Revente à perte de produits dégradés : la non revente « en l’état », pis-aller faute d’exception adaptée.

Avis n° 24-6 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats sur l’application de l’interdiction de revente à perte aux produits imparfaits

1. Faits et problème.

La CEPC s’est prononcée sur l’application de l’interdiction de la revente à perte à des produits imparfaits.

Entendre par cela, au sens et dans le contexte de l’avis, des produits non alimentaires dégradés ou présentant des défauts et plus spécialement, des produits achetés « intacts » par le revendeur et qui auraient ensuite subis une dégradation ou une certaine usure, par exemple du fait de leurs expositions dans le magasin ou d’essayages répétés par les consommateurs.

Ce faisant, les revendeurs feraient face à des difficultés pratiques pour écouler ce type de produits, leur valeur étant dépréciée de manière significative aux yeux des consommateurs, qui ne seraient disposés à les acheter qu’à un prix très bas et donc potentiellement inférieur au seuil de revente à perte.

Dans ces circonstances, la revente de ces produits peut-elle s’effectuer à perte ?

 

2. Solution.

Selon la CEPC :

« il semble raisonnable de considérer qu’un produit acheté intact [par le revendeur] et qui aurait ensuite subi une dégradation ou une certaine usure, par exemple du fait de son exposition dans le magasin ou d’essayages répétés par les consommateurs, ne serait pas à proprement parler revendu en l’état au sens de cet article. ».

Il sera aussi formulé ci-après une observation sur l’autre situation évoquée par l’avis, traitant de la revente de produits acquis par le revendeur avec défauts ou imperfections préexistants.

 

3. Observations.

Rare procédé encore pénalement sanctionné, alors que les pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées tombent dans une large mesure sous le coup de sanctions civiles depuis 2008 et de sanctions administratives depuis la loi du 17 mars 2014, y compris s’agissant du non-respect des règles de facturation depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019, les problématiques de revente à perte, certes moins fréquentes que par le passé, reviennent néanmoins régulièrement sur les devants de la scène, soit du fait de l’actualité promotionnelle (cf. document « Résultat 2018 de la DGCCRF », p.17, à propos d’une transaction pénale concernant un grand distributeur à raison de l’offre d’une célèbre pâte à tartiner accompagné d’une réduction de -70%), soit à la faveur d’interrogations de fond aux incidences pratiques importantes.

Les concernant, citons par exemple et en amont, celles de la conformité au droit européen de l’interdiction générale de revente à perte en droit français (CJUE, 7 mars 2013, aff. C-343/12, Lettre distrib. 04/2013 ; Douai ch. 2 sect. 2, 31 mars 2016, n°15/02238, Lettre distrib. 05/2016 et Com., 22 nov. 2017, n°16-18028, Lettre distrib. 12/2017, obs. MP. Bonnet-Desplan ; CJUE, 19 oct. 2017, aff. C-295/16, Lettre distrib. 11/2027, obs. J. Bouffard) ou celles, plus franco-françaises du champ d’application ratione personae de l’interdiction (Crim., 22 nov. 2006, n°06-83.008 ; CEPC, Avis n° 21-1 du 18 mars 2021, Lettre distrib. 05/2021, obs. T. Leichnig), ratione temporis (Crim., 6 déc. 2006, Lettre distrib. 02/2007) ou ratione materiae (Caen, 23 févr. 1989, BID 1989/9, p. 38 ; Crim., 22 nov. 2006, préc.) s’agissant de la notion de revente d’un produit « en l’état », entre autres conditions pour la caractérisation de l’incrimination.

La référence à la revente « en l’état » implique la revente du bien sans transformation.

La caractérisation d’une telle revente n’est pas toujours évidente et la jurisprudence n’est pas des plus riche sur la question, les contentieux sur le sujet étant relativement peu nombreux.

La transformation, exclusive de la revente en l’état, s’entend-t-elle par exemple d’une opération ne pouvant être opérée que par le revendeur entre l’acquisition du bien et sa revente ?

A partir de quel degré d’intervention sur le produit peut-on parler de transformation ?

Cette dernière peut-elle aussi, par exemple, s’opérer sous l’action d’un facteur extérieur au revendeur et ayant eu un impact sur « l’état » du bien, comme en l’espèce l’action des acheteurs potentiels sur le bien à l’occasion de l’essai de ce dernier et conduisant à ce que ce même bien, à le supposer encore « en l’état » ne soit plus en bon état ou état impeccable ?

La qualification de revente « en l’état » ou non sera déterminante lorsqu’il s’agira de dire prohibée ou licite telle revente, alors que n’auraient vocation à s’appliquer aucune des exceptions prévues à l’interdiction de revendre le bien en dessous de son prix d’achat effectif.

Une revente à perte et non « en l’état » d’un bien se place en effet hors du champ de l’incrimination, en sorte qu’il n’est plus nécessaire à sa licéité que la revente en cause relève d’une situation d’exception légale de revente à perte.

Evoquant une « éventuelle marge d’appréciation », la CEPC se montre favorable à une acception large et non excluante de la notion de revente « en l’état » pour un produit revendu qui n’a pas à proprement parler été techniquement transformé, mais plutôt matériellement dégradé.

Selon elle, la notion de « revente d’un produit en l’état (…) au sens de l’article L. 442-5 (…) implique sans conteste une absence de transformation significative du produit acheté par le revendeur. ».

Cette approche accueillante n’est pas dénuée de bon sens au regard des faits exposés dans l’avis, la liste des exceptions à l’interdiction ne permettant pas d’appréhender la situation ainsi décrite, ce qui est à regretter de notre point de vue, alors que certaines situations avoisinantes permettent l’écoulement des produits difficilement revendables autrement (ex. cas des produits ne répondant plus à la demande générale en raison de l’évolution de la mode etc.).

En l’espèce, la situation décrite n’a d’ailleurs manifestement pas comme objectif occulte de causer au revendeur « un îlot de perte dans un océan de profits » selon l’expression consacrée.

La solution donnée pourrait être transposée à bien d’autres situations que celle de la seule revente de vêtements.

On songe évidemment à l’écoulement de volumineux produits d’exposition pour lesquels les revendeurs appliquent parfois une réduction de prix.

La marge d’appréciation évoquée par la CEPC pourrait leur permettre, surtout en cas d’imperfection de la chose vendue, d’aller au-delà en revendant à perte et ainsi plus facilement libérer leurs précieux mètres carrés.

Mais si elle peut inspirer d’autres cas de figure, cette faculté impliquera néanmoins prudence et parcimonie et ne devra pas être détournée de la finalité rapportée dans l’avis.

Car attention, dans ce même avis, la CEPC est moins permissive s’agissant des produits initialement achetés « imparfaits » par le revendeur, même à son insu bien que cela ne soit pas expressément indiqué dans l’avis, et qui par la suite sont revendus avec cette même imperfection.

Ces derniers doivent être considérés comme revendus « en l’état » et la législation sur la revente à perte leur est applicable.

Les revendeurs, et notamment les intervenants sur les marchés de la seconde main et de la réutilisation, en plein développement, devront donc rester vigilants sur la question.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré, pour l’essentiel, à la Lettre de la distribution du mois de mai 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.