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Amendes pour pratiques anticoncurrentielles : proportionnalité de la sanction et dommage à l’économie.

Distillerie Dillon et autres – Recours contre la décision de l’Autorité de la Concurrence n° 20-D-16

Cour d’appel de Paris, 9 juin 2022, RG n° 20-16288

 

1. Faits.

L’affaire traite de la pratique des accords exclusifs d’importation dans les territoires ultra marins, prohibés par l’article L. 420-2-1 C. com. issu de la Loi « Lurel » du 20 novembre 2012.

La Cour d’appel statuait sur recours du grossiste-importateur sur la Martinique d’un Champagne à la marque bien connue, contre une décision de l’ADLC ayant sanctionné la pratique précitée (déc. n° 20-D-16 du 29 octobre 2020).

En synthèse la Cour, dans un arrêt du 9 juin 2022 (RG n° 20-16288) confirme la décision de l’Autorité, notamment au plan de l’appréciation de la gravité des pratiques, mais la réforme en ce qui concerne celle de l’importance du dommage à l’économie.

L’amende de 421.000 euros infligée au distributeur est ramenée à 300.000 euros.

Au-delà des circonstances spécifiques de cette affaire concernant l’application d’une règlementation spécifique à l’outre-mer, l’arrêt rapporté invite à formuler quelques observations.

 

2. Problème(s).

Il s’agit d’abord au principal, de la prise en compte de l’importance toute relative du dommage à l’économie, deuxième critère légal dans la liste de ceux énoncés dans l’article L. 464-2 I C. com. dans sa version alors applicable, et de la traduction de la nuance sur le montant de l’amende.

C’est ensuite celui, incident et non traité dans l’arrêt, de la portée de cette solution, alors que le nouvel article L. 464-2 I ne vise plus expressément le critère précité, notamment aux côtés de celui de la gravité, pour l’appréciation de la proportionnalité de la sanction pécuniaire. Est-ce à dire que cette approche de la sanction sous l’angle de l’importance du dommage à l’économie, n’aurait qu’un intérêt historique ?

 

3. Solution.

Sur la nuance apportée par la Cour quant à l’importance du dommage à l’économie et après l’énoncé de la solution générale (pts 201 et 202), il est jugé que :

« 203. Reste que si la concurrence est atténuée en général à la Martinique, il apparaît en l’espèce qu’il existe une forte concurrence inter-marques dans le cas des champagnes, ainsi qu’une importante pratique de promotions, le champagne étant dans ce cas un produit d’appel, ce que l’Autorité reconnaît (décision attaquée, § 161 à 164).

204. Il en résulte que dans le cas des champagnes, il n’est pas possible de conclure à l’absence de pression concurrentielle, nonobstant l’absence de concurrence intra-marque à la Martinique.

205. Il convient de conclure que le dommage à l’économie, certain dans son principe, demeure très limité, et non seulement limité comme l’a retenu l’Autorité, ce qui justifie de réformer la sanction infligée afin d’en préserver la proportionnalité ».

Comme évoqué ci-dessus, cette solution invite à s’interroger sur la prise en compte de l’importance du dommage à l’économie – on le voit ici de première importance pour l’ajustement de la sanction – dans les affaires en cours et à venir, notamment sur le fondement du nouvel article L. 464-2 I.

 

8. Observations.

Le caractère, « très limité » plutôt que « limité » du dommage à l’économie affecte le niveau de la sanction.

Cela s’impose puisque l’article L. 464-2 I d’alors évoque la proportionnalité de la sanction, que la Cour a voulu « préserver ».

Les conséquences en sont tirées par la Cour d’appel au niveau du montant de l’amende.

Nous n’en dirons pas davantage, sauf à signaler les déterminants de l’espèce, tels ceux de la nature de « produit d’appel » du Champagne et de la « forte concurrence inter-marques », qui ont amené la Cour à une approche plus modérée de la sanction.

Reste le problème de deuxième rang mais essentiel en pratique : la prise en compte de l’importance du dommage de l’économie reste-t-elle pertinente, en dépit de la lettre du nouvel article L. 464-2 I qui n’en fait plus état, tel que modifié à l’occasion de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 (relative à la transposition de la directive « ECN+ » (UE) 2019/1) ?

Ce décrochage – à tout le moins formel au plan du texte − entre proportionnalité de la sanction et importance du dommage à l’économie n’était pas passé inaperçu aux yeux des observateurs (cf. Obs. du Medef sur la consultation publique de la DGGCRF, février 2021, page 5 ; Obs. de l’APDC du 5 février 2021 sur la Consultation publique sur la transposition de la Directive UE n° 2019/1 – ECN+, pts 24 à 26), qui ont pu se questionner dans la perspective de la suppression formelle du critère.

Le contenu du Rapport au Président de la République sur l’ordonnance précitée est ensuite opportunément venu indiquer que « S’agissant des critères de détermination de la sanction : (…) Le critère de l’importance du dommage à l’économie présent dans le droit positif n’est ni exigé, ni interdit par la directive ; afin de lever toute ambigüité à l’égard de la notion de réparation d’un dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle, l’ordonnance procède à sa suppression ; », expliquant ainsi les raisons de l’évolution du texte de l’article L. 464-2 I qui n’ont donc pas été de proscrire la prise en compte de l’importance du dommage à l’économie (cf. pt 4° du Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-649).

La disparition de l’énoncé du critère en soi n’emporte donc pas son bannissement.

D’où l’appréciable précision de Madame de Silva, alors Présidente de l’Autorité, pour qui la référence au dommage à l’économie « a vocation à être intégrée, comme c’est le cas au niveau européen, dans celle de gravité » (Une réforme en deux volets pour rationaliser et renforcer l’application du droit de la concurrence en France, Rev. Concurrences, 1-2021, point 76).

La notion, approchée par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire ici rapportée, doit donc encore relever de la grille d’appréciation de la proportionnalité de la sanction et non – bien évidemment en cette matière – se voir reléguée dans un manuel d’histoire du « sentencing » en droit de la concurrence.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution des mois de  Juillet-Août 2022 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.