pas exempte d’un certain cadrage, alors que les réouvertures de négociations, passées la signature des accords commerciaux annuels, sont de plus en plus fréquentes.

Les parties, qui s’estiment à tort et trop souvent libérées des contraintes règlementaires passé le 1er mars, seront donc avisées de ne pas remiser leur accord initial jusqu’à la fin de la période contractuelle, et de songer à le réactualiser en cas d’évolution des conditions initialement convenues.

Jean-Michel Vertut – Avocat

 

Pour approfondir le sujet sur cette problématique, voir sous l’onglet Publication, dans la rubrique Autres publications,  mes deux contributions à la Revue Lamy de la Concurrence des mois d’avril 2017 et de juillet/août 2018.

Sur la forme de l’accord des parties : Le formalisme de l’article L. 441-7 et la preuve de la modification de l’accord des parties.

Sur le fond de l’accord des parties : Réouverture des négociations tarifaires en cours d’exercice : la cour d’appel de Paris balise la pratique des demandes de baisses de prix ou de « budgets » additionnels.

Délais de paiement et Distribution : des Direcctes très actives.

A partir du contenu d’un communiqué de presse du Ministère de l’Economie du 22 février dernier et des informations en ligne sur le site de la DGCCRF, l’on peut relever quelques amendes administratives prononcées sur les derniers mois par les Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) dans l’univers de la distribution, notamment dans le secteur des biens de consommation durables ou non durables, alimentaires ou non alimentaires. Les fournisseurs/industriels ne sont pas non plus épargnés.

Ci-après un recensement simplement indicatif :

Au stade de la distribution

Amende de 375.000 € prononcée à l’encontre de la société AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS (date inconnue).
Amende de 100.000 € prononcée à l’encontre de la société DISTRIBUTION FRANPRIX (17/12/2018).
Amende de 375.000 € prononcée à l’encontre de la société SEDIFRAIS (17/12/2018).
Amende de 340.000 € prononcée à l’encontre de la société DISTRIBUTION LEADER PRICE SNC (06/12/2018).
Amende de 50.000 € prononcée à l’encontre de la société SAS VERTBAUDET (22/11/2018).
Amende de 160.000 € prononcée à l’encontre de la société PRIMARK France (30/10/2018).
Amende de 180.000 € prononcée à l’encontre de la société OSCARO.COM (11/10/2018).
Amende de 75.000 € prononcée à l’encontre de la société DECATHLON SA (27/09/2018).
Amende de 310.000 € prononcée à l’encontre de la société CDISCOUNT (10/09/2018).
Amende de 90.000€ prononcée à l’encontre de la société CARREFOUR HYPERMARCHES (Date de décision : 04/09/2018).

Au stade amont/fournisseurs

Amende de 375.000 € prononcée à l’encontre de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE (30/10/2018).
Amende de 300.000 € prononcée à l’encontre de la société DANONE PRODUITS FRAIS FRANCE (30/10/2018).
Amende de 55.000 € prononcée à l’encontre de la société ARKOPHARMA (27/09/2018).
Amende de 100.000€ prononcée à l’encontre de la société LABORATOIRE HRA-PHARMA (Date de décision : 05/09/2018).
Amende de 283.000 € prononcée à l’encontre de la société UNILEVER France HPC INDUSTRIES (03/01/2019).

Attention : Jusqu’à une époque récente, les sanctions pour manquements à la législation relative aux délais de paiement étaient passibles d’une amende pouvant atteindre 375.000 euros, d’où certains montants ci-dessus.

A l’avenir, le niveau des sanctions prononcées a vocation à augmenter, puisque leur plafond a été porté à 2.000.000 euros à l’occasion de la Loi Macron de décembre 2016.

Pour plus d’informations, voir ma note à la Revue Lamy Droit des Affaires du mois de décembre 2018 (Pas de droit à l’erreur et Name and Shame renforcé : deux nouvelles mesures en matière de lutte contre les retards de paiement), ou mes deux actualités en ligne :

Retards de paiement : le nouveau droit à l’erreur ne joue pas.

Retards de paiement : vers un possible renforcement du Name and Shame.

Jean-Michel Vertut – Avocat

Mon entreprise répond à un appel d’offres pour un marché local : que risque-t-elle en sollicitant une consœur pour qu’elle dépose un devis plus élevé ?

La pratique dite des « devis de complaisance » ou « devis de couverture » est une entente illicite. Il en va de même de toute coordination entre concurrents en réponse à des appels d’offres, publics ou privés.

