Les pratiques d’obstruction aux investigations ou à l’instruction de procédures ouvertes devant les autorité de concurrence étant de nature à les mettre en échec, elles sont sanctionnables en elles-mêmes.
Ainsi, l’art. 23 § 1 du règlement 1/2003 prévoit notamment la possibilité pour la Commission de sanctionner les entreprises qui ne coopèreraient pas dans le cadre d’inspections. Le dispositif a été mis en œuvre à quelques reprises par la Commission.
Au niveau national et depuis l’ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, le deuxième alinéa du point V de l’article L. 464-2 du Code de commerce instaure une sanction pécuniaire pouvant atteindre 1% du chiffre d’affaires, « Lorsqu’une entreprise a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées (…) ».
Il a fallu attendre fin 2017 pour voir ce dispositif appliqué par l’ADLC (déc. 17-D-27 – recours pendant devant la Cour d’appel de Paris) à propos d’une obstruction tenant au manque de coopération et de fourniture des informations demandées par les rapporteurs en charge d’une instruction. L’affaire se situait hors « OVS ». La sanction avait été lourde (30 millions).
L’affaire ici rapportée (Autorité de la Concurrence, 22 mai 2019, n°19-D-09) vise cette fois-ci des incidents intervenus à l’occasion du déroulement de visites et saisies ordonnées par le JLD du TGI de Nanterre, qui avait autorisé le rapporteur général de l’Autorité à faire procéder auxdites visites sur un site à Boulogne-Billancourt et, moyennant délivrance d’une commission rogatoire au JLD du TGI de Bordeaux, sur un site à Mérignac.
Ces visites ont été marquées par deux incidents : un bris de scellés sur le site de Boulogne et une altération du fonctionnement d’une messagerie, plus précisément de la réception des courriels.
Cette décision est intéressante car elle participe de la délimitation de la pratique d’obstruction. A l’heure ou nous commentons cette décision ayant sanctionné l’entreprise à une amende de 900.000 euros, il n’est pas indiqué sur le site de l’ADLC si ladite décision est frappée d’un recours.
Au plan des principes, l’Autorité rappelle que l’infraction d’obstruction est une « infraction autonome », définie par la loi, sanctionnant le non-respect des obligations qui pèsent sur l’entreprise faisant l’objet d’une investigation ou d’une instruction.
Selon l’Autorité (déc. point 48), « l’obstruction peut « notamment » résulter de la fourniture par l’entreprise de renseignements incomplets ou inexacts, ou de la communication de pièces incomplètes ou dénaturées. ».
Mais son domaine est on ne peut plus large : « Dans un souci d’explicitation, le législateur a estimé utile de préciser certains des cas dans lesquels une obstruction pourrait être, le cas échéant, constatée par l’Autorité. Cette énumération n’est toutefois pas limitative et l’obstruction recouvre tout comportement de l’entreprise tendant, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement des investigations ou de l’instruction. Tel est bien le cas, sans contestation possible, des pratiques visées en l’espèce, qu’il s’agisse du bris de scellé ou de l’altération de réception de courriels sur le compte d’un salarié au cours d’une OVS ». Le domaine de l’incrimination est donc interprété de façon extensive.
S’agissant du bris de scellé, l’Autorité précise que « le seul fait du bris de scellé fait disparaître l’effet de sauvegarde de celui-ci et suffit donc à constituer l’infraction » (déc. point 63) : c’est dit ! Nous pourrons néanmoins être amusé, voire attendri, par la tentative d’explication donnée par le contrevenant sur ce bris de scellés et qui amène l’Autorité à préciser qu’il « importe ainsi peu que le bris de scellé ait pu être commis par négligence par un salarié à la recherche de friandises » (déc. point 64).
En ce qui concerne l’altération du fonctionnement de la messagerie, qui retient plus ici notre attention, les faits sont intéressants car ils évoquent des comportements de dissimulation, que l’ADLC qualifie de « manœuvres » (déc. point 70).
Les agents de l’Autorité avaient en effet relevé durant les OVS, que des salariés avaient fait obstacle à la réception de courriels sur la messagerie d’un de leurs collègues, notamment pendant la fouille sommaire de son ordinateur, le faisant ainsi sortir de la « chaîne de courriels active au moment de l’opération » (déc. point 13) ou de « la chaîne active des destinataires au moment de l’opération », afin de ne pas attirer l’attention des agents sur ces messages (déc. point 14).
