Vente amont de produits agricoles : diverses problématiques transversales et/ou spécifiques.

Paris, 14 Septembre 2022, RG n° 22/00203

Paris, 13 mars 2024, n° 21/15034 (arrêt commenté)

E.A.R.L. La Fraiserie de Sologne c./ S.A.S. Prosol (Grand Frais)

 

I. Faits

Le litige a opposé un producteur agricole de fruits et légumes, l’EARL La Fraiserie de Sologne (« le producteur » ou « la Fraiserie ») et un distributeur, la S.A.S Prosol, exploitant les magasins Grand Frais (« le distributeur » ou « Prosol » ou « l’acheteur »).

Les relations commerciales entre ces derniers, non formalisées par contrat écrit, se sont nouées en 2014 et dénouées 2016.

Suite à leur cessation, le premier assignait le second en avril 2019 devant le Tribunal de Commerce de Lyon, pour le voir condamner à réparer divers préjudices qu’il estimait avoir subi au titre de retards de paiement, de l’obtention d’avoirs injustifiés, d’un manquement à l’obligation légale de formalisation d’un contrat d’achat pour les fruits et légumes ou rupture brutale des relations commerciales.

A titre reconventionnel, le distributeur, reprochant au producteur d’avoir jeté le discrédit sur ses produits et services (article de presse, billet sur un blog), sollicitait sa condamnation pour actes de dénigrement.

Débouté par jugement en date du 12 janvier 2021, le producteur interjetait appel, d’abord  devant la Cour d’appel de Lyon puis, mais passé le délai d’appel, devant celle de Paris à raison du monopole juridictionnel dont dispose cette dernière au second degré lorsqu’il est question de pratiques restrictives de concurrence.

Il se désistait par la suite de son premier appel et la procédure se poursuivait ainsi devant la deuxième Cour d’appel, sans que cette dernière estime tardif le deuxième appel (Paris, 14 Septembre 2022, RG n° 22/00203).

Dans un arrêt du 13 mars 2024, la Cour d’appel de Paris confirme quasiment en toutes ses dispositions le premier jugement, sauf en ce qu’il avait rejeté la demande du producteur au titre de sa demande de remboursement des avoirs litigieux et jugé que le distributeur avait rompu abusivement le contrat d’achat bien que, sur ce dernier point, le Tribunal n’eut pas prononcé de condamnation à dommages et intérêt faute pour le producteur d’avoir produits les éléments comptables et financier pour le chiffrage du préjudice invoqué.

Prosol voit de son côté confirmé le rejet de sa demande au titre des actes de dénigrement invoqués.

 

II. Problèmes et solutions

Certaines problématiques ici rencontrées, notamment au titre des pratiques restrictives, se veulent générales.

D’autres convoquent des débats plus spécifiques au plan de la commercialisation de produits agricoles, en l’occurrence des fruits, par un producteur auprès d’un premier acheteur, alors que les contentieux de l’amont sont encore peu fréquents mais pourraient à l’avenir l’être davantage (à rappr.  TJ Coutances, 30 août 2022, n° 21/01372T, Lettre distr. 10/2022 et Revue Lamy de la Concurrence n° 122, Décembre 2022, nos obs et en appel Caen, 5 décembre 2023, RG 22/02426 ; Bordeaux, 22 février 2024, n° 2022F01972, Lettre distr. 03/2024, obs. N. Eréséo).

1. Les enseignements ou rappels de portée générale.

1.1. Demandes indemnitaires nouvelles en appel en matière de rupture brutale.

Les demandes d’indemnisation de préjudices spécifiques (perte d’investissements réalisés, préjudice moral) causés par la brutalité de la rupture et non présentées en première instance ne sont pas jugées nouvelles par la Cour d’appel et sont donc recevables.

Pour rappel, des prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Les demandes en cause étaient explicitement rattachées à la réparation du préjudice globalement causé par la brutalité de la rupture.

Elles ont poursuivi ainsi la même fin réparatrice que la demande indemnitaire initiale dont elles augmentent le montant sans en modifier le fondement et l’objectif.

Au plan indemnitaire, tout n’est donc pas figé au stade de la première instance.

1.2. Objet des demandes des demandes, règles du non cumul des régimes de responsabilité et principe de réparation intégrale.

La Cour d’appel se penche sur le contenu des demandes pouvant avoir un même objet, associant pratiques restrictives de concurrence (régime délictuel) et manquement contractuel (régime contractuel) et conduisant, bien plus qu’à un cumul des responsabilités délictuelles et contractuelles, à la poursuite d’une double indemnisation d’un dommage (pour en l’espèce une indemnisation forfaitaire et globale), ce qui se veut contraire au principe de la réparation intégrale du préjudice.