Non content de tromper le client (entreprise, collectivité…), la mise en concurrence ne doit pas être empêchée ou faussée par le comportement des entreprises entrant en lice.

Pareil comportement peut donner lieu à des sanctions pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires, infligées par l’Autorité de la Concurrence.

Pour les ententes locales dites « Micro-PAC », qui visent des pratiques qui affectent un ou plusieurs marchés de dimension locale et sont commises par des entreprises dont le chiffre d’affaires est, individuellement et collectivement, inférieur à certains seuils, la procédure de sanction peut être mise en œuvre localement, par les DIRECCTE, sous la coordination de la DGCCRF.

Les DIRECCTE peuvent, entre autres, proposer aux entreprises de transiger en réglant au Trésor Public une somme pouvant s’élever à 150.000 euros dans la limite de 5 % de leur chiffre d’affaires en France.

En cas de refus de la transaction proposée, l’affaire est transmise à l’Autorité de la Concurrence, ce qui peut s’avérer risqué car pouvant conduire, in fine, à des sanctions plus élevées.

(A paraître dans le quotidien Le Midi Libre du 29 juin 2019, en tant qu’information de vulgarisation juridique au sein de la rubrique « La question droit », en partenariat avec le Barreau de Montpellier).

Jean-Michel Vertut – Avocat

 

Loi EGalim : l’encadrement des promotions et la terminologie promotionnelle dans l’alimentaire décryptés par la DGCCRF.

Dans la lignée de la Loi EGalim et de l’article 3 de l’ordonnance du 12 décembre 2018, la DGCCRF a publié le 5 février 2019 ses lignes directrices relatives à l’encadrement des promotions pour les produits alimentaires et l’interdiction du terme « gratuit ».

Elle y explique comment ces nouvelles règles en matière de limitation des offres promotionnelles seront mises en œuvre par ses services.

Cette grille de lecture était attendue par les fournisseurs et les distributeurs espérant à tout le moins, quelques premières clarifications, notamment sur le nouveau dispositif de plafonnement des promotions en valeur et en volume. Qu’en retenir, entre autres ?

SUR L’ENCADREMENT DES PROMOTIONS

Encadrement en valeur :

On rappelle que les avantages promotionnels, le cas échéant cumulés, pour un produit déterminé, ne peuvent pas dépasser 34% du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente.

A la seule lecture des tracts promotionnels édités par les enseignes, les consommateurs auront par exemple déjà relevé le taux précité, qui n’a d’ailleurs rien d’un taux « rond », lorsque la réduction de prix consentie atteint le maximum légal autorisé.

L’encadrement en valeur ne concerne que les offres portant sur un produit déterminé, dont le prix est annoncé en baisse par le distributeur par rapport au prix de vente au consommateur, ou dont la quantité est augmentée par rapport au conditionnement habituel sans augmentation de prix correspondante. Ces dispositions s’appliquent donc aux seules annonces de réduction chiffrées.

Saluons le parti pris pragmatique de l’Administration qui dresse, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, une liste non exhaustive d’opérations promotionnelles entrant ou non dans le champ d’application de cette règlementation.

Entrent en tout état de cause dans le champ d’application de l’encadrement en valeur.

  • Les offres avec annonce d’une réduction de prix chiffrée : ex. « moins X% » ;
  • Les offres assorties d’une augmentation de quantité offerte : ex. du type « dont X% offert » ou « plus X% offert » ou « 2 + 1 » ;
  • Les avantages de fidélisation ou de cagnottage affectés à un produit : ex. « X% du prix du produit cagnotté sur la carte de fidélité du magasin » ;
  • Les bons de réduction accordés par les fournisseurs sur un produit déterminé (…) ex : « X centimes déduits » ou « X centimes remboursés ».

Dans le cas où un même produit bénéficierait de manière cumulative de plusieurs offres, la réduction de prix cumulée dont bénéficiera le consommateur ne pourra excéder 34% du prix de vente. Dans cette hypothèse, il revient donc au distributeur de prendre en compte l’existence d’un éventuel avantage octroyé par le fournisseur avant de mettre en place une offre promotionnelle. La communication entre les départements marketing, via le cas échéant les comptes clés, est de ce point de vue nécessaire.

