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Conventions écrites signées hors délai et répercussion entre les parties de l’amende administrative : vers un contentieux nouveau et dérivé en matière de négociation commerciale ?

Cour d’appel de Versailles, 21 décembre 2023, 21/06836

Affaire Interdis (Carrefour) c./ Procter et Gamble France 

 

Alors que la date légale butoir pour la clôture des négociations commerciales 2024 approche, lorsque les négociations ne sont d’ailleurs pas déjà officiellement terminées dans les secteurs visés par la loi du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation,  un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 21 décembre dernier nous procure quelques enseignements utiles lorsqu’une partie se trouve seule sanctionnée pour défaut de signature de la traditionnelle convention commerciale.

Cette partie peut-elle – devant quelle juridiction et comment – solliciter de son partenaire la prise en charge d’une partie de l’amende administrative infligée ?

 

1. Faits

Dans la perspective des accords commerciaux 2019, la Centrale « Envergure » créée dans le cadre d’un partenariat à l’achat entre les groupes Carrefour et Système U pour la négociation avec les fournisseurs les plus importants de ces groupes et mandataire de la société SNC Interdis (« le distributeur »), elle-même centrale de référencement du groupe Carrefour, a mené des négociations commerciales avec la SAS Procter et Gamble France (« le fournisseur »).

Les discussions se prolongeant, les conventions écrites n’ont été conclues que le 13 mars 2019, en infraction à la règle alors fixée par l’article L. 441-7 C. com.

Fin 2019, la DGCCRF inflige au distributeur une amende de 247.000 euros pour 8 conventions non conclues dans les délais avec le fournisseur, ce dernier n’étant pas sanctionné.

Cette somme était comprise dans un montant global de 2.931.000 euros, pour 157 manquements avec quelques 45 fournisseurs.

Considérant son fournisseur co-responsable du manquement, le distributeur l’assigne sur le fondement de l’article 1240 C. civ. en paiement de 123.500 euros à titre de dommages-intérêts, soit la moitié du montant de l’amende.

Débouté, le distributeur interjette appel devant la Cour d’appel de Versailles, qui confirme le jugement.

 

2. Problèmes

1er problème : Compétence du Tribunal de commerce. Le distributeur pouvait il saisir le Tribunal de commerce sans encourir l’irrecevabilité de son action, aux fins de voir condamner son fournisseur à l’indemniser à raison du préjudice que le premier estimait avoir subi, du fait des agissements prétendus du second et qui auraient contribués à l’absence de signature de la convention écrite dans les délais légaux ?

2eme problème : Qualité à agir du distributeur. Le distributeur avait-il qualité à agir dans le cadre d’une action ayant pour objet d’établir la part de responsabilité du fournisseur dans l’absence de signature des conventions écrites au plus tard le 1er mars, en sorte que son action était recevable ?

3eme problème : Responsabilité civile du fournisseur. Le distributeur reprochant à la DGCCRF de n’avoir pas procédé à une réelle appréciation des faits entourant la négociation commerciale pour ne sanctionner que le distributeur, a-t-il rapporté la preuve de la faute du fournisseur, de nature à entraîner sa co-responsabilité civile à raison du retard du retard pris dans ces négociations et qui n’ont pas donné lieu à la signature des conventions écrites dans le délai légal ?

Signalons aussi, pour faire écho certains déballages publics récents en lien avec certains désaccords tarifaires aux airs de « name and shame » dans des rapports privés de commerce, le cas échéant au mépris des obligations en matière de confidentialité, la demande reconventionnelle du fournisseur à raison de l’atteinte à sa réputation et préjudice d’image.

Le fournisseur se plaignait en effet de la communication à des journalistes de l’assignation délivrée à son encontre.

Il fut débouté faute d’avoir été nommément désigné dans l’extrait publié de ladite assignation.

Le distributeur s’est en revanche montré plus préoccupé de la confidentialité s’agissant des informations relatives à sa négociation commerciale dans l’hypothèse où certaines de ces informations auraient dû être mentionnées dans l’arrêt à intervenir, au point de formuler une demande de secret des affaires, à laquelle le fournisseur s’est d’ailleurs associé, mais qui n’a pas aboutie, faute de nécessité. « Name and shame » puis secret des affaires : un bien paradoxal enchaînement.

