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Avantage sans contrepartie et frais de participation à un appel d’offres.

Le sujet de la contribution financière demandée à un candidat pour sa participation à un appel d’offres a été abordé par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 mai 2021 (RG n° 19/06400) sous l’angle de sous l’angle de l’ex article L. 442-6 I 1° du Code de commerce qui prohibe l’obtention d’un avantage injustifié ou manifestement disproportionné.

 

1. Faits et procédure.

Une société assurait une prestation de surveillance et gardiennage de dix neufs magasins de la société Monoprix depuis 2002.

En 2013, un contrat-cadre à durée indéterminée vient formaliser cet état de fait.

En 2015, Monoprix lance un appel d’offres pour la prestation. Un préavis de rupture de deux dans est donné à la société de gardiennage dans l’hypothèse où sa candidature ne serait pas retenue à l’issue de l’appel d’offres.

Elle l’est pour 11 points de vente et une nouvelle grille tarifaire, de niveau moindre, est appliquée pour le futur de la relation pour l’ensemble du « marché Monoprix », c’est-à-dire aux prestations tant au titre de points de vente retenus qu’à celles des 8 qui ne le sont pas.

Un nouveau contrat-cadre à durée indéterminée est établi pour la prestation sur les 11 points de vente, résiliable avec un préavis de trois mois.

L’arrêt indique que le prestataire doit s’acquitter d’une « rétro-commission » de 1,5% du chiffre d’affaires de la première année auprès de la société du Groupe Casino organisant l’appel d’offres, ce que fait le prestataire.

Deux ans plus tard, ce prestataire se voit notifié un préavis de résiliation de près de cinq mois, donc dans le respect des termes contractuels, alors qu’un deuxième appel d’offres est lancé.

Le prestataire n’est pas retenu et le contrat est résilié au terme du préavis. La relation commerciale cesse.

Le prestataire assigne alors Monoprix et formule plusieurs demandes dont celle au titre de la rupture brutale de relation commerciale établie moyennant un préavis qu’il estime trop court.

Il en est débouté dans la mesure où l’article L. 442-6 I 5° n’était pas applicable, la relation commerciale étant devenue précaire en 2015, du fait de la mise en concurrence régulière depuis la mise en place de la sélection des partenaires sur appel d’offres.

Le partenaire est aussi débouté de sa demande sur le fondement du déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2°, faute pour lui d’établir la soumission à l’obligation d’appliquer des prix plus bas, tant pour les prestations au titre des points de vente retenus que pour ceux qui ne l’ont pas été, donc pendant le préavis de rupture pour ces derniers.

Les juges ajoutent que l’obligation de pratiquer une baisse de tarif sur l’ensemble du marché Monoprix a été compensée par une durée de préavis « particulièrement longue » par rapport à l’ancienneté de la relation, alors que n’était pas constaté un état de dépendance économique du prestataire, qui réalisait 11% de son chiffre d’affaires avec Monoprix.

Nous ne reviendrons pas sur ces deux sujets, qui mériteraient probablement quelques observations, et nous concentrerons sur celui du versement de la rétro-commission de 1,5% sur le chiffre d’affaires de la première année suite à l’appel d’offres de 2015 et pour lequel le prestataire tentait de faire valoir qu’il s’agissait d’un accaparement par le Groupe Casino d’une somme correspondant au CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi) qu’il avait obtenu. Il en est débouté.

 

2. Problème.

Le paiement par un prestataire de service d’une somme intitulée « rétro commission » à hauteur d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé sur la première année d’activité avec son client, auprès d’une société du Groupe de ce dernier ayant organisé l’appel d’offres à l’issue duquel le prestataire a été sélectionné, est-il constitutif de l’obtention d’un avantage injustifié au sens de l’article L. 442-6 I 1° ?

 

3. Solution.

Visant l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce dans sa version alors applicable (« Sur l’obtention d’un avantage injustifié : la rétro-commission perçue le 15 septembre 2015. Aux termes de l’article L. 442-6 1° du code de commerce dans sa version applicable aux faits de l’espèce, il est sanctionné le fait d’obtenir… (…) »), la Cour juge qu’« Il ressort du courriel adressé par la société PSI à la société Monoprix en date du 25 juin 2015 (…) que la société PSI avait connaissance du fait qu’elle devrait des frais administratifs au titre de la participation à l’appel d’offres à hauteur de 1,5 % de son chiffre d’affaires sur la 1ere année. La somme versée au groupe Casino, dont il n’est pas contesté et que c’est ce dernier qui a organisé l’appel d’offres de 2015 sur le gardiennage des magasins Monoprix, correspond bien aux frais administratifs prévus et non à une rétrocession déguisée du CICE comme le prétend la société PSI. (…) ».

 

4. Observations.

Probablement à raison du montant de la somme payée au titre de cette « rétro commission » (13.735,98 euros) sans commune mesure avec les autres montants sollicités dans le cadre de la procédure, dont 1.720.000 euros du chef de la rupture brutale, soulignons qu’aucune demande subsidiaire ne semble avoir été formulée au titre du caractère disproportionné de cette rémunération, ce qui aurait pu être envisageable, pour qui aurait voulu discuter du montant de ces « frais administratifs » sous l’angle de la disproportion manifeste.

