Après nos deux premières alertes concernant l’application, immédiate ou à brève échéance de certaines dispositions issues de l’ordonnance du 24 avril 2019, qu’en est-il de cette ordonnance au plan des règles de facturation ?
1. Contexte
Nous rappelons que l’article 17 de la Loi du 30 octobre 2018 dite Loi EGalim, a habilité le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance, à clarifier les règles de facturation, en les harmonisant avec les dispositions du code général des impôts, et à modifier les sanctions applicables aux manquements à ces règles.
Le sujet de la facturation est toujours délicat car il est, pour les parties, un point de convergence d’un certain nombre de risques règlementaires (nécessité de régularité au plan juridique, fiscal et comptable), financiers (nécessité d’être payé si possible dans les délais), relationnels (nécessité d’éviter autant que faire se peut les litiges en matière de facturation). Une facturation établie selon les règles contribue aussi à l’image de l’entreprise.
Pour les moins graves d’entre elles, les irrégularités, bien que sanctionnables, relèvent davantage d’occasions manquées de bien faire que de comportements délibérément contraires à la loi.
En revanche, d’autres pratiques peuvent s’avérer bien plus préoccupantes, soient qu’elles sont sanctionnables sur le fondement même des règles de facturation, soit que l’instrument de la facture peut être pris en compte en tant qu’élément matériel pour la qualification d’infractions distinctes. Nous ne les évoquons pas ici.
2. Rappels et entrée en vigueur.
Harmonisation entre le code de commerce et le code général des impôts.
Les règles de facturation relatives aux achats de produits ou de prestations de service pour une activité professionnelle ont été jusqu’alors notamment encadrées par les dispositions de l’article L. 441-3 de code de commerce, ainsi que par l’article 289 du code général des impôts (qui définit les modalités de facturation pour les personnes assujetties à la TVA).
Il était néanmoins des plus troublant dans un état de droit – et non sécurisant au plan juridique – de constater que deux codes qui s’intéressent à l’activité économique et la création de richesses, l’un pour la favoriser et l’encadrer, l’autre pour transformer, partiellement s’entend, le produit de ces richesses en impôts divers, adoptent une approche différente du fait générateur d’une pièce aussi essentielle que la facture.
Pour rappel, l’article L. 441-3 du code de commerce dans la version que nous connaissions disposait que, « sous réserve » des deuxième et troisième alinéas du I de l’article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture « dès la réalisation de la vente » ou la prestation de service.
L’article 289 du code général des impôts dispose, quant à lui, que la facture est en principe, émise « dès la réalisation de la livraison » ou de la prestation de services. Ce même code précise par ailleurs ce qu’il faut entendre par « la livraison » d’un bien, à savoir « le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire » (art. 256 II. 1° du CGI).
Avec l’ordonnance du 24 avril dernier, le code de commerce renvoie aux dispositions du code général des impôts s’agissant de la date d’émission de la facture et fixe donc à la réalisation de la livraison, le fait générateur de cette émission (à noter que les dispositions contenues dans l’article L. 441-3 du code de commerce se retrouvent, moyennant quelques modifications, dans un nouvel article L. 441-9).
Nous en resterons-là au plan de notre rappel sur cette harmonisation des deux codes.
Celle-ci ne devrait d’ailleurs pas, a priori, révolutionner les habitudes opérationnelles du plus grand nombre, l’émission de la facture étant de manière assez répandue au sein des organisations logistiques, concomitante à l’expédition des marchandises vendues, avec ou sans clause de réserve de propriété d’ailleurs.
Clarification et sanction.
Plus impactant et inquiétant, selon nous, se veut le sujet de la clarification des règles de facturation. Au demeurant et de notre point de vue, la clarification ressort plus de l’harmonisation code de commerce/code général des impôts, que de ce qui suit.
– D’ici peu en effet, soit dès le 1er octobre 2019, les factures vont devoir contenir deux mentions supplémentaires, à savoir :
- l’adresse de facturation de l’acheteur et du vendeur si celle-ci est différente de leur adresse,
- le numéro de bon de commande s’il a été préalablement établi par l’acheteur.
L’ajout de ces précisions concernant les mentions obligatoires en matière de factures a pour objectif d’accélérer leur règlement et ainsi participer à l’objectif général de réduction des délais de paiement.