 

3. Solutions

Sur le 1er problème : La Cour approuve le Tribunal pour s’être déclaré compétent pour juger de la responsabilité pour faute du fournisseur durant la phase précontractuelle de la négociation, et de l’indemnisation éventuelle de son partenaire commercial, telle que sollicité par le distributeur.

Ce faisant, il ne s’agissait pas selon le Tribunal d’empiéter sur la compétence exclusive de la DGCCRF (art. L. 470-2 C. com. pour le prononcé d’amendes administratives), ni de remettre en cause la décision de cette autorité.

Sur le 2eme problème : La Cour juge recevable l’action du distributeur qui avait pour objet d’établir la part de responsabilité du fournisseur dans l’irrespect de la date butoir du 1er mars.

Le distributeur, seul à avoir été sanctionné, avait donc qualité à agir pour démontrer la responsabilité de son fournisseur et obtenir le cas échéant réparation du préjudice allégué sur le plan civil.

Sur le 3eme problème : La Cour estime que contrairement à ce que soutient [le distributeur], l’autorité administrative s’est bien livrée à une appréciation des faits entourant la négociation commerciale et, après avoir répondu précisément aux observations du distributeur, a décidé de prononcer à l’encontre de lui seul des sanctions tenant compte « de la gravité et de l’ampleur du manquement ».

Elle relève à l’occasion que le fournisseur avait souligné avec raison que ce n’était pas moins de 157 manquements reprochés au distributeur qui avaient été constatés par la DGCCRF, dans le cadre de négociations impliquant de nombreux autres fournisseurs.

S’agissant des fautes reprochées au fournisseur dont la Cour a été saisie, le distributeur n’a apporté aucun élément qui démontrerait la coresponsabilité du fournisseur dans la signature tardive des conventions.

 

4. Observations

Malgré l’échec de la demande du distributeur, qui n’a pas eu raison des moyens du fournisseur dans le cadre de sa défense au fond, cette affaire qui aborde certaines questions nouvelles, pourrait ouvrir un nouveau chapitre des relations entre fournisseurs et distributeurs et encourager d’autres contentieux de même type puisque leur recevabilité est reconnue, voire des discussions sur la prise en charge du montant des amendes infligées à une seule des parties.

Sur le 1er problème :

– Un premier enseignement, le plus direct, est la possibilité d’une action récursoire, sorte d’action de « follow-on » en pratiques restrictives de concurrences, initiée par une partie à la fois auteur de l’infraction, sanctionnée à ce titre et se considérant victime à cette occasion, contre son partenaire qu’elle estime co-auteur de l’infraction commise (à rappr. pour une action de « stand alone » initiée par un distributeur suite à une pratique de prix imposé par son fournisseur et constitutive d’une entente, à laquelle ce même distributeur avait pris part et qu’il dénonçait ensuite comme étant à l’origine du préjudice subi. CA Paris, 19 décembre 2018, n° 16/07213, Lettre distrib. 01/2019, nos obs.).

La démarche rappelle d’ailleurs celle du « pass-on » de la victime directe d’une pratique anticoncurrentielle, bien que la genèse et la logique en soit différente.

Dans ce dernier en effet, c’est la victime de la pratique qui souhaite être indemnisée par l’auteur de la pratique à hauteur d’un préjudice, notamment de surcoût, qu’elle n’a pourtant pas intégralement subi pour l’avoir répercuté sur ses propres clients.

En revanche en l’espèce, c’est l’auteur de l’infraction qui souhaite répercuter, de fait, sur son partenaire, une quote-part de la sanction qui ne lui a pourtant pas été infligé.

Un tel recours est à notre connaissance inédit en matière de PRC.

– Un deuxième enseignement résulte de la distinction entre l’action récursoire et le recours contre la sanction administrative.

Il tient à la différence de nature des contentieux et à l’indépendance des deux ordres de juridictions pour statuer sur des litiges qui relèvent de leurs domaines d’attributions respectives.

Bien que trouvant son origine dans une pratique sanctionnée par une amende administrative qui, lorsqu’elle fait l’objet d’un recours relève de la « compétence » des juridictions administratives, l’action en responsabilité civile doit être menée devant le juge judiciaire.

Dans l’hypothèse d’une annulation de la sanction administrative prononcée, il en irait de même de l’action en restitution du montant des sommes le cas échéant versées à l’issue du contentieux civil, si refus de restitution spontané il devait y avoir.

