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Contrepartie : de la convergence d’analyse de l’avantage sans contrepartie et du déséquilibre significatif.

Sous l’angle de l’examen des contreparties, une affaire récente (Trib. com. Paris, 6 juillet 2021, n° 2016064825), fait à nouveau ressortir certaines convergences dans l’analyse menée par les juges des déséquilibres issus de la négociation commerciale, sur le fondement des textes prohibant l’avantage sans contrepartie et le déséquilibre significatif.

1. Faits.

Jusqu’en janvier 2012, le secteur du bricolage bénéficiait d’un régime dérogatoire aux dispositions de la loi LME en matière de délai de paiement.

L’alignement sur le droit commun s’est traduit par un raccourcissement des délais de paiement des fournisseurs, ce qui a augmenté les besoins en fond de roulement des magasins et généré des problèmes de trésorerie pour ces derniers.

Afin de faciliter le règlement des factures dans les délais légaux de droit commun, MR BRICOLAGE a alors mis en place un système d’affacturage inversé avec une banque allemande (DZB Bank).

Le dispositif a donné lieu à des conventions entre MR BRICOLAGE, les magasins de l’enseigne, les fournisseurs ayant adhéré au système, et DZB Bank.

L’adhésion au dispositif DZB Bank donnait le droit au fournisseur d’être payé dans un délai de 10 à 20 jours date d’émission de sa facture, au lieu du paiement légal à 45 jours fin de mois, soit un raccourcissement des délais de paiement d’au maximum 50 jours (soit 60j moins 10j).

Le fournisseur s’obligeait à appliquer un taux d’escompte de 1,4% du montant HT de sa facture ainsi qu’à payer une commission de ducroire et de paiement centralisé de 1,4% du montant TTC de ladite facture.

Ces droits et obligations étaient prévus dans le contrat annuel de référencement conclu entre le fournisseur et MR BRICOLAGE, même s’ils n’y étaient pas détaillés du fait d’un renvoi, au détour d’un de ses paragraphes, au contrat conclu avec la banque.

A l’issue d’une enquête menée fin 2013 et sur 2014, le Ministre de l’Economie a estimé que MR BRICOLAGE avait soumis ou tenté de soumettre les fournisseurs à adhérer à ce système d’affacturage inversé, adhésion qui, selon le Ministre, créait un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au profit de MR BRICOLAGE et de ses adhérents et au détriment des fournisseurs.

Le Ministre a saisi le Tribunal de Commerce de Paris, en fondant ses demandes notamment sur les deux dispositifs du Code de commerce essentiels de lutte contre les avantages abusifs soit, en l’espèce, au principal pour l’un (L. 442-6 I 2° – déséquilibre significatif) et au subsidiaire pour l’autre (L. 442-6 I 1°- avantage sans contrepartie ou disproportionné).

 

2. Problèmes et solutions.

Certains problèmes ont spécifiquement trait à l’examen des faits sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° en matière de déséquilibre significatif.

Nous retiendrons par exemple celui de l’applicabilité de l’article L. 442-6 I 2° y compris en cas d’intervention d’un établissement financier tiers pour mettre en œuvre la pratique litigieuse, « aucune distinction n’étant faite par le texte du code de commerce », « l’équilibre des droits et obligations des parties pouvant être modifié par des pratiques non prévues dans la convention écrite ».

Pointons aussi celui de la caractérisation de la soumission tirée de l’absence de négociation effective, moyennant une analyse par indices :

– indice structurel d’abord, au regard de la position du distributeur sur son marché (10%) et dont « la force commerciale est de toute évidence supérieure à celle d’un nombre important de fournisseurs » ;

– indice comportemental ensuite, au vu des circonstances de l’adhésion – bien que non obligatoire en soi – au mécanisme de paiement proposé, « au moment des négociations annuelles de référencement (…) c’est-à-dire à un moment où le fournisseur est vulnérable », sur la base d’auditions menées auprès d’un échantillon de fournisseurs entendus lors de l’enquête.

Au plan indiciaire, nous relevons que si le Tribunal ne manque pas de rappeler que les intentions du législateur ont été de sanctionner « non pas tant un résultat, à savoir le déséquilibre en tant que tel, qu’un comportement, c’est-à-dire la soumission ou la tentative de soumission à ce déséquilibre et qu’il en résulte qu’il ne peut s’inférer du seul contenu de clauses dont l’analyse conduirait à conclure à un déséquilibre, la caractérisation de la soumission », la charge financière constatée pour le fournisseur, facteur d’un déséquilibre supporté par ce dernier du fait des obligations proposées, permet de conclure qu’il ne pouvait y souscrire que s’il y était contraint.

La soumission se déduit alors en partie du déséquilibre du montage («  Attendu que la plupart des fournisseurs ont expliqué au cours des entretiens réalisés par le Ministre que le dispositif DZB était inutilement coûteux et donc financièrement pénalisant, le coût du dispositif étant sans commune mesure avec l’avantage procuré par le raccourcissement du délai de paiement de 45 jours fin de mois à 10-20 jours ; qu’il en résulte qu’un fournisseur ne souscrirait à un tel montage s’il ne subissait pas de fortes pressions le conduisant à se sentir obligé d’adhérer »). En pareilles circonstances, le résultat de la soumission a pu alors aussi compter au nombre des éléments de sa caractérisation.

Enfin et lorsqu’il est question de s’intéresser à l’éventuel rééquilibrage du déséquilibre une fois ce dernier identifié, l’avantage concurrentiel qui, selon le distributeur, peut permettre au fournisseur qui adhère au dispositif d’augmenter son chiffre d’affaires, ne constitue pas un facteur d’un tel rééquilibrage. Cet éventuel avantage, qui ne se traduit pas par une obligation contractuelle du distributeur, n’est pas une contrepartie contractuelle.

