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Pénalités logistiques plafonnées à 2% : l’intention du législateur à l’appui du cantonnement de l’assiette du plafond.

Un rapport d’information à l’Assemblée Nationale du 13 mars 2024 sur la Loi du 30 mars 2023 (Loi Descrozaille) et mis en ligne hier sur le site de l’Assemblée apporte deux précisions intéressantes sur la question des pénalités.

Ce rapport a été réalisé par le Député Descrozaille, au cœur de la Loi du 30 mars 2023 dont il était le Rapporteur à l’Assemblée (Commission des Affaires Economiques) et la Députée Trouvé.

Il aborde, entre autres, deux sujets au plan des pénalités logistiques, dont le premier inspire l’intitulé de cette actualité.

1. Précision de l’intention du législateur sur le sens à donner au plafonnement 2% de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée.

Pour rappel, l’article L. 441-17 I du  Code de commerce dispose que les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur sont proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels, dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée.

La DGCCRF indique dans ses Lignes Directrices de novembre 2023 qu’il faut se référer à des produits d’une « famille suffisamment homogène » lorsqu’il est question déterminer la « catégorie ».

Le rapport sur la Loi Descrozaille, co-établi notamment par celui qui la personnifie, précise que cette interprétation n’est pas correcte et que cela conduit à inclure potentiellement « des produits autres que ceux de la ligne de produits concernée », et qui relèvent de la famille homogène :

« Les rapporteurs s’inscrivent toutefois en faux sur l’interprétation de la DGCCRF.

Ils considèrent qu’elle n’est pas dictée par la lettre du texte, qu’elle est manifestement contraire à l’intention du législateur et qu’elle est source d’insécurité juridique quant à la définition de la catégorie de produit.

En effet, il ressort des travaux parlementaires, notamment des débats en commission des affaires économiques au Sénat, auxquels renvoient pourtant les lignes directrices, que par cette formulation, certes non dénuée d’ambiguïté, le législateur entendait plafonner les pénalités à hauteur de 2 % de la valeur, au sein de la commande, de la ligne de produits concernée par le manquement justifiant l’application de la pénalité. 

Ce point doit donc être corrigé dans les lignes directrices.».

Outre son sens premier, la notion de « ligne » n’est pas inconnue des praticiens des pratiques restrictives de concurrence.

On la rencontre (le fameux « ligne à ligne ») notamment pour imager certaines prescriptions visées dans d’autres textes (ex. art. L 441-4 III ou art. L. 443-8 I du Code de commerce).

Cet éclairage est susceptible d’avoir différents impacts au sujet de ces pénalités.

  • Possibles modifications des Lignes Directrices.
  • Réduction du plafond de l’assiette des pénalités et donc écrêtage potentiel à faire valoir lors des discussions sur les pénalités, dans l’attente de la modification éventuelle des lignes directrices.
  • Possibles évolutions des cahiers des charges logistiques et/ou des pratiques.

 

2. La question du préjudice trop souvent éludée au profit de la quantification présupposée de ce dernier au niveau du plafond.

Incidemment et si le sujet du plafond impacte la pénalité envisagée (voir ci-dessus), il n’en reste pas moins que le montant du préjudice réellement supporté ne doit pas s’assimiler au plafond de la pénalité.

Le rapport rappelle que l’article L. 441-17 du Code de commerce :

« oblige le distributeur à apporter des éléments de preuve du préjudice subi en plus de la preuve du manquement constaté. ».

Ce rapport précise encore que :

« Les industriels soutiennent que cette disposition n’est pas appliquée par les distributeurs et que l’attention est focalisée sur la question du plafond de pénalité.»

En pratique, il est parfois constaté que la preuve du préjudice et sa quantification restent souvent le parent pauvre du cheminement conduisant aux pénalités qui, au bout du compte, deviennent quasi automatiques au plan de leur montant.

Le plafond ne doit pourtant pas se comprendre comme un forfait.

Le rapport indique donc :

« Il est certain que le programme national d’enquête de la DGCCRF doit intégrer cette question de la preuve du préjudice résultant du manquement qui a justifié l’application d’une pénalité logistique.

Là encore, les services territoriaux de l’État doivent disposer de moyens suffisants pour entrer dans ce niveau d’investigation, afin que la loi soit appliquée. »

Cet éclairage est susceptible d’avoir différents impacts au sujet de ces pénalités.

  • Evocation de ce que la loi souffre d’un déficit d’application s’agissant de la preuve du préjudice, avec donc risque de sanctions,
  • Opportunité supplémentaire pour le fournisseur de rappeler que le quantum du préjudice ne se présuppose pas et ne s’affirme pas et qu’il faut donc le prouver au plan chiffré.
  • Possibles évolutions des cahiers des charges logistiques et/ou des pratiques.

A chacun, au mieux de ses intérêts, de tirer parti de ces éclairages.

Jean-Michel Vertut – Avocat.