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Pratiques abusives et contentieux des restitutions : rappels et enrichissements de la grille de lecture.

Affaire MPH Distribution c./ SAS Achats Marchandises Casino et autres

Cour d’appel de Paris, 10 mai 2023, n° 21-04967

 

Application étendue de la prohibition des avantages tarifaires abusifs, charge de la preuve, indice de la soumission tiré de l’absence de contreparties, domaine des prohibitions, pouvoirs économiques des parties et dépendance économique, effets de seuils…

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 mai dernier en matière de contentieux des restitutions, apporte d’intéressantes indications qui, au-delà des rappels, participent de l’enrichissement des critères d’appréciations des avantages abusifs à l’occasion de la négociation ou de la renégociation commerciale.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en relatons ci-dessous certains des points marquants.

 

1. Faits

La SARL MPH Distribution, ayant pour activité la vente en gros de produits agricoles aux enseignes de la Grande distribution a, via son liquidateur judiciaire, assigné en décembre 2018 devant le Tribunal de commerce de Paris, aux fins de restitutions de sommes qu’elle estimait indument perçues (répétition de l’indu), différentes sociétés du groupe Casino (SAS Achats Marchandises Casino ou « AMC », centrale de référencement du groupe Casino, SAS Monoprix, SAS Distribution Casino France, SNC Sedifrais, SNC Distribution Leader Price).

Etaient notamment en cause le bienfondé de sommes correspondant à des avoirs émis par le fournisseur entre 2013 et 2017, des baisses tarifaires, des paiements au titre de communication de données statistiques et des pénalités infligées au fournisseur.

Seules les prétentions du fournisseur en lien avec la communication des données statistiques ayant été accueillies par les premiers juges (Tribunal de Commerce de Paris, 25 novembre 2020, n°2019005181), le fournisseur a interjeté appel. La Cour d’appel confirme le jugement (Paris, 10 mai 2023, n° 21-04967)

 

2. Problèmes

Le fournisseur invoquait à l’appui de ses demandes divers fondements de l’ancien article L. 442-6 I du Code de commerce, en ses points 1° (avantages sans contrepartie ou moyennant une contrepartie manifestement disproportionnée), 2° (déséquilibre significatif) et plus accessoirement ses points 3° (avantage sans engagement écrit de commandes), 4° (conditions manifestement abusives sous la menace de rupture brutale de relation commerciale établie), 8° (déduction d’office de pénalités pour non-respect d’une date de livraison ou non-conformité des marchandises) et 12° (passation, règlement ou facturation d’une commande à un prix différent du prix convenu).

 

3. Solutions et observations

L’arrêt se distingue immédiatement par son caractère aussi ciselé dans sa structure qu’il apparaît pédagogique au fond.

Certes et à ce jour, bon nombre de pratiques examinées ne sont plus nommément proscrites dans l’actuel article L. 441-2, issu du « recentrage » des pratiques interdites à l’occasion de l’ordonnance d’avril 2019.

Elles pourraient encore mobiliser ce nouvel article L. 442-1, en ses points 1° et 2°, dans la mesure où leurs conditions d’application seront réunies et, le cas échéant pour ce qui est des pénalités de nature logistique, son point 3° introduit à l’occasion de la Loi ASAP de décembre 2020 et par la suite modifié à l’occasion des évolutions législatives ultérieures.

On peut aussi songer au moyen des pratiques discriminatoires visées au point 4° pour certains produits relevant de la convention de l’article L. 441-4 du Code de commerce (ou régime « PGC »), dont l’ensemble s’est encore récemment étoffé à l’occasion de la dernière loi « Loi Egalim 3 ».

Ce serait sur ce dernier sujet une occasion pour les justiciables et leurs Conseils, internes ou externes, de se réapproprier un outil longtemps utilisé, tant en matière de construction tarifaire que de contentieux, jusqu’à son abrogation à l’occasion de la LME ayant proclamé le principe de négociabilité, qu’à l’origine, certains acteurs ont pu croire, à tort, comme sans limite.

En lien avec l’espèce rapportée, réservons néanmoins un tel fondement.

Il ressort en effet de l’arrêt que la fourniture des produits en cause portait sur des « œufs et du lait sous marque de distributeur et de premier prix ».

