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Avantage sans contrepartie : prohibition large et soubresaut judiciaire.

CEPC, 15 septembre 2023, Avis n° 23-7

Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2023, n° 20/04679

 

1. Faits

La Commission d’Examen des Pratiques Commerciales s’est prononcée sur la conformité aux dispositions de l’ancien article L. 442-6, I, 1° et de l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce de la pratique visant, pour une société informatique, à émettre successivement cinq factures annuelles forfaitaires sur le fondement d’un contrat d’abonnement à l’ordre d’une entreprise cliente, au titre de prestations dont cette dernière ne bénéficiera pas, faute de déploiement d’une plateforme informatique permettant la délivrance de ces prestations.

 

2. Problèmes

Il était question, pour la CEPC, de déterminer si cette pratique pouvait être appréhendée tant sur le fondement de la prohibition des avantages sans contrepartie (ancienne et nouvelle version issue de l’ordonnance du 24 avril 2019) que sur celui du droit des obligations.

 

3. Solutions

Le traitement de la question sous l’angle du droit des obligations ne sera pas abordé ici, sauf à simplement signaler que la CEPC, au vu des circonstances de l’espèce, se penche sur les notions de caducité et d’exception d’inexécution.

Pour ce qui est de l’approche de la pratique décrite au regard des articles L. 442-6 I 1° puis L. 442-1 I 1° du Code de commerce, la CEPC la considère comme non conforme, après vérification des conditions d’application de la prohibition.

Ainsi, sur le nouveau fondement issu de l’ordonnance du 24 avril 2019, la CEPC estime que « la société informatique exerce une activité économique de services. De son côté, le client est bien « l’autre partie » à laquelle le bénéfice de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce est réservé. Par ailleurs, cette disposition est pourvue d’une lettre générale, mentionnant « un avantage », sans aucune précision, ni exclusion. (…) la société informatique réclame au client le paiement du prix de l’abonnement tel que prévu au contrat alors qu’en l’absence d’installation de la plateforme, aucune prestation n’est réalisée par elle, ce qui paraît constituer « le fait d’obtenir ou tenter d’obtenir un avantage sans contrepartie » en violation de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce. Il en irait toutefois autrement dans le cas où l’absence de toute prestation trouverait son origine dans le comportement du client lui-même ».

L’appréciation ne varie pas lorsque la pratique en cause est mise à l’épreuve de l’ancien article L. 442-6 I 1°, dans la mesure où la société informatique apparaît bien comme un « partenaire commercial » et que l’interdiction de l’obtention d’un avantage sans contrepartie, s’appliquait « quelle que soit la nature de cet avantage » et pouvait donc concerner le prix (Cass. Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163).

 

4. Observations

Le contenu de l’avis n° 23-7 quant au domaine d’application de la prohibition de l’avantage sans contrepartie ne nous surprend pas, tant au regard des précisions données par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 janvier dernier (Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163, Lettre distrib. 02/2023, et Revue Lamy de la Concurrence n° 125, Mars 2023, nos obs.) qu’au plan de la prohibition telle que définie par l’ancien texte et le nouveau.

La CEPC s’est d’ailleurs par le passé et à de multiples reprises, montrée favorable à une application ouverte du dispositif en contemplation de sa lettre (voir notamment Avis CEPC n° 20-4 ; n° 19-1 ; n°18-2 ; n°18-3 ; n°18-8 ; n°15-21).

Dans un avis du mois de février dernier (Avis n° 23-1), elle réitérait encore sa position, sur la base de la prohibition nouvellement définie par l’article L. 442-1 I 1°.

En outre, plan historique, chacun se souvient de la vigueur dans le maniement judiciaire de la prohibition, en présence de contrats pour la prestation de services de fictifs, notamment de coopération commerciale.

Ainsi donc et s’il méritait d’être rapporté à la Lettre, ce dernier avis de la CEPC faisant application de la prohibition à la contrepartie, entendue ici comme le prix en soi de la prestation, ne révèle rien d’imprévu, pour cette prohibition multiface à raison du caractère si multiforme des pratiques qu’elle entend combattre.

Mais il est toujours téméraire en cette matière de croire au point final.

Un regard croisé du côté de la Cour d’appel de Paris nous en persuade.

En effet et dernièrement, dans l’un de ses arrêts (Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2023, n° 20/04679) assez surprenant selon nous, ladite Cour est à nouveau venu semer le trouble sur le domaine d’application de l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné.

Certes, sa solution est rendue au regard de l’article L. 442-6 I 1° alors applicable aux faits de l’espèce.

Après un rappel de ce que « Le texte sanctionne le fait de consentir dans le cadre de relations contractuelles de partenariat un avantage sans contrepartie ou avec une contrepartie manifestement disproportionnée au service rendu », la Cour d’appel constate qu’il s’est instauré entre les parties une relation commerciale aux termes de laquelle elles se sont mises d’accord sur l’objet et sur le prix de la mission de recrutement d’un collaborateur.

Mais, selon elle, « la rémunération contestée est le prix de la prestation convenu entre les parties et ne porte pas sur un avantage consenti au sens de la disposition précitée. ».

Nous relèverons curieusement qu’« au surplus » pour la Cour, « il résulte des développements précédents que l’objet de la prestation ne présente par un caractère fictif (…) » ce qui peut s’apparenter à une contradiction si le texte de L. 442-6 I 1° n’est pas applicable.

Exit alors, selon la Cour d’appel, l’application au cas d’espèce du L. 442-6 I 1°.

Bis repetita ! Serait-on reparti sur un nouvel intermède de résistance à l’application littérale de l’article précité (en sens contraire, Paris, 10 mai 2023, n° 21/04967, commenté à Lettre distrib. 06/2023, nos obs) au demeurant encore moins compréhensible que par le passé, au vu des enseignements récents de la jurisprudence (Com. 11 janvier 2023, préc.) et des évolutions de la loi ?

Pour l’heure, la solution résultant de cet arrêt nous apparaît en tout cas non conforme à celle délivrée par la Cour de cassation en début d’année s’agissant du domaine de l’article précité.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois d’octobre 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.