Ces nouvelles mentions seront obligatoires et leur défaut, à l’instar des autres manquements en matière de contenu des factures, donnera lieu à une amende administrative pouvant atteindre 75.000 euros pour un personne physique et 375.000 euros pour une personne morale.
Cette sanction administrative se substitue à la sanction pénale existant jusqu’alors.
Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas : comme nous le rappelions dans une alerte précédente tenant l’objectif d’efficacité du nouveau dispositif de sanction, qui dit amende administrative dit prononcé de cette amende par l’Administration, avec recours possible devant les tribunaux administratifs, sans que ce recours ait pour effet de suspendre l’obligation de paiement de l’amende prononcée.
Encore faut-il, qui plus est, qu’un tel recours se justifie pour des manquements aussi formels.
– Il est quoi qu’il en soit permis d’être réservé sur la véritable la valeur ajoutée de ces exigences supplémentaires strictement formelles, en vue d’amener les acheteurs retardataires à payer dans les délais. Car, ici comme ailleurs, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Il semble en effet que si certains acheteurs éditent déjà des bons de commandes numérotés et reçoivent de leurs fournisseurs une facture mentionnant ce numéro, ce n’est pas pour autant qu’ils s’en acquittent à la date convenue et en tout cas dans le délai légal plafonné.
Des mauvais payeurs audacieux ne vont-ils pas, par ailleurs, dans la relation avec tel fournisseur ou le cas échéant en cas de contrôle de l’Administration, songer à prétexter qu’ils n’ont pas payé dans les délais au motif que la facture adressée ne comportait pas le numéro de commande (ou le bon numéro de commande).
Le contenu de notre prochaine alerte, faisant état d’un récent avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, nous amène à penser que cette situation n’est pas aussi insolite qu’il n’y paraît.
En outre, le comble serait de voir un créancier sanctionné pour un défaut de mention sur sa facture du numéro de la commande émise par son client et, dans le même temps de voir ce dernier mis hors de cause parce qu’il n’a pas pu payer la facture en question dans l’ignorance de ce numéro. Mais ne sommes-nous pas trop cyniques ?
Enfin, n’omettons pas la situation dans laquelle certains débiteurs s’appuieront sur cette obligation en opérant un rappel à la loi, pour appliquer des pénalités forfaitaires à raison du défaut d’indication sur la facture du numéro de bon de commande qu’ils ont émis.
– L’on est en revanche moins réservé sur les contraintes, certaines, risques d’amendes administratives à la clé, que ces nouvelles mentions vont mettre à la charge des fournisseurs, lorsqu’ils se situeront dans des situations visées par les nouvelles obligations instaurées par l’ordonnance.
Au-delà de la collecte des données pertinentes pour parvenir à établir correctement les factures et des possibles développements informatiques et reformatages des factures pour, parfois, y mentionner jusqu’à le cas échéant quatre adresses, si l’on considère que le processus de facturation se déroule de l’émission à la réception du document (adresse du vendeur – adresse du lieu d’émission de sa facture – adresse de l’acheteur – adresse du lieu destination de la facture), d’autres questions ne manqueront pas de se poser.
Quid par exemple, de la facture mentionnant expressément l’adresse du débiteur, mais expédiée à sa demande par simple courrier postal, à une adresse tout à fait différente, en France ou à l’étranger ?
Quid aussi des adresses électroniques en cas d’envoi des factures par courriel auprès de destinataires tiers, dont l’identification se limite à une adresse e.mail indiquée par l’acheteur à son vendeur ?
Et qu’en est-il des plateformes informatiques opérant au niveau international, accessibles à un nom de domaine donné, dont le serveur est qui plus est situé hors de France, et sur lesquels le fournisseur est tenu d’aller renseigner les éléments de sa facturation ?
Comme nous l’avons évoqué ces derniers jours sur d’autres problématiques, d’éventuelles précisions de l’Administration de nature à aider les acteurs à se mettre en conformité, seront d’autant plus appréciées qu’elles interviendront rapidement, alors que ces nouvelles dispositions sont applicables aux factures émises dès le 1er octobre, soit tout juste un peu plus de quatre mois à compter de maintenant, en ce comprise la période estivale.
A très bientôt pour notre alerte 4.
Pour nos deux premières alertes :
Accords commerciaux 2019, avenants et réforme suite à Loi EGalim : alerte 1.
Communications des CGV, négociation et réforme suite loi EGalim : alerte 2.
Jean-Michel Vertut – Avocat