Rupture brutale de relation commerciale internationale établie : la compétence juridictionnelle française écartée.

Affaire Eurofood c./ Tnuva Alternative

Tribunal de commerce de Paris, 30 septembre 2021, n° 2020037442

 

1. Faits.

Une société française s’était vue concéder la distribution exclusive de ses produits dans l’Union Européenne et en Suisse par une société israélienne.

Cette dernière invoquant le défaut d’atteinte d’objectifs par son distributeur met fin au contrat.

Celui-ci l’assigne alors devant le Tribunal de commerce de Paris au titre de manquements contractuels et de rupture abusive.

La lecture du jugement fait ressortir des demandes sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La société israélienne soulève une exception d’incompétence du Tribunal de commerce de Paris et prétend que les juridictions compétentes son celles d’Israël. La société française conteste.

Aux termes de son jugement, le Tribunal de commerce de Paris se déclare incompétent territorialement (T. Com. Paris, 30 septembre 2021, n° 2020037442).

 

2. Problème.

Se posait ici la question de la compétence juridictionnelle du Tribunal de commerce de Paris pour statuer sur l’application de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dans un litige opposant une société étrangère et tierce à l’Union Européenne, défenderesse et auteure le cas échéant d’une rupture brutale, à une société française, demanderesse et victime de ladite rupture, alors que la convention liant les parties prévoyait que la livraison des produits avait lieu en Israël.

 

3. Solution.

Relevant que le lieu de livraison effective des marchandises ainsi que le domicile du défendeur sont situés en Israël, le tribunal fait droit à l’exception d’incompétence soulevée, au regard notamment des articles 42 et 46 du CPC.

 

4. Observations.

Les contentieux pour rupture brutale d’une relation commerciale établie dans le cadre d’une relation internationale donnent souvent lieux à d’intéressants débats tant en matière de droit applicable (rappr. dans le sens de la non application du droit français, Paris, 2 juin 2021, n° 17/16997, Lettre de la Distribution, Juillet Août 2021, nos obs ; voir aussi, sur l’application des articles L. 441-3 et L. 441-7 du Code de commerce, Paris, 30 mars 2021, n° 19/15655, Lettre de la Distribution, Mai 2021, nos obs.) que, comme en l’espèce, au plan de la compétence des juridictions françaises, devant lesquelles était attraite une société étrangère par une société française.

Signalons qu’en défense sur l’exception soulevée, la société française se prévalait pour justifier la compétence du Tribunal de commerce de Paris, de l’article 14 du Code civil qui prévoit un privilège de nationalité, parfois chahuté en doctrine, et qui dispose que « L’étranger (…) pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. ».

Sur ce seul point, sous toutes réserves, l’évacuation par le Tribunal de cette disposition pourrait apparaître un peu expéditive, motifs pris qu’en l’espèce et sur une question de compétence (et non de la loi applicable, rappr. Paris, 3 mars 2021, n° 19/09361, Lettre distrib. 04/2021, obs. C.M-G ou Paris, 2 juin 2021, n° 17/16997 précité), cet article n’aurait pas vocation à s’appliquer car le litige ne présenterait « aucun lien de rattachement envers la France, outre la nationalité du demandeur » (rappr. C. Bridge, Évolution du privilège de juridiction et risques juridiques : bilan et perspectives, RLDC, n° 139, 1er juillet 2016).

Pour le reste de son appréciation, le Tribunal rappelle que « seules les règles de conflit de juridiction doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, même si des dispositions impératives constitutives d’une loi de police sont applicables au fond du litige (Com. 24 nov. 2015, n°14-14924) ».

Il estime être en présence d’un contrat qui a pour objet la vente de produits et non d’un contrat dont l’exclusivité stipulée lui aurait conféré la nature d’un contrat de prestations de service et pour lequel, en cas de litige, la juridiction compétente, outre celle du lieu ou demeure le défendeur, pouvait aussi être celle du lieu de l’exécution de la prestation de service (art. 42 et 46 CPC), soit la France selon le demandeur.

Le Tribunal, évoquant l’arrêt « Granarolo » (CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-196-15, Lettre distrib. 09/2016, obs. F.L ; rappr. Com., 20 sept. 2017, n° 16-14.812, Lettre distrib. 10/2017, obs. F.L), bien que rendu à l’occasion de la mise en œuvre du règlement (CE) 44/2001 dit « règlement Bruxelles I » sur la compétence judiciaire, juge qu’« en l’espèce, le lieu de livraison a été contractuellement choisi en Israël ; dans un souci de cohérence avec la jurisprudence européenne, le tribunal considèrera en l’espèce, que la rupture brutale alléguée est de nature contractuelle. » (rappr. Paris, 9 sept. 2020, n° 19/1932, Lettre distrib. 10/2020, obs. F.L).

La matière ainsi qualifiée de contractuelle et le tribunal considérant que le lieu de livraison effective des marchandises ainsi que le domicile du défendeur étaient situés en République d’Israël, décline sa compétence territoriale en application des articles 42 et 46 du CPC.

D’où l’intérêt, en pareil cas pour la partie qui, dans la perspective d’un litige, préfèrerait débattre devant les juridictions françaises, de prévoir contractuellement une clause attributive de juridiction et, à y être, de droit applicable, ce qui n’était semble-t-il pas le cas dans l’affaire ici rapportée (jugement, point 9).

A supposer ensuite une condamnation par une juridiction française, il restera alors, mais c’est un autre sujet et non des moindres, celui de l’exécution du jugement en territoire étranger et hors UE, et pour laquelle il sera encore nécessaire, notamment en termes financier, que le jeu en vaille la peine.

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de janvier 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.

Note de suivi en date du 16.05.2023 : voir dans ce contentieux « Rupture brutale de relation commerciale internationale établie et défendeur hors UE : la délicate question de la compétence juridictionnelle. », à propos de l’arrêt de la 1er chambre Civile de la Cour de Cassation du 13 avril 2023, qui retient la compétence des juridictions françaises.