Services de centrales et rémunérations injustifiées : le formalisme de la convention écrite et le droit des contrats à la rescousse.

Le litige ici rapporté opposait Profima, une centrale de référencement basée à La Réunion, ayant pour mission de référencer les fournisseurs pour le compte de grandes surfaces. Celle-ci avait conclu avec un fournisseur, Sofexi, le 22 mars 2007 puis le 29 février 2008, des contrats cadre de coopération commerciale, pour la fourniture de marchandises aux supermarchés à enseigne Carrefour (Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, 5 juillet 2019, RG n° 18/00110).

En exécution de ces contrats, la centrale avait émis des factures au cours de l’année 2009, que Sofexi s’est refusé d’honorer, en invoquant la nullité des accords pour non-respect des dispositions de l’article L. 441-7 du Code de commerce dans sa version applicable aux moments des faits (voir à ce jour et depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, les articles  L. 441-3 et L. 441-4 nouveaux du Code de commerce).

Signalons que l’arrêt fait référence à la seule loi du 2 août 2005 en faveur des PME dite « loi Dutreil » applicable en l’espèce à l’accord 2007. Cette loi a introduit dans le code de commerce un article spécifique à la coopération commerciale et instauré les « services distincts » de ceux figurant dans le contrat de coopération commerciale.

La loi du 3 janvier 2008, dite « loi Chatel », a par la suite instauré l’obligation d’établir une convention écrite dans l’article L. 441-7 consacré précédemment à la seule coopération commerciale. Cette dernière loi n’est pas nommément citée, mais apparaît avoir été applicable à la convention commerciale de 2008.

L’arrêt ici rapporté, loin de n’avoir qu’un intérêt historique dans au plan des contentieux des services de centrales et de rémunérations injustifiées, est doublement intéressant.

En l’espèce, il déporte le traitement de ce type de litige, depuis le fondement des pratiques abusives interdites (avantage sans contrepartie voire déséquilibre significatif, sur lesquels nous nous interrogions dans notre veille précédente), vers celui du formalisme et de la force obligatoire des contrats (II). Un tel mouvement permet que ces litiges soient tranchés par des juridictions non spécialisées (I).

 

I. Sur la procédure.

Dans le cadre de l’appel interjeté par Sofexi de la décision du Tribunal Mixte de Commerce de Saint-Denis du 2 avril 2014 (RG n° 12/00969) l’ayant condamné au paiement des factures, la Cour d’appel de Saint-Denis avait soulevé d’office le moyen de l’irrecevabilité de l’appel au regard des articles L. 442-6 et D 442-2 à 4 du Code de commerce, attribuant compétence au Tribunal de Commerce et à la Cour d’appel de Paris (cf. annexe 4-2-1 à l’article D. 442-3).

Dans son arrêt avant dire droit du 27 novembre 2015, la Cour relevait que Sofexi fondait ses prétentions « notamment » sur les dispositions de l’article L. 442-6 du Code du Commerce et que ce faisant, l’appel était irrecevable comme étant porté devant une juridiction incompétente « et ce nonobstant les autres fondements avancés à l’appui de ses prétentions ».

Rappelons que pareille solution a vécu depuis le revirement issu des arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 mars 2017 (Cass. com. 29 mars 2017, n° 15-17659, Lettre distr. avril 2017. C.M-G), dont l’un était d’ailleurs intervenu dans un contentieux de rupture brutale de relations commerciales établies sur l’Ile de la Réunion et ayant conduit à une saisine du Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce.

Depuis lors, les cours d’appel saisies de recours contre des décisions rendues par des tribunaux de commerce non spécialisés doivent, en vertu de l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, statuer sur les demandes des parties tout en relevant d’office l’excès de pouvoir commis par ces tribunaux.

L’arrêt avant dire droit de la Cour d’appel de Saint-Denis a par la suite été cassé (Cass. com. 20 sept. 2017, n° 16-13.144), au motif qu’« en statuant ainsi, alors qu’un litige dans lequel une partie invoque la violation de l’article L. 441-7 du code de commerce ne relève pas des juridictions spécialement désignées à l’article D. 442-3 de ce code et qu’elle avait constaté que la société Sofexi précisait que ses prétentions étaient uniquement fondées sur les articles 1134 du code civil et L. 441-7 du code de commerce, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (à rappr. Cass. com. 18 sept. 2019, n° 18.10225 et n° 17-19.653, Lettre distr. oct. 2019, C.M-G).

