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Enquêtes : de la confidentialité inopposable aux enquêteurs.

Selon un communiqué mis en ligne ce jour, mercredi 10 novembre 2021, les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence ont procédé hier, après autorisation d’un Juge des Libertés et de la Détention, à des opérations de visite et saisie inopinées auprès de plusieurs entreprises, ainsi qu’au domicile de certains de leurs collaborateurs, afin de déterminer si elles ont mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire.

L’Autorité indique qu’à ce stade, ces interventions ne préjugent bien évidemment pas de la culpabilité des entreprises concernées par les pratiques présumées, que seule une instruction au fond permettra le cas échéant d’établir, et qu’elle ne fera aucun autre commentaire ni sur l’identité des entreprises visitées ni sur les pratiques visées.

Les problématiques rencontrées à l’occasion de telles opérations sont nombreuses.

Sans qu’il ne soit ici question d’un lien quelconque avec les opérations ci-dessus, dont nous apprenons l’existence en lisant le communiqué précité, cette actualité nous donne l’opportunité de revenir sur le sujet plus général de la confidentialité de certaines pièces issues d’une enquête, mais étrangères à la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, bénéficiant d’un régime de confidentialité spécifique.

L’affaire ci-dessous rapportée en donne une illustration (Cass. crim., 19 octobre 2021, pourvoi n° 20-85.644).

1. Faits et procédure

Aux fins d’établir si la société Swarovski France et des sociétés du même groupe se livraient à des pratiques anticoncurrentielles, le rapporteur général de l’ADLC a saisi sur requête en juin 2019, le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) en application de l’article L. 450-4 du code de commerce (enquête dite « lourde »), d’une demande aux fins d’autorisation d’opérations de visite et de saisie dans les locaux des sociétés précitées.

Le JLD a autorisé la mesure et les opérations sont intervenues. Swarovski France a fait appel de l’ordonnance autorisant ces mesures et a formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie devant le premier président de la Cour d’appel de Paris.

Celui-ci a annulé l’ordonnance du JLD, avec entre autres motifs, qu’il avait été transmis par l’ADLC à l’appui de la demande d’ordonnance aux fins de visite et saisie, un contrat contenant une clause de confidentialité, obtenu par l’ADLC dans le cadre des pouvoirs d’enquête qu’elle tient de l’article L. 450-3 du code de commerce (enquête dite « simple »).

L’ADLC a alors formé un pourvoi devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 19 octobre 2021 et après réunion des moyens de l’ADLC, casse et annule l’ordonnance du premier président ).

2. Problème

Lorsqu’il examine le bienfondé d’une demande d’autorisation aux fins de visite et saisie, le Juge doit-il s’abstenir d’analyser des contrats obtenus par les enquêteurs dans le cadre d’une enquête simple et pouvant laisser présumer une infraction aux règles de concurrences, au motif que ces contrats comportent une clause de confidentialité ?

3. Solution

La solution, qui figure au point 23 de l’arrêt, est que « le juge ne pouvait s’abstenir d’analyser les contrats de distribution (…) au motif qu’ils contiennent une clause de confidentialité, dès lors que ces documents ont été régulièrement obtenus par l’Autorité de la concurrence dans le cadre des pouvoirs d’enquête qu’elle tient de l’article L. 450-3 du code de commerce. »

4. Observations

Toutes les confidentialités n’ont pas le même degré de valeur à l’occasion ou en suite d’une enquête et l’on aurait pu anticiper, sans trop se risquer, la réponse ici donnée par la Cour de cassation dans cette affaire, étrangère à la thématique de la confidentialité dans la relation avocat/client (à rappr. Visites domiciliaires, saisies et pratiques anticoncurrentielles : scellés fermés provisoires et autres problématiques de déroulement des opérations. RLC n° 96, Juillet-Août 2020, nos obs. ; Cass. Crim, 4 mars 2020, n° 18-84.071, Lettre distrib. Mai 2020, nos obs.).

La solution ici rapportée méritait-t-elle vraiment d’ailleurs le présent commentaire, tant elle paraissait devoir s’imposer ?

Pourtant et pour dire mal fondée l’autorisation des opérations de visite et de saisie et annuler l’ordonnance initiale du JLD, l’ordonnance du premier président indiquait, entre autres motifs, que « la légalité de la production, par l’Autorité de la concurrence, des contrats entre (…) interroge dès lors que ces documents comportent une clause de confidentialité ».

Par ce motif, l’ordonnance fleurtait avec la solution, bien que non formellement exprimée, d’une confidentialité s’imposant entre les parties et primant sur le droit pour l’autorité poursuivante, de faire état des pièces recueillies dans l’exercice régulier et légalement organisé de ses prérogatives d’enquête.

La motivation était d’autant plus surprenante, à tout le moins selon l’éclairage procuré par le moyen du pourvoi. Selon ce moyen, pour écarter la présomption d’abus de position dominante retenue par le JLD sur le fondement de contrats litigieux et annuler l’autorisation, le premier président avait relevé que lesdits contrats comportaient une clause de confidentialité, en sorte que « la légalité de [leur] production (…) sans l’accord de la société Swarovski France interroge[ait] ».

Fallait-il alors entendre par cela qu’il eut été nécessaire de solliciter l’accord de la partie à visiter – motifs pris de la confidentialité en cause – avant de divulguer le contenu du document litigieux au JLD, afin d’obtenir de sa part une ordonnance autorisant la mesure d’enquête lourde dans les locaux de la société visitée ?

L’approche reviendrait à avoir dotés les enquêteurs pouvoirs d’enquête forts dont l’entrave est sanctionnée à divers titres et, dans le même temps, permettre aux auteurs présumés de pratiques anticoncurrentielles visées par les mesures d’enquête de refuser, pour des motifs de confidentialité tels ceux de l’affaire ici rapportée, que lesdits enquêteurs fassent usage des pièces recueillies, comme ici dans le cadre d’une enquête simple. L’observation vaut tout autant pour les enquêtes lourdes.

Pour mémoire et afin de garantir l’effectivité de ces enquêtes, les personnes enquêtées ne peuvent s’y opposer, sauf notamment, à risquer la sanction pour obstruction à l’enquête (à rappr. Droit d’opposition en matière de visites domiciliaires versus obligation de soumission aux inspections : l’improbable conciliation à l’aune de l’obstruction. RLC n° 89, Décembre 2019, nos obs. ; ADLC, 22 mai 2019, n° 19-D-09, Lettre distrib. Juin 2019, nos obs.).

L’impératif d’effectivité de l’enquête vise aussi à garantir l’effectivité de la procédure qui lui est subséquente. Ainsi, la confidentialité ici invoquée en tant que parade aux pouvoirs d’enquête et à l’utilisation des éléments qui en sont issus, n’est donc qu’un moyen de défense illusoire.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

Nota : Le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Novembre 2021 et à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, les rubriques Lettre de la Distribution et Autres publications.