Autant de situations qui conduiraient selon nous à une non application du point 4° ci-dessus, du fait de la taxinomie des régimes contractuels existant eu égard à la nature des produits (ex. les œufs, sauf erreur, relèvent de l’article L. 443-2 C. Com) et/ou celle des contrats en cause (ex. les contrats MDD qui relèvent de l’article L. 441-7 C. com).

En ce qui concerne l’examen casuistique des prétentions sur le fondement de diverses dispositions de l’ancien article L. 442-6 I, et principalement ses points 1° et 2° mais pas seulement, nous encourageons à la lecture de l’arrêt, pour mieux nous focaliser d’ailleurs de manière non exhaustive, sur les principaux apports de la décision qui, sans surprise, traitent en sujets essentiels ceux des avantages sans contrepartie ou disproportionnés (1) et du déséquilibre significatif (2).

 

1.1. Sur l’avantage sans contrepartie ou disproportionné.

 – Un ralliement motivé pour une analyse enrichie.

Après un court intermède refusant de considérer l’ancien article L. 442-6 I 1° inapplicable aux réductions de prix, cette affaire donne l’occasion à la Cour d’appel de Paris de se rallier ouvertement à la solution récemment donnée par la Cour régulatrice sur le champ d’application du texte (Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163, Lettre dist. 02/2023 et RLC, n° 125, Mars 2023, nos obs).

Mais s’il s’agit du premier arrêt de la Cour d’appel de Paris postérieur à la solution donnée par la Cour de cassation en janvier dernier – du moins à notre connaissance – rappelons que ladite Cour était déjà encline à adopter pareille solution, comme cela ressort de l’un de ses arrêts intervenu quelques semaines avant l’arrêt de la Cour de cassation (Paris, 7 déc. 2022, Pôle 5, Ch. 4, n° 20/11472, Lettre dist. 02/2023 préc.).

Tenant donc la solution générale de la Haute Cour, la Cour d’appel nous enseigne, sans qu’il en soit à redire au plan du mécanisme de la lésion ou de l’adéquation du prix à un service, que « les « avoirs » ne sauraient être exclus a priori du champ d’application du texte ».

Et de préciser alors les critères de l’avoir licite, en précisant que ne se trouve pas interdite « l’émission d’avoirs ou l’octroi de réductions tarifaires décorrélés de tout service commercial dès lors qu’ils ont une cause identifiable qui en justifie l’existence et, dans cette hypothèse, le montant (retour de marchandises défectueuses, régularisation d’une facturation erronée ou toute autre cause d’un avoir au sens classique du terme) ».

Nous approuvons. L’avoir n’est après tout qu’un support, simple porteur de l’avantage discuté dont seul importera la raison à l’heure de l’appréciation du bienfondé de son fait générateur (à rappr. Tribunal de Commerce de Paris, 2 juin 2020, n° 2015024900, abordant la technique des notes de débit analysée sur le fondement du déséquilibre significatif).

Ainsi, l’avoir, même ne traduirait-il pas la contrepartie d’un service commercial, reste licite pour autant que sa raison d’être en soit identifiée et que sa cause, qui ne serait pas en soi un service rendu, le justifierait (ex. correction d’une précédente facture erronée).

En dehors de cette situation et finalement d’une « contrepartie » comme cela s’exprime plus nettement dans le nouvel article L. 442-1 I 1°, le bénéficiaire de l’avantage s’exposera à la critique de l’avantage illicite, et donc à restituer. L’arrêt se veut donc aussi éclairant au regard du nouveau texte.

 

– Un rappel de la mécanique probatoire de l’obtention de l’avantage illicite.

Se gardant, peut-être, de rentrer frontalement dans le débat sur la charge de la preuve (ou sur celui de la critique de son renversement) alors que le texte alors vigueur disposait que « dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation », la Cour se borne à rappeler, par une  interprétation d’effet équivalent, que  « Dans ce cadre, il incombe à la SARL MPH Distribution, conformément à l’article 1353 du code civil, de prouver l’obtention (ou sa tentative) par son partenaire commercial d’un avantage quelconque, et aux sociétés du groupe Casino d’établir au contraire la réalité et l’effectivité de la contrepartie servie. » (à rappr. Paris, 27 février 2020, n° 17/14071, Lettre dist. 07-08/2020 et Centrales et avantages pour services dénués de consistance : prescription et dialectique de la preuve, RLC 3881, nº 97 sept. 2020, p. 26 et s, nos obs.).

