Affaire FG Diffusion c./ Achats Marchandises Casino et Distribution Casino France
CA Paris, 29 novembre 2023, n° J2021000468
Cette affaire permet, entre autres, de revenir sur une question tant de fois posée : le référencement en tant que tel et en toutes circonstances, à commencer par celle où il est le fait d’une entité au demeurant souvent dédiée à cette tâche au sein d’un groupe de distribution dans lequel d’autres entités achètent et revendent les produits du fournisseur, peut-il se monnayer ?
1. Faits
FG Diffusion (ci-après le « fournisseur » ou « FG ») ayant pour activité l’édition et l’impression de produits de carterie, était depuis plusieurs années en relation commerciale avec la société Achats Marchandises Casino (ci-après « la société AMC »), centrale de référencement du groupe Casino, agissant auprès des fournisseurs au nom et pour le compte des sociétés du groupe Casino qui achètent leurs produits.
Dans le cadre de son mandat, AMC négociait et signait les accords commerciaux conclus avec les différents fournisseurs qui définissaient les conditions commerciales.
La société Distribution Casino France (ci-après « DCF ») exploitait les magasins du réseau Casino et assure la vente au détail des produits des fournisseurs.
Le dernier contrat-cadre entre les parties a été signé le 28 février 2018. A l’occasion de sa négociation un différend est apparu entre les parties.
Par lettre du 23 novembre 2018, AMC a notifié à FG sa décision de rompre leur relation commerciale pour une liste de 24 magasins à compter du 1er mars 2019. Puis par lettre du 20 février 2019, le préavis a été allongé jusqu’au 1er juillet 2019.
A la même date, AMC a notifié à FG la rupture totale de la relation commerciale pour l’ensemble des magasins à compter du 1er juillet 2020.
S’estimant victime d’une rupture brutale partielle puis totale de la relation commerciale ainsi que de pratiques restrictives de concurrence quant à l’obtention par AMC et DCF de divers avantages et ristournes au cours de leur relation d’affaires à compter de 2015, FG a assigné le 9 novembre 2020 AMC devant le tribunal de commerce de Paris.
Elle entendait obtenir le paiement de diverses sommes à raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie et la restitution de différents avantages financiers indus, notamment sur le fondement des points 1° et 2° de l’article L. 442.6 I du Code de commerce, dans sa version alors applicable.
Par jugement du 25 octobre 2021, le Tribunal de commerce de Paris a débouté le fournisseur sur la rupture brutale et accueilli partiellement ses demandes en restitution.
Sur appel principal du fournisseur, la Cour d’appel confirme dans l’arrêt rapporté la décision des premiers juges sur la rupture brutale des relations commerciales opérée par deux déréférencements consécutifs à l’occasion des négociations commerciales pour 2019, en retenant le caractère brutal de l’un d’entre eux.
La Cour, confirmant le jugement déféré sur certaines prétentions au plan des restitutions, l’infirme néanmoins pour l’essentiel de ce chef, accroissant très sensiblement le montant des restitutions incombant au distributeur.
2. Problème(s)
L’arrêt aborde de nombreux sujets que les observateurs des négociations commerciales ne sauraient négliger, tant les enseignements qu’il recèle nous apparaissent utiles au plan pratique pour l’accompagnement de leurs interlocuteurs, aussi bien dans le cadre des négociations commerciales que lors des contentieux actuels ou à venir.
Et c’est un véritable festival d’informations.
Citons de manière non exhaustive les débats concernant :
- la rupture brutale en deux temps – partielle puis totale – de la relation commerciale établie à l’occasion des négociations commerciales annuelles en tant que moyen de pression exercé sur le fournisseur (examinée sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5°) ;
- le refus de négocier par le distributeur et de sa demande de maintien pendant tout le préavis des conditions convenues au titre de l’année précédente (examiné sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2°) ;
- la prescription des demandes en restitution de certains avantages abusifs ;
- la répartition de charge de la preuve et la justification des services lors de l’analyse sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° et de celle de de chacun des services querellés au plan de leur réalité et, le cas échéant, de la proportionnalité de l’avantage obtenu (cf. sur ce même arrêt Lettre distrib. 11/2023, C. Mouly).
Mais l’on se concentrera sur la réponse à l’une des principales questions, fréquente en pratique et qui peut donner lieu à des réponses parfois hésitantes ou frileuses.
A savoir celle du caractère monnayable ou non, au regard de l’article L. 442-6 I 1°, de la tâche de référencement à l’occasion de la relation commerciale mettant en présence un fournisseur et un acteur de la grande distribution.
3. Solution(s)
A l’issue de la confrontation des moyens des parties sur un service de « référencement assortiment permanent » pour 2016 et 2017, la Cour constate que les explications et les pièces produites par la centrale de référencement du Groupe Casino (AMC) ne permettent d’appréhender ni la consistance exacte de ce service, « ni en quoi il se distingue du simple référencement des produits FG Diffusion », ni de son ampleur dans la variété de gammes justifiant une rémunération spécifique. Dans ces conditions, AMC « ne justifie pas avoir accompli un service détachable de l’opération d’achat-vente » en contrepartie de la somme versée par la société FG Diffusion au titre de la rubrique « référencement assortiment permanent » (…) ».
