A la différence de la situation du compromis où, une fois le litige né, les parties peuvent se soumettre à l’arbitrage en pleine connaissance de cause, l’acceptation d’une clause compromissoire à l’occasion de la signature d’un contrat de distribution internationale, peut avoir des conséquences délétères pour l’une, bénéfiques pour l’autre.
En témoigne cette affaire jugée par la Cour d’appel de Versailles (Versailles, 12 mars 2020, n° 19/07463).
1. Faits et procédure.
En avril 2007, la société américaine Stanley Assembly Technologies (SAT), société du groupe Stanley Black et Decker, et la société espagnole Euro Herramientas (EH) ont signé un contrat de distribution des produits Stanley en Espagne et au Portugal, pour une durée d’un an, contenant une clause de renouvellement chaque année par accord exprès écrit entre les parties.
Ce contrat renfermait une clause compromissoire prévoyant que tout « litige, controverse ou réclamation découlant de ou se rapportant au présent accord ou à la violation, à la résiliation ou à l’invalidité de celui-ci sera définitivement réglée selon les règles du présent contrat, l’American Arbitration Association alors en vigueur par un ou plusieurs arbitres nommés conformément auxdites règles. Le lieu d’arbitrage sera Hardford Connecticut. Les dispositions de cet article resteront en vigueur après la résiliation du contrat. »
En octobre 2008, SAT a informé EH que l’accord ne serait pas renouvelé en 2009.
Estimant que la relation s’était poursuivie par la suite mais sans contrat écrit avec une autre société du groupe, la société anglaise Stanley Works Limited (SWL), EH assigne celle-ci en juillet 2018 devant le Tribunal de commerce de Versailles en se prévalant d’une clause attributive de juridiction figurant au bas de ses factures, pour faire valoir ses droits à son encontre de SWL.
Selon EH en effet, si le contrat avait été signé avec SAT, elle avait néanmoins entretenu par la suite une relation contractuelle avec SWL, comme cela résultait de factures émises par ses soins au nom de SWL avec mention d’une adresse à Trappes (adresse de SAT). Son seul et véritable interlocuteur, en dépit des mentions faites au contrat de distribution de 2007, était donc SWL agissant par sa « succursale » domiciliée à Trappes et inscrite au registre du commerce de Versailles.
En conséquence, la clause compromissoire prévue au contrat de 2007 était selon EH, manifestement inapplicable, dans la mesure où SWL n’était pas partie à ce contrat, et qu’il aurait existé avec cette dernière un contrat « oral », « distinct » du contrat de distribution conclu en 2007 avec SAT.
SWL soulève alors in limine litis une exception d’incompétence du Tribunal saisi, au profit du tribunal arbitral de l’AAA et le Tribunal de commerce de Versailles se déclare incompétent par un jugement du 27 septembre 2019.
EH interjette appel en saisissant le premier président de la Cour de Versailles, afin d’être autorisée à assigner à jour fixe, et l’affaire est évoquée dès janvier 2020.
Sans qu’il ne soit à ce stade tranché sur le fond du litige, on en voit l’enjeu premier, procédural, pour le demandeur : si la clause compromissoire n’est pas applicable dans le litige EH / SWL, celui-ci est jugé à Versailles par une juridiction étatique. Dans le cas inverse, c’est dans le cadre d’un arbitrage institutionnel aux à Hartford, Connecticut, Etats-Unis.
2. Problème.
Après avoir rappelé que le litige relève des règles sur l’arbitrage international sachant que le contrat d’avril 2007 a été conclu entre deux sociétés, l’une américaine (SAT) et l’autre espagnole (EH) et que la société attraite par la société espagnole devant la juridiction française est britannique (SWT), la question posée était de savoir si la clause compromissoire inscrite dans le contrat de 2007 conclu entre SAT et EH est ou non manifestement inapplicable aux rapports liant EH à SWL.
3. Solution.
Au vu des éléments du dossier, la Cour considère que SWL est intervenue auprès de EH dans le cadre de l’exécution du contrat de distribution d’avril 2007, qu’il existe un lien entre la clause compromissoire et l’action engagée par EH, que la clause peut s’étendre aux parties impliquées dans l’exécution du contrat et aux litiges qui peuvent en résulter.
4. Commentaire.
Au-delà du contentieux d’espèce, cet arrêt est une illustration de ce que la clause compromissoire peut s’appliquer rationae personae à d’autres que ses seuls signataires.