N’entrent pas, en revanche, dans le dans le champ d’application de l’encadrement :

  • Le cagnottage non affecté à un produit : ex. obtention d’un montant de 10 euros sur la carte de fidélité si le montant total des produits achetés à une date particulière dans le magasin ou sur un rayon donné est supérieur à 50 euros ;
  • Les pratiques de prix présentés comme avantageux pour le consommateur sans annonces de réductions de prix chiffrées mais avec des annonces littéraires du type « prix choc », « prix bas » ;
  • L’offre d’un produit différent, y compris alimentaire, pour un ou plusieurs produits identiques achetés (vente avec prime) ;
  • Les avantages promotionnels portant sur des produits périssables dès lors qu’ils sont menacés d’altération rapide, à condition que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente.

Attention sur ce dernier point : Il appartiendra au distributeur de prouver aux services de contrôle que des produits étaient menacés d’une telle altération par tout moyen à sa disposition. Pour l’heure, pas de plus amples positions de l’Administration sur les produits festifs et/ou très marqués d’un point de vue saisonnier, mais sans pour autant menacés d’altération rapide (ex. les chocolats à Noël… voire même le Père Noël en chocolat). Chacun se fera son opinion, au vu de la lettre du texte.

Encadrement en volume :

On rappelle que l’ordonnance de décembre dernier prévoit également que les avantages, accordés par le fournisseur ou par le distributeur, doivent porter sur une quantité de produits ne représentant pas plus de 25 % d’un volume ou d’un chiffre d’affaires déterminé à l’avance par les parties au contrat.

Sur ce point, nous limiterons nos observations aux relations régies par la convention annuelle (en principe) à conclure au plus tard le 1er mars.

Les fournisseurs et les distributeurs devront là, s’assurer que la valeur à l’achat des produits revendus en promotion ne dépasse pas 25% du chiffre d’affaires prévisionnel. Il s’agit du chiffre d’affaires en « sell in », entre fournisseur et distributeur, et non « sell out », auprès du consommateur.

Cette option est selon nous la plus pragmatique, car le « sell in » est en principe connu des deux parties à l’achat revente. Elle réduit néanmoins mécaniquement le niveau des promotions au stade de la revente, à raison d’une assiette de calcul plus faible.

Ces chiffres d’affaires devront être inscrits par les parties au contrat, car ce sont eux qui serviront d’assiette à l’encadrement des promotions en volume.

A la différence du taux promotionnel maximum en valeur, ce taux de 25% relève de la face cachée du dispositif pour le consommateur.

SUR L’INTERDICTION DU TERME « GRATUIT »

La loi EGalim a banni le terme « gratuit » dans la promotion d’un produit alimentaire (denrées alimentaires et produits pour animaux de compagnie).

Ces dispositions étant d’application stricte, seule l’utilisation du mot « gratuit » est interdite. Ainsi et selon la DGCCRF, il semble que des termes dérivés ou synonymes, comme par exemple « offert », peuvent être librement utilisés par les opérateurs.

Les consommateurs que nous sommes auront d’ailleurs déjà observé la mutation lexicale qui s’est récemment opérée à ce sujet, notamment dans les nouveaux tracts de la Grande Distribution de ce début d’année.

Les messages du type « 2 + 1 gratuit » ou « 3 dont 1 gratuit », ont fait place aux accroches du type « 2 + 1 offert », « 3 dont 1 offert » ou, plus recherché « -100% sur le 3e ».

Au plan des contrôles, les opérateurs seront rassurés de relever que les agents en charge de vérifier le respect de cette règlementation, tiendront compte des circonstances particulières et notamment de la bonne foi des entreprises contrôlées.

A ce propos, les lignes directrices indiquent que bien que l’interdiction d’utilisation du mot « gratuit » soit en vigueur depuis le 2 novembre 2018, le fait que des emballages comportant cette mention aient été fabriqués avant cette date, pourra par exemple être pris en compte.

Même si l’Administration a pu laisser entendre qu’elle ferait preuve de pédagogie en période de début d’application de la Loi, la fin de son silence prudent sur cette question est appréciée. C’est mieux quand c’est écrit. Avec toutes les réserves qui s’imposent, la mise au pilon où le restickage des emballages n’auraient pas donc été – ou si cela n’est point trop tard ne seraient pas – les seules alternatives.

Jean-Michel Vertut – Avocat

Prix promo : l’essentielle problématique du prix de référence.

Dans le cadre d’un communiqué du 10 janvier 2019, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) indique avoir transmis à la Procureure de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny les conclusions de ses investigations concernant des pratiques du site vente-privee.com.