Plus étonnement car en sens contraire d’un arrêt de la Haute Cour du 24 octobre 2018 (Com., 24 octobre 2018, n°17-25672, Lettre distrib. 12/2018 ou cité in Lettre distr. 02/2019, obs. C.MG) proclamant le contraire, suivi en cela par d’autres arrêts (Com., 10 avril 2019, n° 18-12882, Lettre distr. 05/2019, obs. C.MG. A rappr. Com., 25 septembre 2019, n° 18-11.112 aux termes duquel « il appartient à la Cour d’appel « de déterminer le régime de responsabilité applicable à cette demande et de statuer en conséquence », et Com., 2 octobre 2019, n° 18-10886, Lettre distr. 11/2019 ou Com., 6 nov. 2019, n° 17-26849, Lettre distr. 12/2019, obs. C. MG), la Cour d’appel estime que « la sanction du cumul n’est pas le rejet des demandes complémentaires de même objet mais (…) leur irrecevabilité », visant en ce sens un arrêt de la chambre commerciale du 4 décembre 2019 « illustrant une position ancienne et constante » (Com., 4 décembre 2019, n° 17-20.032).

Une auteure des plus autorisée a sur ce point considéré que cet arrêt n’emportait pourtant pas revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation sanctionnant les arrêts d’appel qui prononçaient l’irrecevabilité de l’ensemble des demandes lorsque le demandeur sollicite d’une part, la réparation de la rupture brutale en méconnaissance de l’article L. 442-6, I, 5° et, d’autre part, d’une inexécution d’un accord sur le fondement contractuel (Com., 4 décembre 2019, préc. Lettre distr. 01/2020, obs. C. MG).

Dans cette veine, il est d’ailleurs intéressant de relever que lors de l’analyse qu’elle mène sur la « rupture brutale du contrat et des relations commerciales », la Cour vise pourtant certain des arrêts précités (Com., 24 octobre 2018 ou Com., 10 avril 2019) qui ont statué à la défaveur de la sanction d’irrecevablité.

Mais au bout du compte pour la Cour, l’hypothèse n’est pas tant celle d’un cumul d’actions aux fondements incompatibles que celle de la poursuite de la double indemnisation d’un même préjudice, peu important la différence artificielle de quantum.

Et de dire cette fois-ci et dans son même arrêt, que la sanction « n’est pas l’irrecevabilité de la demande au titre des pratiques restrictives mais son rejet au fond », l’indemnisation additionnelle sollicitée heurtant de front le principe de la réparation intégrale.

Il est heureux que ce dernier principe permette, d’une certaine façon, de nous y retrouver au sein de cette motivation parfois complexe.

Alors et citant à nouveau l’auteure précitée, l’« on ne saurait donc trop insister sur le soin qu’il convient de prêter à la correcte formulation des demandes et des fondements qui les supportent » (Com. 4 décembre 2019, préc.) ou « de suggérer aux plaideurs, par sécurité, de hiérarchiser leurs demandes (…) » (Paris, 31 janvier 2019, n° 17/09972, Lettre distr. 02/2019, obs. C. MG).

1.3. Etat de dépendance économique : qualification et incapacité de négocier.

Le sujet est à relier à la caractérisation de la soumission de l’une des parties, comme condition préalable de l’incrimination du déséquilibre significatif.

Se trouve ici notamment évoqué, comme dans certains arrêts précédents, le « seuil de menace » au-delà duquel la survie de l’entreprise pourrait être compromise (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/13481, Lettre distrib. 04/2023 ou Paris, 10 mai 2023, n° 21/04967, Lettre distr., 06/2023, nos obs.; Paris, 7 juin 2023, n° 21/19733, obs. M. Silly), en tant qu’élément utile pour apprécier globalement l’état de dépendance économique invoqué.

En l’espèce, un tel état devait être relativisé, pour parvenir à la conclusion selon laquelle « la dépendance économique de l’EARL LFDS résulte de ses propres choix et n’est pas subie, tant à raison de la structure du marché que du comportement de la SAS Prosol. Elle n’est pas de nature à caractériser per se l’impossibilité générale de négocier, consentir et refuser qu’allègue l’EARL LFDS. ».

On se reportera à l’arrêt au plan des circonstances prises en considération pour parvenir à cette solution conduisant en l’espèce à rendre plus exigeante la démonstration de la soumission.

1.4. Existence de la contrepartie en tant qu’indice de la soumission.

Cette dernière (ou sa tentative) n’a pas été démontrée en l’espèce.