Si des tiers peuvent se trouver attraits devant un tribunal arbitral alors qu’ils ne l’auraient pas souhaité, d’autres n’hésitent pas à invoquer l’existence d’une telle clause afin d’échapper à la justice étatique et à délocaliser, parfois bien loin, le contentieux.
Il convient avant tout de rappeler que l’art. 1506 1° CPC en matière d’arbitrage international renvoie à l’application de la règle de l’article 1148 CPC relatif à la convention d’arbitrage, qui dispose que lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est « manifestement nulle ou manifestement inapplicable ».
La convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères le 10 juin 1958 (art. II, point 3) dispose quant à elle que le tribunal d’un Etat contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu un compromis ou sont convenues d’une clause compromissoire, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, « à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée ».
Ces dispositions, visées dans l’arrêt, sont le point de départ de la question classique en droit de l’arbitrage international, de l’application ou de l’extension de la clause compromissoire, à des parties non signataires du contrat qui la renferme.
Un exemple nous en est ici donné dans une situation typique où la défenderesse, qu’il s’agisse de la partie contractante ou de celle exécutante, font partie d’un même groupe.
La Cour de cassation, dans un arrêt 27 mars 2007 publié aux Bulletins, a posé que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (arrêt « ABS », Civ. 1er, 27 mars 2007, n° 04-20842, Bull. 2007, I, N°129) faisant de « l’implication » le critère de l’extension au tiers de la clause compromissoire.
L’arrêt de la Cour de Versailles s’inscrit dans cette veine. En l’espèce, il est relevé que les commandes et correspondances entre EH et SWL étaient adressées à SAT à Trappes, que la Cour désigne, assez curieusement, comme étant la « succursale » de la société SWT, alors qu’il s’agit d’une société distincte.
La Cour relève aussi que les factures émises par la société EH concernent les clients visés en annexe au contrat de distribution et que les commissions sont prélevées avec des taux correspondant à ceux convenus dans le contrat de distribution de 2007.
Enfin, EH ne verse aucun courriel ou autre pièce qui démontrerait l’existence d’une relation contractuelle distincte de celle générée par le contrat de distribution précité.
Au vu de ces éléments d’implication de SWL dans l’exécution du contrat, la Cour considère applicable la clause compromissoire dans le litige entre SWL et EH.
La Cour souligne en outre que le fait que le contrat ait été résilié depuis 2007 n’y change rien, d’une part à raison de ce que le contrat prévoyait expressément que la clause survivrait après l’expiration du contrat et que, d’autre part et de façon générale, la clause compromissoire n’est pas liée à l’inexistence du contrat, sa caducité ou sa résiliation, et « reste intacte ainsi que ses effets » (principe d’autonomie de la clause. cf. art. 1447 al. 1er CPC en arbitrage interne et sur renvoi à cet article opéré par l’art. 1506 CPC dans le cas d’un arbitrage international).
De même et pour la Cour, la question du conflit entre la clause compromissoire et la clause attributive de compétence est sans incidence dans la mesure où s’il est établi que la clause compromissoire est « manifestement applicable », « seul critère à apprécier par le juge de l’Etat », celui-ci doit se déclarer incompétent.
On soulignera l’emploi, peut-être précipité car ce n’est pas ce dont il est disposé dans l’article 1148 CPC, de « manifestement applicable » en lieu et place de « manifestement inapplicable », outre que cela ne revient pas au même.
5. Points de vue pratique.
Deux points de vue pratiques relativement à ce type de de litige.
A un premier niveau, pour une partie, la clause compromissoire ne s’accepte pas sans un minimum d’anticipation quant à ses conséquences lorsqu’il s’agira pour elle, le cas échéant, de faire valoir ses droits dans un futur parfois perçu comme très hypothétique et lointain, ou qu’il serait inconvenant à ses yeux d’évoquer au moment même de la naissance de la relation contractuelle.
Il n’est aussi point interdit d’imaginer que parfois, la clause compromissoire puisse relever d’une stratégie visant à rendre par exemple plus complexe et coûteuse une action en justice et à dissuader les demandeurs d’agir.
A un deuxième niveau, s’impliquer dans les affaires d’autrui peut aussi conduire, dans certaines circonstances, à se voir attrait à son corps défendant dans une procédure arbitrale rendue obligatoire aux termes d’une clause compromissoire contenue dans le contrat conclu par un autre (ou comme en l’espèce à la revendiquer bien volontiers).
Jean-Michel Vertut – Avocat.
Nota : cet article, sous un autre intitulé et quelques variantes, est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’avril 2020. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.