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Rupture brutale d’une relation commerciale internationale établie : le droit français écarté.

1. Faits.

Deux sociétés françaises du secteur de l’organisation de voyages touristiques et implantées en France sont liées par un contrat de représentation et de services à une société grecque, implantée en Grèce, et assurant à la demande des premières la réception sur place des touristes en visite au pays d’Appolon.

Les sociétés françaises sont placées en redressement judiciaire et une partie de leurs actifs est repris par deux autres sociétés ainsi que les contrats avec la société grecque.

Quelques temps plus tard, la société grecque assigne les deux sociétés françaises aux fins de condamnation à dommages et intérêts pour inexécution contractuelle sur le fondement de l’article 1147 ancien du Code civil et rupture brutale de relation commerciale établie sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Les contrats, ne contenant aucune clause de droit applicable, ouvraient au grec la faculté de revendiquer l’application du droit français et aux français d’en contester l’application.

En première instance, les sociétés françaises sont solidairement condamnées à payer plusieurs centaines de milliers d’euros sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5°, les premiers juges ayant fait application de cette disposition.

Dans un arrêt du 2 juin dernier (CA Paris, 2 juin 2021, n° 17/16997), la Cour d’appel réforme le premier jugement et considère qu’est applicable la loi grecque, qu’il s’agisse des demandes sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° que celles sur fondées sur l’article 1147 du Code civil.

Sur ce dernier fondement, la Cour décide de la réouverture des débats en invitant les parties à leur communiquer la loi grecque et à conclure regard de cette loi.

 

2. Problèmes.

Sur la responsabilité pour rupture brutale  d’une relation commerciale établie :

En l’absence de désignation par les parties, françaises d’une part, grecque d’autre part, du droit français comme droit régissant leur relation contractuelle pour la réalisation de prestations de services exécutées en Grèce par la partie grecque, établie en Grèce et qui revendique la réparation d’un dommage subi en Grèce du fait de la rupture brutale de la relation commerciale, l’article L. 442-6 I° 5, est-il une loi de police, pouvant servir de fondement à une action en justice engagée en France à l’encontre des parties françaises ?

Sur la responsabilité contractuelle :

Dans les mêmes circonstances de fait et de droit que ci-dessus, hormis la problématique de loi de police qui ne semble pas être ici pertinente s’agissant de l’article 1147 du Code civil, cette dernière disposition peut-elle servir de fondement à une action en justice engagée en France à l’encontre de ces mêmes parties françaises ?

 

3. Solutions.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

« A supposer même l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce comme étant une loi de police, la Cour doit déterminer en tout état de cause, s’il existe un lien de rattachement de l’opération avec la France au regard de l’objectif de protection poursuivi par le texte précité qui garantit à toute entreprise française établie en France un préavis suffisant lorsque son partenaire, qu’il soit français ou étranger, décide de rompre les relations établies.

Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que les contrats signés entre les parties sur lesquels la société [grecque] fonde ses demandes ne comportaient aucune clause sur la loi applicable entre les parties, ces contrats portaient sur des prestations de services exécutées en Grèce par la société [grecque] établie en Grèce et qui revendique la réparation d’un dommage subi en Grèce du fait de la rupture brutale de la relation commerciale.

Les dispositions de l’article L 442-6, I, 5° du code de commerce n’ont dès lors pas, en l’espèce, vocation à s’appliquer dans les relations entre les parties en tant que loi de police. ».

L’application du droit français ne s’imposant pas faute de « rattachement » suffisant, la Cour dit alors le droit grec applicable aux termes de la méthode conflictuelle, telle qu’elle résulte du règlement « Rome I » ou « Rome II ».

Sur la responsabilité contractuelle au titre du manquement contractuel

Au regard du seul règlement « Rome I » cette fois-ci, la Cour juge qu’« il n’est pas contesté que les contrats signés entre les parties ne comportaient aucune clause sur la loi applicable entre les parties, en sorte que la société [grecque] étant établie en Grèce, la loi grecque est applicable ».

 

4. Observations.

L’intérêt premier de l’affaire tient à l’applicabilité ou non de l’article L. 442-6 I 5°, en tant que loi police, à raison notamment de la nationalité française de l’une des parties au litige, soit ici les auteurs de l’éventuelle rupture, alors que nulle clause ne désigne ce droit.

En pareille hypothèse, cet arrêt invite à se détacher de l’idée, assez communément répandue, selon laquelle l’article précité serait ipso facto applicable.

Paraphrasant l’arrêt, retenons qu’il convient de rechercher si l’article L.442-6, I, 5° est applicable à titre de la loi de police et, à défaut, de mettre en œuvre la méthode conflictuelle prévue par le règlement « Rome I » ou le règlement « Rome II ».

D’où, après un rappel sommaire mais bien venu par la Cour, de ce que sont les lois qui répondent à la qualification de loi de police la solution est que, faute de lien de rattachement de l’opération avec la France, l’article L. 442-6 I 5° si âprement revendiqué par les victimes de rupture, ne doit pas s’appliquer (rappr. Paris, 3 mars 2021, n° 19/09361, Lettre distrib., 05/2021, obs. C. Mouly-Guillemaud).

Le reste n’est que l’application au cas d’espèce, pour la détermination du droit applicable aux litiges rencontrés, de la méthode conflictuelle des règlements « Rome I » et/ou « Rome II ».

La Cour évoque brièvement l’arrêt « Granarolo », à propos d’un litige à caractère international relatif à une rupture brutale des relations commerciales de longue date au regard du règlement (CE) 44/2001 dit « règlement Bruxelles I » sur la compétence judiciaire et dont il ressort le caractère autonome, au plan du régime procédural de l’action en indemnisation, de l’interprétation des notions de « matière contractuelle » et de « matière délictuelle », sans égard aux qualifications dans l’ordre interne (CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-196-15, Lettre distrib. 09/2016, obs. F-L) et la reprise de sa solution un an plus tard par la Cour de cassation (Com. 20 sept. 2017, n° 16-14.812, Lettre distrib. 10/2017, obs. F-L).

La Cour rappelle que « cependant, la CJUE ne s’est pas prononcée sur la nature contractuelle ou délictuelle de l’action précitée en matière de conflit de loi ».

Mais, en l’espèce, elle laisse la question ouverte en ne s’appesantissant pas sur la nature juridique de l’action en responsabilité de l’auteur de la rupture, à raison de la communauté de solutions auquel conduit l’application de la méthode conflictuelle pour la détermination du droit applicable.

Car pour la Cour « (…) quelque soit le fondement, contractuel ou délictuel, de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie exercée par la société [grecque], la loi grecque est applicable, soit en tant que lieu de résidence du prestataire de service [grec] à défaut de loi choisie par les parties au sens de l’article 4 §1 b) du règlement Rome I, soit en tant que loi du pays où le dommage est survenu, au sens de l’article 4 §1 du règlement Rome II. ».

La loi grecque s’impose aussi pour le traitement de la demande en réparation du manquement contractuel, cette fois-ci au regard des dispositions du seul règlement « Rome I ».

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juillet 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.