Dans un arrêt du 4 mars dernier, la Cour de cassation est venue préciser et rappeler une série de points intéressant le régime des visites domiciliaires (Cass. Crim. 4 mars 2020, n° 18-84.071).
Bien que rendues dans le cadre de visites et saisies pour la recherche de preuves en matière de tromperie, les solutions sont, de notre point de vue, transposables à d’autres types d’enquêtes, de concurrence notamment.
Elles confortent les services d’enquête dans le choix des conditions matérielles de leurs investigations.
La pratique des scellés fermés provisoires y est jugée valable.
L’est aussi l’exigence de l’emploi d’un tableau numérique (informatique) a contenu imposé par les enquêteurs, à précisément renseigner dans l’objectif de l’expurgation des documents devant être écartés des pièces saisies pour cause notamment de secret des correspondances avocat-client.
Sans grande surprise, la saisie non sélective des fichiers est validée.
Enfin, le Juge de la Liberté et de la Détention est en droit d’opposer un refus de se déplacer en cas de difficulté lors du déroulement des opérations de visites et saisies, s’il estime que serait vain, au vu des circonstances, un tel déplacement, en vue de régler la difficulté.
Afin de mieux cerner le sujet, quels sont les faits ayant conduits à ces solutions. Quels étaient les problèmes rencontrés ? Comment ces derniers ont-ils été traités ?
1. Faits et procédure.
Fin 2015, en application de l’article L. 215-18 du Code de la consommation, dans sa version applicable à l’époque des faits (article abrogé à l’occasion d’une ordonnance du 14 mars 2016), le JLD de Nanterre, saisi sur requête du chef du service national des enquêtes de la DGCCRF, autorise des opérations de visite et saisie au siège social de la société Renault, ainsi que dans certains de ses établissements de la région parisienne.
Le JLD délivre à cette occasion une commission rogatoire aux JLD de Versailles et d’Evry pour désigner les chefs de service territorialement compétents pour nommer les OPJ devant assister aux opérations et les contrôler le cas échéant. Les visites se déroulent sur deux jours, début janvier 2016.
Des messageries sont saisies de manière globale et des messages protégés par la confidentialité des correspondance avocats/client se trouvent inclus dans les fichiers saisis.
En présence de cette difficulté, les enquêteurs procèdent alors à une mise sous scellé fermé provisoire, des fichiers de données informatiques retenus en vue d’être saisis par les enquêteurs.
Cette pratique, avant que l’inventaire et la saisie ne soient définitifs, vise à permettre la suppression des documents protégés, identifiés au préalable par les requérants.
A cette fin, les enquêteurs remettent à Renault un « tableau numérique », dont les rubriques doivent être renseignées à bref délai ce à quoi Renault, selon les enquêteurs, ne procède pas correctement et dans le respect des exigences qu’ils avaient formulées en termes renseignement des « champs » à compléter, Renault préférant identifier les documents litigieux à expurger des saisies, grâce à la fonction de recherche du logiciel de messagerie Outlook (Microsoft). Renault liste ainsi 25.000 résultats, et donc autant d’expurgations potentielles.
Les visites et saisies s’effectuant sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées, Renault sollicite aussi l’intervention du JLD afin qu’il se rende sur les lieux visités et suspende les visites en cours.
Le JLD estimant impossible l’exercice d’un contrôle concret des revendications en cause vu leur nombre, considère inutile toute visite sur les lieux avant la clôture des opérations et refuse de se déplacer.
Les visites poursuivies et terminées, Renault interjette appel des ordonnances ainsi que du déroulement des opérations de visites et de saisies devant le premier président de la Cour de Versailles, en vue de l’annulation des saisies et la restitution des documents y afférent.
Son recours est rejeté par ordonnance du 25 janvier 2018. Renault forme alors un pourvoi dont les moyens, au plan du déroulement des visites, étaient notamment fondés sur la violation des articles L.215-18 ancien du Code de la consommation (relatif aux enquêtes sur autorisation judiciaire en matière de conformité et sécurité des produits et services), 6, 8 et 13 de la CEDH (visant les principes du procès équitable, du droit au respect de la vie privée et du droit à un recours effectif), 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (visant le secret des correspondances avocat-client), 56 du CPP (visant notamment la mise sous scellés fermés provisoires des objets et documents saisis en cas de difficultés, dans l’attente de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs), et L. 450-4 du Code de commerce (relatif aux pouvoirs d’enquête lourde en matière de liberté des prix et de la concurrence).
Le pourvoi est rejeté.
2. Problèmes.
L’affaire faisait poindre quatre problématiques :
– D’abord, la pratique, comme en l’espèce, des scellés fermés provisoires avant saisie définitive, en vue d’un examen contradictoire ultérieur, aux fins notamment de protéger le secret des correspondances avocat-client, est-elle attentatoire aux droits fondamentaux des personnes visitées ?