Selon ce communiqué, le procès-verbal transmis s’inscrit dans le cadre d’une enquête portant sur d’éventuelles annonces de réduction de prix trompeuses.

Il est ainsi reproché à vente-privee.com :

« d’avoir cherché à donner à ses clients l’illusion de faire une bonne affaire en mettant en place différentes stratégies frauduleuses visant à construire un « prix de référence » fictif. Ce « prix de référence » est le prix à partir duquel est calculé le taux de réduction pratiqué. Les annonces de réduction de prix le présentent souvent sous une forme barrée. En l’occurrence, des « prix de référence » qui ne correspondaient dans les faits à aucune réalité économique étaient utilisés pour afficher des taux de promotion particulièrement attractifs. Il revient maintenant à l’autorité judiciaire de donner les suites qu’elle jugera nécessaires aux manquements présumés relevés par la DGCCRF. ».

Cette procédure vient rappeler que la question du référentiel hors promotion (référence de comparaison et prix de référence) demeure déterminante, quand il s’agit d’évaluer la licéité d’une annonce de réduction de prix chiffrée, tant pour les distributeurs, que pour les fournisseurs qui conçoivent des opérations promotionnelles, en espérant les voir relayées auprès des consommateurs.

Outre la nécessité, constante, ne pas tromper le consommateur sur l’ampleur de la réduction du prix consentie ou de la quantité supplémentaire offerte (Lettre de la Distribution, Septembre 2017Petites Affiches, 30 novembre 2012, N° 240), s’est récemment rajoutée une contrainte lors des opérations promotionnelles portant des denrées alimentaires ou des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie : Celle de veiller, notamment, à ce que la réduction de prix ne dépasse pas un certain plafond en valeur.

L’ordonnance du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires, dans la continuité de la Loi EGalim d’octobre 2018, dispose que « les avantages promotionnels, le cas échéant cumulés (…) accordés au consommateur pour un produit déterminé, ne sont pas supérieurs à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente ».

Vigilance donc, qu’il s’agisse de produits alimentaires ou non, lorsqu’il est question de communiquer sur des réductions de prix chiffrées, car c’est à la mesure du prix de référence et, en arrière-plan, de la détermination du produit de référence, que va s’apprécier le caractère, licite ou non, du message publicitaire et, le cas échéant, le plafond en valeur de la promotion autorisée. Si n’est pas ou pas bien mesuré ce qui convient de l’être, il est à craindre que ne soit pas fait ce qu’il convient de faire.

Jean-Michel Vertut – Avocat

 

Dans le cadre de mon activité commerciale, puis-je faire une offre de vente promotionnelle faisant état d’un produit gratuit ?

Pour autant que vos clients ne s’acquittent pas d’un prix pour ce produit offert et sous réserve d’interdictions spécifiques non évoquées ici, cela dépend, depuis la loi dite « EGalim » de fin octobre dernier, du type de produits vendus au principal.

S’il s’agit de produits alimentaires, une telle offre ne peut être envisagée. Le terme « gratuit » est banni comme outil marketing et promotionnel dans le cadre d’une relation commerciale. L’emploi de ce terme relève d’ailleurs d’un délit, passible d’une amende de 15.000 euros. Ainsi, les offres promotionnelles du type « 2 + 1 gratuit », à destination de vos clients, qu’ils soient professionnels ou consommateurs, sont interdites. Sachez aussi qu’au-delà de cette interdiction, les avantages promotionnels pratiqués auprès de clients consommateurs, à l’occasion de la vente de denrées alimentaires ou de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie sont, pour l’instant à titre expérimental en principe pour une période de deux années, plafonnés à la fois en valeur et en volume, ce qui d’ailleurs ne va pas sans poser des difficultés d’application. En outre, pour ces produits et durant cette période, le seuil de revente à perte au consommateur est majoré de 10%.

En revanche, pour les produits non alimentaires, l’emploi du terme « gratuit », reste en soi autorisé.

(A paraître dans le quotidien Le Midi Libre du 6 avril 2019, en tant qu’information de vulgarisation juridique au sein de la rubrique « La question droit », en partenariat avec le Barreau de Montpellier).

Jean-Michel Vertut – Avocat

MDD et transparence des coûts dans la relation fournisseur-distributeur.

