Visites domiciliaires et entreprises tierces : l’article L. 450-4 C. Com. à l’épreuve de la CEDH.

Les droits de la défense vus sous l’angle de l’égalité des armes et du droit à un recours effectif auront été récemment malmenés dans le cadre d’une procédure de recours contre le déroulement d’une visite domiciliaire incidente, mais la cour de cassation vient de les restaurer à l’occasion d’un arrêt du 13 juin dernier (Cass. Crim. 13 juin 2019 – Pourvoi 17-87.364).

 

1. Le contexte.

Dans l’affaire ici rapportée, une entreprise avait fait l’objet d’une enquête « lourde », sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce, suite à une ordonnance du JLD de Paris en date du 24 mai 2014 autorisant les visites et saisies dans ses locaux, sur requête des services de l’ADLC.

La requête de l’ADLC s’inscrivait dans la lignée de l’exécution de précédentes visites et saisies autorisées par ordonnance du JLD de Bobigny en octobre 2013 auprès d’acteurs du secteur.

Des pièces et documents saisis au cours de ces OVS pouvaient en effet laisser présumer que l’entreprise précitée, pourtant non concernée par la première vague de visites domiciliaires en 2013 avait pu, elle aussi, participer aux pratiques qui avait donné lieu à ces premières visites.

Pour motiver sa requête afin d’être autorisée à procéder à de nouvelles visites au sein de l’entreprise non concernée par visites domiciliaires initiales, l’ADLC avait produit au JLD de Paris un certain nombre de pièces extraites des saisies pratiquées lors des visites de 2013 (extraits de cahier de notes et autres tableaux etc).

Munis de l’ordonnance obtenue pour l’exécution de la mesure, les enquêteurs n’ont toutefois pas estimé nécessaire de notifier à l’entreprise visitée tant les procès-verbaux des OVS de 2013, que l’inventaire de pièces alors saisies et qui, précisément, avaient conduit l’ADLC à envisager une seconde vague d’OVS (OVS incidentes).

 

2. La controverse.

Le cadre ainsi posé, le débat portait sur l’interprétation qu’il convenait de donner à l’alinéa 12 de l’article L. 450-4 alinéa 12 du Code de commerce, relatif au recours porté devant le premier président de la Cour d’appel, contre le déroulement des opérations de visite.

On le rappelle, ce recours est ouvert, notamment, à la personne à l’encontre de laquelle a été prise l’ordonnance d’autorisation de visites et saisies, mais aussi « aux personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations ».

Ce recours doit être intenté « dans un délai de dix jours » à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’inventaire pour la personne à l’encontre de laquelle a été prise l’ordonnance ou, « pour les personnes n’ayant pas fait l’objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l’inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs (…) ».

Au demeurant et bien que cela ne ressorte ni de l’arrêt d’appel ni de celui de la Cour de Cassation, l’article précité, en son alinéa 10, dispose qu’une copie du procès-verbal et de l’inventaire, remis à l’occupant des lieux ou à son représentant, doit également être « adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception aux personnes mises en cause ultérieurement par les pièces saisies au cours de l’opération ».

L’information obligatoire des tiers ultérieurement mis en cause, se veut ainsi la condition première pour l’exercice de leur droit à recours contre l’exécution d’une visite qui les mets, de manière consécutive, en situation d’auteur présumé.

Dans ces conditions, difficile de prétendre que la notification du PV de visite et d’inventaire des pièces saisies pendant les premières visites de 2013 et remis à l’entreprise initialement visitée dès la fin des opérations pour l’ouverture de son droit de recours sous 10 jours, n’ait pas lieu d’être notifié avec la même finalité à l’entreprise tierce par la suite visée par une ultérieure ordonnance.

Ladite entreprise, si elle n’était pas en cause au jour des visites initiales, accède suite aux premières visites, aux rang des parties à l’entente présumée et au peu enviable statut de « mis en cause » dès que sa situation, au regard des faits présumés, conduit à diligenter à son encontre une enquête lourde.