Un avantage de fait et incident, même réel, n’est donc pas un facteur de rééquilibrage. Le Tribunal indique notamment qu’« à s’interroger sur la valeur d’une contrepartie non contractuelle, hypothétique et vraisemblablement non durable, le tribunal ne peut que répondre que cette valeur est indéfinissable et ne peut donc pas être prise en considération pour examiner si le déséquilibre créé par le dispositif DZB est rééquilibré ; », et d’en conclure que « Attendu que MR BRICOLAGE ne fait valoir aucune clause du contrat de référencement qui aurait été négociée avec les fournisseurs en contrepartie du dispositif DZB ».

Mais outre les sujets précités à l’aune de l’article L. 442-6 I 2°, le jugement invite selon nous à y voir une convergence dans l’examen de ces déséquilibres issus de la négociation commerciale, qu’il soit conduit sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2°, à ce jour L. 442-1 2° (déséquilibre significatif) ou L. 442-6 I 1°, à ce jour L. 442-1 1° (avantage sans contrepartie ou disproportionné).

 

3. Observations.

Une telle convergence n’a de notre point de vue rien de véritablement étonnant lorsqu’il est question de s’intéresser aux contreparties.

Si chacune des pratiques précitées répond à une définition qui lui est spécifique – et l’on pense notamment à la soumission ou la tentative de soumission propre au délit civil de déséquilibre significatif − les deux dispositifs ont une communauté d’objectif à savoir lutter contre les avantages abusifs lors des négociations commerciales, soit en tant que tels (art. L. 442-6 I 1°), soit en tant que résultats de droits et obligations soustrait à une réelle négociation du fait de l’existence d’une soumission ou d’une tentative de soumission.

Les mêmes faits peuvent d’ailleurs être poursuivis, cumulativement, sur divers fondements de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce (Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, Lettre distrib. 06/2018 ou RLC n° 74, juillet-août 2018, nos obs).

Comme déjà relevé, le Ministre fonde d’ailleurs entre autres ses demandes sur les deux dispositifs, au principal pour l’un et au subsidiaire pour l’autre.

Tout en respectant la lettre de l’article L. 442-6 I 2°, cette convergence s’illustre dans les passages du jugement consacrés à l’analyse du déséquilibre en lui-même et à son éventuel rééquilibrage par des contreparties (« Attendu que le tribunal examinera si les droits et obligations des fournisseurs et de MR BRICOLAGE relatifs au paiement dans le cadre du système centralisé DZB Bank créent un déséquilibre significatif entre les parties, et si le déséquilibre éventuel est rééquilibré par des contreparties ; ». Rappr. Com., 25 janv. 2017, n°15-23547 : Lettre distrib. 02/2017, N.E ; Paris, 1er juillet 2015, n° 13/19251 : Lettre distrib. 07-08/2015, nos obs. ; T. Com. Paris, 24 sept. 2013 : Lettre distrib. 11/2013 ; Paris, 12 juin 2019, n°18/20323, Lettre distrib. 07-08/2019, S.C. ; Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, préc.).

Pour rappel, le sujet de l’existence de la contrepartie est de longue date au cœur du dispositif de l’article L. 442-6 I 1° et se retrouve de plus fort dans l’article L. 442-1 I 1° issu de l’ordonnance du 24 avril 2019.

La convergence se loge aussi dans l’examen de la valeur de la contrepartie et de son coût, tout comme dans celui de l’utilité du service examiné.

A titre d’exemple sur la valeur, le Tribunal se livre à une approche comparative de cette valeur à propos du taux d’escompte litigieux (« le taux d’escompte prévu dans les contrats de référencement conclus entre le fournisseur et MR BRICOLAGE est donc beaucoup plus coûteux que le recours à l’escompte bancaire, beaucoup plus coûteux que les découverts bancaires, et souvent plus coûteux que les taux d’escompte proposés par les fournisseurs proposant l’escompte dans leurs propres conditions »).

De même et s’agissant du coût de la commission de paiement centralisé, le Tribunal estime que « payer de l’ordre de 0,7% du montant des factures pour avoir un interlocuteur unique pour tout avantage est à l’évidence bien coûteux ; ».

De même et sous le prisme de l’utilité du service, que l’on rencontre dans certaines affaires jugées sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° ancien (rappr. Paris, 2 févr. 2012, et Com., 10 sept. 2013, n° 12-21804, qui relève « Le décalage entre les données fournies et ce dont auraient besoin les fournisseurs pour que le service soit véritablement utile ».), le Tribunal considère que la garantie apportée au fournisseur en contrepartie de la commission de ducroire est en l’espèce « d’une utilité discutable ».

De cette critique peut être rapprochée celle tenant, en l’espèce, à l’intérêt contestable pour certains fournisseurs du service de paiement centralisé au regard du caractère « particulièrement lourd du fait de procédures administratives et comptables spécifiques à respecter ».

Cette affaire récente, comme d’autres qui l’ont précédé, fait donc ressortir un grand nombre de points communs au niveau de l’analyse par les juges des déséquilibres issus de la négociation commerciale, en sorte que les solutions issues de contentieux menés sur le fondement de l’un ou l’autre des textes précités peuvent effectivement documenter les débats dans le cadre de contentieux menés sur le fondement alternatif ou cumulatif de ces textes.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : Le commentaire de cette décision est intégré à la Lettre de la distribution du mois de septembre 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.