Quelle est la marge de manœuvre dont disposent les distributeurs pour obtenir de leurs fournisseurs de MDD, une analyse de leurs coûts de revient par postes et sous-postes, c’est-à-dire des informations susceptibles d’être protégées par leur secret des affaires ? L’obtention de ces informations est-elle licite et dans l’affirmative, dans quelle mesure ? Se refuser à divulguer ces informations pour un fournisseur, afin de protéger son savoir-faire, est-il un motif de rupture du contrat avec son distributeur ?

La Commission d’Examen des Pratiques Commerciales tente de répondre à ces questions dans un avis du 25 octobre dernier (Avis n° 18-9 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la légalité d’une pratique mise en œuvre dans le cadre de l’achat de produits MDD).

La problématique est approchée au plan de l’articulation de ces demandes de communication avec certaines règles en matière de pratiques restrictives de concurrence (notamment menace de rupture brutale des relations commerciales, déséquilibre significatif,  rupture des relations commerciales établies) ou de la protection du secret des affaires issu de la Loi du 30 juillet 2018.

En arrière-plan de la saisine de la Commission, l’on devine la préoccupation pour les fournisseurs, au-delà de la protection de leur savoir-faire, de l’hyper-transparence de leurs coûts de production ainsi que de la construction de leurs prix, et de la préservation de leur part de secret, indispensable pour la défense de leurs positions tarifaires dans la négociation et de leurs marges.

Finalement, cet avis encadre le droit de regard du distributeur sur son fournisseur au plan de la comptabilité de gestion, et vise à concilier les intérêts de chacun. Il est, peut-être, une invitation à repenser la problématique de la transparence dans les négociations de commerciales de contrats MDD et même au-delà.

En effet, la nécessité de préserver le secret des affaires se rencontre aussi dans d’autres types de négociations commerciales.

On songe notamment aux renégociations de prix visées à l’article L. 441-8 du Code de commerce, pour certains produits agricoles ou alimentaires (y compris d’ailleurs en MDD), qui prévoit que la renégociation de prix est conduite de bonne foi, dans le respect du secret des affaires.

On pense aussi à celles des contrats de partenariats, visant au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, à une création et une répartition plus équilibrée de la valeur ajoutée, bien que la loi EGALIM, prônant la construction des prix de l’amont de la filière à partir de ses coûts, puisse pousser à une recherche accrue de visibilité sur ces derniers avec, le cas échéant, certains effets pervers.

Pour en savoir plus, retrouvez sous la rubrique publication, mon commentaire paru à la Lettre de la Distribution du mois de décembre 2018 ainsi que, de manière plus détaillée, à la Revue Lamy de la concurrence du mois de janvier 2019.

Jean-Michel Vertut – Avocat

Retards de paiement : le nouveau droit à l’erreur ne joue pas.

Un droit à l’erreur a récemment été consacré dans les articles L. 123-1 et L. 123-2 du Code des Relations entre le Public et l’Administration (Loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance ou loi « Confiance »).

Cette intéressante nouveauté est entre autre motivée par le constat d’une complexification croissante des textes et de la multiplication des obligations à charge des administrés, de même que par le souhait de favoriser, dans certaines situations, la bienveillance de l’Administration envers les usagers.

En bref, la mesure permet notamment à une personne ayant méconnu une première fois une règle de ne pas faire l’objet d’une sanction pécuniaire, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’Administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué.

Même si rien n’interdisait à l’Administration de faire preuve de souplesse lors de ses contrôles, il n’existait pas jusqu’alors de disposition générale lui permettant de prendre en compte l’intention d’une personne ayant commis une erreur de bonne foi, pour adopter à son égard une attitude bienveillante et lui éviter la sanction administrative.

Mais attention : Il serait risqué d’assimiler de manière hâtive droit à l’erreur à immunité ou droit à une seconde chance, de même que le croire systématique.

D’abord, seules les sanctions administratives entrent dans le champ d’application du dispositif. Pas les sanctions de nature pénale (ex. mentions incorrectes sur factures etc.), lesquelles ne sont pas prononcées par l’Administration.

Ensuite, il ne s’agit pas d’accorder aux acteurs un droit de commettre des erreurs, mais celui de régulariser une erreur commise de bonne foi, et ainsi leur éviter de se voir infliger une sanction pécuniaire. Rappelons tout de même l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi ».

Enfin, outre certaines sanctions spécifiques qui sont expressément exclues du dispositif (ex. sanctions pour méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement), il est prévu une exclusion générale du bénéfice du droit à l’erreur en cas de mauvaise foi ou de fraude. Il en va de même des erreurs grossières qui sont, par nature, également exclusives de toute bonne foi.