« Notamment » disait la Cour d’appel avant dire droit. « Uniquement » lui a rétorqué la suprême Cour. La Cour d’appel était donc à juste titre dotée du pouvoir de statuer sur les faits.

Il semble pourtant, à la seule lecture de l’arrêt du 5 juillet dernier, que les moyens développés par l’appelante aient été très inspirés des contentieux en matière de services « fictifs » fondés sur l’article L. 442-6 I 1° ancien du Code de commerce.

Cette disposition, a fortiori depuis ses modifications issues de la loi relative à la consommation du 17 mars 2014 certes non applicable à l’époque des faits, ne se situait-elle pas à la croisée des chemins du formalisme et des pratiques abusives, alors d’ailleurs que jusqu’à l’ordonnance du 24 avril dernier, la convention écrite devait indiquer les obligations auxquelles se sont engagées les parties « dans le respect des articles L. 441-6 et L. 442-6 » (nota : la référence aux pratiques abusives maintenant logées, notamment, dans l’article L. 442-1 nouveau du Code de commerce, est maintenue dans le nouvel article L. 441-3 du Code de commerce sur la convention écrite en régime dit « général »).

Mais la Cour de cassation a retenu que l’action était en l’espèce fondée sur l’article L. 441-7 et 1134 du code civil. La Cour d’appel « non spécialisée » devait alors s’exécuter : dans l’arrêt ici rapporté, la Cour de Saint-Denis, juridiction de recours non spécialisée, juge dans le style pourrait-on dire, d’une juridiction spécialisée, évitant ainsi la délocalisation d’un contentieux à quelques 10.000 kilomètres. Voilà qui ouvre le champs des choix procéduraux.

 

II. Sur le fond.

Avant de livrer son analyse du bienfondé ou non des créances de Profima au titre des services facturés, la Cour d’appel de Saint-Denis, citant la « circulaire Dutreil » de 2005 dans la continuité de la loi dont elle tire son nom, devait rappeler que « les services de coopération recouvrent des actions de nature à stimuler au bénéfice du fournisseur la revente de ses produits au consommateur par le distributeur, et notamment (…). Ils ne peuvent donc pas recouvrir d’autres aspects de la relation commerciale, et notamment les modalités de vente ».

La Cour rajoutant, selon la formule consacrée, que le service doit être « détachable de l’achat vente », qui est « la fonction naturelle » du distributeur. L’examen des accords s’ensuit.

– S’agissant de l’année 2007, Profima s’était engagée pour le compte de Carrefour à l’égard de la Sofexi à assurer dans le cadre d’un accord de coopération commerciale, « la présence d’un certain nombre de produits en catalogue, leur mise en avant en magasin et lors de communications événementielles, le nombre de produits pour les magasins devant être définis en l’annexe 1 ».

Ce service devait être facturé à hauteur de 3,5 % du chiffre d’affaires H.T. La Cour relève que cette annexe 1 n’avait pas été complétée, en sorte que la nature exacte des services rendus n’était pas mentionnée puisque les produits concernés n’étaient pas identifiés, de même que la date de réalisation des services, puisqu’en l’absence de précisions sur les produits concernés, le rétroplanning publicitaire joint en annexe 2 ne pouvait être utilisé (voir récemment, sur la problématique de la facturation de prestations de services et de leur contestation, Cour d’appel de Paris, 31 juillet 2019, n° 16/11545, Lettre distr. Sept. 2019, nos obs.).

En outre, dans le cadre de « conditions particulières à l’accord commercial de l’année 2007 », Profima s’était engagée à faire bénéficier Sofexi « d’une classification et d’un positionnement spécifique pour chacun des produits sélectionnés afin de les présenter de la façon la mieux adaptée à leurs caractéristiques, en assurer le suivi et permettre à la société Sofexi de lui proposer un ou plusieurs nouveaux produits ». Le service ainsi fourni devait être facturé 3% du chiffre d’affaires annuel H.T.

Comme pour les précédents services, le détail du ou des assortiments devaient figurer en annexe 1, laquelle était restée vierge à cet égard. Ainsi selon la Cour, la nature exacte des services rendus n’était pas déterminée, puisque les produits concernés par l’assortiment n’étaient pas identifiés.

Ces mêmes conditions particulières prévoyaient enfin que le distributeur « mette en œuvre les moyens nécessaires afin de favoriser la vente de ses produits et atteindre des objectifs fixés moyennant le versement de ristournes par palier de chiffre d’affaires ».

