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Négociations 2020, désaccord sur les conditions tarifaires et rupture brutale de relations commerciales établies : Coca-Cola et Intermarché « condamnés » à s’entendre.

L’affaire, emblématique des tensions entre fournisseurs et distributeurs à l’occasion des négociations annuelles, avait été révélée au mois de janvier dernier notamment par la presse spécialisée (LSA n° 2586, 16 janvier 2020, n° 2586, p. 14).

Suite à un désaccord lors des négociations de fin d’année quant aux conditions tarifaires et de distribution applicables pour 2020 avec la centrale SAS ITM Alimentaire International (ITM), la SAS Coca Cola European Partner France (Coca) a notifié à ITM l’arrêt de ses livraisons à compter du 2 janvier 2020.

Ce désaccord intervient après qu’en août 2019, ITM ait elle-même notifié à Coca un déréférencement (que l’on suppose effectif en 2020) d’une partie de ses produits, qui allait se traduire en une baisse du chiffre d’affaires de 39% avec ITM selon Coca ou de 20% selon ITM.

Vu l’importance de la valeur des ventes concernées entre les deux opérateurs, soit 165 millions pour 2019, il était question pour Coca, de subir une régression de chiffre d’affaires de l’ordre de 33 millions (si diminution de 20%).

Les parties ont par la suite mais sans succès, tenté de trouver un terrain d’entente pour 2020, Coca proposant un accord « transitoire » fondé sur une baisse « des volumes » de 6% (donc semble-t-il inférieur à la baisse de chiffre d’affaires prévue, même s’il ne s’agit que d’une supposition de notre part, car il est fait état dans l’ordonnance d’abord de chiffre d’affaires puis de volumes), moyennant une hausse tarifaire de 2,7% sur janvier et février 2020, le temps de trouver un accord pour le nouvel exercice. ITM lui opposait une demande de « déflation » de 2,4%.

Le bras de fer dans la négociation persistant, Coca a notifié le 24 décembre 2019 à ITM, l’arrêt total de ses livraisons au 2 janvier 2020, soit un préavis de 9 jours.

Invoquant la rupture brutale et totale d’une relation commerciale établie, constitutive d’un trouble manifestement illicite et source d’un dommage imminent, ITM l’assignait aussitôt à titre conservatoire, en référé d’heure à heure pour l’audience du 14 janvier à se tenir devant le Président du Tribunal de Commerce de Paris, afin qu’il soit enjoint à Coca de reprendre ses livraisons « jusqu’au plus proche des évènements suivants » à savoir, soit « la conclusion d’une convention annuelle entre les parties pour l’année 2020 » (hypothèse d’un accord entre les parties), soit « l’écoulement d’un préavis de 24 mois expirant le 31 décembre 2021 » (en cas de désaccord entre les parties à l’issue de la période des négociations pour 2020)

ITM sollicitait aussi une astreinte de 493.000 euros par jour de retard dans les livraisons.

Au vu des circonstances (ancienneté des relations commerciales remontant à 1989, part de marché de Coca sur le marché des colas à hauteur de 75% à 90%, chiffre d’affaires en cause de 165 millions pour 2019 entre Coca et ITM), Coca est condamnée à reprendre ses livraisons sous une astreinte de 460.000 euros par jour de retard suivant la signification de l’ordonnance – soit un quantum correspondant au chiffre d’affaires journalier réalisé ITM avec Coca en 2019.

Pour le Tribunal, « le refus de vente et la livraison à partir de janvier 2020 annoncé avec 9 jours (dont 5 ouvrés) de préavis entraînant une rupture de stock dans le réseau de la SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL et le risque de perte de clientèle relève d’une rupture abusive et d’un abus de position dominante par Coca Cola ». In fine, les mesures ordonnées par le Tribunal ne sont pas celles demandées.

La lecture du dispositif de l’ordonnance n’indique pas expressément à quelles conditions doivent s’effectuer les livraisons, même si ses motifs précisent qu’il s’agit des conditions contractuelles de 2019.

Coca en est quitte pour deux mois de livraisons à des conditions qui ne sont pas celles proposées à titre transitoire à ITM, bien que sur une période courte, à savoir celle durant laquelle se déroulent les négociations commerciales annuelles, en principe jusqu’au 1er mars.

Rien de très original dans cette mesure car, en général et faute de s’être accordés sur des conditions transitoires au 31 décembre, c’est ainsi qu’opèrent fournisseurs et distributeurs sur les deux premiers mois de l’année, ces deux mois (60 jours) ayant visiblement inspiré le Tribunal pour la période de reprise de livraison et du cours de l’astreinte.

Au cas présent, la période de négociation va donc, de fait et par ordre du Juge, exceptionnellement s’étaler jusqu’à mi-mars.

Difficile, à première vue de dire qui sort gagnant de cette première manche, le juge n’ayant pas souhaité mettre sur la tête de Coca l’épée de Damoclès de la mesure initialement sollicitée (Affaire Coca-Cola/Intermarché : la justice prône l’apaisement, LSA, 16 janvier 2020, Y. Puget) et qui aurait amené la marque d’Atlanta, soit à devoir conclure une convention annuelle, le cas échéant à des conditions ne lui convenant pas, soit à devoir respecter un préavis de rupture de 24 mois, si tant est que cette période ne soit pas théorique au vu des intérêts commerciaux en jeu à raison notamment de la nature des produits concernés ou de la part de marché des acteurs sur leurs marchés respectifs.

Le pire est toutefois évité pour le fournisseur au vu des demandes formulées par son client.

Pour l’heure, les protagonistes de cette négociation douloureuse ont maintenant, sous l’effet de cette décision, deux mois pour s’entendre.

Reste à savoir qu’elle sera l’issue de leurs discussions et s’ils entendent nous priver, bien que l’on ne doute pas qu’il s’agisse là de leur objectif premier, de la perspective d’intéressants débats en matière, par exemple, d’imputabilité de la rupture ou de durée du préavis.

Sur ce dernier point, l’on note que le préavis sollicité par ITM était de 24 mois, ce qui nous renvoie à la problématique de l’application des nouvelles dispositions issues de l’ordonnance du 24 avril dernier en matière de rupture brutale de relations commerciales établies faisant notamment état d’une période de préavis de 18 mois (nouvel art. L. 442-1) et sur les questions que génèrent ce « nouveau » préavis. Mais il s’agit là d’un autre sujet (à rappr. « Réforme de la rupture brutale… quelle réforme ? », Lettre dist. Mai 2019, obs. C.M-G).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois de février 2020. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.