Si la notion de bonne foi n’est pas ici définie afin de maintenir une certaine souplesse lors de l’appréciation du comportement des usagers par l’Administration, la mauvaise foi l’est : Sera de mauvaise foi toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation (Cf. art. L. 123-2 du Code précité).

Et précisément et même si cela ne ressort pas expressément de la Loi elle-même mais des travaux préparatoires, le non-respect des dispositions de l’article L. 441-6 du Code de commerce sur les délais de paiement limités contractuellement à 60 jours, pourtant passibles de sanctions administratives, comptent parmi les exemples d’erreurs grossières exclues du champ d’application du droit à l’erreur.

L’on peut craindre qu’il en aille de même pour les délais de règlements spécifiques (ex. délai de 30 jours après la fin de la décade de livraison pour les achats de produits alimentaires périssables et de viandes congelées ou surgelées, de poissons surgelés, de plats cuisinés et de conserves fabriqués à partir de produits alimentaires périssables. Cf. art. L. 443-1 Code. com.).

Rappelons que selon les chiffres issus du rapport annuel pour 2017 de l’Observatoire des délais de paiement,  la trésorerie qui pourrait être libérée si aucun retard de
paiement n’était constaté serait de 9 milliards d’euros.

Rien d’étonnant à ce que le Gouvernement ait fait de la lutte contre les retards de paiement l’une de ses priorités et n’ait pas souhaité, dans le cadre de son initiative du projet de loi « Confiance », voir étendre le droit à l’erreur à cette problématique.

Le non-respect de la règlementation des délais de paiement demeure donc une pratique dangereuse au vu des sanctions administratives encourues (2.000.000 d’euros avec doublement en cas de réitération sous deux ans).

Les habitudes « métiers », les retards de règlement subis, les contraintes informatiques ou de gestion, de traitement ou de validations internes des paiements, ne suffiront pas à sortir indemne en cas de contrôle, alors que le contexte augure d’un durcissement du dispositif de sanction.

Même sans pouvoir compter sur un droit à l’erreur, il n’est cependant jamais trop tard pour mieux faire. Les retardataires sont donc invités à s’interroger sur leurs pratiques, le cas échéant avec l’assistance d’un Conseil initié à ce type de question et à la méthodologie des enquêtes, en se positionnant dans la perspective d’un contrôle de la DIRECCTE.

La démarche est d’autant plus souhaitable que l’entreprise, bien que passible de sanction, pourra tenter de mettre en œuvre une série de mesures pour espérer voir atténuer le cas échéant, le montant de l’amende.

Signalons toute de même en relation avec les délais de règlement, que Loi « Confiance » a introduit dans le Code de commerce un nouveau dispositif, permettant de demander à l’Administration de prendre formellement position sur la conformité de certains mécanismes de computation des délais de paiement, que certains professionnels envisagent de mettre en place dans des secteurs économiques à déterminer par Décret. Mais il s’agit d’un autre sujet.

Pour plus d’information : Voir Publication « Pas de droit à l’erreur et Name and Shame renforcé : deux nouvelles mesures en matière de lutte contre les retards de paiement » (Rubrique « Autres Publications »).

Jean-Michel Vertut – Avocat

Retards de paiement : vers un possible renforcement du Name and Shame.

Un communiqué de presse du Ministère de l’Economie du 27 septembre 2018 augure d’une mise à l’index renforcée des retardataires sur les délais de règlement des factures fournisseurs.

Dans le cadre des discussions à l’Assemblée Nationale de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), un amendement vient d’être adopté en Commission Spéciale. Il vise à renforcer le caractère dissuasif du « name and shame » et bénéficie du soutien du Ministre de l’Economie.

On rappelle que pour l’heure, les amendes administratives sont publiées sur le site de la DGCCRF. Les contrôles sont d’ailleurs fréquents et le niveau des sanctions prononcées a vocation à augmenter, puisque leur plafond a été porté à 2.000.000 euros à l’occasion de la Loi Macron de décembre 2016.

Si la mesure d’un « name and shame » étendu est finalement inscrite dans la Loi, les entreprises sanctionnées pour des retards de paiement auront l’obligation de faire publier cette sanction à leurs frais dans la presse locale.

Cette mesure viendra s’ajouter à celle déjà prévue par la loi, de publication automatique sur le site internet de la DGCCRF.