– Un troisième enseignement, bien qu’induit de ce qui précède, réside dans le rappel de ce que le juge judiciaire, lorsqu’il entend statuer sur le recours indemnitaire de la partie condamnée, ne s’attribue ni un pouvoir subsidiaire de sanction administrative dévolu à la seule Administration, ni ne s’entend comme une juridiction de recours contre la sanction initialement prononcée à l’encontre d’une seule des parties, pourtant ensemble actrices de la signature d’un même contrat conclu hors délai.

– Enfin, un quatrième enseignement se rapporte aux matières susceptibles de donner lieu à action récursoire.

Même si la Cour ne le précise pas expressément, nous comprenons de l’arrêt, par la référence faite aux manquements visés au titre IV relatif à la transparence, que des recours indemnitaires sont ouverts pour d’autres types d’infraction que l’Administration peut sanctionner sur le fondement de l’article L. 470-2 C. com. (ex. convention écrite non conforme).

De quoi augurer de quelques règlements de comptes à l’avenir dans la continuité des contrôles, dont il semble que ce soit particulièrement l’époque suite aux derniers soulèvements du monde agricole (« Négociations commerciales : Bruno Le Maire pointe 124 dossiers en infraction », M. Picard, LSA, 6 fév. 2024).

Sur le 2eme problème :

Les développements de l’arrêt sur le premier sujet du pouvoir juridictionnel laissaient entrevoir la solution générale sur la qualité à agir du distributeur.

Les deux sujets ne se confondent certes pas, mais il aurait semblé paradoxal pour la juridiction d’avoir motivé l’admission de son pouvoir juridictionnel dans le cadre de l’action indemnitaire en cause pour ensuite déclarer que la partie saisissante n’avait pas qualité pour agir es qualité de victime.

En l’espèce, le fournisseur contestait le droit d’agir de son adversaire au motif, notamment, que ce dernier avait été reconnu l’unique auteur des faits ayant conduit à la sanction, ce qui le privait de tout recours indemnitaire et que le principe de la personnalité des peines et des sanctions administratives faisait obstacle à l’action indemnitaire du distributeur, qui ne pouvait se prétendre victime de son propre manquement et demander la réparation à un tiers pour la sanction administrative qui lui avait été infligée dans un but punitif.

Le distributeur rétorquait que le principe de la personnalité des peines n’était pas ici applicable, car la finalité son action civile n’était pas punitive mais réparatrice, outre que la DGCCRF s’était limitée à effectuer un contrôle simplement formel sur la date de la signature de la convention égard aux circonstances factuelles propres aux négociations menées avec chaque fournisseur, sanctionnant ainsi un fait objectif sans se prononcer sur les manquements commis par le distributeur, seul réprimé.

Ce dernier invoquait au demeurant un préjudice qui ne résultait pas de l’amende prononcée, mais d’un comportement fautif et déloyal du fournisseur lors des négociations commerciales. La Cour lui donne raison.

La solution n’avait rien d’évident, tenant la pertinence des moyens en confrontation car elle revient in fine à faire supporter à la partie non sanctionnée une quotité de la sanction administrative infligée à l’autre.

Le moyen n’a pas échappé au fournisseur (« [le fournisseur] ne saurait voir sa responsabilité engagée et tenue solidairement au paiement de l’amende administrative, et ce d’autant que [le distributeur] ne s’est nullement acquittée auprès de la DGGCRF de paiement de la dette d’autrui ouvrant droit à un recours en répétition ». Comp. art. 1317 et s. C. civ. ; « [le distributeur] considère que l’amende infligée à l’appelant, par sa finalité exclusivement punitive, ne peut constituer un dommage réparable »).

Certes si l’irrecevabilité au titre de la « chose jugée » visée à l’article 122 du CPC n’est pas à discuter, l’on pourrait le cas échéant rechercher quelques voies d’inspirations, sans toutefois ici davantage approfondir, du côté du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil en cas de condamnation comme de relaxe (rappr. Civ. 2, 24 novembre 2022, 21-17.167).

Au-delà de la solution, les débats sur la légitimité de ce type d’action récursoire ne sont peut-être pas définitivement clos.

A notre connaissance et au jour où nous avons écrit le présent commentaire, il semble que le délai de pourvoi n’ait pas été expiré.

Sur le 3eme problème :

L’épicentre des moyens en demande résidait en ce que la DGCCRF n’avait pas procédé à une analyse in concreto du déroulement de la négociation, pour déterminer la cause du dépassement de la date butoir et s’était contentée d’une appréciation générale basée sur l’envoi des documents (notamment CGV) et le respect des dates légales.

