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L’ancien article L. 442-6 I 1° C.com. s’applique quelle que soit la nature de l’avantage en cause. (Décryptage)

Affaire Ministre de l’Economie c./ OC Résidences

Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163

 

Après une courte alerte le 16 janvier dernier pour signaler cet important arrêt de Cour de cassation, nous revenons sur celui-ci.

Faits.

La société OC résidences, constructeur de maisons individuelle, a entrepris en 2013 de déduire du montant de la créance de son sous-traitant 3J Charpentes SARL, une remise exceptionnelle de 2 % au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) accordé par l’Etat aux entreprises, dont 3J.

Pour rappel, le CICE avait pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Son ambition n’était pas d’inciter la clientèle des entreprises bénéficiaires à exiger, sous ce prétexte, des révisions à la baisse du tarif négocié.

Il semble pourtant que la pratique n’ait pas été si exceptionnelle, au point d’avoir conduit la DGCCRF à spécialement mettre en garde les acteurs contre l’abus qu’elle constituait.

S’estimant victime de cette pratique de la part de son client OC, 3J en réfère, en novembre 2013, à la Direccte.

Le Ministre de l’Economie assigne OC en avril 2017 aux fins de voir juger que la pratique consistant à déduire des factures des sous-traitants, une remise systématique de 2 % au titre du CICE contrevient aux dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° C. com. en ce qu’elle constitue une obtention ou tentative d’obtention d’un avantage sans contrepartie.

Outre la pratique en question, il était reproché à OC de s’octroyer un escompte de 3%, certes prévu dans le contrat avec 3J, mais en cas de paiement anticipé et non pour des factures payées en retard, comme tel était le cas en l’espèce.

Avant dire droit, le Tribunal de commerce saisit du sujet la CEPC, qui estime qu’« une remise liée au bénéfice du CICE, de même qu’un escompte justifié par un délai de paiement non respecté, constituent des avantages sans contrepartie effectivement rendue en violation de l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce » (Avis n° 18-6).

Le 18 janvier 2019 (aff. n° 201700532), le Tribunal fit injonction à OC de cesser ses pratiques commerciales illicites, outre la condamnation à restitution des sommes par elle perçues.

La Cour d’appel (Paris, 4 nov. 2020, ch. 5-4, n° 19/09129, Lettre distrib. 12/2020, obs N. Eréséo) confirmait la décision des premiers juges en ce que les dispositions du Code de commerce s’appliquaient aux relations de sous-traitance.

Mais elle réformait pour le surplus, en considérant, pour ce qui concerne la pratique de l’escompte litigieux, que les éléments de l’enquête ne l’établissaient pas et, pour ce qui est de la remise de 2% au titre du CICE, que l’article L. 442-6, I, 1° ne s’appliquait pas aux réductions de prix.

Sur pourvoi du Ministre, la Cour de cassation, dans un arrêt publié, partage l’appréciation de la Cour d’appel quant à l’application de l’article précité à la relation entre un entrepreneur principal et ses sous-traitants.

En revanche, c’est la cassation à la fois sur la question de l’insuffisante analyse des juges d’appel au plan de la caractérisation matérielle des faits concernant l’escompte, ainsi que sur la solution de droit donnée par la Cour d’appel quant au domaine d’application de l’article L. 442-6, I, 1°, que la Cour juge applicable en l’espèce.

L’affaire est renvoyée devant la Cour de Paris autrement composée. Seul le dernier point donnera lieu à observations ci-après.

 

Problème et solution.

La question était celle du domaine d’application de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la réforme du titre IV du livre IV par l’ordonnance du 24 avril 2019.

Tout l’enjeu était celui de la pertinence rationae materiae des actions en justice, à l’initiative du Ministre ou des parties, sur le fondement de l’article précité, lorsque les pratiques en cause, rationae temporis, ne relèvent pas du nouvel article L. 422-1, I, 1°.

On songe notamment à des actions en restitution suite à des pratiques commises avant que ne s’applique le nouvel article L. 442-2, I, 1°, dans la mesure où les règles en matière de prescription le permettent, mais aussi aux litiges en cours et dans lesquels un moyen se base sur le texte en question.

Pour la Haute Cour, « l’application de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce exige seulement que soit constatée l’obtention d’un avantage quelconque ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage, (…) ».

 

Observations.

Cette solution ne nous étonne pas.

Il ne s’agit pas même, selon nous, d’une interprétation extensive du dispositif instauré par la Loi NRE de 2001, mais d’une lecture pure et simple du texte.

Au plan de l’historique règlementaire, ce dispositif n’a pas vu son domaine d’application amputé à l’occasion de la loi LME, avec l’instauration de la prohibition du déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6, I, 2°, qui suppose des conditions propres.

