Affaire Phyto Plus c./ Frans Bonhomme
Tribunal de Commerce de Paris, 10 octobre 2022, n° 2021000304
1. Faits.
Le litige opposait un fournisseur (Phyto Plus), à l’un de ses distributeurs (Frans Bonhomme). Ces deux sociétés avaient noué une relation commerciale de 2011 jusqu’au 1er mars 2020.
Le fournisseur prétendait que son distributeur lui avait demandé début 2016 de concevoir et de développer un filtre d’assainissement spécifique, conformément à un cahier des charges précis du distributeur pour répondre au besoin des clients de ce dernier.
Selon le fournisseur, cette demande aurait été assortie, oralement, d’un accord sur les volumes de commandes de ce produit, ce qui aurait conduit notre fournisseur à entreprendre des investissements et emprunts à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Le nombre de commandes passées n’étant pas à la hauteur de celles attendues et alors que le distributeur soutenait ne pas être à l’origine de la fabrication des produits, ledit distributeur, mettant en avant le comportement brutal de son fournisseur lors d’échanges téléphoniques, devait lui notifier en août 2019 la rupture de la relation commerciale, avec un préavis de sept mois arrivant à échéance le 1er mars 2020.
Le fournisseur l’assigna sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 3° (obtention d’un avantage sans volume écrit de commande), 4° (conditions financières disproportionnées sous la menace d’une rupture brutale) et 5° (rupture brutale) du Code de commerce.
Par jugement du 10 octobre 2022, le Tribunal de commerce de Paris déboute le fournisseur de ses demandes (T. com. Paris, 10 octobre 2022, n° 2021000304).
Nos observations se cantonneront à la solution donnée par le Tribunal sur le fondement du point 3° de l’article précité. Cette prohibition est souvent désignée, dans le langage des praticiens, sous le terme d’interdiction des « primes de référencement ».
2. Problème et solution.
Dans ce contexte de relation d’affaires et alors que les circonstances de la cause ne décrivaient pas une situation de « référencement », notamment du fait de centrales éponymes, le texte pouvait-il – au moins au plan des principes – s’appliquer ?
La réponse est affirmative pour le Tribunal qui, par une formulation générique, « constate que les dispositions de l’article L. 442-6 I 3° du code de commerce ne sont pas limitées au seul versement fautif de primes de référencement. ».
La violation de cette prohibition est toutefois écartée par le Tribunal après vérification de la réalité des allégations du demandeur.
3. Observations.
La solution générale ne nous surprend pas.
Pour rappel, deux lectures s’opposaient sur le domaine de l’ancien article L. 442-6, I 3°.
Le fournisseur reprochait à son distributeur d’avoir obtenu comme avantage, celui de la création d’un filtre pour satisfaire sa demande et ce suivant un cahier des charges précis respecté par le fournisseur.
Il ajoutait que le distributeur se serait engagé, non par écrit mais oralement, à commander un certain nombre de filtres par an, compris une fourchette quantitative et que cet engagement n’avait d’ailleurs pas été respecté.
Le distributeur soutenait quant à lui, que l’article L. 442-6, I 3° était inapplicable (« les conditions d’application de l’ancien article L. 442-6, I, 3° du code de commerce relatif aux primes de référencement ne sont pas réunies »), le texte ayant « vocation à lutter contre le fait de subordonner le référencement d’un fournisseur à l’octroi d’avantages financiers, sans contrepartie suffisante, comme les primes de référencement abusives qui peuvent être versées aux centrales de référencement ».
In concreto, selon lui, les exigences de ce texte faisaient défaut. Entendre par cela, notamment l’inexistence d’un avantage préalable à la passation de commande puisque Phyto était déjà un fournisseur actif du distributeur depuis plusieurs années, mais aussi l’absence d’avantage « financier » (« en second lieu, l’avantage allégué n’est pas un avantage financier ») non assorti d’un engagement de volume ou d’un service demandé par le fournisseur.
Le Tribunal a eu les faveurs de la première de ces deux lectures.
Certes, la solution ne conduira pas à la condamnation du distributeur, faute de rapporter la preuve de la pratique ainsi prohibée et notamment de l’existence d’un avantage au sens de l’article précité (« Que dès lors le moyen selon lequel PHYTO PLUS aurait défini et élaboré le produit « STEPURFILTRE », sur la base d’un cahier des charges adressé par FRANS BONHOMME, et que cette dernière aurait imposé à PHYTO PLUS la création, le développement ou la production de ce filtre, sera écarté par le tribunal ; Qu’en tout état de cause, PHYTO PLUS ne démontre pas non plus que FRANS BONHOMME aurait pris, au-delà de l’intérêt porté sur le produit « STEPURFILTRE » pour, à l’évidence, diversifier son catalogue de produits, un quelconque engagement de commandes, par oral ou par écrit ; »).