Il n’en demeure, la Cour d’appel rappelle une nouvelle fois que « si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement. » (à rappr. Paris, 15 mars 2023, préc.; Paris, 10 mai 2023, préc.; Paris, 7 juin 2023, préc.).

Cet indice, reconnu récemment, est maintenant bien installé.

1.5. Déséquilibre final dans les droit et obligations.

Enfin et à l’occasion de l’appréciation du caractère déséquilibré d’une faculté de résiliation unilatérale en cas de faute grave au seul bénéfice de l’acheteur, telle que prévue dans un article 9.2 du contrat communiqué en 2016 et que le producteur, se prévalant d’une dépendance économique envers le distributeur, avait refusé de signer, la Cour rappelle utilement que « l’asymétrie » de la clause (dont la Cour relève le strict encadrement au fond et dans la forme de sa mise en œuvre) ne génère pas de déséquilibre qui serait de surcroît significatif, celui-ci devant être « apprécié globalement, non seulement en considération des clauses du contrat et de son économie générale », mais « également à l’aune des facultés offertes par le droit commun des obligations qui a vocation à régir leurs rapports, soit dans le silence des conventions, soit par dérogation à leurs prévisions, « les droits et obligations des parties » au sens de l’article L. 442-6 I  2° du code de commerce, qui sont évoqués en toute généralité et n’ont pour support nécessaire qu’une relation commerciale, devant être appréciés dans le contexte normatif qu’ils reproduisent ou modifient. ».

Bien qu’expressément stipulée au bénéfice d’une seule partie, le droit de résiliation pour faute grave n’est pas pour autant exclusif d’un droit symétrique ouvert à l’autre partie sur le fondement du droit commun.

L’enseignement se révèlera utile tant pour l’appréciation du déséquilibre, qu’au besoin lors du « rééquilibrage » et peut le cas échéant amoindrir la vulnérabilité de certaines clauses de résiliation stipulées au bénéfice d’une seule des parties.

 

II. Les enseignements en matière de vente de certains produits agricoles.

Nous retiendrons trois préoccupations de type « amont » car plus spécifiquement rattachables à la relation entre un producteur et son acheteur.

2.1. Absence de contrat écrit lors de la vente de fruits et légumes par un producteur auprès d’un premier acheteur et ses éventuelles conséquences indemnitaires.

Pour rappel, en application de l’article L. 631-24 de ce même code dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche dite « LMAP » et d’un décret du 30 décembre 2010 modifié par un autre décret le 15 septembre l’année suivante, l’achat de fruits et légumes destinés à la revente à l’état frais, quelle que soit leur origine, livrés sur le territoire français, devait obligatoirement faire l’objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs.

Ces décrets ont été codifiés aux articles R. 631-11 à R.631-14 du CRPM.

La conclusion des contrats devait être précédée d’une proposition écrite de l’acheteur conforme aux dispositions de l’article R. 631-14.

Après retour d’expérience, il est ressorti que le dispositif de la contractualisation n’était que très peu utilisé par les acteurs du secteur des fruits et légumes.

Ces derniers ont notamment fait valoir que la durée minimale de trois ans imposée par voie règlementaire pour les contrats portant sur ces produits était difficile à respecter.

En effet, selon eux, la très grande variabilité des cycles de production pour des produits périssables ne leur permettait pas de s’engager sur le long terme.

Une contractualisation efficace ne pouvant être qu’une contractualisation adaptée, il est donc apparu souhaitable, dès l’étude d’impact de la Loi Egalim, de procéder à des adaptations règlementaires, et notamment d’abroger les articles R. 631-11 à R. 631-14 qui avaient rendu ici obligatoire la contractualisation écrite.

Il en fut ainsi au détour d’un Décret n°2019-310 du 11 avril 2019 pris pour l’application de l’article L. 631-24-2 dans sa version résultant de la loi précitée (voir depuis le Décret n° 2022-1668 du 26 décembre 2022 fixant les produits et les catégories de produits, dont les fruits et légumes, pour lesquels le contrat de vente ou l’accord-cadre peut ne pas être conclu sous forme écrite).

Mais en l’espèce et pour rappel, les ventes de fruits par le producteur à l’acheteur sont intervenues en 2014 et 2015 et devaient donc donner lieu, pour ces mêmes périodes, à une proposition de contrat écrite par l’acheteur au producteur et d’un contrat écrit consécutif. Tel n’avait pas été le cas.