A nouveau, la Cour constatait que les moyens mis en œuvre n’étaient pas définis et qu’une ristourne était prévue « dès un chiffre d’affaires zéro » (i.e. semble-t-il, à compter du premier euros). Le service rendu n’étant pas précisé, la ristourne ainsi définie n’était pas détachable de l’achat vente (sur la problématique des ristournes, à rappr. Cour d’appel de Paris 22 mars 2017, n° 14/26103, Lettre distr. mai 2017, nos obs. ou Cour d’appel de Paris, 31 juillet 2019, n° 16/11545, Lettre distr. Sept. 2019, nos obs.).

Fort de cette analyse, qui aurait pu, peu ou prou, être celle livrée sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° par une juridiction spécialisée, les factures dont le paiement était sollicité en exécution des accords de 2007 (…), lesquelles ont été établies « en exécution de conventions qui contreviennent aux dispositions légales d’ordre public » ne pouvaient être utilement invoquées à l’appui d’une demande en paiement.

La Cour donne raison à Sofexi, sur le fondement de l’article 1134 ancien du Code Civil et L. 441-7 du Code de commerce.

Il s’agit d’une application littérale du premier de ces articles, qui disposait que les conventions « légalement formées » tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites : les conditions de l’article L. 441-7 du Code de commerce n’ayant pas été respectées, les convention discutées n’étaient pas « légalement formées » et ne tenaient pas lieu de loi entre les parties (« Par conséquent les factures dont le paiement est sollicité en exécution des accords de 2007 (…) établies en exécution de conventions qui contreviennent aux dispositions légales d’ordre public ci-dessus rappelées ne peuvent être utilement invoquées à l’appui d’une demande en paiement »). CQFD.

– S’agissant de l’année 2008, Profima n’est pas plus heureuse dans le recouvrement de ses factures.

La Centrale, qui s’était engagée sur un service de référencement de Sofexi auprès des magasins, en contrepartie duquel cette dernière s’engageait à lui payer une « commission » annuelle égale à 1% du chiffre d’affaires annuel H.T, est déboutée au motif que « le référencement qui consiste au cas d’espèce en une simple présentation du fournisseur aux magasins n’est pas détachable de l’achat vente qui est la fonction naturelle du distributeur. ».

A l’occasion d’un banal contentieux de factures impayées, la « vieille lune » de la qualification du référencement en tant que service facturable, resurgit sous les rayons du beau soleil de l’Ile de la Réunion, qui pourrait venir réchauffer les contentieux de Métropole.

La convention 2008, comme auparavant celle de 2007, prévoyait la mise en œuvre des moyens nécessaires afin de favoriser la vente de ces produits et atteindre des objectifs fixés moyennant le versement de ristournes par palier de chiffre d’affaires.

A partir d’un même constat qu’en 2007 (cf. ci-dessus) tirés du défaut de définition de ces moyens, c’est la même sanction. La facture n’est pas reconnue fondée.

Le dernier service débattu était celui de « présentation de nouveaux produits », au titre duquel et moyennant l’octroi par le fournisseur d’un « budget annuel » en guise de rémunération, les magasins s’engageaient à assureur la présence de ces nouveautés au sein des linéaires, dans un délai maximum d’un mois à compter de la demande du fournisseur « selon une liste précise qui devait être annexée à la convention ».

La Cour constatait que l’annexe 1 devant identifier les nouveaux produits proposés à la vente et concernés par ce service n’avait pas été établie et annexée à la convention. En outre, le prix du service qui devait être rendu, n’était pas indiqué dans la convention. La facture est non due.

Même solution donc pour ces trois sujets relatif à l’année 2008 (facturation de ristournes sur chiffre d’affaires, d’une commission de référencement, d’un budget relatif à l’introduction de nouveaux produits), motif pris de la contravention aux dispositions légales d’ordre public logées dans l’article L. 441-7 ancien du Code de commerce.

La numérotation des articles a changé, les lois se sont enchainées depuis les faits mais, au lendemain de l’ordonnance du 24 avril 2019 dans la continuité de la loi Egalim, bon nombre des enseignements de cette affaire sont transposables sous les nouveaux textes.

Nous le voyons, le contentieux des pratiques restrictives offre toujours d’intéressants développements. Aux praticiens de les prendre en compte.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.