S’est alors engagé ex post de la décision de sanction administrative un débat sur l’imputabilité du retard, que le distributeur estimait ne pas avoir été mené ex ante par l’Administration.

Au regard des circonstances, le distributeur considérait que ce retard dans les négociations commerciales ne lui était pas exclusivement imputable.

Selon lui, la violation de l’article L. 441-7 du Code de commerce était constitutive d’une faute délictuelle (art.  1240 C. Civ.) imputable aux deux parties.

Il reprochait à son fournisseur un comportement fautif et contraire aux exigences de bonne foi lors des négociations commerciales (art.  1112 du C. civ.).

Rappelons que cette exigence de bonne foi, que l’on retrouvait déjà en tant que principe liminaire à la matière contractuelle dans l’article 1104 du Code civil, a depuis la loi du 30 mars 2023 été spécialement introduite dans les articles L. 441-4 IV 1° et L. 442-1 I 5° du Code de commerce (visant pour ce dernier le fait de ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4 précité, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l’article L. 441-3).

Ces derniers textes spéciaux, qui n’ont pas été imaginés pour servir de fondements complémentaires ou alternatifs à une action récursoire comme celle en présence, pourraient être dorénavant mis en mouvement à l’occasion d’infractions qui leur seraient postérieures.

Concrètement et selon le distributeur, le fournisseur, qui disposait de produits dont son client ne pouvait se passer, aurait adopté une stratégie de négociation particulièrement agressive visant à obtenir un accord déséquilibré à son bénéfice et aurait tenté d’imposer des conditions tarifaires déconnectées de la réalité économique, tout en faisant preuve d’un comportement déloyal et dilatoire à diverses reprises (manque de loyauté dans la retranscription des échanges, anticipation de l’échec à venir des négociations,  réponses tardives aux demandes et proposition de la Centrale Envergure, mandataire à la négociation).

En retour, le fournisseur considérait que le distributeur était seul responsable du retard de dépassement de la date butoir et déniait l’existence, non prouvée, d’une faute civile qui lui soit imputable, de même qu’un défaut de bonne foi de sa part à l’occasion des négociations commerciales, ainsi que l’absence d’un quelconque lien de causalité entre le préjudice allégué, car découlant des propres manquements du distributeur.

Pour débouter le distributeur défaillant dans l’établissement de la faute du fournisseur, la Cour prend en considération deux types de circonstances relevées lors du contrôle conduit par la DGCCRF.

Les premières tiennent au constat que la date butoir n’avait pas été respectée dans 157 manquements du même type impliquant 45 fournisseurs, dont 8 pour le fournisseur en cause.

Cette donnée, insuffisante elle seule pour établir le manquement reproché au distributeur, faisait néanmoins ressortir selon la Cour une réelle appréciation des faits et le caractère contradictoire de l’enquête.

Sur le prétendu manque de diligence du fournisseur, il faudra encore retenir de la motivation de l’arrêt dans le prolongement de celle de la décision d’amende administrative, que le fait pour les quelques 45 fournisseurs concernés de ne pas avoir fait droit durant les négociations aux propositions du distributeur (et partant expliquant le défaut de signature à temps des conventions), ne suffit pas à exonérer le distributeur de sa responsabilité au titre de la signature hors délai, alors « qu’en tout état de cause, l’enquête a révélé qu’en tant que distributeur, la société Interdis n’avait « pas été en mesure de justifier de la conclusion des conventions au plus tard le 1er mars 2019 alors que les fournisseurs avaient adressé leurs conditions générales de vente au moins trois mois avant la date limite comme le prévoit l’article L.441-7 (…)».

S’il était entendu que l’envoi dans les temps des CGV, souvent prescrit avant une date fixe (a priori avant le 1er décembre s’agissant des produits concernés), conférait légalement aux négociateurs un délai suffisant pour trouver un accord au plus tard au 1er mars, la précision selon laquelle des fournisseurs ne répondraient pas positivement aux propositions commerciales du distributeur – nous comprenons ses demandes – n’exonère pas ce dernier au titre du manquement en cause, nous semble inédite et bienvenue.

Mais la Cour ne s’en est pas tenue à ces seules constations pour débouter le distributeur.