Le producteur faisait alors valoir que la violation de la règlementation d’ordre public précitée, au demeurant passible d’une amende administrative (cf. art. L. 631-25 dans sa version applicable à l’espèce), et notamment de défaut remise de la proposition de contrat écrit, lui causait un préjudice pour lequel il sollicitait la condamnation de l’acheteur à hauteur de 100.000 euros.

Sa demande va être rejetée dans les termes suivants : « Ce faisant, elle [la Fraiserie] ne précise ni la nature patrimoniale ou morale du préjudice qu’elle allègue, ni ses modalités d’évaluation. Et, alors qu’elle ne prouve pas avoir été dans l’impossibilité de négocier les conditions économiques et juridiques des relations commerciales et que leur rupture, ainsi qu’il sera dit infra, n’est pas imputable à la SAS Prosol, elle n’explique pas en quoi l’absence d’écrit, qu’elle n’a dénoncée que tardivement et dont elle est aussi responsable que son cocontractant ainsi que l’a justement relevé le tribunal, serait de nature à « précariser » la relation ou à accroitre sa dépendance, rien ne permettant de comprendre l’impact concret de l’inexistence d’un écrit sur son activité et sur son choix de contracter. Elle ne justifie ainsi d’aucun préjudice réparable en lien avec la faute qu’elle oppose. ».

Par ce biais, le Juge va ainsi s’éviter d’avoir à trancher, ce qu’il aurait néanmoins pu faire, les questions soulevées par le distributeur au plan de la qualification de grossiste et non de producteur du demandeur, nécessaire à l’application de la loi, tout comme celle des conséquences de l’abrogation ultérieure aux faits rapportés, de l’obligation de contractualisation pour la caractérisation de la faute reprochée, le distributeur invoquant une rétroactivité « in mitius », bien qu’il ne s’agisse pas en l’espèce d’une règlementation sanctionnée pénalement.

Au plan de la solution, si l’on adhère à l’idée que le contrat écrit suppose en effet que les deux parties y souscrivent, sa proposition, initiant la négociation, était pourtant l’affaire de l’acheteur.

Sauf à affirmer l’inanité de la multitude des régimes d’encadrement contractuels dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, il n’est alors pas interdit de penser que le défaut de formalisation d’un contrat obligatoire (à l’époque trois ans pour les fruits et légumes) soit susceptible de favoriser l’expression de la puissance économique de l’une des parties et la précarité de l’approvisionnement auprès de l’autre.

Mais cela ne suffit pas à cette dernière pour en être dédommagée.

Lorsqu’il est question de se conformer à obligation de contractualisation (à rappr. Versailles, 21 décembre 2023, n° 21/0683, Lettre distr. 02/2024, nos obs.), si faute de l’une des parties il y a et indemnisation pour l’autre il peut y avoir, encore faut-il que le préjudice invoqué soit prouvé et chiffré autrement qu’au doigt mouillé.

La solution d’espèce doit selon nous être approuvée, tout en gardant à l’esprit qu’elle pourrait favoriser la prise de nouveaux rendez-vous sur des contentieux futurs qui, mieux étayés au plan probatoire, pourraient davantage faire mouche.

2.2. Avoirs en matière d’achat de fruits et légumes et retard de paiement.

L’on se souvient qu’il est de principe qu’un acheteur, un distributeur ou un prestataire de services ne pouvait à l’époque des faits bénéficier de remises, rabais et ristournes pour l’achat de fruits et légumes frais (art. L. 441-2-2 C. Com) et qu’il ne le peut d’ailleurs toujours pas à ce jour (art. L. 443-2 II C. com.).

A titre dérogatoire toutefois, hier comme aujourd’hui, il pouvait et peut encore bénéficier de réfactions tarifaires résultant d’une non-conformité, qualitative ou quantitative, du produit livré à la commande si un accord, conclu par une organisation interprofessionnelle reconnue dans les conditions prévues à l’article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, en a précisé les conditions.

Un tel accord, conclu pour trois ans, existait à l’époque (« Accord interprofessionnel sur les réfaction tarifaires – 21 mai 2014 »).

Des accords du même type ont été conclus par la suite, le dernier en date du 22 décembre 2024 pour une durée d’une année.

Au nombre de ses conditions fixées pour bénéficier de la possibilité de recourir à la dérogation précitée en cas de non-conformité, figurait celle qu’un tel recours soit prévu par « le contrat, les conditions générales de vente ou d’achat ou tout autre document contractuel » conclu entre le fournisseur et l’acheteur, avant la réalisation de l’opération d’achat de fruits et légumes concernée.

Mais point de tels documents en l’espèce.