Concrètement et sur les consignes du salarié visité, responsable hiérarchique (déc. point 70), il avait été question pour un salarié présent dans les lieux visités mais non personnellement visé par les recherches des enquêteurs et autorisé à conserver et utiliser son ordinateur, de convenir avec d’autres salariés situés sur d’autres sites, de ne plus mettre en copie de leurs échanges la personne dont l’ordinateur faisait l’objet d’une fouille sommaire, alors que ce dernier l’avait été jusqu’à présent depuis le début des investigations.
A la différence d’un bris de scellé, le réflexe, bien qu’inapproprié, peut se comprendre : on imagine mal ces salariés, en connaissance de cause, continuer à adresser à leur collègue visité des messages à caractère le cas échéant anticoncurrentiel. La coopération à l’enquête peut-elle tout de même avoir quelques limites ou faut-il commettre ou continuer à commettre, sous les yeux mêmes des enquêteurs, ce qui pourrait le cas échéant, après analyse au fond des données saisies, s’apparenter à un flagrant délit de pratique anticoncurrentielle ? Mais il y a là, tout de même, obstruction.
En outre et si en l’espèce, l’incident d’altération se rapporte au seul compte de messagerie du salarié visité et donc aux seuls courriels entrants dans sa boite aux lettres électronique, ou qui auraient dû y entrer s’ils y avaient été adressés en l’absence des manœuvres (déc. points 18, 69 à 71), on peut toutefois s’inquiéter, au détour d’un passage de la décision, de relever qu’« il est par conséquent établi que ces comportements constituent une entrave volontaire au bon déroulement de l’OVS qui se déroulait sur le site de Mérignac » (déc. point 73).
La nécessité d’un « bon déroulement de l’OVS … sur le site » et l’impératif d’efficacité des pouvoirs d’enquêtes, combinés à une définition accueillante de la pratique d’obstruction, peuvent-elles – voire doivent-elle – conduire à l’immobilisation par ailleurs, durant toute la visite, de la totalité moyens et ressources de l’entreprise, quand bien même ces derniers n’auraient-ils pas été ciblés et jusqu’à ce qu’ils le soient le cas échéant.
La question peut se poser sous l’angle de la protection du droit à ne pas s’auto-incriminer, à tout le moins s’agissant du comportements des salariés émetteurs de courriels qui ne seront pas parvenus à un collègue visité, faute de lui avoir été adressés.
Par transitivité, la notion « chaîne de courriels active au moment de l’opération », revient à faire de ces salariés pourtant non personnellement concernés par l’OVS, des maillons de ladite chaîne et ce faisant des acteurs de l’obstruction.
Toutefois, l’ADLC cantonne ici son reproche à la réception des courriels sur le compte de messagerie du salarié ciblé (déc. point 70).
Cette approche se veut similaire à celle relevée dans l’affaire EPH e.a./Commission. Il était en l’espèce question de pratiques de défaut du maintien des blocages de comptes de messageries pour en garantir l’accès exclusif aux inspecteurs pendant l’inspection, mais aussi de détournement des courriels entrants vers un serveur, ayant valu à l’entreprise une amende de 2,5 millions (Commission européenne, 28 mars 2012, EPH e.a., COMP/39793, conf. par Trib. UE, 26 nov. 2014, EPH e.a./Commission, aff. T-272/12, point 53).
Mais la montée en puissance dans l’application du dispositif de lutte contre l’obstruction, rapproché à certaines des réactions à chaud constatées au sein de sites visités et qui, sans aller jusqu’au bris de scellés, participent de la dissimulation des éléments potentiellement saisissables, ne font-elles pas craindre une irritation des enquêteurs et une possible extension de ce qui peut relever de manœuvres obstructives (rappr. considérant n° 32 de la Directive 2019/1 du 11 décembre 2018, dite Directive ECN+, JOUE 14.01.2019) ?
Pour l’heure, les entreprises souhaitant se préparer à l’éventualité d’une visite domiciliaire pourront, à la faveur de la grille d’analyse procurée par cette affaire, affiner la teneur des directives délivrées à leurs personnels sur les comportements à adopter en pareille situation.
Une choses est sûre : ne pas briser des scellés, bien sûr, et éviter de jouer au plus malin avec les enquêteurs.
Jean-Michel Vertut – Avocat.
Nota : cet article est intégré à la Lettre de la distribution du mois de juin 2019. Sur mes autres contributions dans cette publication, voir sous l’onglet Publication, la rubrique Lettre de la Distribution.