Pour les manquements les plus graves, la publication dans d’autres titres de presse, par exemple spécialisée ou nationale, pourra être imposée par la DGCCRF.

Publiées jusqu’alors sur le seul site de la DGCCRF, les condamnations pourraient alors faire l’objet d’une diffusion plus large et plus ciblée.

Dans ces conditions, il sera difficile pour les entreprises incriminées de demeurer discrètes sur les condamnations infligées suite à leurs pratiques, voire d’être vraiment légitimes en blâmant leurs propres clients retardataires.

Pour plus d’information : Voir Publication « Pas de droit à l’erreur et Name and Shame renforcé : deux nouvelles mesures en matière de lutte contre les retards de paiement » (Rubrique « Autres Publications »).

Jean-Michel Vertut – Avocat

Annulation de commande par l’acheteur de produits non conformes ou défaillants: indemnisation du fournisseur au vu de ses CGV.

Les clauses prévoyant dans les Conditions Générales de Vente une indemnisation par l’acheteur, en cas d’annulation de commande, pour couvrir les frais supportés par le fournisseur pour l’honorer, ne sont pas ipso facto constitutives d’un déséquilibre significatif prohibé, quand bien même l’indemnisation atteindrait 100% du montant de la commande et/ou l’annulation serait consécutive à une faute contractuelle du fournisseur.

Cette solution, pouvant de premier abord paraître surprenante, doit être rattachée aux circonstances de l’espèce. Elle est toutefois intéressante au plan pratique pour les acteurs.

Rendez-vous sur Publication (Lettre de la Distribution – Publications 2018 : Clause d’annulation de commandes, manquements du fournisseur et déséquilibre significatif).

Jean-Michel Vertut – Avocat

« Négociations commerciales 2019 » Rendez-vous Formation.

Connaissance et maîtrise du cadre légal de la négociation commerciale et anticipation des périodes de négociations 2019.

Les négociations commerciales pour 2019 se profilent. Dans cette perspective, où en êtes-vous au plan de vos connaissances du cadre règlementaire sur la négociation commerciale et de ses évolutions ? Quel(s) impact(s) des « Alliances » pour les fournisseurs et quelles perspectives sur le moyen terme au regard des mutations du commerce ? Quelles sont les incidences possibles sur le commerce des produits non alimentaires de la « Loi Alimentation » en cours de discussion ?

Trois journées de formation en univers « non alimentaire », animées par Jean-Michel Vertut, sont planifiées à Paris avec l’Espace Hamelin, Centre d’affaires & services, les 18 octobre 2018, 27 novembre 2018 et 24 janvier 2019.

Jean-Michel Vertut – Avocat

Prix de revente en ligne dans l’électronique grand public, l’électroménager et l’informatique : la Commission U.E s’intéresse aux algorithmes et aux restrictions des ventes transfrontalières.

Dans quatre décisions non encore publiées au jour de notre brève, la Commission de l’Union Européenne vient de sanctionner quatre fabricants de produits d’électronique grand public, informatiques et électroménagers, pour avoir imposé des prix de revente fixes ou minimaux à leurs détaillants en ligne. Les pratiques en question sont intervenues, de manière variable selon les fabricants, au titre de la période 2011 à 2015.

Selon le communiqué de presse de la Commission du 24 juillet 2018, les interventions de ces fabricants dans la fixation des prix ont restreint la concurrence effective par les prix entre détaillants et ont débouché sur une hausse des prix. Ces pratiques ont été relevées dans certains Etats-Membres, dont la France ou l’Allemagne.

Les quatre fabricants se mettaient notamment en contact avec les détaillants en ligne qui vendaient leurs produits à des prix peu élevés. Si ces détaillants ne se conformaient pas aux prix demandés par les fabricants, ils s’exposaient à des menaces ou sanctions, telles que la cessation des approvisionnements.

A raison de l’usage d’algorithmes de fixation de prix qui adaptent automatiquement les prix de détail aux prix demandés par les concurrents, les restrictions sur les prix imposés aux détaillants en ligne appliquant des prix peu élevés avaient, de manière générale, un plus large impact sur le niveau général des prix en ligne des produits concernés.

Au-delà des prix de revente imposés, certaines pratiques ont consisté à restreindre la capacité des détaillants à procéder à des ventes transfrontalières auprès des consommateurs d’autres Etats-Membres afin de pouvoir maintenir des prix de revente différents dans les différentes Etats-Membres, par exemple en bloquant les commandes des détaillants qui vendaient leurs produits par-delà les frontières (voir aussi sur ces questions, le Règlement (UE) 2018/302 du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondées sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur, applicable à compter du 3 décembre 2018. JOCE, 2 mars 2018).