Aussi, selon la Cour d’appel, « les avoirs (….) pour un montant total prouvé de 9.630 euros (…) étaient, peu important l’absence de contestation contemporaine de leur obtention, légalement proscrits ».

La condamnation du distributeur au paiement de cette somme s’ensuit fort logiquement s’agissant d’un texte d’ordre public.

En revanche et sur la demande du producteur de condamnation à hauteur de 100.000 au titre d’un préjudice de « manque à gagner qui a eu d’importantes conséquences sur sa trésorerie », celui-ci est débouté car pour la Cour d’appel, « rien n’établit un préjudice distinct en lien causal avec la faute de la SAS Prosol, l’EARL LFDS n’explicitant pas la consistance du préjudice qu’elle évalue forfaitairement à 100 000 euros, le montant des avoirs consentis, qui représentent 4 % du chiffre d’affaires dégagé sur l’exercice correspondant, étant particulièrement faible et n’ayant pu avoir aucune incidence tangible sur la trésorerie de l’EARL LFDS, déjà en difficulté pour d’autres causes depuis 2006 au moins. ».

Le préjudice et rien que le préjudice, quand bien même la cause de celui-ci résiderait-elle dans le non-respect de la règlementation. L’on retrouve la même logique que dans le point 2.1 ci-dessus.

Pareille approche prévaudra à nouveau lors du traitement de la question des retards de paiement par l’acheteur et que la Cour d’appel, faute d’être convaincue de l’existence d’un préjudice distinct du retard de paiement (sanctionnable par le seul paiement de l’intérêt au taux légal, outre l’indemnité forfaitaire de 40 euros par facture réglée en retard), n’indemnisera pas.

En l’espèce, pas de préjudice distinct avéré, pas d’indemnisation autre.

2.3. Rupture brutale du contrat et des relations commerciales établies et règles supplétives.

Sur ce dernier chef, l’on peut immédiatement se questionner sur le succès escompté d’une demande du fournisseur d’un préavis de 15 mois pour une relation commerciale d’une paire d’année.

Le distributeur lui opposait notamment le caractère non établi de la relation à raison de la ponctualité des commandes intervenues et le refus du producteur de signer le contrat proposé au titre de 2016, outre le fait que ledit producteur ne pouvait se prévaloir au titre de la relation rompue, d’un contrat d’une durée minimum de trois années comme prévu à l’article R 631-14 CRPM pour les ventes de fruits et légumes relevant de contractualisation obligatoire et dont le producteur déduisait le caractère établi de la relation et prévoyant certes un préavis de rupture, mais d’au minimum 4 mois (à éventuellement apprécier sous l’angle d’une certaine proportionnalité avec la durée de la relation minimale de trois ans pour le contrat).

La question était alors celle de savoir si, en dépit du défaut de conclusion d’un tel contrat dont le contenu devait être conforme aux prescriptions légales, l’une des parties était en droit de se prévaloir d’un régime de type statutaire, d’un usage ou d’un contrat type, ensemble dérivés du contenu d’un régime contractuel impératif bien qu’en l’espèce non respecté.

La Cour apporte à cette question la réponse suivante : « (…) l’absence de conclusion d’un contrat écrit, qui n’est pas plus imputable à la SAS Prosol qu’à l’EARL LFDS, l’obligation de la première d’émettre une proposition écrite préalable ne la rendant pas de jure responsable des conditions ultérieures de formalisation de la convention, exclut l’invocation du bénéfice de l’article R 631-14 du code rural et de la pêche maritime, y compris comme élément d’appréciation des projections légitimes de l’EARL LFDS qui ne démontre aucun usage consacré par ce texte qui n’institue aucun contrat-type s’appliquant en l’absence de prévisions spéciales des parties. Surtout, le caractère établi des relations doit être apprécié en considération des données économiques du flux d’affaires entre les parties. » (Comp. en matière de délais de conditions de règlement et de pénalités de retard : Com. 3 mars 2009, n° 07-16.527 P, Lettre distr. 03/2009, nos obs. ; Civ. 3e. 30 septembre 2015, n° 14-19.249, Lettre distr. 10/2015, M. Alby).

Et pour la Cour d’en conclure au vu des éléments de l’espèce, que la relation n’avait pas de caractère établi et que sa rupture n’était pas imputable à l’acheteur.

La solution semble transposable à bien d’autres secteurs de l’amont dans lesquels la contractualisation écrite est obligatoire.

Et quand bien même ne le serait-elle pas, la démarche de contractualisation volontaire, pour autant qu’elle reste équilibrée, recèle certaines vertus, dont celle de procurer aux parties de la visibilité sur leur futur.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois d’avril. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.