A nouveau, la solution ici rendue servira d’éclairage lorsqu’il sera question de faire application du nouvel article L. 442-1 I 1°.

 

1.2. Sur le déséquilibre significatif.

 – La réitération de l’admission de l’absence de contrepartie en tant qu’indice de soumission.

Renouvelant au mot près la formulation de la solution rendue dans une affaire récente (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/1348, Lettre distr. 04/2023, nos obs), la Cour d’appel juge à nouveau que :

« Si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement. ».

Comme nous l’écrivions récemment en observation sur l’arrêt ci-dessus, ce raisonnement qui convoque la mécanique de la preuve par présomption de fait, prend en compte le résultat escompté (une obligation sans contrepartie) pour en inférer, aux côtés d’autres indices, la soumission.

Il semble donc que ce critère s’installe bel et bien dans la démarche indiciaire probatoire de la soumission.

 – Un rappel de la mécanique probatoire sur l’existence du déséquilibre.

Bien la solution nous apparaisse classique, à savoir qu’« en l’absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à la SARL MPH Distribution, tandis que celle d’un éventuel rééquilibrage du contrat par une autre clause repose sur les sociétés du groupe Casino. », il est utile de la voir rappeler, pour souligner le caractère plus exigeant de la démonstration par le poursuivant du déséquilibre dont il se plaint, outre celle de la soumission, par comparaison aux exigences requises en matière probatoire en cas de demande fondée sur la prohibition de l’avantage sans contrepartie relevant de l’ancien texte, comme du nouveau  (cf. ci-dessus).

Le rappel trouvera son intérêt à l’heure du choix de ses moyens par la victime prétendue, étant souligné que l’invocation des deux fondements, s’ils en appellent à des conditions d’application différentes, ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, comme le note d’ailleurs la Cour d’appel dans l’espèce rapportée lorsqu’elle analyse les « avoirs » (arrêt, point II 2° et obs. infra) (à rappr. Paris, 31 juillet 2019, n° 16/11545, Lettre distr. 09/2019, nos obs).

 – Un rappel des domaines – voisins mais distincts – de la prohibition des avantages sans contrepartie ou disproportionnés et de celle du déséquilibre significatif.

Interprétant la lettre des deux dispositifs de prohibition, la Cour précise que :

« Si les 1º et 2º de l’article L 442-6 I du code de commerce mobilisent des notions se recoupant partiellement, notamment en ce que la disproportion manifeste ou l’inexistence de la contrepartie est un élément d’appréciation du caractère significatif du déséquilibre, leurs régimes sont néanmoins distincts, le second, instrument de préservation de l’équilibre contractuel global impliquant une absence de négociation effective, autorisant une mise en balance plus étendue et plus subjective et qualitative que le premier qui commande une analyse essentiellement objective et quantitative et s’opère terme à terme sans égard pour l’existence d’une soumission. Aussi peuvent-ils être invoqués cumulativement, sans pour autant multiplier les restitutions ou les préjudices. ».

S’ils s’avèrent perméables quant à l’approche de la disproportion manifeste ou l’inexistence de la contrepartie, la précision ici donnée sur le dispositif du point 1° de l’article L. 442-6 I traduit un maniement plus aisé – plus mécanique – que celui du point 2°, ce qui peut augurer d’un accroissement du flux de contentieux des restitutions aux termes du point 1°, après une décennie de reflux, marquée par un important flux à l’avantages des contentieux en matière de déséquilibre significatif.

L’enseignement, qui vaut selon nous pour les 1° et 2° du nouvel article L. 442-1 du Code de commerce, balise le cadre des actions futures sur ces deux fondements révisés à l’occasion de l’ordonnance d’avril 2019.

Comme signalé sur d’autres sujets, la solution trouvera son utilité à l’heure du choix de ses moyens par le demandeur.

– Sur la structure du marché et la situation de dépendance économique à l’aune des éléments indiciels de mise en œuvre de la prohibition du déséquilibre significatif

  • Deux notions différentes et articulables.

Bien qu’en lien avec les débats sur le déséquilibre significatif et la soumission et de ses indices, le sujet n’est certes pas directement traité sous les motifs de l’arrêt spécifiquement consacrés au déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2° C. Com, rangés dans les développements généraux de début de motivation consacré aux « dispositions applicables et leur portée ».