Au plan des solutions issues de la jurisprudence, la Cour de cassation a jugé, dix ans après la loi NRE, dans un arrêt publié au bulletin, que la mise à disposition gratuite par un fournisseur à son client distributeur, de personnels intérimaires pour la réalisation d’un inventaire, relevait de l’avantage indu car sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard du service rendu, quand bien même ne donnait-il par lieu à un mouvement de fonds en faveur du distributeur (Com., 18 oct. 2011, n° 10-15.296).

L’on pouvait alors y voir une application de la prohibition à un avantage en nature ce qui, a fortiori il nous semble, devait rendre d’autant logique, au plan de la lettre du texte, la solution rendue par la Cour d’appel de Paris des années plus tard, s’agissant d’avantages financiers issus de la négociation commerciale (Paris, 13 sept. 2017, n° 15/24117, « arrêt Gelco », Lettre distrib. 11/2017, obs. N. Eréséo).

Cet arrêt avait dit l’article L. 442-6, I, 2° applicable aux réductions de prix, en l’occurrence une ristourne. Nous ne nous souvenons pas que sa solution eut généralement étonné, alors d’ailleurs que cette appréciation était partagée par la CEPC dans une multitude d’avis antérieurs ou postérieurs à cette dernière affaire.

Pourtant, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (Paris, 4 nov. 2020, n° 19/09129), censuré par l’arrêt ici commenté, claquait comme un éclair dans le ciel jusqu’alors dégagé du contrôle des avantages abusifs issus de la négociation commerciale sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1°.

La Cour d’appel estimait en effet, que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 1°, ne s’appliquaient pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial.

Elle en était arrivée à cette conclusion aux motifs qu’« En raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-749 QPC (voir considérant n°7) à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass. com. 25 janv. 2017, n° 15-23547) ».

La Cour d’appel réitérait d’ailleurs son appréciation dans un autre arrêt passé plus inaperçu (Paris, 18 nov. 2020, n° 19/12813, Lettre distrib. 12/2020, obs. M-P. B-D).

Signalons toutefois en contrepoint, un arrêt postérieur de la même Cour qui avait examiné une rétro-commission de 1,5% du chiffre d’affaires pour la considérer non abusive sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1°, s’agissant alors de frais administratifs de participation à un appel d’offres, bien qu’il ne ressorte pas des débats dans cette affaire que les parties au litige aient entendu croiser le fer sur le champ d’application matériel de l’article précité (Paris, 6 mai 2021, n° 19/06400, Lettre distrib. 06/2021, nos obs.).

Quoi qu’il en soit, on aurait pu se croire au bout de nos surprises au plan de la lecture étriquée de l’article L. 442-6, I, 1°, mais cela aurait conduit à se méprendre, au vu d’un jugement du Tribunal de Commerce de Paris (11 mai 2021, n° 2018014864).

En l’espèce, les contrats-cadres examinés par le Tribunal faisaient ressortir que les remises visées par le Ministre dénommées toutes « remises sur facture inconditionnelle » ne se référaient « à aucun service commercial » sur lequel les parties se seraient accordées.

Le Tribunal devait alors juger mal fondée la demande en restitution formulée par le Ministre, au motif que celle-ci avait été formulée « au titre exclusif de l’article L. 442-6 I 1°, fondé sur le seul moyen de l’absence de service commercial effectivement rendu, alors que celui-ci n’était prévu par aucun de contrats-cadres litigieux ».

Sous réserve d’une compréhension incorrecte de notre part et dans la veine de cette solution, une prestation contractualisée, mais fictive ou donnant lieu à un avantage disproportionné, serait alors exposée à une analyse sur le fondement de l’article précité, à l’inverse d’un avantage ne prévoyant pas de contrepartie, c’est-à-dire l’archétype de la situation abusive sous l’angle de l’article L. 442-6, I, 1° à ce jour L. 442-1, I, 1°.

Mais oublions pour l’heure cette dernière décision, que nous trouvons bien curieuse, pour en revenir à l’arrêt du 4 novembre 2020 et à sa solution, selon laquelle le contrôle des avantages sans contrepartie ou manifestement disproportionnés ne pouvait plus s’opérer sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 1°, mais sur celui du déséquilibre significatif, lequel suppose une « soumission ».

Nous nous étonnions (Lettre distrib. 12/2022) de cette solution exclusive et évoquions alors la récente analyse du Conseil constitutionnel, certes sur le nouvel article L. 442-1, I, 1°, et sa possible incidence sur la destinée de cette appréciation, dans l’attente de l’issue du pourvoi.

