Facturation, délais de paiement et réforme suite loi EGalim : alerte 4.

Il s’agit de la dernière de nos alertes en vue de la nécessaire prise en compte, sur certains sujets sélectionnés, des dispositions issues de la réforme du titre IV par l’ordonnance du 24 avril 2019.

Dans la continuité de notre alerte précédente, traitant entre autres de l’harmonisation à l’occasion de  de la règlementation commerciale et fiscale au plan de l’émission de la facture (« Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3 »), nous abordons succinctement la problématique des contournements de la règlementation sur les délais de paiement.

Si cette règlementation n’a pas été modifiée en soi sur le fond par l’ordonnance, la question du point de départ des délais de paiement, elle-même liée à celle de la date l’émission de la facture, appelle quelques observations débouchant sur une mise en garde.

 

1. Contexte

Nous rappelons que les délais de paiement courent à compter de la date d’émission de la facture.

Jusqu’alors, selon le code de commerce, le vendeur était tenu de « délivrer la facture dès la réalisation de la vente », alors que le code général des impôts prévoit que la facture est, en principe, « émise dès la réalisation de la livraison ».

Dorénavant et pour les factures émises à compter du 1er octobre 2019, il ne sera plus question dans la règlementation commerciale, de la délivrance de la facture « dès la réalisation de la vente », mais « dès la réalisation de livraison ».

Dans le même temps, la lutte menée contre les retards de paiement se poursuit et s’intensifie, facilitée depuis quelques années par la possibilité dont dispose la DGCCRF d’infliger des amendes administratives, ensuite publiées sur son site internet dans le cadre d’une démarche de « name and shame ».

Ces montants ont été revus à la hausse avec la Loi Sapin II de décembre 2016. Les premières sanctions dépassant 500.000 euros commencent à tomber, comme le rappelle un récent communiqué de Bercy en date du 6 mai 2019 (n° 1204), accompagné d’un message des plus explicites de la part d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie :

« La lutte contre les retards de paiement interentreprises constitue un enjeu majeur pour le bon fonctionnement de l’économie. Les retards de paiement sont en effet à l’origine des difficultés de trésorerie d’une PME sur quatre et les privent de 19 milliards d’euros de trésorerie (…). C’est inacceptable ! C’est pour ces raisons que j’ai demandé à la DGCCRF de poursuivre de manière déterminée ses contrôles des délais de paiement. (…) C’est un signal fort adressé aux mauvais payeurs : les sanctions prononcées seront dorénavant à la hauteur des dommages qu’ils induisent sur l’économie. ».

Et le Ministre dispose encore d’une confortable marge de manœuvre puisque les sanctions peuvent atteindre 2 millions d’euros (à rapprocher : « Pas de droit à l’erreur et Name and Shame renforcé : deux nouvelles mesures en matière de lutte contre les retards de paiement », J-M. Vertut, Rev. Lamy Droit Aff. n° 143, déc. 2018 ou Rev. Lamy Droit Conc. n° 77, Nov. 2018).

De surcroît, les récidivistes doivent aussi garder à l’esprit que le maximum de l’amende encourue est porté à 4 millions d’euros pour une personne morale, en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

 

2. Rappels et entrée en vigueur.

Attention aux apparences.

La nouvelle donne, applicable en octobre prochain, ne va pas nécessairement modifier la pratique des entreprises qui, en règle générale et s’agissant des vente de biens, émettent et adressent leur facture simultanément à l’expédition des produits.

En revanche, la seule référence à la « réalisation de livraison » peut favoriser – et c’est déjà parfois le cas – certains comportements qui, directement ou indirectement, retardent le moment de l’émission par le créancier de sa facture, donc celui de la computation du délai de paiement.

Accessoirement, le décalage de facturation occasionnée retarde aussi l’encaissement de la TVA pour le Trésor Public.

Préserver les apparences en payant dans le respect du délai légal, tout en usant de procédés qui, de facto, reportent le point de départ de la computation : Tel est, sous une forme ou une autre, la voie parfois employée.

Gare toutefois à ces pratiques bien audacieuses, surtout sur un sujet aussi surveillé que les délais de paiement.