Plus généralement, si sa culpabilité ne peut être préjugée au stade des visites initiales ou incidentes qui la concerne, toute entreprise visitée n’en est pas moins touchée par une présomption de participation à des pratiques pouvant être illicite que seule une instruction au fond permettra, le cas échéant, d’établir.

L’entreprise, cible de visites et saisies incidentes, donc différées car consécutives à sa suspicion au vu des éléments recueillies lors de premières visites, ne devrait-elle pas comme les entreprises initialement visitées, être, mise en situation de pouvoir mettre en action son droit à recours effectif le plus rapidement possible, si sa mise en cause est, elle aussi, effective ?

En effet, l’article L. 450-4 alinéa 12 du Code de commerce, pris à la lettre, ne confère pas à la partie requérante (l’ADLC), un droit discrétionnaire à différer le moment à partir duquel cette notification doit effectivement survenir, faisant elle-même courir le délai de recours.

On pourra certes objecter que, bien que précisant un point de départ de la computation du délai de recours à partir de la notification du PV et de l’inventaire, le texte s’avère assez lacunaire quant au moment où cette notification doit intervenir effectivement.

Cette imprécision relative fait néanmoins la part belle à l’ADLC, décisionnaire du moment de la notification, et donc de l’ouverture du recours, et ce au détriment de l’entreprise concernée.

Le texte redevient en revanche précis, lorsqu’il fixe comme le point de départ ultime de computation du délai de recours de 10 jours un deuxième genre de notification, mais de griefs cette fois-ci. On se situe déjà à un stade bien avancé la procédure pour ce qui est des charges qui pèsent sur l’entreprise.

En l’état, l’entreprise ayant fait l’objet d’une visite incidente et pouvant tout de même se considérer comme suspectée donc en cause  (n’oublions pas que sa visite a pu s’accompagner de la pose de scellés, de la saisie de diverses pièces ou de messageries à laquelle n’aura pas pu s’opposer sauf à commettre une obstruction. A rappr. Enquête et instructions P.A.C : appréciation extensive de l’obstruction, ADLC, 22 mai 2019, n° 16-D-19, Lettre distr. Juin 2019, nos commentaires), ce que la notification de grief viendra entériner – ne peut engager son recours contre les OVS initiales avant que ne survienne l’une ou l’autre des notifications (PV ou notification de grief) sur lesquelles l’ADLC garde la main.

Paradoxalement, les entreprises initialement visitées auront quand à elles pu intenter un tel recours dès la notification de l’ordonnance (recours contre l’ordonnance. Art. 450-4 al. 6), ou la fin des opérations et la remise du PV et de l’inventaire (recours contre le déroulement. Art. 450-4 al. 12).

A la limite du kafkaïen, l’entreprise visitée pourra donc former un recours à la fois contre l’ordonnance incidente la concernant et le déroulement des opérations ordonnées (Art. 450-4 al. 6 et 12), alors qu’elle ne sera pas en mesure d’engager un tel recours contre le déroulement des visites originelles qui ont permis sa mise en cause.

Malgré ce, l’ADLC ne prétendait-elle pas devant la Cour d’appel, prenant tout de même appui sur quelques exactitudes :

« qu’au stade des visites et des saisies, il n’est pas possible d’établir une incrimination à l’encontre d’une entité visitée puisque les investigations ont pour objet de vérifier la réalité de présomptions d’infractions ou au contraire de les infirmer. Ce n’est qu’au terme du processus d’instruction qu’une éventuelle notification de griefs aurait pour objet de poursuivre W… pour avoir contrevenu aux règles de la concurrence. Dès lors, l’appelante n’ayant pas encore le statut de mise en cause, il en résulte que l’ADLC n’avait pas à lui notifier le PV de visite et saisie et l’inventaire dressés dans les locaux de F… et S… . ».