La solution se retrouve incidemment encore à l’occasion des débats sur le service de « mise en marché » pour 2018 et qui conduisent la Cour à estimer, au vu des pièces produites par AMC, que cette dernière ne justifie pas de « l’exécution d’une prestation autre que du référencement de deux produits de la société FG Diffusion ce qui fait partie de l’opération d’achat-vente », et qu’AMC « ne démontre pas avoir réalisé un service spécifique à la « mise en marché » au titre de l’année 2018 en contrepartie de la somme versée à ce titre par la société FG Diffusion. ».
Même chose lors de l’examen par la Cour d’appel du bienfondé de la « la ristourne de « gamme » » pour 2018. Ici encore et aux yeux de la Cour, « la ristourne dite de « gamme » libellée ZRB3 n’a fait l’objet ni d’une facture détaillée ni d’un contrat d’application permettant d’en apprécier le contenu, les modalités d’application et en particulier l’ampleur des gammes de produits de la société FG Diffusion concernés. Si la société AMC explique que l’objectif de cette ristourne était de permettre une gamme de référence des produits FG Diffusion « des plus élargies », force est de constater qu’elle se limite à produire les cadenciers 2018 « sans aucune analyse mettant en évidence l’optimisation des produits de la société FG Diffusion et un service distinct du simple référencement des produits ». Dans ces conditions, la société AMC ne justifie pas avoir accompli une prestation détachable de l’opération d’achat-vente en contrepartie de la ristourne obtenue de la société FG Diffusion en 2018. ».
4. Observations
Comme indiqué en question introductive, l’arrêt permet, entre autres, de revenir sur la question tant de fois posée : le référencement en tant que tel et en toutes circonstances, à commencer par celle où il est le fait d’une entité au demeurant souvent dédiée à cette tâche au sein d’un groupe de distribution dans lequel d’autres entités achètent et revendent les produits du fournisseur, peut-il se monnayer ?
Nous nous penchions d’ailleurs récemment sur cette question du caractère monnayable de certains versements auprès de Centrales de la grande distribution, alors intrigué que nous étions à la lecture d’un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris (Paris, 6 septembre 2023, n° 21/19954, Lettre distrib. 11/2023, nos obs.).
Riche, pratique et clair : Indépendamment des solutions apporte en l’espèce, tels sont de notre point de vue les caractères de l’arrêt du 29 novembre dernier pour les praticiennes et praticiens.
Tel n’est pourtant pas nécessairement toujours notre sentiment, davantage réservé sur certains arrêts traitant de problématiques voisines et convoquant quelques rendez-vous sur des interrogations plus fondamentales (ex. Paris, 25 octobre 2023, n° 21/11927, Lettre distrib. 12/2023 et RLC 2024/134, n° 4575, nos obs.).
Mais rien de tel ici. A la lecture de l’analyse menée par la Cour d’appel sur certains services de centrales et de leur caractère monnayable, est-il encore besoin d’épiloguer ?
En quoi de tels services, peu importe leur dénomination et pour lequel il a été consenti à un « avantage », sont-ils (si) distincts du « simple référencement » ?
Sans aller jusqu’à la dire avilie, la tâche de référencement est donc banalisée, parce qu’en réalité inhérente à la relation d’achat-vente observée et dont elle n’est pas un « service détachable ».
Peu importe alors qu’elle soit désignée comme un « service » ou les bavardages qui l’accompagnent parfois dans les conventions qui la prévoient.
De tout ceci et à l’issue d’une analyse in concreto et comme cela ressort de cet arrêt, il convient de retenir que la requalification menace alors aussi des « services » ou « contreparties » aux intitulés différenciants tels « mise en marché » ou « ristourne de gamme ».
Dès lors et sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 1° du Code de commerce (et mutadis mutandis sur le fondement de l’article L. 442-1 I 1°), la vigilance s’impose au plan de la négociabilité à titre onéreux de certaines prestations de référencement et ses déclinaisons, même déguisées en autre chose.
L’observation vaut encore nous semble-t-il, lorsqu’il est question d’examiner des contreparties en matière de déséquilibre significatif sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 I 2° (devenu art. L. 442-1 I 2° ; à rappr. Com., 25 janv. 2017, n°15-23547 : Lettre distrib. 02/2017, N. Eréséo ; Paris, 1er juillet 2015, n° 13/19251 : Lettre distrib. 07-08/2015, nos obs. ; T. Com. Paris, 24 sept. 2013 : Lettre distrib. 11/2013 ; Paris, 12 juin 2019, n°18/20323, Lettre distrib. 07-08/2019, S. Chaudouet. ; Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187, RLC 3425, juillet-août 2018, n° 74, p. 16 et s, nos obs), même si la convergence dans l’analyse menée au visa des 1° et 2° de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce peut parfois s’avérer aléatoire (cf. Paris, 25 octobre 2023, n° 21/11927, préc.).
En pleine période de négociation commerciale, même si certaines se terminent déjà en ce milieu du mois de janvier 2024 ou vont se clore à la fin de ce mois à raison du dispositif exceptionnel pour 2024 prévu par la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 (Lettre distrib. 02/2017, N. Eréséo), tel sera – sans plus – l’éclairage que nous souhaitions donner sur l’un des principaux apports de l’arrêt sur cette problématique récurrente, sans amoindrir bien entendu l’intérêt des autres sujets qu’il aborde.
Jean-Michel Vertut – Avocat.
Nota : le commentaire de cet arrêt est intégré à la Lettre de la distribution du mois de Janvier 2024. Il le sera aussi à la Revue Concurrences. Sur mes autres contributions dans ces publications, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.