Chaîne d’approvisionnement alimentaire : la CEPC apporte sa deuxième pierre à l’édifice d’un équilibre dans la contractualisation « amont » sur les produits agricoles.

Dans la continuité d’un premier avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, saisie par une Organisation de Producteurs à propos d’un contrat de fourniture de lait, précédemment commenté (avis 17-11, Lettre distrib. 12/2017, nos obs.), la Commission, à nouveau saisie par une Organisation de Producteurs, s’est encore penchée, à la faveur d’un Avis 20-1 du 10 mars dernier, sur ce type de contrat très particulier et assez symptomatique des tensions pouvant exister entre les acteurs des filières agricoles, sous fond de débat récurrent sur la valorisation des productions (à rappr. Communiqué de la CEPC du 19 juin 2009).

 

1. Les faits.

En l’espèce, l’avis de la CEPC était sollicité sur deux clauses et deux pratiques.

La première clause stipulait que le producteur s’engageait à exécuter de bonne foi son engagement de livraison en fournissant à l’acheteur des quantités de lait « correspondant au cycle de production de son cheptel ».

La deuxième, selon la partie à l’origine de la saisine, rendrait impossible la modification du circuit de collecte du lait.

Au plan des pratiques, la première concernait l’absence de prise de position déterminée de l’acheteur suite à la demande d’un producteur sous contrat, de pouvoir diminuer le volume de la production que ce dernier s’est engagé à lui livrer.

La deuxième visait l’absence de réponse à la demande formulée par le producteur, de voir procéder à des changements du circuit de collecte du lait tel que résultant du contrat.

 

2. Les problèmes.

D’où les questions ci-après posées par l’OP, permettant de jauger de la plus ou moins grande liberté pour un producteur d’organiser ses débouchés et, finalement, de s’émanciper un peu et toutes proportions gardées, de son acheteur :

– une clause d’approvisionnement formulée dans les termes suivants : « le producteur s’engage à exécuter de bonne foi son engagement de livraison en fournissant à l’acheteur des quantités de lait correspondant au cycle de production de son cheptel » ne vient-elle pas créer une obligation d’exclusivité non clairement consentie ?

– une clause qui rend impossible la modification du circuit de collecte est-elle légale ?

– un courrier de l’acheteur qui laisse une discussion ouverte pour diminuer le volume du producteur et qui ne répond pas à la demande de changement du circuit de collecte est-il légal ? Le refus de principe de l’acheteur pour que les producteurs prennent en charge les opérations de collecte est-il légal ?

 

3. Les solutions.

Lorsqu’un contrat de fourniture de lait fait explicitement référence à la fourniture de quantités correspondant à un « cycle de production du cheptel », les clauses prévoyant des engagements minimums de volume annuel devraient expressément stipuler le caractère exclusif de la relation. En effet, le cycle de production d’un cheptel ayant des conséquences sur sa capacité de production, et par conséquent sur l’engagement de volume consenti, cette référence peut – en combinaison avec d’autres modalités du contrat – créer une exclusivité d’approvisionnement empêchant le producteur d’envisager de nouveaux débouchés. Pour la CEPC, cette clause est de ce chef insuffisamment précise au plan de la liberté du producteur.

Par ailleurs, la clause prévoyant l’organisation de la collecte par l’acheteur en dehors de tout engagement de régularité ou de récurrence des passages organisés à sa seule initiative, est nulle si elle ne prévoit pas un délai de prévenance suffisant dans la fixation des horaires et du rythme de collecte. Une telle clause pourrait également être sanctionnée sur le fondement du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (C. com., art. L. 442-1) au constat  que le producteur ne peut pas organiser d’activités parallèles, anticiper des capacités de stockage et de production (cheptel) supplémentaires, alors qu’il est contractuellement tenu par un engagement de volume et une disponibilité permanente au regard d’une cadence de collecte qui dépend de l’acheteur, sans contrepartie réelle à ces contraintes.