Mais le jeu n’en valait peut-être pas ici la chandelle.

Dans l’absolu toutefois, leur détermination par rattachement au chiffre d’affaires réalisé avec le prestataire ne va pas de soi, alors selon nous qu’il s’agit de frais d’organisation d’une procédure d’appel d’offres, dont on ne perçoit pas en l’état le caractère nécessairement variable (rappr. sur l’approche de la valeur de l’avantage en fonction des coûts, Paris, 30 mars 2021, n° 19/15655, nos obs. Lettre de la Distribution, Mai 2021).

Au-delà de cette affaire et du montant en cause, assez limité, il ne peut être exclu qu’une rémunération proportionnelle dépasse largement les coûts réellement engagés pour organiser un appel d’offres (rappr. en matière de déséquilibre significatif, Trib. com. Paris, 22 fév. 2021, Lettre distrib. 04/2021, S. Chaudouet).

Il est vrai qu’en l’espèce et alors qu’était avancé un grief de récupération par le Groupe Casino du montant du CICE obtenu par le prestataire, une commission fixe pour des frais administratifs d’un montant correspondant à celui du CICE n’aurait pas été du meilleur effet pour Monoprix, si tant est que la commission ainsi perçue ait correspondu à une telle pratique, ce qui a été avancé à tort aux termes de l’arrêt.

En outre, l’arrêt ne nous éclaire pas sur ce qu’il y a lieu d’entendre par chiffre d’affaires réalisé « sur la 1ère année » et dont on peut supposer qu’il ne s’agit que du chiffre d’affaires des magasins retenus au titre de la prestation, car il pourrait être singulier d’assoir aussi cette commission sur la quote-part du chiffre d’affaires réalisé en cours du préavis au titre de la prestation de gardiennage pour les magasins non retenus.

La Cour mène donc son analyse sous le visa de l’article L. 442-6 I 1°, sur le seul plan du caractère justifié de l’avantage « quelconque » comme visé dans l’article précité, pour décider qu’il l’est et qu’il a donc une contrepartie, la rétro-commission « ouvrant droit à la participation à la procédure d’appel d’offres ».

Ces considérations mises à part, la solution appelle aussi quelques remarques au plan de la contrepartie en elle-même.

Dans le contexte de l’affaire, il apparait que les échanges à l’occasion de l’appel d’offres ont eu lieu avec le directeur des achats et frais généraux du groupe Casino auquel appartient Monoprix.

L’avantage consenti pour l’organisation d’un appel d’offres confié par un acheteur dans le cadre de sa propre procédure d’achat, à une entité de son groupe d’appartenance, lui permet de sélectionner le fournisseur le mieux disant et d’écarter les autres.

On est ici au cœur du processus fonctionnel interne de l’acheteur mis en place pour lui et avant tout pour lui. En cette occasion, le fournisseur sélectionné vient ainsi financer une organisation aux termes de laquelle ce même fournisseur aura été choisi.

The « winner takes all » – le gagnant rafle tout et paie aussi pour ceux qui n’auront pas été pas sélectionnés, tout comme ceux qui ne le sont pas aujourd’hui et qui le seront demain paieront pour ceux qui seront alors écartés.

La charge financière d’une composante de la fonction achat se trouve ainsi, en tout ou partie, transférée par l’acheteur sur les vendeurs ou les prestataires de services pour une tâche qui relève de l’organisation qu’il a décidé de mettre en place.

D’un point de vue rationnel, l’on peut d’ailleurs se questionner sur l’intérêt d’un soumissionnaire à payer pour être mis en compétition et à devoir baisser ses prix s’il veut être choisi, quand bien même remporterait-il in fine l’appel d’offres.

La voie conduisant un partenaire économique à rémunérer l’autre du seul fait d’avoir été choisi, ou celle consistant à devoir rétribuer un partenaire en contrepartie de l’accomplissement de toute fonction inhérente à sa propre activité ou ne traduisant que le respect de ses obligations légales (rappr. Com. 18 oct. 2001, n° 10-15.296, à propos d’avantages en nature par mise à disposition de personnels intérimaires pour la réalisation de l’inventaire physique) ou contractuelles, appelle à la vigilance.

La regrettable banalité de certaines pratiques ne leur confère pas pour autant un caractère licite.

L’utilité du versement d’un avantage ne peut ipso facto découler de toute décision ou tâche accomplie dans le cadre d’une relation.

C’est ainsi que dans des relations d’achat-revente entre fournisseur-distributeur, ont été depuis longtemps stigmatisés au plan de leur utilité les avantages au titre d’actions accomplies dans l’intérêt exclusif ou quasi exclusif de celui qui reçoit l’avantage correspondant ou des personnes pour lesquelles il agit (rappr. Paris, 2 févr. 2012, Lettre distrib. 03/2012, nos obs. ; Caen. 18 mars 2008, n° 06/03554).

En règle générale et au-delà de cette affaire, attention à ne pas considérer que tout avantage supporté par un partenaire est pour ce dernier une charge profitable du fait même de l’existence de la relation.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.