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Immixtion d’une centrale de référencement dans une relation d’achat préexistante et avantage sans contrepartie ou disproportionné.

Affaire Guy Guérin c./ Transgourmet

Tribunal de Commerce de Paris, 13 avril 2022, RG n° 2021007254

 

1. Faits et procédure.

Un fournisseur, la société Guy Guérin (le Fournisseur), basée en Charente Maritime, est grossiste en fruits et légumes frais.

Transgourmet Opérations est un important distributeur (le Distributeur) dans l’univers de la « RHD », au sein du groupe de distribution éponyme, notamment de produits alimentaires pour les professionnels de la restauration commerciale ou collective ainsi que les boulangeries-pâtisseries.

Alors que le Fournisseur était en relation d’affaires depuis 2014 avec un des établissements du distributeur situé à Saint-Loubès, sans que la Centrale de référencement du Distributeur, Transgourmet Services, ne soit pour cela intervenue et que le courant d’affaires s’était développé progressivement entre le Fournisseur et cet établissement, le Fournisseur et la Centrale ont conclu pour l’année 2018 une « Convention Globale Marques Fournisseur », prévoyant le référencement du Fournisseur auprès de 30 affiliés Transgourmet.

En contrepartie de ce référencement, il était convenu une rémunération de 4%, on le suppose du chiffre d’affaires réalisé avec les affiliés.

Si le chiffre d’affaires estimé pour l’année 2018 avec Transgourmet fut dépassé, il s’est néanmoins cantonné à la relation d’affaires préexistante avec l’unique établissement Transgourmet avec lequel le fournisseur entretenait sa relation historique, avant intermédiation de la Centrale.

Une nouvelle convention, identique, est conclue pour 2019 et l’estimation de chiffre d’affaires également dépassée, mais toujours avec cet unique établissement.

En 2020, la même convention est conclue, mais aucune rémunération n’est prévue pour l’intervention de la Centrale.

Fin 2020, les approvisionnements des établissements Transgourmet devenant centralisés auprès d’une nouvelle société Transgourmet Fruits et Légumes, le Fournisseur devait invoquer le caractère fictif des prestations de référencement au titre de 2018 et 2019 et, à tout le moins, celui manifestement disproportionné de leur rémunération.

Selon le Fournisseur, l’intervention de la Centrale et le service rémunéré pour le référencement auprès des 29 affiliés en sus de son client historique, n’avait permis aucune commande.

Le Fournisseur assignait alors début 2021 Transgourmet Services et Transgourmet Opérations devant le Tribunal de Commerce de Paris, en annulation des conventions 2018 et 2019 sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° et L. 442-1 1° du Code de commerce.

Il sollicitait le remboursement des sommes dont il avait dû s’acquitter au titre du référencement (à noter qu’il assignait aussi, dans une procédure distincte, Transgourmet pour rupture brutale des relations commerciales).

Par le jugement ici rapporté, le Tribunal de commerce de Paris le déboute (Trib. Com. Paris, 13 avril 2022, RG n° 2021007254). A notre connaissance, un appel aurait été interjeté.

2. Problèmes – Solutions.

  • Sur l’existence de la contrepartie de la rémunération acquittée au titre de la prestation de référencement.

La rémunération en cause avait pour contrepartie les services énoncés dans un article de la convention annuelle à savoir : « Sélection du fournisseur et référencement de ses produits dans une mercuriale, Présentation du fournisseur, et communication des contacts commerciaux chez chacun des affiliés Transgourmet, Fourniture d’une liste des affiliés, Engagement d’étude de référencement de nouveaux produits sur demande du fournisseur ».

Aux vu des circonstances de la cause, le Tribunal considère que les contreparties apportées par Transgourmet étaient réelles.

Pour les Juges consulaires, Transgourmet avait bien adressé au Fournisseur la liste des affiliés Transgourmet, qu’il appartenait au Fournisseur de contacter pour développer son chiffre d’affaires, ce qu’il n’avait pas fait.

Selon le Tribunal, « le fait que seul le centre de Saint-Loubès (avec lequel le Fournisseur travaillait déjà avant l’intervention de la Centrale de référencement), ait passé commande au Fournisseur « ne démontre pas la fictivité des services de référencement », mais davantage « la carence de Guy Guérin dans son action commerciale ».

Le Tribunal est aussi insensible au moyen du Fournisseur, qui soutenait qu’il n’était pas en mesure de travailler avec les 29 autres affiliés de Transgourmet du fait de leur éloignement.

Enfin, pour le Tribunal, le très fort développement du chiffre d’affaires pendant la période où les conventions de référencement étaient en vigueur « démontre la réalité de la contrepartie économique ».

  • Sur le caractère manifestement disproportionné de la rémunération (4%).

Le Tribunal rappelant que « la démonstration exigée par le législateur du caractère manifestement disproportionné de la rémunération traduit le fait que seuls sont prohibés des avantages qui apparaissent avec évidence disproportionnés par rapport aux services rendus », constatait que « tel n’était pas le cas en l’espèce », considérant le quasi triplement du chiffre d’affaires en 2018 et l’accroissement supplémentaire de 43% en 2019.

De plus, aux yeux du Tribunal, le fait que les services de référencement n’aient pas donné lieu à facturation en 2020, ne démontrait pas que la facturation ait été manifestement excessive en 2018 et en 2019, mais simplement que les parties avaient choisi d’organiser différemment leurs relations par rapport aux années précédentes.