– Ensuite, en cas de remise par les enquêteurs à la personne visitée, dès le jour de la saisie, d’un tableau sous format numérique, dont les rubriques sont à renseigner précisément afin d’identifier les fichiers à expurger des saisies provisoires, son défaut de renseignement ou son renseignement partiel, fait-il encourir le rejet de la demande d’annulation et de restitution des documents saisis, faute d’avoir mis les enquêteurs en mesure d’identifier précisément dans les scellés les documents dont la saisie est contestée, quand bien même comme en l’espèce, eut-il s’agit de correspondances couvertes par le secret professionnel avocat-client et que ces dernières eussent été identifiables par d’autres moyens que celui exigé par les enquêteurs, tel un outil de recherche dans une messagerie ?
– Par ailleurs, la pratiques de saisies non sélectives – ou globales – de fichiers de messageries susceptibles de contenir des éléments intéressant l’enquête, est-elle en soi constitutive d’une atteinte aux garanties fondamentales de la partie visitée appelées à jouer durant l’enquête, notamment au regard du principe de proportionnalité des mesures ?
– Enfin, un JLD pouvait-il, comme en l’espèce, refuser de se déplacer sur les lieux de la saisie aux fins de mener un contrôle effectif de ce que les pièces saisies étaient réellement couvertes par la confidentialité des correspondances avocat-client, au motif qu’il lui était impossible en l’état et compte tenu des circonstances (25.000 pièces concernées par une revendication), de mener un tel contrôle ?
3. Solutions et analyse.
Comme indiqué en propos introductifs, les solutions rendues confortent les services d’enquête dans le choix des conditions matérielles de leurs investigations.
Au vu de la portée pratique des sujets abordés par l’arrêt, notre parti pris est celui de rapporter l’analyse opérée par le juge d’appel et la Cour de cassation, au travers de leur motivation, reléguant ici notre point de vue à un plan secondaire.
Aussi et pour approfondir certains des sujets abordés par l’arrêt, tel celui des saisies par scellés fermés provisoires, nous renvoyons à la doctrine autorisée dont, entre autres, une contribution qui, bien que non récente, n’en reste pas moins d’une lecture à conseiller à raison de son caractère à la fois pratique et documenté (A. Marie, les enquêtes réalisées par les agents de la DGCCRF en matière de pratiques anticoncurrentielles : point d’actualité après la réforme de l’ordonnance du 13 novembre 2008, RJDA 10/2014, p. 707 et s ; RJDA 11/2014, p. 779 et s. voir principalement cette deuxième partie ; à rappr. T. Fossier, Déroulement des visites domiciliaires : la balle dans le camp des entreprises…, RLDC, N°42, p. 3 et s., Janv-Mars 2015 ; ou plus récemment, B. Ruy, Le point sur les visites domiciliaires : la fin d’un espoir ? RLDC, N° 63, p. 15 et s., 1er juillet 2017. Pour une espèce récente avec scellés fermés provisoires : cf. Paris, Ord. 11 décembre 2019, RG n°17/20112).
– Sur la pratique des scellés fermés provisoires précédant la saisie définitive :
Après avoir relevé que la procédure du scellé provisoire ne porte aucune atteinte aux droits fondamentaux, et notamment aux droits de la défense, il est jugé que la requérante n’établit pas de grief à l’appui de sa demande de nullité.
La confection de scellés provisoires, suivie d’un délai accordé à l’occupant des lieux pour lui permettre de signaler aux enquêteurs les documents protégés par la confidentialité des correspondances avocat-client devant échapper à la saisie, puis d’un examen contradictoire en présence de représentants de l’entreprise visitée et de ses conseils, avant qu’il ne soit procédé aux scellés définitifs, avait réservé les droits de l’entreprise visitée et ne lui avait causé aucun grief.
A la faveur de cet arrêt, cette technique s’ancre donc davantage dans les pratiques en matière d’investigation.
– Sur l’utilisation par l’entreprise de la fonction de recherche prévue dans un logiciel de messagerie électronique (en l’espèce Microsoft Outlook) à partir des noms des cabinets d’avocats conseils de l’entreprise à fin d’identifier – à suffisance ou pas – les éléments protégés au titre de la confidentialité des correspondances avocat-client :
Cette fonction qui, à partir de mots clef ou d’acronymes a généré un très grand nombre de résultats, ne satisfait à la preuve qui incombe à la personne visitée, puisqu’il ne suffit pas qu’un courrieI émane d’un avocat ou lui soit adressé pour être couvert par la confidentialité et fonde à suffisance ses revendications faites à partir de cette recherche, de voir certains fichiers expurgés de la saisie.
Il appartient en effet à l’entreprise visitée de préciser quels courriers étaient protégés et d’en justifier.
La Cour de cassation approuve ainsi la décision du premier président ayant conclu que l’entreprise visitée n’avait pas rapporté la preuve, qui lui incombait, de ce qu’il avait été opéré une saisie de documents de nature à porter atteinte au principe de la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client.