Le tout relève néanmoins d’un point 1°) de l’arrêt consacré au « cadre normatif et factuel du litige », la dépendance économique ressortissant de la dimension factuelle du litige.

Faut-il y voir, dans le cadre d’un arrêt au caractère didactique affirmé, un souhait de la Cour d’isoler sur la forme et sur le fond le traitement de la question de la dépendance économique de celle de la soumission, afin peut-être de prévenir les éventuelles critiques sur l’appréciation des conditions d’application du texte servant de fondement à l’action ?

Nous l’ignorons. Quoi qu’il en soit, ces deux notions ni ne se confondent, ni ne s’interprètent à l’identique, même si la première peut constituer un indice sérieux pour le contrôle de la seconde, de par la contrainte contextuelle, même non prohibée en tant que telle, que la dépendance économique peut susciter pour l’opérateur dépendant lors de la négociation de ses droits et obligations.

La Cour ne fait d’ailleurs pas mystère du lien entre les notions, à l’entame de sa motivation consacrée à la dépendance économique (« Quoique le dispositif de lutte contre le déséquilibre significatif ait été spécifiquement pensé en considération d’un déséquilibre structurel en faveur de la grande de distribution et au détriment des fournisseurs… ») (à rappr. Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/1348, Lettre distr. 04/2023, nos obs., employant la même formulation).

Incidemment, la motivation de l’arrêt nous amène à remarquer en rétrospective, que la dépendance économique en tant qu’indice de la soumission dans le contentieux du déséquilibre significatif apparaît souvent plus reconnue, certes au regard des circonstances et notamment de la part du chiffre d’affaires réalisé par la victime avec l’auteur de la soumission (Paris, 26 janv. 2022, n° 20/04761) ou de la différence de taille entre celle de l’auteur et celle de sa la victime (T. com. Paris, 28 mars 2022, n° 2018017655, Lettre dist. 04/2022, Obs. N.E ; T. com. Paris, 19 décembre 2022, 2017040626 ; à rappr. Paris, 17 mai 2023, n° 21/05790, pour une absence de dépendance économique en dépit du déséquilibre structurel du marché et de celui du rapport de forces économiques entre les parties, Lettre distr. 06/2023, N.E), qu’elle n’est expliquée au plan méthodologique. Mais la Cour s’emploie ici à ce faire, comme observé ci-dessous.

  • Les seuils en tant qu’indices d’appréciation de la dépendance économique de l’un et du pouvoir économique de l’autre à la lumière du droit des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations.

La Cour évoque notamment l’article L. 420-2 « qui n’est certes pas en débat » précise toutefois la Cour, ou encore un avis de l’ADLC en matière de concentration n° 19-DCC-180 du 27 septembre 2019 à propos d’une relation fournisseur/fabricant dans un département ultra marin, évoquant le risque de dépendance économique (décision 19-DCC-180, point 37).

L’Avis indiquait « qu’il existait « « seuil de menace » au-delà duquel la survie du second pouvait être remise en cause, la disparition d’un débouché le plaçant, à plus ou moins brève échéance, dans une situation financière difficile, pouvant parfois conduire à une faillite, et que le niveau de ce seuil n’était toutefois pas fixe et dépendait d’un grand nombre de paramètres spécifiques selon les secteurs concernés, la structure et la situation financière des entreprises, l’existence et le coût d’éventuelles solutions alternatives ».

En l’espèce, « le seuil retenu pour le marché de l’approvisionnement dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire en Guyane qui comprenait cinq principaux acheteurs était de 22 %, taux identique à celui retenu par la Commission européenne dans sa décision du 25 janvier 2000, nº COM/M. 1684, Carrefour/Promodes (…)). » (nota : il semblerait que ce soit plus, au vu du point 38 de la décision de l’ADLC, la décision de la Commission européenne du 3 février 1999 rendue dans une affaire M.1221).

Le sujet des seuils pris en considération sous l’angle de la structure du marché et du rapport de forces entre fournisseurs et distributeurs nous renvoie trois mois en arrière vers un arrêt de la même Cour, pour une affaire à l’initiative du Ministre (Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et 21/1348, Lettre distr. 04/2023, nos obs.).

