Politique tarifaire : le bridage « Loi Egalim » phytos en ordre de marche.

Contexte

Parce que cela relève de sa nature même et comme dans tout secteur, la dynamique tarifaire conçue par les vendeurs (fabricants, importateurs, exportateurs) à l’égard de leurs acheteurs (utilisateurs en aval, distributeurs, utilisateurs professionnels et non professionnels), peut notamment conduire à associer à la vente des produits, des clauses commerciales visant à fidéliser les clients, à récompenser les ventes effectuées en aval par ces derniers ou encore à réduire les coûts de stockage.

Au titre des mesures en faveur d’une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal, la loi Egalim du 30 octobre dernier a, entre autres, prohibé certaines pratiques commerciales à l’occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques (PPP).

C’est toute la chaîne d’approvisionnement qui est impactée : depuis les mises en productions et les structures tarifaires du fabriquant, combinant parfois batterie de « RRR » et autres promotions destinées à résorber les surproductions, à l’agriculteur et ses déclinaisons (coopératives et regroupements divers), qui peuvent par exemple être tentés d’acquérir plus de produits que nécessaires pour profiter d’offres commerciales attractives.

Ces différentes pratiques (rabais, ristournes, marges arrières, etc.) peuvent conduire à la vente de produits dont l’usage ne répond ni aux besoins réels des utilisateurs, ni aux principes de la protection intégrée des cultures pour parvenir à une utilisation des pesticides compatibles avec le développement durable (cf. Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable).

Il a donc été question dans la loi Egalim, d’éviter toute incitation commerciale, de quelque nature que ce soit, à utiliser des produits phytopharmaceutiques de façon inappropriée.

La loi Egalim

Il en est résulté un texte instituant une nouvelle pratique commerciale prohibée (art. 76 de la loi du 30 octobre 2018) :

« A l’occasion de la vente de produits biocides définis à l’article L. 522-1, les remises, les rabais, les ristournes, la différenciation des conditions générales et particulières de vente au sens du I de l’article L. 441-6 du code de commerce ou la remise d’unités gratuites et toutes pratiques équivalentes sont interdits. Toute pratique commerciale visant à contourner, directement ou indirectement, cette interdiction par l’attribution de remises, de rabais ou de ristournes sur une autre gamme de produits qui serait liée à l’achat de ces produits est prohibée ».

Nous ne commenterons pas ici cet article, dont les auteurs de constructions tarifaires complexes, n’auront pas manqué de relever le caractère particulièrement accueillant au niveau des pratiques qu’il prohibe.

Les manquements à l’interdiction précitée seront passibles d’une amende administrative dont le montant pouvant atteindre 15.000 € pour une personne physique et 75.000 € pour une personne morale.

L’interdiction des remises, rabais et ristournes s’appliquera à tous les établissements, c’est-à-dire à tout fabricant et vendeur situé sur le territoire national et à tout importateur.

Retenons juste que ce sont quasiment tous les outils de la négociation commerciale, directs ou indirects impactant le prix, qui sont concernés, et que la rémunération de services n’est toutefois pas expressément visée. Sur ce dernier point et au vu des informations dont nous disposons – de source ici non révélée – une certaine incertitude demeure néanmoins.

Il va falloir, quoi qu’il en soit, apprendre à travailler différemment lors de la commercialisation de ces produits et réussir à combiner développement durable et commerce.

 Le décret

Jusqu’alors, la mesure n’était pas fonctionnelle : un décret était attendu pour préciser les catégories de produits concernés par le nouveau dispositif, pour une application de la loi au 1er octobre 2019 aux contrats conclus ou renouvelés après cette date. Autrement dit, à la rentrée pour les prochaines tarifications (art. 96 de la loi du 30 octobre 2018).

Une consultation publique a d’ailleurs été menée au cours du premier semestre dans le cadre de l’élaboration de ce décret, qui vient d’être publié au J.O du 27 juin 2019 (1).

Le décret du 26 juin 2019 (2) prévoit que les catégories de produits concernés sont les produits relevant des types 14 et 18 définis par le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides.

Rappelons au passage que l’objectif du règlement précité était celui d’harmoniser la législation de l’U.E relative à la vente ou à l’utilisation de produits biocides, tout en garantissant des niveaux de protection élevés de la santé humaine et animale et de l’environnement.

Selon ce règlement, les produits biocides sont classifiés au sein de quatre grands groupes (groupe 1 : désinfectants ; groupe 2 : produits de protection ; groupe 3 : produits de lutte contre les nuisibles ; groupe 4 : autres produits) qui, ensemble, couvrent 22 types de produits différents.

Les « types » 14 et 18 visés par le décret relèvent du groupe 3 « produits de lutte contre les nuisibles » qui en regroupe 7 au total .

Ces deux types de produits correspondent aux :

« rodenticides » (produits utilisés pour lutter contre les souris, les rats ou rongeurs, par d’autres moyens qu’en les repoussant ou en les attirant)

« insecticides, acaricides et produits utilisés pour lutter contre les autres arthropodes » (produits utilisés pour lutter contre les arthropodes (tels que les insectes, les arachnides et les crustacés), par d’autres moyens qu’en les repoussant ou en les attirant).

Outre les produits ne relevant pas de ces deux types, sont aussi maintenus en dehors du périmètre de la pratique commerciale prohibée, les produits biocides admissibles à la procédure d’autorisation simplifiée conformément à l’article 25 du règlement européen de 2012. Entendre par cela, de façon plus prosaïque, les produits les moins nocifs qui répondent à certains critères, notamment les produits qui ne contiennent pas de substances préoccupantes ou de nanomatériaux.

En bref

Le temps semble venu pour les intervenants de la chaîne d’approvisionnement en produits « phytos » relevant des types de produits ciblés par le décret – et cela a sans nul doute déjà commencé – de repenser leurs politiques et systèmes tarifaires, sauf à revoir la formulation de leurs produits dans le cadre d’approches « environmentally friendly by design » plus poussées et parfois même plus sincères, où l’absence de nuisance à l’environnement sur le long terme – contrainte incontournable mais salutaire – sera aussi un levier de stimulation commerciale et de valeur, pour un retour sur investissement.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

(1) Décret du 26 juin 2019 relatif aux pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides. Soulignons la publication simultanée d’un décret relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides.

(2) La disposition du décret est prévue à l’art. R. 522-16-1 nouveau du Code de l’environnement, non encore inséré sur Légifrance au jour de la rédaction de cette alerte.