Certes, l’entreprise visitée ne contestait pas avoir pu identifier (ce que nous comprenons comme ayant été en mesure d’identifier) les éléments qu’elle estimait protégés par la confidentialité avocat-client, mais n’avait pas mis les enquêteurs en mesure d’en expurger les scellés provisoires, faute d’avoir fourni certaines informations qui lui étaient demandées (à savoir le nom du fichier d’inventaire, le nom du fichier, le chemin d’accès dans l’inventaire et le chemin d’accès dans la messagerie).
Il nous apparaît ainsi que la marge de manœuvre des entreprises visitées soit des plus réduite, à la fois pour rapporter la preuve de la confidentialité revendiquée, qu’en ce qui concerne les modalités de l’administration d’une telle preuve, lorsqu’une forme précise est imposée par les enquêteurs.
La collecte informatique largement paramétrée dans le cadre d’une saisie globale (voir ci-dessous), place l’entreprise l’ayant subi dans une situation parfois irréaliste au plan des vérifications ciblées des éléments non saisissables, alors que celle-ci ne peut faire un usage convaincant, aux yeux des contrôleurs, des outils alternatifs de vérification qui sont les siens.
Outre la question de la proportionnalité des saisies, l’on est en droit de se questionner sur l’égalité des armes lorsque la partie saisissante fixe seule l’ampleur des saisies et les uniques modalités formelles des éventuelles revendications.
En l’occurrence et en suite d’une saisie globale, la pratique de la saisie moyennant un scellé fermé provisoire, en ce qu’elle facilite au moins dans l’esprit, l’expurgation de certains fichiers, ne conduit-elle pas dans les circonstances de l’espèce à un affaiblissement dans l’exercice des droits fondamentaux de la partie saisie ?
– Sur la saisie par copie intégrale des fichiers de messagerie :
La Cour de cassation approuve le premier président d’avoir considéré que l’individualisation sur place aux cours des opérations, des seuls messages pertinents en les analysant un a un, bien que techniquement possible, s’avérait difficilement envisageable au risque de paralyser le fonctionnement de l’entreprise et de réduire l’efficacité de l’enquête.
L’ordonnance énonce en effet qu’un fichier de messagerie doit être regardé comme étant un fichier informatique indivisible, qui peut être saisi dans son entier s’il est susceptible de contenir des éléments intéressant l’enquête.
Il est donc nécessaire d’en préserver l’intégrité et l’authenticité des éléments de preuve, ce que garantit davantage la saisie globale des messageries dans lesquelles a été constatée la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation, évitant ainsi de créer sur l’ordinateur des éléments qui n’existaient pas ou d’altérer des métadonnées des fichiers.
Ainsi, la copie intégrale des fichiers de messageries, sans individualisation de chaque message, leur saisie dans leur globalité dès lors qu’ils contiennent des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements présumés, ne méconnaissent pas les exigences de l’article 8 de la CEDH, ces mesures étant prévues par la loi qui permet aux enquêteurs de saisir tous documents ou supports d’information en rapport avec les agissements prohibés visés par l’autorisation et où elles demeurent proportionnées.
Soulignons toutefois que, selon l’ordonnance du premier président de la Cour de Versailles, la messagerie électronique doit être dite « insécable » dès lors que les documents de messagerie litigieux, issus d’un logiciel de messagerie électronique, sont stockés dans un fichier unique pour l’ensemble des services fournis à l’utilisateur et que la sélection message par message aurait pour effet de modifier les références électroniques des fichiers déplacés et d’en affecter l’authenticité. Quand la technologie fait le droit… Mais – et c’est peut-être lueur d’espoir – ce qu’une technologie peut conduire le droit à dire, une autre le cas échéant, pourrait l’amener à le dédire.
La Cour de cassation approuve finalement les motifs de l’ordonnance du premier président qui, aux termes de son appréciation souveraine, apprécie que les données saisies n’étaient ni divisibles, ni étrangères au but de l’autorisation accordée.
– Pour ce qui est enfin du refus du JLD se déplacer dans le cadre du déroulement des visites :
Au vu des circonstances de l’espèce, la Cour de cassation estime qu’un tel refus est légitime, au vu de l’inutilité d’une telle démarche (à rappr. Cass. crim. 9 mars 2016, n°14-84566 : Lettre distrib. avril 2016, nos obs.).
Voilà donc un arrêt fort instructif à divers titres pour les entreprises un jour ou l’autre confrontées à une visite domiciliaire, et qui souhaitent d’ores et déjà s’y préparer.
Jean-Michel Vertut – Avocat.
Nota : cet article, sous quelques variantes, est intégré à la Revue Lamy Droit de la Concurrence N° 96, Juillet Août 2020 et Actualités du droit du 3 juin 2020.
Sur mes autres contributions à la Revue Lamy de la Concurrence, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Autres publications.