La Cour d’appel de Paris a jugé dans un arrêt récent (Paris, 22 octobre 2020, n° 18/02255) que la victime d’une pratique abusive relevant de L. 442-6 I du Code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019, peut engager une action en nullité de la clause ou du contrat affecté, pour contrariété à l’ordre public.
- « S’il est vrai que l’article L.442-6 I du code de commerce mentionne uniquement l’engagement de la responsabilité civile de l’auteur de la pratique, cette disposition spéciale n’interdit pas à la victime d’une pratique visée par ce texte de demander la nullité de la clause ou du contrat contraire à l’ordre public. (…) En conséquence, la société (…) ne peut soutenir que la société (…) n’est pas fondée à revendiquer l’annulation des clauses litigieuses ».
La Cour d’appel a de même jugé dans cet arrêt, que l’ex article L. 442-6 I peut être appliqué à la lumière de sa « nouvelle » rédaction, logée dans l’article L. 442-4 du Code de commerce tel qu’issu de l’Ordonnance précitée.
- « (…) L’article L. 442-4 du code de commerce issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ouvre expressément l’action en nullité de la clause créant un déséquilibre significatif au profit de la partie victime d’un tel déséquilibre et que ce nouveau texte apporte un éclairage rétroactif aux anciennes dispositions ».
Ci-dessous un bref commentaire.
1. Quant à la sanction par la nullité de la clause ou du contrat.
La Cour ne fait que rappeler la solution, consacrée par la Cour de cassation selon laquelle la partie victime (en l’occurrence d’un déséquilibre significatif) au sens de l’article L. 442-6 I 2°, est fondée à faire prononcer la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre, s’agissant d’une clause illicite qui méconnaît les dispositions d’ordre public de ce texte.
Un tel pouvoir n’appartient pas en effet au seul Ministre de l’Economie (Com., 30 sept. 2020, n° 18-11.644 et n° 18-25.204 (2 arrêts) : Lettre distrib. 11/ 2020, M-P. Bonnet-Desplan. Pour l’un des arrêts d’appel dans ces affaires en matière de nullité sollicitée par une partie, Paris, 11 oct. 2017, n° 15/03313, Lettre distrib. 12/2017, S. Chaudouet. Rappr. en matière d’avantages sans contrepartie relevant de l’article L. 442-6, I, 1°, Com., 4 mars 2020, n° 17-17148 : Lettre distrib. 04/2020, S. Brena et Paris, 24 mars 2011, n° 10/02616 : Lettre distr. 04/2011 et RLDA n° 61, juin 2011, p. 35, nos obs., ou, au plan de la nullité de conventions contrevenant aux dispositions d’ordre public relevant de l’ancien article L. 441-7, Saint-Denis, 5 juillet 2019, n°18/00110, Lettre distrib. 10/2019, nos obs.).
Signalons qu’en l’espèce, ce n’est pas l’intégralité de l’article renfermant la clause qui se trouve annulée, mais les seuls paragraphes qui, au sein de ces articles, posaient problème.
2. Quant à la prise en compte de la réforme issue de l’ordonnance du 24 avril 2019.
Entendre par cela, l’impact de la réforme au plan du traitement des situations abusives qui lui sont antérieures.
La Cour d’appel juge que les dispositions de l’ex article L. 442-6 I du Code de commerce pourront être appréhendées à la lumière des nouvelles dispositions logées dans le nouvel article L. 442-4 du même Code.
On se souvient que la réforme introduite par l’ordonnance précitée a ouvert, expressément, à la victime d’un déséquilibre significatif, désormais prévu à l’article L. 442-1, outre l’action en responsabilité, la demande de nullité (rappr. Lettre distrib. 11/2020, préc.).
Si le principe de la non rétroactivité de la loi nouvelle demeure, l’évolution du droit est ici prise en compte pour appréhender des situations passées.
Une motivation de ce type n’est pas nouvelle. On se rappelle, par exemple, de deux arrêts de la Cour de cassation en matière sociale qui, à la suite de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, avait jugé pour des conventions antérieures à son entrée en vigueur, que « Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et L. 1221-1 du code du travail ; Attendu que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ; » (Soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103 et 21 sept. 2017, n° 16-20.104 : RJDA, 12/17, p. 899, note D. Mainguy. Rappr. Com., 6 déc. 2017, n° 16-19.615).
En pratique, il semble donc que les contentieux pendants devant la Cour d’appel de Paris, de même que ceux qui viendraient à être introduits sur les anciennes dispositions de l’article L. 442-6, aient vocation à être éclairés par les nouvelles dispositions de l’article L. 442-4 tel qu’issu de l’ordonnance du 24 avril 2019.
Moyennant l’apport de cette précision sur cet « éclairage rétroactif aux anciennes dispositions » – qui n’était pourtant pas nécessaire en l’espèce pour prononcer la nullité au vu des solutions déjà données à ce sujet par la même Cour et consacrées par la Cour de cassation – il y a lieu de penser que la Cour d’appel a elle aussi souhaité éclairer les futurs plaideurs.
On se souvient encore que figuraient au nombre des objectifs de l’ordonnance du 24 avril 2019, ceux du recentrage de la liste des pratiques commerciales restrictives autour de trois pratiques générales et de la précision des définitions des trois pratiques commerciales restrictives héritées de l’article L. 442-6 et énumérées au nouvel article L. 442-1 (cf. Rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 24 avril 2019, p. 7).
L’arrêt s’inscrit dans cette logique (rappr. Paris, 31 juill. 2019, n° 16/11545 ; L.442-1 I 1°et 2° (ex. L.442-6 I 1° et 2°) : Lettre distrib. 09/2019, nos obs.).
Jean-Michel Vertut – Avocat.
Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de décembre 2020 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.
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