Cet arrêt faisait déjà état, au sein d’un univers particulier de produits et sous l’angle de la structure du marché et du rapport de forces entre fournisseurs et distributeurs et en l’espèce hors débat sur la dépendance économique, d’un « seuil de sécurité de 15% » lors de l’appréciation du pouvoir de marché du distributeur.

Le constat de ce seuil, nous précisait l’arrêt, avait conduit l’ADLC, dans un autre Avis 15-A-06, à inviter les opérateurs, en l’occurrence des distributeurs dans la perspective d’un regroupement à l’achat, et une fois ce seuil franchi, à être « particulièrement vigilants », « la grande distribution à dominante alimentaire représen[tant] le principal débouché. » pour certaines catégories de produit (Avis 15-A-06, point n° 127).

Il était en outre déjà visé dans ce précédent arrêt le « seuil de menace de 22% » précité, lui aussi encore mentionné dans l’Avis n° 15-A-06 précité (Avis 15-A-06, points 247 et s.). Pour la Cour, la caractérisation d’un tel seuil « (…) identifié par la Commission dans sa décision du 3 février 1999 1999/674/ CE (…) n’était d’ailleurs « pas nécessaire à celle d’un déséquilibre des rapports de forces constituant l’indice non suffisant d’une tentative de soumission. ».

Comme autant d’autres éléments factuels, le seuil ne reste donc qu’un indice, qu’il s’agisse de caractériser la soumission ou la dépendance économique.

Ces paramètres d’ordre quantitatif, abondés par le « grand » droit de la concurrence, ont ainsi constitué en l’espèce des points de repères pour l’appréciation de la situation de dépendance économique du fournisseur.

L’arrêt mentionne que ledit fournisseur faisait état dans ses moyens d’un chiffre d’affaires avec les sociétés du groupe Casino sur les années 2013 à 2017, compris entre 20,17 % et 62,29% de son chiffre d’affaires.

La Cour relève encore que la part de marché du groupe Casino sur le marché aval de la distribution alimentaire était de 11,6% à l’époque des faits, soit alors le quatrième opérateur, ce qui devait amener les juges à souligner « l’importance du pouvoir économique du groupe Casino sur un marché ne comprenant que peu d’acteurs, peu important à ce titre qu’il n’occupe que la quatrième place, ainsi que des volumes d’affaires que permet de générer des relations commerciales avec un grand distributeur ».

Ainsi « le marché peut être considéré comme structurellement déséquilibré en la défaveur de la SARL MPH Distribution qui ne jouit d’aucun pouvoir compensateur. » (à rappr. Trib. com. Paris, 6 juillet 2021, n° 2016064825, Lettre distr. 09/2021, nos obs.).

Ce jugement fait état, pour le distributeur d’une « force commerciale (…) de toute évidence supérieure à celle d’un nombre important de fournisseurs », pour une part de marché de 10% dans le secteur de la grande distribution de matériel de bricolage et d’un « débouché difficilement contournable pour les fournisseurs »).

Et d’en conclure au cas particulier que « Au regard des chiffres communiqués par la SARL MPH Distribution et non contestés par les sociétés du groupe Casino (…), de la nature de leurs relations commerciales, de la structure du marché déjà évoquée et de la difficulté évidente pour elle de trouver une solution de remplacement équivalente quoiqu’une possibilité de diversification existe, la situation de dépendance économique de la première est avérée dès l’année 2013. ».

Au vu de ce qui précède, notre compréhension est que le critère du chiffre d’affaires du fournisseur auprès d’un grand distributeur, rapporté au chiffre d’affaires total de ce fournisseur, transcende celui de la part de marché de ce grand distributeur sur son marché.

Alors qu’il génère un chiffre d’affaires important pour le fournisseur et à l’aune de l’appréciation des indices de soumission ou de sa tentative de même que ceux d’une éventuelle dépendance économique, cette perception est d’autant plus présente que le distributeur, quand bien même loin du leader, se place déjà à un rang très honorable sur un marché où le nombre des opérateurs est restreint et dont dans les parts de marché respectives, quand bien même de tel ou leader du moment, ne dépassent pas 24%, ce qui est au demeurant déjà élevé (Source : https://www.lsa-conso.fr/e-leclerc-continue-en-tete-u-lidl-et-aldi-suivent-casino-et-auchan-perdent-du-terrain,438716).

 

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.