 

3. Observations.

La pratique en cause est celle dont un fournisseur s’est dit victime, pour avoir été tenu de rémunérer une Centrale de référencement venue s’immiscer dans la relation préexistante entre ce fournisseur et l’un des affiliés de ladite Centrale, pour mettre en œuvre une prestation de référencement qui n’existait pas jusqu’alors.

Mis à part, et encore peut-être, le dernier volet de la description de la prestation concernée, les composantes du service n’allaient pas au-delà d’une tâche basique de référencement.

Il ne sera pas ici question de rebattre des sempiternelles questions sur la rétribution d’une tâche (ou d’une fonction) de référencement en tant que telle, à partir d’une situation ex nihilo, ou de s’épandre sur la nature juridique de l’opération de référencement.

Sur ce dernier sujet, un point de littérature, bien fournie sur la question et à laquelle nous renvoyons, pourra toutefois s’avérer utile pour un traitement plus approfondi du sujet.

Car dans l’affaire rapportée, disons-le immédiatement, le Tribunal ne semble pas non plus s’être engagé dans cette voie, préférant simplement débouter le demandeur à raison du caractère insuffisant de sa démonstration des conditions d’application de l’article L. 442-1 1° du Code de commerce.

A ce propos, les exigences probatoires à l’œuvre en l’espèce semblent d’ailleurs diverger du standard probatoire habituellement relevé (Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, Lettre distrib. juil./août 2020 et notamment RLC N° 97, Septembre 2020, nos obs.).

En revanche, cette instance donne l’occasion de se pencher sur une problématique incidente.

Entendre par cela l’obligation contractée par un fournisseur, dans la continuité d’une relation commerciale préexistante entre lui et son client, d’avoir à rétribuer pour le futur l’intervention d’une Centrale de référencement, au prorata d’un chiffre d’affaires réalisé par ledit fournisseur notamment auprès d’un client qu’il facturait déjà par le passé.

Le sujet est d’autant plus propice à intrigue que ce chiffre d’affaires constitue le seul et unique que réalisera par le Fournisseur avec les affiliés de la Centrale.

Certes, le référencement se rejoue souvent d’une année sur l’autre entre fournisseurs et organismes référenceurs et il n’existe pas ad vitam aeternam un droit à être sélectionné.

Toutefois, si l’intervention de la Centrale a permis au fournisseur d’être référencé auprès de nouveaux affiliés et qu’il faille estimer licite le versement d’une rémunération à ce titre, en raison du caractère réel du service convenu, à le supposer exécuté, le débat peut encore et plus avant se focaliser sur les modalités de la rétribution et de son éventuelle disproportion manifeste soit au plan du taux, soit de son assiette.

Et ce d’autant plus que cette assiette n’est, de facto, constituée que du seul chiffre d’affaires réalisé auprès du client avec lequel le Fournisseur travaillait bien avant que n’intervienne la Centrale pour le sélectionner. Ne l’avait-il pas été, de fait, avec son client historique.

En présence de pareilles circonstances, l’office du Juge ne doit-il pas se déployer selon une dynamique à double, voir triple détente en quelque sorte, ce à quoi les plaideurs peuvent l’inviter, pour une appréciation plus aboutie de la disproportion manifeste et, finalement, plus pertinente ?

Les juridictions – spécialisées – traitant de ces sujets, sont en effet à même d’aborder ces questions selon une démarche elle aussi plus spécialisée que celle de juridictions qui ne le sont pas devenues et, ce faisant, non dotées du pouvoir juridictionnel pour statuer dans ce type de contentieux.

Au cas d’espèce le Fournisseur, bien que référencé auprès de 30 affiliés, dont celui avec lequel il commerçait déjà, n’avait finalement bénéficié d’aucun courant d’affaires avec les 29 affiliés, que nous qualifierons de « nouveaux », du périmètre du référencement.

Dans ce contexte et même si, pour des raisons propres à l’espèce, le courant d’affaires avec le client originel s’est fortement accru, il était pour le Fournisseur loin d’être inconvenant de se questionner sur la régularité de l’assiette de l’avantage consenti.

Si chaque dossier à ses circonstances propres, signalons toutefois, en relation avec cette même problématique, un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui, comme les premiers juges d’alors, avaient statué en sens inverse (Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, précité). Voilà une illustration de ce que les débats en la matière sont loin d’être définitivement épuisés.

Plus largement, la question ici abordée se rencontre fréquemment, notamment lorsqu’une Centrale de référencement ou de services s’immisce (ou entend s’immiscer) contre rétribution, dans la relation entre un fournisseur et ses clients existants, tant au plan interne qu’international.

Au niveau international, c’est le cas par exemple lors de demandes de rémunérations au titre de la réalisation de certaines prestations de services sur un périmètre supra national, européen par exemple, alors que pratiquement l’intégralité du chiffre d’affaires réalisé par le fournisseur dans les différents pays du périmètre concerné se trouve réalisé – et va parfois continuer à l’être – dans un seul d’entre ces pays, la France par exemple (à rappr. de l’obligation de transparence figurant à l’article L. 441-3 I 4° du Code de commerce suit à la loi ASAP).

Nous nous en tiendrons là, au plan de nos observations à la faveur de cette affaire qui, de par le sujet dont elle traite, appellerait bien d’autres remarques.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de  Juin 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.