Enfin, la proposition de l’acheteur de diminuer l’engagement minimum de volume annuel du producteur pour lui permettre de développer et de diversifier ses activités, tout en refusant d’envisager une modification des conditions et du rythme des collectes de lait peut constituer un manquement de l’acheteur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat, alors que la prévision du rythme de collecte est essentielle à l’organisation de l’activité du vendeur. Pour que la discussion (à propos de la demande formulée par le producteur) soit considérée de bonne foi de la part de l’acheteur, ce dernier doit tirer les conséquences de sa proposition de baisse de volume sur la fréquence de collecte. En l’espèce, il n’est pas apparu pour la CEPC, que les termes du courrier de l’acheteur faisaient ressortir une volonté de négocier la modification éventuelle de clauses, qui ne permettent pas en l’état au vendeur d’envisager un développement de ses activités. C’est la combinaison d’un refus de modification de la collecte, de la proposition d’une diminution du volume contractuel et du flou inhérent à la clause de collecte qui permet d’évaluer la position de l’acheteur dans la négociation.

 

4. Analyse.

A titre liminaire, l’avis souligne que si les faits portés à la connaissance de la CEPC ainsi que la saisine sont antérieurs à l’ordonnance du 24 avril 2019, les dispositions de l’avis ne sont pas remises en cause par les modifications de la réforme.

Alors au demeurant que la contractualisation dans le secteur du lait de vache, obligatoirement écrite entre un producteur et son premier acheteur, est régie depuis une dizaine d’année par les articles R. 631-7 et s. du Code rural et de la pêche maritime (issus d’un décret du 30 décembre 2010 pris pour l’application de l’article L. 631-24 du même code dans le secteur laitier), le contenu de l’avis, au plan des questions abordées en matière de contenu de la relation contractuelle ou de pratiques, ne nous semble pas non plus remis en cause à l’aune des dispositions de la Loi Egalim en octobre 2018 (cf. nouveaux art. L 631-24 et s).

On rappelle que cette loi est venue apporter, entre autres, des modifications au régime de la contractualisation entre producteur et premier acheteur, et instaurer par exemple un régime de construction du prix « en marche avant », c’est-à-dire initié par les producteurs, à partir des coûts de production (mais pas que), notamment lorsque le prix n’est pas déterminé (voir art. L. 631-24 III avant dernier al. ; à rappr. « Améliorer le revenu des éleveurs est plus qu’une question de prix ! » par H. Dion (Caplait), A. Ecoiffier (Association Laitière Jura-Bresse), F. Eyraud (Danone Produits Frais), R. Gavoille (OP Sud-Ouest-Laitier), D. Lecuir (OP. des Trois Vallées), P. Poncet (OP Danone Sud-est), Les Echos 26 février 2020). La mise en œuvre concrète des nouvelles dispositions ne va d’ailleurs pas sans poser des difficultés techniques, à commencer par la problématique des indicateurs à prendre en compte pour les critères et modalités de détermination du prix (art. L 631-24 III, avant dernier al.). Elle peut parfois se heurter, au dire de certaines OP, à des comportements abusifs acheteurs (rappr. « Les accords-cadres doivent être conclus au plus vite », La France Agricole, 27 mai 2020). Mais la problématique d’une meilleure valorisation des productions peut aussi passer par une optimisation des débouchés, d’où l’intérêt de l’avis.

Pour mieux approcher les problématiques abordées par l’avis en connaissance du contexte et des enjeux de la relations éleveurs/acheteurs, lesquels sont parfois des industriels de l’agroalimentaire qui disposent d’un maillage territorial de producteurs pour leur approvisionnement en lait, regroupés au sein d’Organisations de Producteurs parfois dédiées ou d’Associations d’Organisations de Producteurs, nous suggérons une lecture combinée de l’actuel commentaires avec un précédent, suite à un premier avis de la CEPC rendu sur ce type de contrat (avis 17-11, préc.).