Les motifs du jugement, qui relatent les circonstances propres de l’espèce, mériteront que l’on s’y reporte, notamment pour qui souhaitera réfléchir aux hypothèses, autres, dans lesquelles les éléments de la pratique prohibée auraient pu être vérifiés.
Rappelons toutefois que la pratique en cause n’est plus sanctionnée per se depuis la réforme du titre IV du livre IV du Code de commerce par l’ordonnance du 24 avril 2019.
Cette ordonnance a recentré la liste des pratiques abusives autour de trois pratiques générales existantes et modifiées dans leur champ d’application, au sein du nouvel article L. 442-1.
De la sorte, des pratiques visées jadis en tant que telles pourraient relever du champ d’application des prohibitions maintenues, ce qu’il appartiendra aux juridictions saisies d’apprécier au vu de la lettre des nouveaux textes.
Lorsqu’il sera question de faire application de ces derniers, les jurisprudences rendues en matière de pratiques abusives sur des fondements aujourd’hui disparus, pour des raisons tenant davantage à un souhait de simplification que d’absolution (cf. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance, p. 7 et 8), pourront alors tenir lieu de points de repère.
Mais à nos yeux, l’essentiel est ailleurs : au-delà de la pratique ici rapportée, le jugement suggère une réflexion plus « macro-juridique », si nous osons l’expression.
Mais expliquons-nous ci-après.
Cette affaire témoigne à la fois de la plasticité des textes en matière de pratiques abusives et de la compatibilité de leur contenu pour appréhender des pratiques qui n’étaient pas nécessairement celles pour lesquelles les textes avaient été initiés.
La loi a ses raisons qui ne peuvent avoir raison de la loi : l’on sait qu’une fois établie, la règle de droit revêt un caractère abstrait, obligatoire et coercitif.
A cela trois exemples.
Souvenons-nous, en premier lieu, que la prohibition de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, au large domaine d’application très tôt décelé (Lettre distrib. juil./août 1996), avait pourtant été essentiellement imaginée, à l’occasion de la loi Galland de 1996, afin de lutter contre les déréférencements abusifs.
Il en est de la même multifonctionnalité, en deuxième lieu, de la prohibition, instituée par la NRE, de l’article L. 442-6, I, 1° visant les nouvelles formes d’abus « parfois commis par la grande distribution au détriment de ses fournisseurs » (Rapport Sénat sur le projet adopté par l’Assemblée Nationale relatif aux Nouvelles Régulations Economiques, p. 20), que constituaient les avantages sans contrepartie ou moyennant une contrepartie disproportionnée.
Sur ce fondement, la Cour de cassation a jugé, dix ans plus tard, dans un arrêt ayant reçu les honneurs d’une publication au bulletin, que la mise à disposition gratuite par un fournisseur à son client distributeur, de personnels intérimaires pour la réalisation d’un inventaire, relevait de l’avantage indu car sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard du service rendu, quand bien même ne donnait-il par lieu à un mouvement de fonds en faveur du distributeur (Com., 18 oct. 2011, n° 10-15.296). L’on peut y voir une application de la prohibition à un avantage en nature.
Fort de ce témoignage, s’il en est, de l’adaptabilité du texte aux contingences particulières et sauf revirement de jurisprudence de la même chambre que nous n’aurions pas remarqué, nous nous questionnons – encore – sur la solution de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 4 novembre 2020 (n° 19/09129) d’où il ressort que les dispositions de l’article L. 442-6 I 1° ne s’appliquent pas à une réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.
A ce propos, la récente analyse du Conseil constitutionnel, certes sur le nouvel article L. 442-1, I, 1°, goûtée ou non (rappr. pour une analyse critique, CC n° 2022-1011 QPC, 6 oct. 2022, Lettre distrib. 10/2022, obs. N.E), pourrait avoir quelques incidences sur le sort de cette solution, puisqu’à notre connaissance, l’arrêt d’appel a fait l’objet d’un pourvoi. L’avenir nous en dira davantage.
En dernier lieu et dans le domaine voisin de la formalisation de la relation commerciale, comment ne pas évoquer l’application des textes du Code de commerce à des univers très différents de celui de la relation entre les fournisseurs et les grands distributeurs.
Claris non fit interpretatio et Dura led sed lex : la règlementation des pratiques restrictives n’y fait pas exception.
Jean-Michel Vertut – Avocat.
Nota : le commentaire de ce jugement est intégré à la Lettre de la distribution du mois de décembre 2022. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.