Les deuxièmes séries de circonstances tiennent à l’absence d’éléments, qu’il incombait au distributeur de rapporter, démontrant que le fournisseur était co-responsable de la signature tardive des conventions litigieuses.

A ce propos, les « quelques » courriels échangés entre la Centrale Envergure et le fournisseur ont été insuffisants à établir le comportement déloyal et dilatoire reproché au fournisseur au cours des négociations.

Au nombre de ces derniers, la Cour vise un courrier de la Centrale adressé au fournisseur le 19 février 2019, dans lequel cette dernière rappelle la date butoir du 1er mars 2019 et le fait que « l’absence de signature à cette date d’une convention écrite  (…) est de nature à engager la responsabilité conjointe du distributeur (…) » et indique que les propositions du fournisseur sont « encore trop éloignées de nos demandes pour pouvoir envisager la conclusion d’un accord pour 2019 » tout en lui demandant de faire de nouvelles propositions, afin que les négociations puissent être finalisées.

Le fournisseur lui répondait le lendemain, en précisant les propositions qu’il avait été amené à faire depuis le mois de novembre 2018, que ses équipes mettaient tout en œuvre afin de pouvoir respecter les échéances légales et qu’il déclinait toute responsabilité si un accord ne devait pas être trouvé au 1er mars 2019.

Si de tels échanges, lors de la dernière ligne droite de leur négociation, établissaient que les parties ne s’étaient pas toujours accordées sur les conditions de leur collaboration, ils ne permettaient pas de retenir que la conclusion des conventions avait été retardée par la faute du fournisseur.

Accepter ou être responsable au plan civil : le choix des parties à la négociation ne devrait pas se résumer à cela.

Il sera néanmoins important pour chacune des parties à la négociation d’être en mesure de prouver leur comportement à cette occasion, tant a priori lors des contrôles de l’Administration qu’a posteriori si ce type de contentieux « redistributif » en responsabilité civile devait se multiplier.

Cette dernière situation n’est pas à exclure en l’état de la solution ici rendue, puisque le demandeur, bien que succombant sur un plan strictement probatoire au vu des circonstances de l’espèce, sort de notre point de vue conforté dans ce qui peut-être un coup d’essai, au vu des solutions rendues en matière de « compétence » et de qualité à agir.

L’heure et en effet à la multiplication des sanctions administratives.

En définitive et abstraction faite des circonstances de l’espèce qui ont amené l’Administration à décider d’infliger une amende au seul distributeur – ce dont la Cour n’entend pas débattre car tel ne relève pas de son pouvoir juridictionnel – et qu’au bout du compte le distributeur ait succombé en ses demandes, l’arrêt doit être accueilli plus favorablement du côté des distributeurs que côté fournisseurs, si ces derniers devaient avoir une part de responsabilité dans le manquement sanctionné.

Il semble d’ailleurs, au détour de quelques passages de l’arrêt, que d’autres assignations aient été délivrées à l’encontre de différents fournisseurs qui, selon le distributeur, auraient eu une responsabilité dans l’absence de signature des convention écrites.

Cela étant, en cas de sanction infligée au seul fournisseur, ce dernier devrait être en droit d’engager ce même recours.

Maigre consolation car, en pratique, sera-t-il bien inspiré en initiant une action à l’encontre d’un client en cours de relation ? Signalons que l’assignation ici délivrée par le distributeur l’a été le 24 février 2020, soit la dernière semaine des négociations commerciales pour 2020.

Que les négociations aient été alors bouclées ou que fournisseur et distributeur n’aient plus été en relation d’affaires, la formulation d’une telle demande et son maintien ultérieur par le fournisseur ne semble pas être le meilleur moyen de conserver ou de retrouver une présence dans les rayons du distributeur.

Alors et à moins comme il se doit pour les parties, de cesser de négocier au lendemain du 1er mars à défaut d’accord conclu avec les conséquences que cela entraîne au plan commercial, le risque, surtout si les chiffres d’affaires impactés sont importants et sauf à ce que les sanctions administratives soient réellement dissuasives, est que les parties préfèrent s’exposer à l’éventualité d’une sanction individuellement ou ensemble, quitte à s’en répartir ultérieurement la charge, plutôt que d’avoir à consentir à des conditions commerciales qu’elles estiment trop défavorables ou à cesser toute négociation et relation au soir du 1er mars.

Reste maintenant à voir comment vont évoluer les choses à partir de cet arrêt aux incidences importantes au plan pratique.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de février 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.