Car, outre les contrôles purement arithmétiques et directs de leurs délais de paiement calculés à partir de la date d’émission de la facture, les débiteurs pourront s’exposer, de plus en plus il faut le craindre et donc l’anticiper, à des contrôles indirects, plus affinés, dans la mesure où sont aussi interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement.

Ils ne peuvent donc s’estimer à l’abri des sanctions administratives au seul motif qu’ils payent en deçà du délai plafond, si le respect du délai de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture n’est qu’artificiel.

Illustrations.

Deux récents avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales viennent illustrer le propos sous fond d’articulation de la règlementation en matière de facturation avec celle sur les délais de paiement.

Les sujets sont d’ailleurs intimement liés, comme on peut encore davantage le constater avec la règlementation issue de l’ordonnance du 24 avril, qui consacre à ces sujets une section spécifique et commune intitulée « La facturation et les délais de paiement ».

Il est question dans ces avis de clauses et pratiques conduisant à décaler la date d’émission de la facture, et donc à rallonger de facto les délais de règlement.

On rappelle que l’article L. 441-6 VI alinéa 2 du code de commerce, devenu l’article L. 441-9 du code de commerce depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, dispose que sont prohibées les clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder le point de départ des délais de paiement, sous peine des mêmes sanctions administratives que celles prévues pour le non-respect en soi des délais de paiement légaux.

Le premier de ces avis (n° 19-5) décrit une pratique, reposant sur une clause contenue dans des conditions générales d’achat, consistant pour un débiteur à refuser des factures d’un prestataire de services, au motif qu’il existe un écart de plus de sept jours ou de plus de dix jours selon les cas, entre la date d’émission et la date d’arrivée de la facture à payer. La facture est alors retournée au prestataire pour mise en conformité de sa date d’émission.

Le débiteur avançait comme justification de cette façon de procéder que, selon le code général des impôts, la date d’émission de la facture constitue une mention légale obligatoire et doit donc être exacte et correspondre à la date d’envoi effectif de la facture à son destinataire.

L’argument n’a pas convaincu la CEPC, qui décide que « la clause, comme la pratique consistant à substituer à la date d’émission identifiée à la date d’exécution du service, une autre date postérieure correspondant à celle à laquelle la facture provient au client, ont pour effet de retarder, sans justification légitime le point de départ des délais de paiement, de sorte que leur auteur est passible des sanctions administratives prévues à l’article L. 441-6-VI. ».

Le deuxième avis (n°19-6) se penche quant à lui sur des pratiques mises en œuvre dans le cadre d’un marché de travaux privés, qui aménagent les modalités de facturation.

Sur les mêmes fondements légaux que ceux de l’avis précédent, la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales rappelle que « l’émission de la facture relève de la responsabilité de l’entrepreneur » et s’intéresse au décalage de facturation que génère pour le vendeur, la procédure de paiement instaurée par l’acheteur.

En l’espèce, « le fait de prévoir un pourcentage d’achèvement des travaux très élevé et la nécessité de l’émission par le maître d’œuvre d’un certificat de paiement après vérification de la bonne exécution des travaux pour que l’entrepreneur puisse émettre sa facture est susceptible de contrevenir à l’article L. 441-6 VI alinéa 2 du code de commerce qui prohibe les clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement ».

Voilà donc, pour les deux débiteurs à l’origine de ces pratiques, deux avertissements sans frais, puisque la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales n’est pas dotée de pouvoir de sanction. D’autres peuvent aussi s’en inspirer.

Alors que la lutte contre les retards de paiement reste une priorité pour les pouvoirs publics, les débiteurs ont tout intérêt à élargir leur périmètre de vigilance sur ces questions – entendre par cela surveiller non seulement leurs délais de règlement mais encore leurs pratiques en matière de paiement – s’ils ne veulent pas se voir reprocher des contournements dans l’application de la règlementation.

Pour nos trois premières alertes :

Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.

Communications des CGV, négociation et réforme suite loi EGalim : alerte 2.

Facturation, nouvelles contraintes et réforme suite loi EGalim : alerte 3.

Jean-Michel Vertut – Avocat.