Les amendes infligées aux fabricants ont été réduites de l’ordre de 40% ou 50%, en raison de leur coopération avec la Commission dans le cadre de la procédure. Elles s’élèvent, au total et tout de même, à plus de 110 millions d’euros.

Ces affaires, qui s’inscrivent dans la continuité des résultats de l’enquête sectorielle de la Commission sur le commerce électronique publiée au premier semestre 2017, doivent inviter les acteurs à s’interroger sur l’opportunité d’autocontrôles dans l’usage de certains nouveaux outils de veille concurrentielle ou de tarification algorithmique.

Le sujet intéresse en effet aussi bien la Commission comme cela ressort du discours prononcé à Berlin en mars 2017 par la Commissaire à la Concurrence, que les Autorités Nationales de Concurrence, et au premier plan les Autorités française et allemande (Communiqué du 19 juin 2018 : L’Autorité de la concurrence française et le Bundeskartellamt allemand lancent un projet conjoint sur les algorithmes et leurs enjeux pour l’application du droit de la concurrence.).

Jean-Michel Vertut – Avocat

Demandes de baisse de prix ou de « budgets » additionnels après le 1er mars : la renégociation de prix recadrée.

Retrouvez sous l’onglet « Publications » mon commentaire sur cette question à la Revue Lamy de la Concurrence du mois de Juillet-Août 2018 (rubrique « Autres Publications » – 2018).

Ce commentaire est consacré à la problématique de la réouverture des négociations tarifaires en cours d’exercice et aux éléments de cadrage donnés sur la question par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 16 mai dernier, ainsi qu’aux perspectives qui ressortent de cet arrêt pour les partenaires à la négociation (Min. Economie c./ SCA U Enseigne, anciennement dénommée Système U Centrale Nationale).

Ce sujet complète utilement celui évoqué dans un de mes commentaires du mois d’Avril 2017 à la revue précitée, traitant du formalisme de la convention commerciale annuelle (« Le formalisme de l’article L. 441-7 et la preuve de la modification de l’accord des parties »), que vous pourrez retrouver sous le même onglet (rubrique « Autres Publications » – 2017).

Jean-Michel Vertut – Avocat

 

La puissance d’achat (encore) en question…

Les prochaines négociations pour 2019 se profilent déjà sous fond de renforcement, depuis près de quatre ans, de la puissance de négociation des distributeurs.

Les dérives auxquelles la puissance d’achat peut donner lieu n’est pas un sujet nouveau (Voir Publication :« Négociations commerciales – Centrales, super centrales et (re)négociation des accords commerciaux : la puissance de négociation sous surveillance ». Rubrique « Autres Publications » – « Publications antérieures »).

Cette montée en puissance se constate en France et chez nos voisins (ex. création d’une une centrale d’achat commune entre Carrefour et VéGé et PAM en Italie, à l’instar de Carrefour Système U en France), de même qu’au niveau paneuropéen avec des organisations multi pays (ex. Carrefour/Tesco), quand ce n’est pas des rapprochements plus structurels (ex. Asda/Sainsburry au Royaume-Uni).

Ces accords sont souvent présentés comme pouvant être intéressants pour tout le monde.

Ce point de vue n’est pas forcément partagé, tant pour celui qui accède au référencement moyennant a priori des meilleurs conditions d’achat, que pour ceux qui n’y accèdent pas.

A telle enseigne que l’Autorité de la Concurrence a indiqué, dans un communiqué de presse du 16 juillet dernier, qu’elle renforce ses investigations et ouvre des enquêtes en relation avec les rapprochements à l’achat dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire. L’enquête est d’ailleurs élargie au rapprochement entre Carrefour et Tesco. On sort du périmètre strictement français.

Ces données sont à prendre en considération pour « penser » les négociations et les structures tarifaires, car la puissance « oblige » si l’on peut dire, en ce sens que le présumé puissant devra justifier ce qu’il obtient lors de la négociation annuelle ou de la renégociation intercalaire, autrement que par l’usage de sa seule puissance.

Penser, anticiper les structures tarifaires avec les tendances nouvelles du terrain et l’évolution du traitement des sujets au plan légal. C’est un vaste chantier, mais nécessaire.

Jean-Michel Vertut – Avocat