Habilement présentée aux fins de contester la mise en cause, le moyen n’en restait pas moins fragile dans sa justification, alors que Cour d’appel allait juger dans son arrêt, qu’il existe des « présomptions simples » d’agissements prohibés :

« Au stade de l’enquête préparatoire, il est simplement demandé au JLD de retenir des présomptions simples d’agissements prohibés. Dès lors, c’est à bon droit que le JLD de PARIS a relevé de telles présomptions à l’encontre de la société W… et a rendu une ordonnance de visite et de saisie dans ses locaux ».

Mais la Cour d’appel emboite le pas de l’ADLC et fait peu de cas des moyens de l’entreprise visitée qui, s’estimant sans anxiété démesurée « en cause », soutenait dans les termes suivants qu’elle aurait dû se voir notifier PV de visite et saisies et inventaires antérieurs de manière concomitante à sa propre visite :

« Elle (l’ADLC) aurait dû procéder à cette notification au plus tard le jour des OVS de mai 2014 dans les locaux de W… ou, à tout le moins, annexer à la requête dans leur intégralité les procès-verbaux et les inventaires de visite et de saisie chez F… et S…., ce qui aurait permis à W…d’exercer effectivement son droit au recours au moment des OVS de mai 2014. ».

Ses moyens vont faire mouche devant la Haute Cour.

 

3. La solution.

La Chambre criminelle casse l’arrêt d’appel en donnant une interprétation selon nous conforme aux principes du procès équitable consacré à l’article 6 de la CEDH qui, au demeurant, dispose aussi du « droit d’être informé, dans le plus court délai (…) d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ».

Ainsi et aux termes de l’interprétation que donne la Cour de cassation de l’article L. 450-4 du code de commerce, il sera dorénavant nécessaire aux enquêteurs de retenir que :

« (…) le procès-verbal et l’inventaire établis lors d’opérations de visite et de saisie doivent être notifiés aux personnes n’ayant pas fait l’objet de ces opérations mais qui sont mises en cause au moyen de pièces saisies lors de celles-ci et qui disposent d’un recours sur leur déroulement devant le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge les a autorisées ;

(…) se trouve mise en cause au sens de ce texte la personne visée par une demande d’autorisation de procéder dans ses locaux à des opérations de visite et de saisie sur le fondement de pièces saisies au cours d’une précédente visite domiciliaire effectuée chez un tiers ;

Que le procès-verbal et l’inventaire dressés à l’issu de ces opérations antérieures doivent être annexés tant à la requête qu’à l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention qui doit être notifiée au moment de la visite, assurant ainsi l’exercice du droit à un recours effectif de la personne mise en cause ».

 

4. Les éventuelles perspectives.

Cette solution, semble pouvoir être de nature à ouvrir des horizons nouveaux en matière de recours.

On songe notamment, hors visites et saisies incidentes, aux recours d’une entreprise tierce non concernée par des précédentes OVS et qui se voit notifier des griefs à l’issue de la phase non contradictoire d’une instruction qui, à un instant donné vient à la cibler, alors même que la notification de grief n’a d’ailleurs pas encore été rédigée. Ici comme ailleurs, la conception précède la réalisation.

L’arrêt rapporté nous instruit en effet, notamment, sur le fait que mise en cause et notification de grief ne se confondent pas.

Alors et sauf vouloir prétendre que la notification de grief n’a pas été précédée d’un choix de « mise en cause » en phase non contradictoire de l’instruction (auditions, examen de pièces etc.), dans le cadre des diligences préparatoires à la phase contradictoire, pour quelle bonne raison notre entreprise devrait-elle nécessairement attendre, parfois des mois et des mois, sa notification de griefs pour pouvoir engager son recours contre des visites domiciliaires tierces la mettant en cause ?

Une fois encore, la situation pourrait mettre la lettre de l’article L. 450-4 du Code de commerce, à l’épreuve des principes du procès équitable.

A suivre.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article est intégré à la Lettre de la distribution des mois de juillet-août 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.