Deux observations pour deux problématiques.

La première, structurelle, l’autre contractuelle, les deux tendant en fin de compte vers une plus grande fluidité, à défaut de mobilité, des producteurs entre les laiteries et une souplesse dans la relation qu’ils sont en droit – ou pas – de nouer avec différents acheteurs, allégeant ainsi à leur égard leur dépendance relative, au demeurant souvent assez forte.

Au plan structurel d’abord, il convient ici de saluer l’intervention, auprès de la CEPC, des OP (ou des AOP).

En effet, leur montée en puissance est nécessaire pour que l’amont de la filière soit mieux en mesure de peser dans les négociations commerciales avec les premiers acheteurs. Si le chemin restant à parcourir pour un rééquilibrage des relations est encore long, la démarche consistant à voir une OP saisir la CEPC sur un contrat ou suggérer la modification de certains comportements, va dans le sens souhaité.

La deuxième observation concerne le contenu des contrats.

Problématique de droit de la concurrence mises à part (rappr. Avis ADLC 17-D-12 du 26 juillet 2017 dans le secteur de l’approvisionnement de betteraves), la diversification de ses débouchés, en toute sécurité juridique pour un producteur, lors de la vente de la production du lait de son cheptel, sans se heurter à une obligation exclusivité de fourniture, suppose que cette dernière, si elle existe, soit sans équivoque et moyennant contrepartie.

La CEPC en appelle donc à la clarté des clauses.

Clarté, mais aussi harmonie entre ces dernières, en vue du but à atteindre, en l’occurrence permettre à l’éleveur qui le souhaite, de prendre ses dispositions notamment en matière de collecte pour pouvoir effectivement s’intéresser à de nouveaux débouchés auprès d’autres acheteurs, dans l’intérêt d’une meilleure valorisation de sa production.

Dans la production de lait, le sujet de la collecte est capital. Sans modification d’un certain mode de collecte, pas de diversification possible.

Une collecte dont les modalités sont soumises au bon vouloir d’une seule partie ne va pas dans le sens recherché. Cette idée ressortait déjà de l’avis 17-11, qui précisait que « la même considération s’applique à l’effet cumulé de ces clauses stipulées dans un seul et même contrat ».

La CEPC indique que l’on retrouve une situation comparable dans le présent avis, à savoir une clause de modification du rythme de la collecte au seul bénéfice de l’acheteur.

En conséquence, l’absence de préavis contractuel rend abusive la clause qui soumet la modification du rythme de collecte à volonté d’une seule des parties.

Enfin et lorsqu’il se voit adressé une demande de modification de collecte de la part de son producteur, l’acheteur doit s’abstenir de louvoiements, au risque de se voir reprocher de faire preuve d’un manquement à la bonne foi dans l’exécution de la convention.

Signalons enfin, pour mémoire, que la CEPC évoque certaines stipulations du contrat examiné (clause pénale économiquement dissuasive pour le producteur, clause de livraison, clause de force majeure permettant de considérer comme force majeure des circonstances non extérieures à l’acheteur par exemple). Ces clauses, selon la CEPC, renforcent l’impression de déséquilibre constatée à l’examen des dispositions relatives à l’organisation de la collecte du lait. Mais il n’en est pas dit davantage sur leur contenu.

Peut-être est-ce prémonitoire d’une prochaine saisine ?

Intéressant avis donc qui, comme celui qui l’a précédé (avis 17-11), apporte sa pierre à l’édifice de la contractualisation agricole et souligne indirectement l’intérêt pour les producteurs de se regrouper en OP, pour « porter » en commun leurs problématiques, lorsqu’ils constatent quelques déséquilibres ou asymétries dans les droits et obligations des parties ou dans la négociation commerciale (saisine de la CEPC, du médiateur des relations commerciales agricole, etc.).

Jean-Michel Vertut – Avocat.

 

Nota : cet article, sous un autre intitulé, est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin  2020. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.