S’étant ravisée, peut-être à titre prémonitoire, la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs récemment souhaité, donner une explication de texte sur l’article L. 442-6, I, 1° et sur la compréhension de la solution de son arrêt du 4 novembre 2020, pour juger en l’espèce que « La Cour dans son arrêt du 4 novembre 2020 a statué en ces termes (…). Or, en l’espèce, ainsi que le fait justement valoir la société Edma, le litige ne porte pas sur le seul contrôle du prix mais sur un avantage tarifaire en échange de contreparties commerciales par la ʺréduction spécifique plan d’affairesʺ qui ne constitue pas une simple modalité de fixation du prix. En conséquence, l’article L 442-6, I, 1° du code de commerce est applicable au litige » (Paris, 7 déc. 2022, Pôle 5, Ch. 4, n° 20/11472).

Ainsi dit et après l’avoir mis sur une courte période au ban des outils de lutte contre certains types d’avantages abusifs, la Cour d’appel de Paris réhabilitait donc l’article L. 442-6, I, 1°.

Mais cette nouvelle interprétation de la solution de l’arrêt du 4 novembre 2020 n’est-elle pas survenue un peu tardivement et est-elle maintenant utile pour un arrêt qui, en fin de compte, n’existe plus, car cassé par l’arrêt du 11 janvier 2023 ?

En effet, à peine un mois depuis l’arrêt d’appel du 7 décembre dernier, la Cour de cassation nous livre sa solution en l’assortissant d’une publication au bulletin. Car selon la Cour, l’application de l’article L. 442-6, I, 1° « exige seulement » que soit constatée l’obtention d’un « avantage quelconque » ou la tentative d’obtention d’un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, « quelle que soit la nature de cet avantage ».

L’ancien article L. 442-6, I, 1° s’applique « quelle que soit la nature de cet avantage ».

C’est précisément ce dont dispose le texte lorsqu’il vise un « avantage quelconque » et il n’y a selon nous rien à rajouter.

Si le contrôle de l’absence de contrepartie ou de la disproportion manifeste (hors soumission à un déséquilibre significatif) s’effectue dorénavant sur le fondement du nouvel article L. 442-1, I, 1°, la solution de ce récent arrêt redistribue les cartes au plan des procédures engagées sur l’ancien fondement.

Cette solution purge aussi d’un débat similaire ou à tout le moins en dissuade, sur le nouveau fondement de l’article L. 442-1, I, 1°.

Au plan de la prohibition de la pratique en cause dans les termes applicables depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, ce qui vient d’être jugé par la Cour de cassation sur la lettre de l’ex article 442-6, I, 1° devrait être encore plus fondé au vu de celle du nouvel article L. 442-I, 1°, même si cette disposition, qui met en corrélation deux facteurs « un avantage », quel qu’il soit, et « une contrepartie », quelle qu’elle soit, laissait de toute façon peu de place à polémiques équivalentes sur son champs d’application et, au-delà, sur une prévalence avec effet exclusif de l’article L. 442-1, I, 2° sur l’article L. 442-1, I, 1°, s’agissant des avantages abusifs obtenus de l’autre partie résultant de la négociation commerciale (rappr. Paris, 31 juil. 2019, n° 16/11545, Lettre distrib. 09/2019, nos obs.).

La brèche ouverte voici un peu plus de deux ans par l’arrêt du 4 novembre 2020, qu’on s’en félicite ou non selon que l’on soit créancier ou débiteur d’un avantage abusif au sens de l’article L. 442-6, I, 1° et a fortiori L. 442-1, I, 1°, vient de se refermer.

Les perspectives renouvelées et renforcées de ce dispositif qui fut, depuis son instauration par la loi « NRE », le dispositif essentiel de lutte contre les pratiques abusives dans la négociation, avant de se voir rallié par celui de la prohibition du déséquilibre significatif par la « LME » (sans omettre, bien évidemment car bien plus ancienne encore puisque remontant à la loi « Galland », l’interdiction de la rupture brutale de relation commerciale établie, qui peut être initiée suite à désaccord d’un partenaire de consentir à un avantage abusif), invitent à des réflexions – nombreuses – pour qui veut bien prendre à bras le corps le sujet.

Abstraction faite des évolutions ultérieures des textes, nous assistons à la restauration du triptyque en vigueur au lendemain de la loi « LME », au plan des garde-fous contre les abus de la libre négociabilité résultant de cette même loi, suite à l’abrogation de l’interdiction en tant que telle des pratiques discriminatoires.

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Février 2023. Il le sera aussi à la Revue Concurrence. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.